Les îles orientales

I.PALATINAT DE PYRAE

Pyrae l’ardente. Pyrae la mystérieuse. Pyrae l’insulaire. Occupant autrefois l’île de Kessa et les îlots environnants sur la Vaste-Mer, les Pyréens chérissaient leur culture unique et exotique. Farouches mais voluptueux, martiaux mais diplomates, polygames mais Célésiens, ils usaient de leur statut d’insulaires pour préserver des mœurs qui auraient scandalisé n’importe quel continental. Or, au coeur de Kessa, au centre même de l’agglomération de Pyrae-la-Cité, dormait le monstre qui allait sonner le glas de la nation pyréenne ; l’Iniraya, terrible volcan assoupi depuis des temps immémoriaux, fit à la fois la gloire et la déchéance du palatinat. Effectivement, dans ses alcôves volcaniques, les forgerons pyréens forgeaient des armes et armures d’un acier légendaire, le tout pendant que des technologues en extrayaient des vapeurs mettant en mouvement des machines audacieuses. Toutefois, inévitablement le feu brûle ceux qui se plaisent à le manipuler. Ainsi, en 323, à la suite d’événements que plusieurs qualifieront de mystiques, l’Iniraya émergea de son sommeil et déversa ses torrents de lave sur l’île de Kessa. Quelques jours plus tard, l’héritage pyréen était enseveli sous un océan de flammes et de cendres et leurs terres conquises par la Ligue d’Ardaros.

Ce n’est que soixante ans plus tard que, à la suite d’une sainte guerre de reconquête, le nom de “Palatinat de Pyrae” résonna de nouveau dans les cours d’Ébène. Fraction de sa gloire d’antan, il réapparut sur l’île d’Hara avec la bénédiction de la Divine Adrianna et accueillit à bras ouverts le retour des exilés vers leurs terres ancestrales. Confrontée à une crise constante des approvisionnements, à une criminalité et une pauvreté croissantes et à des relations tendues avec ses voisines, la famille Amezaï tente tant bien que mal de restaurer le prestige et la prospérité de ce qui fut autrefois le joyau de la Vaste-Mer. Un jour, peut-être, Pyrae réclamera-t-elle ses territoires d’antan. D’ici là, la reconstruction des fondations d’un peuple est la priorité des seigneurs des lieux.

(Gentilé : Pyréen / Pyréenne)

-Géographie-

Le territoire de l’actuel Palatinat de Pyrae ne représente qu’une fraction de ce qu’il était autrefois. Circonscrit à l’île d’Hara et à une parcelle de terre accueillant le château d’Hara sur l’île principale de Kessa, il subsiste essentiellement grâce au financement des sympathisants pyréens du continent et aux dons gracieux de la Divine Adrianna qui le perçoit comme le tremplin futur d’une propagation de la foi célésienne en terres orientales. Pour les patriotes et les religieux, Pyrae est la première étape d’un projet plus grand qui tarde à se concrétiser.

L’île d’Hara est majoritairement caractérisée par un relief montagneux complexifiant toute forme d’agriculture. Certes, depuis 381, des initiatives de défrichage des jungles en altitude, de cultures en plateaux et d’extraction minière ont été entreprises, mais celles-ci en sont encore à leurs premiers balbutiements. Effectivement, avec l’arrivée constante de réfugiés pyréens ayant fui la Ligue indépendante de Kessa dans un désir de rester fidèles à la Divine Adrianna ou ayant quitté leurs communautés du continent afin de renouer avec leurs racines profondes, la majeure partie des investissements du palatinat furent dédiés à la construction de chaumières et de hameaux. C’est d’ailleurs dans le nouveau bourg de Messinah -autrefois un simple village de pêcheurs renommé en l’honneur de la fondatrice de Pyrae- au sud de l’île que se rassemblent la plupart des nouveaux arrivants. L’agglutinement de ces immigrants ne manque pas de préoccuper les autorités de l’endroit qui ne peuvent répondre à leurs besoins quotidiens croissants et à l’inévitable augmentation de la pauvreté et de la criminalité. Au port de Messinah, les modestes pêcheurs cohabitent ainsi difficilement avec les navires marchands de la Marine des Mérillons qui tentent tant bien que mal d’utiliser les installations comme d’un avant-poste vers les mers de l’est.

Heureusement, l’appui constant des Pharmacies de Sabran -établies sur l’île depuis la reconquête- est un baume sur les soucis de la famille Amezaï. Initialement installées sur l’île d’Hara afin d’y maintenir un poste de quarantaine contre la peste sanglante, les Pharmacies de Sabran virent leur vocation changer après que l’épidémie eut été contrôlée. Aujourd’hui, celles-ci veillent à l’examen des nouveaux arrivants afin de diminuer les risques d’apparition d’une nouvelle maladie apportée du continent, prodiguent des services médicaux et vont même jusqu’à offrir des cours de compréhension et d’utilisation médicinale de la flore locale. La plupart des Pyréens ayant écoulé leur vie en exil, ces savoirs ancestraux furent oubliés du commun et préservés que par les efforts des Pharmacies et de l’une de ses plus éminentes représentantes, Haralyne de Sabran. Par ailleurs, les relations diplomatiques entre le Palatinat de Pyrae et les différentes enclaves de la Ligue indépendante de Kessa sont essentiellement assurées par les envoyés de cette institution qui, contrairement aux Amezaï eux-mêmes, continuent de caresser l’espoir d’une réunification à l’amiable des terres célésiennes orientales.

