RELIGION

Divisés par leurs existences et ambitions, les Ébénois sont unis par leur humanité et leur Dieu. Il y a quatre siècles de cela, le Céleste offrit aux duchés divisés le Prophète, l’élu qui devait rétablir paix et prospérité dans les chaumières. Par son seul charisme, il s’allia les plus puissants seigneurs et les rassembla au sein d’un nouveau royaume. Il fit ériger des célestaires et des beffrois aux quatre coins des terres, commanda la rédaction d’un texte saint –le Recueil des Témoins- et accorda sa bénédiction au règne des ducs. Au jour du décès du Roi-Prophète, l’Ébène rayonnait par sa piété et sa vertu.

Or, les décennies malmenèrent la paix du Roi. Sans Prophète pour rétablir la justesse des dogmes, diverses interprétations du Recueil des Témoins prirent leur essor et, sous l’impulsion de personnalités au magnétisme inégalé, elles conquirent le cœur des fidèles célésiens. De ces divisions naquirent haine, rancoeur et querelles et, en l’an 323 de l’ère royale, la Guerre de l’Avènement déchira le royaume. Néanmoins, chaque crise est l’occasion pour le Céleste d’offrir à ses enfants de nouveaux miracles. Ainsi, de ce conflit meurtrier émergea le Monarque, second prophète du Dieu, qui mit fin aux dissensions et donna naissance à la Foi unifiée. En 383 de l’ère royale, malgré les divisions politiques et les guerres, l’ensemble des Célésiens chantent, prient et psalmodient au sein des mêmes temples. Sous l’oeil juste et bienveillant de la Divine Adrianna, la Foi prospère et veille quotidiennement à la vertu des Ébénois.

Ces quelques généralités énoncées, examinons plus en détail les particularités de la spiritualité célésienne.

les sept piliers de la foi

La lecture du Recueil des Témoins demeure et demeurera toujours la plus sage décision que peut prendre le curieux désireux de se familiariser avec la foi. Néanmoins, nombre d’érudits soucieux d’instiguer une juste compréhension des pratiques traduisirent les leçons des prophètes en sept maximes résumant les piliers fondateurs de la religion. Peu importe leurs origines ou ambitions, les Ébénois se rejoignent tous sur ces sept postulats inhérents à la vocation célésienne.

Hors de ces sept préceptes, un Ébénois ne peut se dire véritablement Célésien. Pourtant, ces idéaux ne portent guère en eux-mêmes les détails de leur application. Quelle est la justice exacte prônée par le Prophète? La liberté empêche-t-elle la servilité? Comment doit-on remercier le Céleste? En fonction des origines et des philosophies religieuses des théologiens interrogés, les réponses varieront. Néanmoins, sous l’ultime regard de la Divine Adrianna, le pouvoir d’interpréter ces commandements revient aux théologiens du clergé unifié.

-I-

L’Enchaîné engendra le monde par les ombres, le Céleste le raffina par la lumière. Le second est source des vertus et du Bien, mais la passion créatrice du premier est origine de l’existence elle-même.

-II-

L’humanité est la seule création de ce monde entièrement issue de la volonté du Céleste. Nous devons remercier le Dieu des cieux de ce fait.

-III-

Toujours l’humanité doit rechercher l’élévation de son âme afin d’éloigner le vice et la corruption. L’âme noble doit aider l’âme sauvage à s’élever, et l’âme sauvage doit suivre la sagesse de l’âme noble.

-IV-

Il n’y a pardon que par la repentance. Il n’y a repentance que par le regret. Seul le Céleste peut sonder les coeurs des fidèles et y déceler le regret. Les Célésiens laissent au Céleste le soin de pardonner les coupables et se contentent de faire justice.

-V-

Les prophètes, soit le Roi et le Monarque, furent envoyés par le Céleste afin de libérer nos âmes de la perfidie et de nous guider sur la voie de la justice.

-VI-

Hommes et femmes sont enfants du Céleste et méritent égale considération.

-VII-

Tous les êtres humains sont libres et responsables de leurs actes et pensées.

les lieux de culte

Les lieux de culte voués au Céleste à l’intérieur du royaume d’Ébène sont érigés sur des modèles communs. Cette similarité des bâtiments sacrés fut elle-même instaurée par le premier prophète afin de faciliter les pèlerinages dans les diverses régions du royaume.

Où que l’on aille à l’intérieur des frontières ébénoises, des autels modestes occupent le cœur des villages et les croisées des chemins. Malgré leur exiguïté flagrante, ces modestes constructions permettent aux fidèles de se recueillir à tout moment de la journée. C’est toutefois à l’intérieur de temples plus imposants, eux-mêmes édifiés autour des autels les plus fréquentés, que sont menées les célébrations de la foi. La plupart de ceux-ci sont dotés des infrastructures nécessaires afin de loger les pèlerins sillonnant l’un des multiples itinéraires sacrés du royaume. Par conséquent, ces temples sont souvent trouvés à proximité, voire à l’intérieur, d’un chapitre hébergeant les trois branches de la Foi dans une région donnée.

