moeurs et culture

Les diverses régions du royaume d’Ébène se distinguent par leurs histoires, leurs cultures et leurs ambitions. Néanmoins, derrière ces différences notoires se dissimulent des mœurs et des coutumes qui furent façonnées par près de quatre siècles de monarchie et de religion célésienne. De Corrèse à Avhor, les Ébénois partagent des visions du monde communes qui orientent l’ensemble de leurs décisions. Lorsque nous discutons de mœurs, nous nous intéressons avant tout aux conceptions et perceptions qu’ont les sujets du royaume de certaines réalités. Dans la même optique, lorsque nous étudions les coutumes, nous soulignons les rituels sociaux adoptés par la population et modelant directement sa vie quotidienne.

Dans les lignes qui suivent, quelques-uns de ces piliers communs à l’ensemble des Ébénois peuvent être consultés. Bien sûr, chaque région y ajoutera sa propre couleur particulière, mais toutes veilleront à respecter les éléments fondamentaux recensés ici.

La bâtardise

Au sein du royaume d’Ébène, la bâtardise est définie comme l’état de l’enfant issu d’une relation entre deux individus non mariés. Tout enfant né d’un accouplement des corps pratiqué hors d’un mariage célébré sous l’œil du Céleste est considéré comme un bâtard. Dans certains pays exotiques comme chez les Siludiens, ces engeances seront perçues comme des êtres corrompus, malfaisants et sournois. Certains voyageurs vont même jusqu’à affirmer avoir aperçu des bâtards errer seuls dans les déserts arides, bannis par leur propre peuple en raison de leur statut.

Cependant, les Célésiens ne méprisent pas ainsi leurs bâtards. Tel que l’a énoncé le Prophète dans « L’Enfantement », leçon enseignée par sa disciple la Sereine Adrianna dans le Témoignage de l’Omniscience, ce n’est guère à l’enfant de payer le prix du blasphème de ses parents. Le nourrisson devra être estimé comme n’importe quel autre Ébénois. Effectivement, si le Céleste a jugé nécessaire d’offrir une âme de lumière à l’enfant à naître, ce n’est guère aux pauvres mortels d’évaluer si sa décision est juste ou non. Il faut plutôt offrir au bâtard la chance de remplir son rôle au même titre qu’on le ferait à l’endroit de son homologue de pure naissance. Le bâtard de fermier servira aux champs comme le fera son voisin né dans les liens du mariage.

Ce seront les parents qui devront être châtiés pour leurs erreurs. Effectivement, combien de bâtards furent abandonnés après que l’œuvre de chair ait contrecarré les désirs de la Raison? Combien des orphelins sillonnant les rues d’Yr sont les fruits d’une folle passion de jeunesse? Afin de prévenir ces horribles situations, les Ébénois se font un devoir de lier l’enfantement aux chaînes sacrées du mariage. Dans le cas contraire, le Prophète suggère la torture en guise de punition aux parents. Ainsi apprend-on dans le Témoignage de l’Omniscience :

« Un matin d’hiver où il veillait à l’édification du beffroi du célestaire d’Yr, le Roi-Prophète découvrit une femme de Salvar en souffrance dans l’un des ateliers de menuiserie de la cité. Exilée de sa ville d’origine, elle était venue chercher réconfort dans la sainte capitale quelques mois plus tôt. Or, elle y rencontra un soldat fougueux qui accomplit avec elle l’œuvre de chair à l’extérieur de tout lien du mariage. Le résultat naturel fut qu’en cette froide matinée d’hiver, elle gisait devant son Roi, en proie aux pires supplices de l’enfantement.

Immédiatement, le Prophète fit quérir le soldat ayant partagé la couche de la future mère. Dès qu’il aperçut la conséquence de sa passion passée, il balbutia quelques excuses. Le monarque grimaça à la vue de ce pitoyable portrait puis, d’un ton ne souffrant aucune réplique, décréta : « La souffrance s’est déjà emparée de cette femme et lui cause mille tourments. Au centuple elle a payé son affront au Céleste. Toi, qu’as-tu à lui offrir hormis de vaines paroles? Un océan d’incertitude enveloppe cet enfant à naître, comment obtiendras-tu rédemption? » Le père, désemparé par rapport à cette déclaration du Prophète, bredouilla quelques mots et se tut. Tout en pointant l’ignorant, le Roi commanda : « Que ma garde s’empare de ce fou et lui fasse subir la même agonie que subira sa compagne. Tant qu’elle hurlera, il hurlera. Tant qu’elle saignera, il saignera. Quand le Céleste jugera leur dette acquittée, l’enfant naîtra et leur torture achèvera. » Le nourrisson naquit huit heures après cette déclaration, et avec sa venue s’arrêtèrent les cris de ses parents. Tel doit être le sort des blasphémateurs qui trouvent l’harmonie des corps hors de l’union sacrée. »

N’importe quel insensé pourra donc comprendre la gravité d’une union charnelle engendrant un nouveau-né hors du mariage.