Unique possession sur Kessa, le château d’Hara et ses dépendances sont situés à la frontière entre l’Enclave de Nui et les territoires des Disciples de Mura’Ahi. C’est Haqim Drosir Montalto, vétéran de multiples guerres ébènoises, qui occupe les lieux en tant qu’intendant de la forteresse et de Gardien-Protecteur de Pyrae. Celui-ci est aux commandes de la flotte des Héritiers de l’Hydre assurant la protection des eaux entre l’île d’Hara et Kessa. Homme fort et premier artisan du Palatinat de Pyrae, Montalto est un modéré réaliste conscient que la paix dans l’archipel oriental ne tient qu’à un fil. Sans provoquer le conflit, il tente de préparer son peuple à l’inévitable reprise des hostilités.

Sur le plan des traditions, les habitants du Palatinat de Pyrae sont les héritiers des exilés ayant dû édulcorer leurs pratiques afin de survivre sur le continent ébènois. Les traditions polygames qui leur étaient chères durent ainsi être abandonnées afin de satisfaire aux exigences de la Foi célésienne renouvelée et des codes maritaux des Ébènois. Désormais, toute union polygame est jugée comme une offense à la parole des monarques et du Céleste. De plus, les origines ardarosiennes lointaines des habitants de Pyrae sont souvent des prétextes suffisants pour leur chercher querelle. Qu’il s’agisse de leur tenue vestimentaire -misant sur les soieries et les couleurs vives, de leurs croyances religieuses -plus mystiques que la moyenne- ou de leur ouverture sur certaines pratiques sociales -alcool, drogues et autres, plusieurs éléments rappellent aux observateurs aguerris les traditions des marchands en provenance de la lointaine contrée d’Ardaros. Cependant, ces rapprochements avec les marins étrangers ne sont guère appréciés des Pyréens qui préfèrent mettre l’accent sur leurs propres traditions.

Effectivement, le climat suave de Pyrae a historiquement fait naître chez ses occupants une passion pour les plaisirs et les subtilités de la vie. Les fruits sucrés, les tissus exotiques et les encens enivrants se sont frayé un chemin dans les cours de sa populace. Lorsqu’un Pyréen aspire à impressionner un invité, il sait mettre à sa disposition une panoplie de trésors pour les sens. Même s’ils sont peu nombreux, les banquets et sommets de cette communauté sont souvent les plus courus. Pourtant, derrière les charmes et les distractions de ces regroupements se cachent des individus ne tolérant pas l’insulte ou la contradiction. Encore plus depuis la perte de leur île ancestrale, on constate que les Pyréens vouent un culte presque frénétique aux arts guerriers. On remarquera rapidement des tatouages apparents chez nombre de ceux-ci. Après chaque bataille, tournoi ou chasse couronné de succès, c’est un nouveau symbole qui est gravé dans la peau du guerrier. Ce peuple fait des exploits martiaux un objet d’admiration. Chaque année, cette réalité cause des querelles parfois meurtrières entre les Pyréens et des visiteurs étrangers un peu trop audacieux. Questionner l’honneur d’un habitant des îles ou douter de ses aptitudes est donc hautement déconseillé.

-Histoire-

Depuis aussi longtemps que les Pyréens peuvent se souvenir, la famille Amezaï dirigea l’archipel de Pyrae. Selon les légendes, la première Amezaï à avoir posé le pied sur l’île principale de Kessa était Messinah Amezaï. Forgeronne d’Ardaros ayant été rejetée des ateliers de son pays d’origine en raison du patriarcat en vigueur, la jeune femme s’était embarquée comme simple matelot sur un navire marchand. Lorsque l’embarcation ardarosienne accosta sur l’île pour se ravitailler dans le cadre d’un voyage incertain vers l’ouest, Messinah fit la découverte des alcôves incandescentes du volcan Iniraya et y vit le potentiel métallurgique qui s’y cachait. Elle persuada son capitaine de lui laisser trois jours pour forger une lame telle qu’il n’en avait jamais vue ailleurs dans le monde. Lorsque ce délai fut écoulé, Messinah présenta à son maître un sabre d’acier au fil aussi tranchant que celui d’un rasoir. L’équipage du navire, contrairement aux prévisions initiales, établit alors une colonie sur l’île et, sous les ordres de la forgeronne, exploita le don de la montagne. On raconte que, lors des années qui suivirent, Messinah épousa le généreux capitaine du navire et fonda la branche pyréenne de sa famille. Par la suite, plusieurs curieux et colons ardarosiens conquis par l’attrait d’une nouvelle vie loin de la tyrannie du dieu Ardar gagnèrent les rivages de Kessa et permirent le peuplement des lieux. Ainsi débuta l’histoire de Pyrae.