Plus un temple sera prestigieux, plus il s’élèvera vers les cieux. Selon la tradition de la Cité d’Yr, c’est en hauteur, par l’entremise d’étages supplémentaires, que les édifices religieux doivent prendre de l’expansion. Lorsqu’un temple aura davantage les apparences d’une tour que d’une chaumière, il prendra le nom de beffroi. Seront alors archivés dans les étages supérieurs les textes sacrés et témoignages des habitants des régions limitrophes, de sorte que tous ceux qui y auront accès pourront contempler les environs actuels tout en nourrissant leur esprit d’expériences du passé. Y seront aussi levés les hauts bûchers funéraires des trépassés, signes de respect pour les âmes défuntes.

À proximité des lieux saints -voire même en-dessous de ceux-ci- sont aussi construits des ossuaires plus ou moins modestes. Effectivement, les traditions funéraires célésiennes exigent l’incinération des corps. Or, les ossements épargnés par les flammes et purgés des chairs les enveloppant doivent éternellement être préservés en signe de respect des vies et héritages des défunts. Que ce soit sous terre dans des catacombes ou à la surface à l’intérieur de mausolée de pierres, les crânes et os des morts sont figés dans le temps. Tragiquement, la richesse matérielle, même après le trépas, scelle la destinée des malheureux. Les plus pauvres Célésiens doivent fréquemment se contenter d’un dernier repos à l’intérieur de souterrains ayant les allures de fosses communes tandis que la noblesse et la bourgeoisie disposent de musées macabres érigés à l’honneur de leur existence.

Cela dit, les ultimes hommages architecturaux au Céleste sont les célestaires. Rares sont les seigneurs en droit de se vanter d’entretenir sur leurs terres l’un de ces bastions spirituels. Les célestaires sont de véritables bourgades ecclésiastiques articulées autour d’un haut beffroi. Scribes, domestiques, orateurs et autres fidèles y célèbrent la gloire du Dieu en anoblissant le cœur des visiteurs qui en foulent le sol. Afin de protéger ces communautés, de hautes murailles ceinturent normalement le domaine et permettent aux Célésiens de profiter pleinement du havre de paix. Les célestaires –en particulier ceux de Haut-Dôme et de Porte-Sainte dans le Val-de-Ciel, d’Yr et de Treia à Avhor- sont les destinations habituelles des pèlerins en quête de rédemption.

Finalement, le lieu le plus sacré du royaume est assurément le Siège des Témoins situé dans la cité d’Yr. Articulé autour du célestaire d’Yr édifié par le premier Prophète lui-même, le Siège des Témoins a accueilli après le décès de celui-ci ses proches disciples, les Témoins. Au fil des siècles, les congrégations en charge de l’endroit se succédèrent, apportant tour à tour leur touche spirituelle. L’ecclésiastique à la tête du Siège des Témoins est nommé « Intendant du Siège des Témoins ». Ce gestionnaire n’est toutefois guère le chef de la Foi célésienne, l’occupant du trône d’Yr étant la plus haute instance en matière religieuse. Par cette position centrale au sein du chapitre célésien de la Cité d’Yr, l’Intendant jouit néanmoins d’un prestige indiscutable parmi les siens.

héritiers et vestales

Lors de la vingt-sixième année de l’ère royale, soit près de six mois après le décès du premier Prophète, les seigneurs-palatins du royaume se concertèrent et décrétèrent que l’absence d’héritier au trône d’ébène –le premier Prophète n’ayant guère engendré- devait être palliée par l’élection d’un prince. Ils atténuèrent toutefois ce changement fondamental à notre monarchie par une clause dérogatoire à la principauté qu’ils instauraient : le jour où un enfant du Céleste, homme ou femme, serait parcouru d’un sang d’ambre et réussirait à traverser à l’aller et au retour la forêt d’Ébène, celui-ci serait proclamé envoyé du Dieu et en droit de réclamer ses titres sur l’île d’Yr.

Il n’en fallut pas davantage pour que les familles les plus pieuses –ou les plus ambitieuses?- du royaume saisissent l’opportunité et instaurent une nouvelle tradition : les Héritiers et Vestales. Essentiellement, les Héritiers et les Vestales sont les deux volets –l’un masculin, l’autre féminin- d’une croyance fermement ancrée dans les esprits de nombre d’Ébénois. Selon ceux-ci, si le Céleste doit faire naître en ce monde un nouvel élu, ses intermédiaires seront nécessairement de fervents Célésiens aussi irréprochables spirituellement que dévoués philosophiquement. De riches mécènes adeptes de ce principe financèrent donc dans les palatinats des cloîtres où furent hébergés, éduqués et purifiés des hommes et des femmes –des gardiens de la flamme sacrée du Très Haut- offerts par les familles influentes du royaume. Le moment venu, un Héritier était destiné à une Vestale et, ensemble, ils engendraient un nourrisson qui, l’espéraient-ils, allait obtenir la bénédiction du Seigneur. Toute son enfance durant, le rejeton recevait une éducation qui avait pour but de l’élever spirituellement et de le préparer pour son ultime quête : la traversée de la forêt d’Ébène.