La plupart des bâtards reçoivent à leur naissance un nom particulier distinct de celui de leurs parents. Effectivement, aucun mariage n’ayant eu lieu, il est impossible de déterminer si le nourrisson portera le nom du père (patronyme) ou le nom de la mère (matronyme). De plus, nombre de parents éviteront de s’annoncer comme les géniteurs de l’enfant, souhaitant bien sûr éviter les sanctions inévitablement rattachées à leurs actions. La tradition veut donc que les bâtards soient nommés en fonction de phénomènes associés à la saison dans laquelle ils sont nés. Par exemple, nous pourrons rencontrer…

– Au printemps : Desfontes, Descrues

– À l’été : Deschamps, Delabrise

– À l’automne : Dubrouillard, Desvents

– À l’hiver : Desneiges, Dufroid

Certains de ces bâtards, lorsqu’ils auront eux-mêmes des enfants, les affubleront d’un nouveau nom afin qu’aucune ambiguïté ne subsiste par rapport à l’origine de leur progéniture.

En terminant, notons que les sanctions infligées aux parents ayant commis le sacrilège engendrant les bâtards ont grandement évolué depuis trois cents ans. De la torture pure et simple du père et de la mère, les autorités religieuses en sont arrivées à des accusations de blasphème envers le Céleste. Dès lors, quand un couple non marié est reconnu coupable de fornication, il est immédiatement condamné par les congrégations célésiennes. Les excommuniés ne peuvent plus fréquenter de lieux sanctifiés voués au Céleste ou obtenir de protection des fidèles de la vraie Foi. Plus encore, si le blasphème est dissimulé depuis plusieurs années, à la condamnation pourrait être jointe une excommunication de la foi célésienne. Le seul moyen d’échapper à ces punitions sacrées est d’accomplir un pèlerinage vers le Val-de-Ciel et le plateau de la Main céleste, lieu où fut levé l’ultime bûcher du Roi-Prophète.

Les drogues

En 159 de l’ère royale accéda au trône d’Ébène le premier prince Paurroi de Corrèse. S’affublant du nom de Casimir le Sévère, il dirigea pendant près de cinq ans la cité d’Yr et les neuf palatinats d’une main de fer. Pour Casimir, les divertissements et autres sources de plaisirs corporels constituaient de dangereuses tentations dans lesquelles l’humanité pouvait chuter, succombant de ce fait au pouvoir des ténèbres et de l’Enchaîné. Ainsi, au nom du Prophète et du Céleste, le prince corrésien leva une armée spéciale d’inquisition -Le Bataillon des Purs- et se lança dans un vaste projet d’éradication des « drogues et des célébrations nocturnes ». Du début de son règne jusqu’à sa mort à la suite d’une mystérieuse fièvre en 164, il pourchassa les fabricants d’alcool et d’autres produits altérant l’esprit et le corps, condamna les tavernes et les places de festivités et instaura dans le royaume d’Ébène un climat d’austérité et de piété.

Si la mort de Casimir le Sévère permit le démantèlement du Bataillon des Purs et la restauration du droit de consommer des alcools et de festoyer la nuit, les seigneurs-palatins profitèrent de la faiblesse des cartels de drogues pour maintenir certaines interdictions liées à celles-ci. Au fil des années, les quelques alchimistes et herboristes doués pour la concoction de produits hallucinogènes sombrèrent dans l’illégalité et, se faisant pourchasser sans relâche par les autorités en place, commencèrent à troquer leurs laboratoires et ateliers pour les caravelles. Pendant longtemps, on préféra à la culture et à la fabrication de drogue l’importation pure et simple par navires. Les criminels s’assuraient ainsi une plus grande mobilité et, par conséquent, des chances de survie accrues. Dès lors, la drogue devînt synonyme de piraterie, d’extorsion, de menaces subtiles et de corruption.