Jusqu’à la 105e année de l’ère royale, les îles pyréennes maintinrent leur indépendance par rapport au royaume d’Ébène. Toutefois, la présence d’un nombre pair d’électeurs au Conclave d’élection de la Couronne devait changer cette situation. À la 105e année, le prince Orcidias II décéda tragiquement d’un étouffement lors d’un banquet tenu à Salvar. Jamais on ne put déterminer si le triste sort du dirigeant était dû à un empoisonnement volontaire ou à une mortelle intolérance à un aliment consommé. L’absence de preuve soutenant l’une ou l’autre de ces hypothèses n’empêcha toutefois pas les seigneurs d’y adhérer avec véhémence. Avant l’automne, le royaume était divisé en deux camps : au Sud, on accusait les Lobillard de Felbourg de pratiquer l’art subtil du poison, tandis qu’au Nord on en appelait à l’accident en se riant la rustre ignorance des Suderons. L’élection d’un successeur à Orcidias II devint alors impossible, chacun des votes tenus au Conclave aboutissant à une égalité des voix, huit palatinats régissant le royaume à ce moment. Ce n’est qu’au début de l’hiver de la même année que la famille Amezaï des îles orientales de Pyrae entra en scène. Richissimes marchands, les Amezaï détenaient le monopole du commerce de l’acier dans le royaume. Dans un élan bienveillant ou machiavélique, ils firent donc une proposition aux décideurs ébènois : soit Pyrae intégrait le royaume en tant que neuvième palatinat, brisant ainsi la dangereuse parité au Conclave, soit la région insulaire finançait massivement et au hasard l’une des deux factions lors d’une probable guerre civile. Pris au dépourvu, les seigneurs optèrent pour la première proposition. Malgré sa modeste superficie, Pyrae fut ainsi le neuvième et dernier palatinat à obtenir une reconnaissance en Ébène. Encore aujourd’hui, nombre d’érudits qualifient le geste des Amezaï de chantage. Pourtant, les nobles de Pyrae affirment que c’était là le seul moyen -extrême, certes- d’empêcher le royaume de basculer dans une guerre civile meurtrière.

Pendant deux cents ans, Pyrae n’offrit au royaume qu’une seule princesse, Messinia dite la Conciliatrice. Cependant, les îles influencèrent constamment les conflits du pays, faisant tantôt pencher la balance d’un côté, tantôt de l’autre. Négociateurs dans l’âme, les insulaires étaient conscients de la précarité de leur statut et de leur faible nombre comparativement à d’anciens et populeux palatinats comme Fel ou Salvamer. Cette situation dura jusqu’en 322 lorsque ce qui avait donné naissance à Pyrae entraîna sa chute ; l’Iniraya.

À l’été 322, les forgerons oeuvrant dans les alcôves de la montagne rapportèrent aux autorités palatines une recrudescence inquiétante de gaz toxiques émanant des tréfonds du cratère. Peu après, une volute de fumée noire commença à s’échapper de la principale cheminée du volcan, ne laissant aucun doute sur l’éveil de ce dernier après des siècles, voire des millénaires, de sommeil. Prenant la menace au sérieux, de nobles Pyréens se mirent immédiatement en action afin de préparer leur exode. Face aux torrents de lave, nul mortel ne pouvait se dresser. Conscients de l’inéluctable catastrophe à venir, des Pyréens se mobilisèrent afin de sauver leur peuple. D’un commun effort, les principales familles des îles se rassemblèrent. Sous la guidance de l’alchimiste Ashana Rai, une concoction fut jetée dans le cratère principal de l’Iniraya pour ralentir les vagues de feu. Avec les connaissances anciennes de Hakim Al’Akdhir et de Milena Cassano, des rituels antiques furent menés pour apaiser les forces de la Nature. Enfin, grâce aux conseils de Sulayman Rai, une immense flotte d’évacuation fut construite et rassemblée. Lorsque le volcan déchaîna sa colère, des milliers de Pyréens fuyaient vers le continent, sains et saufs. Du moins, le croyaient-ils.. Ce dont ils ne se doutaient pas, c’est qu’ils cédaient en fait leurs terres à l’envahisseur ardarosien conquérant tout le sud de Kessa afin d’y fonder la Lance d’Ardar.

L’accueil que reçurent les exilés dans les huit palatinats ne fut pas à la hauteur de leurs espoirs. La Guerre de l’Avènement s’envenimant, les Ébènois observèrent avec suspicion ces Pyréens aux intentions et allégeances floues. Nul haut seigneur n’avait la capacité ou la volonté d’héberger l’entièreté de ces hordes de malheureux à l’avenir incertain. Les Pyréens en exil furent alors forcés de faire le deuil de leur patrie et de se disperser aux quatre vents. Seuls les réfugiés de Nui, au nord de Kessa, purent rapidement regagner leurs terres lorsqu’ils les découvrirent exemptées des flammes et de la conquête hérétique. Telle une diaspora désunie, les autres Pyréens s’accommodèrent comme ils le pouvaient de leur situation. De nombreux trouvèrent refuge à Vallon, en Laure, où plusieurs des leurs s’étaient enracinés lors des mois précédents. Dans les années qui suivirent, plusieurs y trouvèrent la mort sous les décrets cruels de l’une des leurs, Aishwarya Rai. D’autres s’établirent à Avhor, Salvamer, Val-de-Ciel et même à Fel où ils furent promptement confinés à des fiefs ou quartiers urbains où les autorités pouvaient les garder à l’œil.