Pendant plus de trois siècles, les filles et fils chéris des pieux Célésiens furent ainsi cloîtrés dans des monastères dans l’espoir futile d’en voir ressortir un nouvel élu du Très Haut. Or, lorsque le Monarque, second Prophète, fut couronné en l’an 323, cette tradition apparut aux yeux des fidèles comme un mensonge éhonté et entretenu par des esprits tordus. La lignée royale étant assurée, il devenait vain d’entretenir le mythe auréolant ces lieux sacrés. Néanmoins, le souverain n’ordonna pas la fermeture de ceux-ci. Il décida plutôt de les transformer en des havres de recueillement et d’entraînement militaire et religieux. Les Célésiens pouvaient toujours confier leurs enfants à la Foi, mais ceux-ci ne demeureraient pas passivement dans des cloîtres à attendre une éventuelle sanctification divine. Ils approfondiraient les textes saints, peaufineraient leur maîtrise des armes, apprendraient à combattre ensemble et deviendraient, au terme de leur formation, des éléments clés des régiments royaux, des zélotes armés ou des théologiens cloîtrés ou itinérants.

De nos jours, au lendemain de l’éclatement du royaume d’Ébène, les Héritiers et Vestales demeurent les piliers de la foi et occupent des postes de choix au sein du clergé unifié. Vouant leur vie toute entière au Céleste et, parfois, à la Divine, ils sont souvent appelés par leurs camarades “Enfants de la Divine” en référence à leur quasi-adoption par le Monarque à l’époque. Parmi les plus pieux, certains iront même jusqu’à peaufiner leur art à Porte-Sainte où ils prendront les voeux sacrés du paladin et deviendront des symboles absolus du sacrifice et de la vertu.

HÉRÉSIE ET OCCULTISME

En 383 de l’ère royale, la Divine Adrianna a approuvé la publication d’un volumineux document consignant les connaissances officielles concernant les cultes mystiques : «L’Index des Impies». Rédigé de concert par l’Inquisition du clergé de la Foi céleste et les spécialistes de l’Académie du Zanaïr, ce recueil à l’usage exclusif des individus autorisés par la Divine consigne l’entièreté des savoirs glanés lors des derniers siècles à propos du mysticisme, de la sorcellerie et des autres pratiques occultes. Étonnamment précis, l’Index des Impies classifie l’ensemble des hérésies existantes en six catégories. Les rites, croyances et pratiques de chacune sont expliqués en détail dans des tomes préservés à l’Académie du Zanaïr. Pour le commun des mortels non-autorisés par la Divine et les Inquisiteurs, seul un résumé général de chaque tome est disponible afin de guider leurs actions. Si des enquêtes devaient être menées, une confirmation de l’appartenance d’une pratique à un culte donné pourrait être fournie aux autorités. Voici ces tomes et leurs intérêts principaux :

  • Tome d’Ombre-Miroir : Anciens Macassars de la forêt d’Ébène. Élément de vie et de manipulation du vivant.
  • Tome de Saphir : Anciens Néréides des mers et océans. Élément d’eau et de liberté absolue.
  • Tome de Rubis : Anciens Gardes-Feu des grottes et des souterrains. Élément de feu et de domination.
  • Tome de Quartz : Anciens Hauts-Sorciers des montagnes et des cieux. Élément d’air, connaissance du temps, de l’espace et du destin.
  • Tome des Abysses : Anciens Daemons et adorateurs de Horathot. Élément de l’esprit, création et transformation de l’existence par la volonté.
  • Tome du Sang : Fondateurs inconnus, mais centré sur le recueil de “L’Origine du Mal”. Élément de la chair, puissance par la haine, la souffrance, le désespoir et l’horreur.

La création de ces déclinaisons est le résultat de perquisitions et d’inquisitions assidues menées en 383. Effectivement, à partir de 382, le nouveau clergé de la Foi céleste remarqua une recrudescence marquée des cultes hérétiques sur le territoire célésien. Probablement par effet de mode, la rumeur de la puissance réelle des rituels interdits se propageait et charmait nombre d’esprits influençables. Il devint donc essentiel de nommer l’hérésie pour mieux l’identifier et la combattre. Ainsi, tous les phénomènes mystiques non-célésiens et les rituels occultes existants et possibles sont contenus dans l’un de ces tomes. Pour le clergé, l’étudie et l’approfondissement de ces savoirs est donc chose exceptionnelle désormais ; tout ce qui doit être connu est contenu dans ces livres et doit être combattu.

Cependant, l’annonce de l’existence de l’Index des Impies eut pour effet indésirable de rassembler autour de ces croyances et dénominations les cultistes autrefois divisés. Les tomes devinrent non seulement des outils pour les traquer, mais des symboles de ralliement dans l’ombre. Dans ces cercles hermétiques et clandestins, on clame aujourd’hui que les forces mystiques n’ont jamais été éradiquées par le Céleste et qu’elles sont, au contraire, plus influentes que jamais. Évidemment, pour quiconque sain d’esprit ou tenant moindrement à sa vie, ce ne sont là que les élucubrations d’illuminés désespérés…