Avec le temps, les Ébénois en vinrent à oublier les effets néfastes réels des drogues telles que la fleur-de-jade, l’écorce de jais et le sel firmori. Cependant, au début du quatrième siècle, sous l’impulsion de marchands peu scrupuleux et avides de richesses, ces produits furent massivement réintégrés à l’intérieur du territoire ébénois. La fleur-de-jade, plante extraite des contrées ardarosiennes et perçues en celles-ci comme un instrument spirituel, se répandit dans le royaume. Néophytes en matière de drogues dures, des centaines d’Ébénois se jetèrent corps et âme dans ce nouveau paradis artificiel et y perdirent leurs patrimoines, titres et espoirs. Lorsque les médecins et érudits parvinrent à élaborer une cure à l’addiction des affligés, de nouvelles drogues remplacèrent la fleur-de-jade. Dans les Monts Namori, le sel firmori donna naissance à des cartels voraces ébranlant la prospérité de Fondebleau. À Avhor puis à Laure, le « Sang d’Ambre », aussi connu comme « la drogue du Crépuscule », amena le cœur du royaume au bord de la guerre civile et de l’implosion. À Salvamer et Cassolmer, le miel de médérice, consommé dans toutes les sphères de la basse société, finança longtemps les initiatives criminelles des pirates de la Vaste-Mer. En somme, les Ébénois, incapables de gérer l’apparition de ces produits dangereux, furent happés de plein fouet par ceux-ci.

Ces épisodes difficiles de l’histoire d’Ébène modelèrent les relations houleuses qu’ont désormais les Ébènois avec les drogues. Ces substances altérant la conscience individuelle et le libre-arbitre, et ces privilèges étant des dons du Céleste à l’humanité, la consommation de drogue est considérée comme un blasphème. Toutefois, ironiquement, la production et la vente de ces produits ne le sont guère. Effectivement, en respect du pilier spirituel du libre-arbitre, ce n’est guère pas celui qui offre la substance qui se montre irrespectueux des dogmes, mais le fidèle choisissant librement de la consommer. Par cette mesure, les hauts seigneurs font deux pierres d’un coup. Tout d’abord, ils évitent de lutter directement contre les puissants cartels faisant fortune dans certaines régions du pays. Ensuite, ils responsabilisent chaque individu par rapport à sa relation envers le Céleste.

Les duels et tournois

Depuis aussi loin que la mémoire peut s’en rappeler, les duels d’armes furent les méthodes privilégiées pour régler des différends entre individus influents. Plutôt que d’envoyer d’innombrables soldats à la boucherie, les anciens dirigeants du continent croisaient le fer sur la place publique afin de prouver la supériorité de leurs idéaux. On raconte que, lorsque les frontières des duchés commencèrent à se stabiliser et que les seigneurs de guerre s’approprièrent les titres de ducs et de comtes, la peur des champs de bataille et de leurs aléas mortels persuada les souverains de mieux encadrer la pratique des duels et des combats d’honneur. Ainsi apparurent les tournois et les joutes, festivités taillées sur mesure pour les aristocrates réticents à affronter les dangers des guerres.

Après le Sang’Noir et l’avènement du Roi-Prophète, les duels furent relayés aux sphères privées des cours en raison du mépris généralisé pour la violence des populations éprouvées par la terrible malédiction. Toutefois, les décennies passèrent et, graduellement, les tournois refirent leur apparition dans le royaume. Principalement au Sarrenhor où les chefs de clans aspiraient constamment à faire valoir leur force et leur endurance, ces événements mémorables devinrent les occasions parfaites de se pavaner devant un public avide de récits épiques et d’armures rutilantes. Lorsque les enjeux des concours martiaux gagnèrent en importance, ces derniers furent placés sous la protection sacrée du pacte du vin de sorte que seuls les combattants consentants puissent tirer les armes et faire couler le sang.

Encore aujourd’hui, les duels (et à plus forte raison les tournois) sont des occasions privilégiées d’assister à la résolution d’un conflit entre deux Ébènois influents. Pour plusieurs, être le spectateur d’un duel revient à prendre part à un pan de l’histoire commune. C’est pour cette raison que ces événements sont habituellement annoncés plusieurs semaines -ou mois dans le cas de tournois- avant leur tenue afin de rassembler le plus grand nombre de témoins. Cet engouement pour la résolution armée des conflits personnels fait en sorte que les quelques nobles refusant les duels qui leur sont légitimement lancés sont les objets des railleries populaires.