L’exemple des Amezaï, dernière famille régnante de Pyrae, caractérise d’ailleurs le sort de la plupart de ces exilés. Supposés trouver refuge dans la Cité d’Yr avec l’autorisation du dernier prince d’Ébène Élémas V, ils furent confrontés à la présence hostile des royalistes ayant conquis la ville. Après des négociations serrées, le Monarque accepta leur présence dans la capitale et leur offrit le logis dans un quartier renommé “Nouvelle Kessa” à proximité du port. Pour des années à venir, ceux-ci furent stigmatisés par les citadins d’Yr, considérés comme des visiteurs suspects, voire indésirables, par les natifs des lieux.

Ce n’est qu’en l’an 381, au terme d’une infructueuse guerre sainte de reconquête de la Lance d’Ardar que l’idée même d’un “Palatinat de Pyrae” refit surface. Maigre concession soutirée aux Ardarosiens et aux sécessionnistes de la Ligue indépendante de Kessa, les Pyréens loyalistes à la Couronne d’Ébène obtinrent la cession de l’île d’Hara et du château d’Hara, à l’ouest de l’Enclave de Nui. Ce modeste bout de terre ayant déjà été investi par les forces royales et les Pharmacies de Sabran qui en usaient comme d’un poste de quarantaine contre la peste sanglante, il était déjà occupé et sécurisé par les Ébènois. Dans un acte symbolique, la Reine Adrianna reconnut lors des Floraisons de la même année l’existence de cette nouvelle entité et en fit l’héritière légitime de l’ancienne Pyrae. Certes, l’île ne constituait qu’une fraction du territoire ancestral de la province, mais elle était symbole d’espoir, de loyauté envers la Couronne et de piété célésienne. Lors du Concile d’Adrianna de l’année suivante, son statut de “Palatinat” fut officialisé au même titre que celui de Laure, Avhor, Salvamer et du Sarrenhor.

Le Palatinat de Pyrae est officiellement administré par la famille Amezaï en reconnaissance de ses accomplissements au cours de l’ère royale. Plus précisément, c’est le vénérable Azad Amezaï, descendant direct des derniers palatins, qui agit en tant que seigneur-palatin de l’île. C’est toutefois le militaire Haqim Drosir Montalto qui, de l’avis général, tire les ficelles du pouvoir. Concluant des ententes avec la Marine des Mérillons et le Duché de Fel, assurant la sécurité des exilés de Kessa souhaitant demeurer sous la bénédiction directe de la Divine et commandant la flotte des Héritiers de l’Hydre spécifiquement financée par ses soins, il redonne à Hara sa gloire pyréenne. Certes, le rêve d’une reconquête complète de la Lance d’Ardar demeure cher au coeur des Amezaï et de leurs vassaux et l’existence de la Ligue indépendante de Kessa est perçue par plusieurs comme une trahison, mais, pour le moment, l’heure est à la reconstruction d’Hara et de ce qui fut autrefois dévoré par les flammes de l’Iniraya.

II.LIGUE INDÉPENDANTE DE KESSA

Bastion célésien dans les archipels de la Vaste-Mer depuis l’invasion de Pyrae par la Ligue d’Ardaros il y a un demi-siècle, la Ligue indépendante de Kessa est une confédération d’îles et de clans pyréens à proximité de la Lance d’Ardar. Îlots de pêcheurs, communautés défrichant la jungle, cloîtres monastiques isolés, négociants acharnés échangeant leurs produits autant en Ébène que chez les Ardarosiens, les habitants de la Ligue de Kessa ont une chose en commun : leur désir de préserver l’ancestrale culture pyréenne malgré la précarité de leur situation.

Les assemblées de la Ligue indépendante de Kessa ont lieu dans l’Enclave de Nui, au nord de Kessa. Préservées par le Céleste de l’éruption de l’Iniraya il y a cinquante ans, ces jungles sont l’héritage du mystique Salazar Moana. Après des décennies de stabilité au sein du royaume d’Ébène, la guerre sainte d’Ébène pour la reconquête de la Lance d’Ardar mena toutefois en 381 à l’indépendance du regroupement. Celui-ci est désormais sous la protection de la famille Juniya, descendante de la célèbre famille Nazem.

-Géographie-

La Ligue de Kessa est constituée de trois principaux ensembles d’îles prenant le nom “d’enclaves” tout autour de l’île principale de Kessa. Encerclant la Lance d’Ardar dans toutes les directions, celles-ci pourraient représenter une puissance digne de considération par les Ardarosiens, si elles n’étaient pas aussi faiblement peuplées et décentralisées. Pour cette raison, les habitants de la Ligue indépendante de Kessa ont historiquement cherché à maintenir la paix avec leurs voisins.

Au sud-ouest, à mi-chemin entre le continent et Kessa, se trouvent tout d’abord les trois îles de l’Enclave d’Aliare : Basam à l’est, Acacias à l’ouest et Nieva au sud. Celles-ci sont réputées pour être les moins pyréennes des îles orientales, leur peuple ayant été historiquement influencé par les moeurs des marins de Salvamer et Cassolmer. Peu fertiles, les sols de l’archipel d’Aliare sont surtout utilisés pour l’élevage de moutons, bétail importé de Cassolmer avant d’être vendu pour sa laine au Val-de-Ciel ou à Fel. Acacias disposait anciennement d’une luxuriante forêt où les parfums du continent et de Pyrae se côtoyaient harmonieusement. Celle-ci fut tragiquement la première à subir les foudres de la Ligue d’Ardaros en 380 lorsque l’armada hérétique la pilonna sauvagement avant de la transformer en un bûcher colossal. Aujourd’hui, il ne reste d’Acacias que cendres et décombres, la vie tardant à y renaître. Fait à noter, depuis quelques années, l’île de Nieva est l’hôte d’une communauté de Sarrens. En remerciement pour leur appui lors de la libération de l’Enclave de Nui en 380 et pour la protection qu’ils accordent au territoire, l’assemblée de la Ligue indépendante offrit à cette à garde sarren du clan Sannor la gestion de l’île et le droit exceptionnel de siéger à l’assemblée. Ces derniers en profitèrent pour y faire construire un modeste port fortifié où se dresse un laboratoire proche des idées de Fulcieu. À la fin de l’été 383, une large colonne de fumée noire fut d’ailleurs aperçue s’élevant au-dessus du coeur de l’île par des pêcheurs des environs. Les Sarrens se montrèrent alors rassurants, mais certains Pyréens s’interrogent depuis à propos des expériences ayant cours dans les jungles.

Au sud-est, à moins d’une heure de traversée de Kessa, pointe à l’horizon la vaste île de Nauri et sa petite soeur d’Ankor, formant l’Enclave de Nauri. Couverte d’une jungle dense et grouillante de vie, Nauri tire son épingle du jeu commercial grâce à ses cultures de fruits exotiques de Mahalu’u, fief riche en plantations maraîchères. Ces cultures sont d’ailleurs systématiquement ceintes de palissades de bois d’approximativement deux mètres de haut afin d’empêcher les éléphants sauvages d’y pénétrer. Peuplant les forêts tropicales environnantes, ces mastodontes furent pendant longtemps élevés pour leurs défenses, mais aussi en tant que montures de guerre. Malheureusement, l’exode pyréen sonna le glas de cette tradition ancestrale, de sorte qu’on ne compte plus aujourd’hui que quelques “cornacs” dans tout Ébène.

Finalement, au nord de Kessa, dans les jungles de Nui épargnées par les torrents de lave, se cache l’Enclave de Nui. Communauté forestière moyennement prospère, le principal attrait des lieux demeure la retraite des Sept mystères. Tout au long de l’année, des pèlerins célésiens viennent se recueillir à l’intérieur de ce qui fut la plus grande fierté de son fondateur, Salazar Moana. Autour de la Pierre de la Mère, artefact du début du siècle associé à la salvation pyréenne, une trentaine de reliques de fidèles renommés sont incrustés dans les troncs d’arbres plusieurs fois centenaires. Dans les tréfonds des bois environnants, des dizaines de cabanes épurées destinées à l’hébergement des apprentis-ermites sont constamment occupées. Au sud de là, au bout d’un sentier désormais oublié, s’enfonce sous terre la grotte sacrée de Nui. Peu de pèlerins osent s’y rendre, mais on raconte que quiconque s’y recueille longuement sera gratifié d’une vision du Céleste. Jusqu’au moment de son arrestation en 380, la Gardienne de Nui Astar Zeita se faisait un devoir de respecter la sacralité des lieux, accueillant les pieux célésiens, peu importe leurs origines, comme s’ils étaient ses propres frères et soeurs. C’est d’ailleurs en ces terres, autour de l’artefact sacré qu’est la Pierre de la Mère, que se rassemblent les patriarches et matriarches des clans constituant les différentes enclaves de Kessa. Les assemblées de la Ligue indépendante de Kessa ne sont guère tenues sur une base régulière, celles-ci étant uniquement convoquées lorsque des enjeux d’envergure atteignent les îles orientales. C’est alors la famille Juniya -trouvant sa résidence sur la modeste île de Khareba, au nord de Kessa- qui veille à sa présidence avec l’assistance des protecteurs sarrens du clan Sannor établis en Nieva.

En 379, la région fut toutefois animée par un dynamisme nouveau. À l’initiative de la Marine des Mérillons et de la famille Saïd, un vaste port de commerce fut construit au nord de la jungle. Ces infrastructures firent drastiquement augmenter le nombre de pèlerins, mais provoquèrent l’arrivée d’entrepreneurs et de négociants peu scrupuleux. Au printemps 380, à la suite du déclenchement de la guerre avec la Lance d’Ardar, des courtisans royaux unirent leurs forces afin d’ériger au sud de là, dans les jungles de l’Enclave de Nui, le Fort-de-Nui. Le bastion, construit à l’aide de matériaux récupérés aux mains des partenaires locaux de la Marine des Mérillons, était supposé tenir à distance l’ennemi ardarosien. Cela ne fut malheureusement le cas que pendant une saison, le bastion tombant aux mains de l’ennemi. Il fut toutefois récupéré intact au terme de la guerre et est aujourd’hui sous le contrôle de l’Enclave de Nui. Le port, pour sa part, fut saisi par les autorités locales, au grand malheur de la Marine des Mérillons qui dut rabattre ses activités sur les installations portuaires mineures du Palatinat de Pyrae, sur l’île d’Hara à l’ouest. La Ligue indépendante de Kessa n’exploite que faiblement le site, préférant un contrôle total des lieux à une prospérité aliénante.