Les duels et tournois sont aujourd’hui soumis à de rigoureux règlements visant à limiter la corruption ou les fourberies. Lorsqu’un individu estime qu’il est lésé par un autre Ébénois en âge de combattre, il détient le droit sacré de provoquer son ennemi en duel. La demande doit alors être clairement formulée et comporter trois renseignements essentiels :

I- Le lieu où se tiendra le duel.

II- Le moment où se tiendra le duel.

III- Si le duel sera à mort ou non.

Face à cette provocation, l’adversaire pourra refuser l’invitation -ce qui risque de jeter le discrédit sur son nom- ou encore modifier l’un des trois éléments ci-dessus à son gré. Il retournera alors sa décision ou sa contre-offre à l’individu lésé qui sera tenu de la respecter. Il sera de la responsabilité du provocateur de débusquer un Gardien du Pacte du vin -ou Juge royal à Yr- qui veillera au bon déroulement du combat et de répandre la nouvelle par l’entremise de crieurs publics. Bien sûr, le provoqué pourra aussi, s’il n’entretient aucune confiance envers son ennemi, engager son propre Gardien du Pacte du vin et ses propres crieurs publics.

Si le duel est déclaré à mort, le gagnant devra veiller, après sa victoire, à honorer avec humilité et dignité la mémoire de son adversaire. Le perdant ayant payé l’ultime prix pour un conflit d’honneur, il serait extrêmement mal perçu par les sujets du royaume que le survivant insulte le souvenir de celui ne pouvant plus protéger son nom. La tradition veut que, habituellement, le vainqueur offre à la famille du combattant décédé une épée finement travaillée, un buste sculpté ou encore un bijou précieux.

D’un autre côté, si le duel ne requiert pas la mort de l’un des participants, il est d’usage que les duellistes s’entendent sur le prix du victorieux et sur le Trésor de Honte du perdant. Effectivement, il ne suffit pas que le vainqueur ressorte de son combat avec son honneur retrouvé ou l’objet de sa quête ; le candidat défait doit aussi quitter avec un symbole estimé du peuple d’Ébène qui sera pour lui synonyme de honte. Le meilleur exemple de cette règle tacite est celui relaté dans la chanson de geste “La Vierge et l’Écu” où le soupirant d’une jeune noble, ayant perdu son duel, doit abandonner la cour de sa douce et se voir remise une relique ancienne -l’écu de Galvin le Fier- en guise de Trésor de Honte. Dès cet instant, il devient le porteur du bouclier sacré de Galvin, mais il ne peut en tirer que tristesse et désespoir.

Il est communément admis que les combattants puissent manier les armes et équipements avec lesquels ils sont les plus habiles lors des duels. Lance, épée longue et écu, épée courte, dague, cela importe peu : le Céleste guidera l’arme du Juste quelle qu’elle soit. C’est donc devant le Céleste et le peuple d’Ébène que se confronteront les fiers duellistes aux honneurs courroucés.

En terminant, sur la question des tournois, notons que leurs règlements varient fortement en fonction des régions où ils se déroulent. Les questions des paris, des dames d’honneur, des prix à remporter, des motivations au combat et autres sont normalement déterminées par les organisateurs du tournoi. Néanmoins, tous les tournois sont inévitablement placés sous la protection du Pacte du vin afin que nulle violence barbare et indésirable n’y soit perpétrée.

Le mariage

Exigé autant par la Couronne que par le Céleste, le mariage est l’union sacrée de deux individus se vouant mutuellement une exclusivité charnelle. Auparavant autorisée, la polygamie est désormais un blasphème envers le Céleste. Pour le Roi-Prophète, le mariage était la garantie d’un royaume respectueux de l’ordre, de la tradition et de l’héritage des familles édifiant chaque jour la nation. Sans mariage devant le Céleste, l’humanité n’est qu’une bête succombant à ses passions et laissant ses pulsions lui dicter son comportement. Pour le Céleste, le mariage est la condition de réalisation de l’ultime commandement qu’il a implanté dans les cœurs et les âmes : répandre sa lumière sur Célès tout entière et éduquer les nouveau-nés afin qu’ils s’élèvent par leur liberté vers la grâce du Dieu.