L’Enclave de Nui est dotée de quelques îles périphériques complétant son territoire. Au nord, l’île d’Abstram n’attire aucun navire marchand, n’a aucune ressource naturelle particulière et est parcourue de modestes montagnes. Encore aujourd’hui, il n’est pas rare de voir y débarquer des individus suspects ne transportant avec eux qu’un baluchon sale et cherchant à se cacher des autorités du continent. On raconte que, dans les confins de ces montagnes, plusieurs évadés et forçats auraient refait leurs vies loin des regards indiscrets. Il est par ailleurs fréquent d’y voir faire halte des équipages de navires-serpents du Vinderrhin surveillant les mouvements de leurs ennemis ancestraux d’Ardaros.

Au nord-est, les trois îlots de Namezze toisent les lointains horizons de la Vaste-Mer. Peu développés jusqu’à la fin de la Guerre de l’Avènement, Astar Zeita y ordonna il y a quelques décennies la construction de tours de guet afin de garder à l’oeil les déplacements navals au nord. Effectivement, il n’est pas rare de voir transiter par la région des navires ardarosiens, mais aussi du Vinderrhin. Lorsqu’ils contournent le continent ébènois par le nord, les boutres envoyés par ces deux nations permettent de déterminer, par déduction, les ambitions de leurs propriétaires. Heureusement, depuis la fin de la guerre en 381, le plus souvent ce sont des caravelles marchandes qui apparaissent au loin.

-Histoire-

Preuve du pouvoir du Céleste en Ébène, Nui est l’ultime résistance devant la puissante Lance d’Ardar. C’est grâce au courage, à la piété et au sacrifice de nobles Pyréens qu’encore aujourd’hui cette communauté survit malgré la présence des Ardarosiens à proximité.

Les racines récentes de l’Enclave de Nui remontent à l’an 314 lorsque le religieux à tendance aurésienne -axée sur le mysticisme et la contemplation- Salazar Moana décida de faire construire dans les profondeurs des jungles du nord pyréen une humble retraite religieuse. Un simple autel, une cabane chambranlante et une ferveur sans borne ; voilà tout ce qu’il fallait pour donner naissance à l’un des futurs piliers de la Foi célésienne en Ébène. Cependant, contrairement à bien d’autres ermites du culte d’Aurèle, Salazar souhaitait partager au plus grand nombre possible les bienfaits de son mode de vie.

Conscient des limites que lui imposait la vie en réclusion, Moana accepta à contre-coeur de se rendre au palais d’Yr, siège de la cour princière, afin d’y quérir des fonds et des appuis. Parmi les jeux de coulisses, les complots et les tractations politiques, il dut manoeuvrer pendant des années. Peu à peu, évitant soigneusement de se mêler aux guerres et assassinats fratricides, il amassa les matériaux nécessaires pour fonder ce qui allait devenir l’enclave des “Sept mystères”. Autour du modeste autel de pierre fut érigée une agora destinée aux messes communes, dans les arbres massifs et centenaires de la jungle des reliquaires naturels furent excavés afin d’accueillir les ossements et héritages des saints célésiens, les cabanes -toujours rudimentaires- furent élevées, et même une grotte découverte un peu plus au sud de là fut aménagée et sanctifiée afin de favoriser les visions des moniaux.

C’est toutefois en 323 que Moana réussit son grand exploit en faisant déménager l’une des plus précieuses reliques aurésiennes du royaume. Cinq ans auparavant, une Sage du Zanaïr, Drissia Nazem, avait perdu la vie lors d’un rituel mystique sur les plages d’Aliare, au sud-ouest de Kessa. Au terme de ce rituel, la femme se volatilisa mystérieusement, laissant cependant derrière elle un massif bloc de pierre orangée inamovible. Rapidement, la rumeur se propagea que cette nouvelle relique, surnommée la “Pierre de la Mère” en l’honneur de la défunte Nazem, accordait aux pieux pèlerins qui s’y recueillaient des visions prophétiques. Plus encore, une légende racontait que c’est par cet objet que le peuple pyréen renaîtrait après un conflit sanglant. Soucieux de préserver cet héritage face à l’imminente éruption de l’Iniraya, Salazar rassembla les cornacs de Rouge-Fort (chevaucheurs d’éléphants) afin de tirer la Pierre de la Mère jusque dans les jungles de Nui. L’opération exigea de nombreuses semaines de laborieux déplacements, mais le défi fut relevé : avant le déclenchement du cataclysme, l’artefact trônait au centre de l’Enclave des Sept mystères. Quelques semaines plus tard, la retraite aurésienne voyait débarquer dans ses jungles un invité de marque : le Guérisseur couronné. À la tête d’une cohorte de sympathisants de partout en Ébène, c’est devant la Pierre de la Mère, loin des complots et menaces de la cour d’Yr, qu’il reçut la couronne sacrée des princes et du Roi-Prophète. Nui devint la première halte de la longue marche qui devait par la suite mener le futur Monarque et son armée dans la Cité d’Yr où il s’assoira définitivement au début du mois de l’été.