Toute relation entre deux amoureux doit donc être confirmée devant le Céleste et ses institutions officielles avant d’engendrer un nouveau-né ou de permettre l’éducation d’un enfant. Ce n’est que lorsque ce sera fait que le couple pourra mettre au monde un nourrisson qu’il élèvera dans les voies sacrées. Ce sera là non seulement son droit en tant que duo d’amoureux officiellement reconnus par le Dieu, mais aussi son devoir. Si jamais l’union célébrée ne devait pas permettre l’enfantement –par exemple en raison de la maladie de l’un des mariés ou de conjoints de même genre, le couple devrait veiller immédiatement à recueillir sous son aile bienveillante un enfant abandonné ou un bâtard rejeté de ses parents naturels. Tel que prévu dans le Recueil des Témoins, ce ne sont pas le sang ou les origines du fidèle qui forgent sa destinée, mais ses choix et ses actions. Étant dotés du libre arbitre, tous les enfants peuvent être éduqués noblement par des couples adéquatement scellés dans la foi célésienne.

Enfin, il sera extrêmement mal perçu qu’un mariage soit tenu à l’insu des familles des futurs mariés et de leur entourage. Bien sûr, aucun passage du Recueil des Témoins n’oblige à la présence d’observateurs lors des cérémonies d’union, mais il est communément admis que les liens tissés lors d’un mariage secret ne seront jamais aussi puissants et contraignants que ceux acceptés publiquement. Si aucun religieux individuellement n’a l’autorité pour annuler de tels mariages clandestins, plusieurs familles iront jusqu’à nier leur légitimité et à en réfuter la validité.

Variant fortement de région en région, la tradition du mariage comporte néanmoins toujours deux étapes que l’ensemble des célésiens respectent assidument.

Tout d’abord, avant la cérémonie, les futurs époux et leurs familles se doivent de discuter de la dote en jeu et, surtout, de la partie qui offrira la dite dote. Effectivement, femmes et hommes étant égaux devant le Céleste, ce n’est ni à l’un ni à l’autre de remettre de facto une dote à la famille de son conjoint. Selon la tradition, ce sera à la famille la moins influente, reconnue et riche de confier à sa contrepartie une somme de richesses ou de promesses suffisantes pour acheter l’amélioration de statut offerte au futur époux. De plus –et il s’agira souvent là de la dote ayant la plus grande valeur, les mesnies devront décider qui des deux conjoints transmettra aux futurs enfants son nom de famille. Bien sûr, jamais les enfants ne pourront porter les noms des deux familles, cette pratique ébranlant littéralement les fondations de la féodalité et de l’aristocratie ébénoise. En somme, c’est de cette façon que les familles les plus réputées assureront la pérennité de leur lignée et que leurs semblables de plus basse extraction diminueront en prestige. D’ailleurs, il est important de noter qu’aucune loi ou tradition n’oblige l’époux ou l’épouse à abandonner son nom de famille lors du mariage. Si certaines maisons accepteront cette condition, elle n’est en aucun cas une nécessité.

Lorsque la question de la dote sera résolue, la cérémonie de mariage pourra avoir lieu. Peu importe les enrobages dont l’événement sera affublé dans les diverses cultures célésiennes, le coeur de la cérémonie restera le même. Après avoir été présenté aux convives présents, chaque futur époux enflammera une chandelle, symbole de la lumière sacrée du Céleste. Par la suite, ils marcheront tour à tour l’un autour de l’autre afin de purifier leurs êtres par les flammes et la lumière. Ensuite, simultanément, ils propageront à un cierge leurs flammes respectives et placeront leurs mains jointes au-dessus du feu nouvellement créé. Alors que leurs mains seront enveloppées par deux rubans de tissu aux couleurs de leurs familles, les mariés prononceront finalement leurs voeux devant le Céleste.

Finalement, il est important de savoir qu’il est extrêmement complexe d’obtenir le divorce pour un engagement correctement prononcé devant le Céleste. Deux méthodes permettent d’y parvenir. Tout d’abord, il faudra démontrer devant le clergé de la Foi céleste qu’un vice de procédure eût lieu lors de la cérémonie et que le consentement de l’un des deux époux ne fut guère obtenu adéquatement. La seconde méthode est d’obtenir une ordonnance de la Divine elle-même. Seuls les cas d’unions litigieuses, notables et dangereuses pour la foi célésienne seront donc entendues par les autorités légitimes et sujets à obtenir dissolution.

La diversité

Des jungles tropicales de l’Enclave de Nui aux quartiers industriels de Felbourg-la-Cité, en passant par les blancs sommets des saints Monts Namori, le peuple d’Ébène a su embrasser au fil des siècles sa diversité intrinsèque. Au moment de l’avènement du Roi-Prophète et de la restauration de la Foi célésienne dans le nouveau royaume, cette absolue acceptation de la pluralité des genres et caractéristiques physionomiques fut consacrée dans les dogmes religieux eux-mêmes. Tous et toutes méritent égale considération devant le Très Haut, pour autant qu’ils l’honorent dignement et avec piété. De cette façon, le processus de mixité déjà bien entamé lors de l’ère de l’Avant se poursuivit pendant les siècles suivant le premier couronnement royal. Aujourd’hui, nul n’oserait questionner cette fabuleuse richesse démographique. Néanmoins, il convient d’étudier plus en détails les nuances de ce pluralisme unique à l’Ébène.