Peu après, le volcan déversa sa colère sur Kessa. Les religieux de Nui, honorant les demandes de leurs compatriotes de Pyrae, s’embarquèrent aussi sur la flotte d’exil et implorèrent le Céleste pour qu’il protège leurs oeuvres. Seul resta derrière Zeryab Nazem, comte-protecteur pyréen, pleurant ses six enfants décédés tragiquement peu avant et inhumés devant la Pierre de la Mère, vestige laissé par leur propre mère. Un phénomène mystérieux survint alors : les flots de lave et nuages de cendres se répandirent partout sur Kessa, mais n’atteignirent jamais les Sept mystères et ses environs. Ce n’est que quelques semaines après le début de la catastrophe que des marins longeant les côtes confirmèrent que ces forêts luxuriantes avaient été protégées par le Très Haut.

Au début de l’année 324, Salazar Moana organisa une expédition à partir de Salvar afin de s’assurer de la véracité des dires des navigateurs. C’est avec émotion qu’il découvrit les installations religieuses intactes, la Pierre de la Mère reposant toujours lourdement au coeur de celles-ci, ceinte de dizaines de précieuses reliques anciennes. De Zeryab Nazem et des corps de ses enfants, on ne retrouva aucune trace. Immédiatement, on éleva les membres de la famille Nazem au rang de martyrs ayant offert leurs vies afin d’assurer la grandeur de Pyrae. Dans tous les refuges d’Ébène, on murmure toujours en prière leurs noms : Drissia la Mère et Zeryab le Protecteur, et leurs enfants :

  • Assad le Seigneur
  • Jadia la Dame
  • Jallila la Scribe
  • Antar le Savant
  • Ghassan le Sage
  • Alyss la Martyre

Louant le Céleste pour sa compassion, Moana fit des Sept mystères l’ultime bastion pyréen dans les îles de la Vaste-Mer. Autrefois à vocation purement religieuse, les installations s’élargirent à toutes les classes sociales et prirent le nom de “L’Enclave de Nui”. Certes, la vie dans les denses et étouffantes jungles n’était pas de tout repos, mais par son oeuvre Moana espérait raviver l’espoir des siens. L’Aurésien s’avérant être un meilleur prêcheur que gestionnaire, il demanda l’aide de l’ancien Maître du renseignement d’Yr, Nicolaï Fargas, afin de fonder un réseau d’expatriés pyréens dans le pays. Par la suite, et ce jusqu’à sa mort en 356, Moana se replia peu à peu dans la grotte sacrée de Nui afin d’y contempler les vérités de ce monde. Fidèle aux enseignements mystiques du Témoin Ferval, jamais il n’abandonna sa quête d’Absolu. On raconte que, avant son trépas, le religieux laissa derrière lui un recueil de prophéties. Malheureusement, celui-ci ne se fraya jamais un chemin jusque dans les archives royales d’Yr, faisant planer un doute sur sa localisation actuelle.

À sa mort, Salazar céda sa place à Astar Zeita, première enfant née dans l’Enclave de Nui après le cataclysme. Toujours fidèle à l’idéal de Moana, elle se concentra toutefois sur la mise en place de relations harmonieuses avec les Ardarosiens de la Lance d’Ardar. De toutes évidences, après trente ans de statu quo, Pyrae n’allait pas être libérée de sitôt et il fallait veiller au bien-être du peuple avant tout. À quoi bon retrouver ses terres si le peuple était mort de faim? Ainsi, en dépit de l’embargo de la Couronne d’Ébène à l’endroit de la Lance d’Ardar qui perdura pendant des décennies, Astar s’obstina à entretenir des relations commerciales et diplomatiques avec ses voisins. Heureusement pour elle, la dynastie royale semblait avoir d’autres priorités que celle d’aller faire la loi dans les jungles de Kessa.

En 360, la représentante de l’Enclave de Nui, soucieuse d’augmenter le poids de sa communauté face aux Ardarosiens et Ébènois, convoqua près de la Pierre de la Mère des émissaires des diverses îles célésiennes de Pyrae. Hommes et femmes d’Ankor, Nieva, Basam, Acacias, Nauri, Toleram et Mahalu’u se présentèrent sur place. À l’image des Ardarosiens, ils décidèrent de fonder “La Ligue de Kessa”, un rassemblement des insulaires en périphérie de la Lance d’Ardar. Certes, cette ligue n’allait représenter que quelques milliers de pauvres âmes, mais elle permettrait de préserver plus efficacement les moeurs et le pouvoir politique des Pyréens de la Vaste-Mer. En toute logique, l’Enclave de Nui devint le siège de l’assemblée de cette confédération.

Jusqu’en 380, Astar Zeita occupa le titre de Gardienne de l’Enclave de Nui et de Magistrate de la Ligue de Kessa. Amicale envers les Ardarosiens qui ne lui démontrèrent que de la sympathie depuis sa nomination, méfiante envers les Ébènois du continent qui la méprisaient ouvertement pour sa “mollesse envers les hérétiques”, elle veillait avant tout sur son peuple. Après tout, ce peuple, ce n’était pas la diaspora pyréenne, teintée des moeurs du continent, mais les derniers habitants des îles, véritables héritiers de la grandeur de Pyrae. Cela n’empêcha par la Marine des Mérillons, par l’entremise de certaines de ses représentants de la famille Saïd, de construire, à quelques lieues de la Pierre de la Mère, le Port de Nui. Peut-être était-ce là les préambules d’une assimilation forcée de la Ligue de Kessa, mais le déclenchement de la guerre contre la Ligue d’Ardaros devait accélérer les choses. En 380, le règne d’Astar s’acheva abruptement lorsque des mercenaires répondant à l’appel des Gardiens de Rostam -des militaires pyréens prônant la reconquête des îles- et de la famille Saïd la capturèrent en pleine nuit. Accusée de trahison et d’hérésie pour ses relations avec Ardaros, elle fut envoyée dans la Cité d’Yr pour y subir son procès. Pendant ce temps, sa conseillère Khadija Abbassi lui succédait à la demande des représentants du continent. Celle-ci ne se montra toutefois pas plus coopérative que sa prédécesseure. Quelques semaines plus tard, une légion ardarosienne apparaissait aux portes de Nui, invitée par la vénérable dame Abbassi à bouter les belliqueux Ébènois hors de ses terres.