Selon les historiens de l’Académie Rozella, le continent ébénois fut originellement colonisé par trois vagues d’immigration. D’au-delà la Mer Blanche, le peuple de Vindh débarqua sur les actuelles côtes felbourgeoises et fonda les colossales cités occidentales. De la Vaste-Mer, les Mérillons s’emparèrent de l’actuelle lagune de Salvar afin d’y faire rayonner leur festive culture. Enfin, des Monts Namori descendirent les Enfants d’Arianne qui donnèrent naissance aux farouches clans du sud. Les plus anciens textes hérités de la lignée palatine des Paurroi de Porte-Chêne témoignent de la présence, au sein même de l’ensemble de ces cohortes colonisatrices, d’hommes et de femmes au teint basané ou pâle, aux yeux ronds ou en amande, ou possédant toute autre caractéristique physionomique distinctive. Dans sa thèse « Les enfants célestes : Origines des peuples d’Ébène » rédigé en la 341e année de l’ère royale, l’érudite avhoroise Marianna Pontormo en vînt à affirmer que la présence de traits variés au sein de peuples aussi éloignés trahissait l’existence de racines géographiques communes à l’humanité. Évidemment, cette idée fut immédiatement rejetée par le clergé célésien qui y décelait une tentative de légitimation des hérésies étrangères. Elle fit tout de même son chemin parmi les cercles académiques et renforça la conviction selon laquelle tout individu servant le Céleste méritait respect et dignité. Ainsi, aujourd’hui, de Corrèse à Avhor, le voyageur trouvera sur son chemin d’humbles Célésiens aux traits et couleurs variés.

Si les explorateurs rapportent de leurs périples à l’étranger des coutumes parfois troublantes sur la question, l’égalité entre les hommes, les femmes et toutes autres formes d’identité de genre fait consensus chez les Ébènois. On rapporte ainsi qu’en l’an 12 de l’ère royale, lorsqu’un émissaire d’un clan siludien reculé se moqua de la présence d’une femme en armure dans l’entourage du Roi-Prophète, le Témoin Gaspard l’Ancien tourna au ridicule ses quolibets par une phrase destinée à être gravée dans les mémoires : « Le Céleste a fait la grâce à nos chevaliers de manier leur épée par leur bras et non leur membre intime ; je prie pour que vos dieux vous honorent de la même grâce. » Les théologiens, fidèles à leur passion pour l’analyse des saintes paroles, étudièrent scrupuleusement dans les décennies qui suivirent le sens de ces propos en apparence anodins. Initialement, certains soutinrent qu’ils invitaient les seigneurs célésiens à reconnaître la valeur d’un individu par ses actes et non par son être. Or, il apparut rapidement qu’une telle philosophie pouvait mener à l’exclusion violente, voire sanglante, de Célésiens aux capacités amoindris par diverses causes (vieillesse, aléas des guerres et même handicaps de naissance). La véritable sagesse des mots de Gaspard l’Ancien fut finalement révélée en 276 par la princesse Vastelle dite l’Érudite dans ses « Pensées felbourgeoises ». Tout individu marchant dans la lumière du Céleste œuvre en son nom. Que l’acte soit glorieux et remarquable, ou qu’il soit imperceptible à l’œil des mortels, il contribue à la volonté du Dieu, dans le moment présent ou dans un futur inaccessible. Ces réflexions firent écho aux inspirantes lignes du Témoignage de l’Omniscience, révélant leur sens profond :

« Des milliers de lueurs vacillantes jaillirent de l’esprit du Céleste et se déposèrent dans les brumes de Célès. Nulle lueur n’était identique à sa semblable et, pourtant, chacune aspirait à s’élever et à croître. Or, isolées, les flammes consument leur mèche puis s’éteignent. Regroupées, elles se déploient et enrayent les ténèbres. Telles étaient les pensées du Céleste : espérez et rêvez seuls, mais agissez et créez ensemble. L’avenir de ce monde appartient à ceux qui, malgré les différences, recherchent l’harmonie. »