L’essentiel des combats qui opposèrent les saintes armées célésiennes aux forces ardarosiennes lors de la guerre de 380 se déroulèrent sur le territoire de l’Enclave de Nui. Sous l’impulsion de Khadija Abbassi, les natifs de l’île prirent le côté des légions de la Ligue d’Ardaros qui leur garantissaient autonomie et protection au terme du conflit. Contrairement à la Couronne d’Ébène, les adeptes d’Ardar n’entretenaient aucune ambition expansionniste ou prosélyte, ce qui ne pouvait que convaincre les Pyréens de leur bonne volonté. Pendant un peu moins d’un an, les champs de bataille se multiplièrent sur le territoire. Si les Ébènois parvinrent à l’automne à réaliser un débarquement rapide et victorieux dans l’ouest et au nord de l’Enclave, ils furent plus tôt que tard confrontés à la terrible force de frappe des légions d’Éternels d’Ardar. Sous le commandement d’un nouveau général du nom de Mura’Ahi, les hérétiques adoptèrent une stratégie calquée sur celle des Ébènois : guérillas, assassinats, attaques surprises, etc. Au même moment, une meurtrière épidémie de peste sanglante éclata dans le nord de Kessa, provoquant chaos et incertitude au sein des troupes célésiennes. Selon les rumeurs, Mura’Ahi, ancien haut prêtre d’Ardar, était en possession d’une relique antique aux pouvoirs occultes lui permettant de maîtriser la maladie.

L’épidémie frappa indistinctement les soldats ébènois en campagne et les habitants de Nui. Or, Khadija Abbassi découvrit que les communautés s’agglutinant autour de la Pierre de la Mère semblaient immunisées au mal. Les rebelles de Nui développèrent donc un discours combinant célésianisme et patriotisme pyréen : la peste sanglante était le fléau du Céleste destiné aux infidèles et traîtres à la nation pyréenne. Quiconque rejoindrait la “vraie” Pyrae à la Pierre de la Mère serait sauvé. Quant aux autres, ils périraient dans d’atroces vomissements et hémorragies. Chérissant cette doctrine, la Gardienne Abbassi fut assassinée quelques semaines plus tard par des bandits au retour d’une négociation avec les représentants d’Ébène.

À la cour d’Yr, la nécessité d’une paix avec la Ligue d’Ardaros s’imposa à l’hiver 381. Les seigneurs d’Ébène étaient aux prises avec leurs propres querelles intestines, la peste sanglante risquait à tout instant d’éclore sur le continent et les Pyréens eux-mêmes semblaient avoir abandonné tout espoir de libération. Au palais royal, les émissaires de Nui, d’Ardaros et du royaume d’Ébène mirent donc fin à la guerre selon des conditions, de l’avis de plusieurs, humiliante pour les Ébènois. Astar Zeita, alors libérée de sa captivité, prôna tant bien que mal la paix et le ralliement de Nui au concert des peuples d’Ébène, mais le radicalisme de ses compatriotes l’emporta. Aux Floraisons suivantes, Alyae Juniya, descendante de la famille Nazem, accepta des mains de la Reine Adrianna le sabre de Zeryab Nazem retrouvé lors des affrontements. Par cet acte symbolique, la Couronne d’Ébène confirmait les revendications sécessionnistes des Pyréens de la Pierre de la Mère. À la condition de céder l’île et le château d’Hara à un futur Palatinat de Pyrae soumis au trône d’Yr, la Ligue indépendante de Kessa voyait officiellement le jour.

Aujourd’hui, la Ligue indépendante de Kessa est une exception dans le paysage célésien. Dépourvue de pouvoir central fort, soumise aux volontés de ses différents clans, adepte d’une foi héritée des anciens aurésiens et mystiques, proche -voire alliée- des intérêts ardarosiens et peu intéressée par les conflits du continent, elle se veut un phare de la culture traditionnelle pyréenne refusant tout compromis.

III.TERRES DE L'INIRAYA (LANCE D'ARDAR)

Occupant l’île de Kessa, anciennement coeur du palatinat de Pyrae, la Lance d’Ardar est l’une des provinces de la lointaine Ligue d’Ardaros. Annexée par les forces étrangères et hérétiques après l’éruption du volcan Iniraya en 323, cette région sort à peine d’une guerre sainte éclair à son endroit déclenchée par les Ébènois en 380. Le traité de paix scellé à l’hiver 381 entre les deux nations a rétabli les relations politiques et commerciales entre celles-ci, mais les zélotes célésiens et Pyréens nostalgiques continuent de croire que l’existence même de la Lance d’Ardar est source d’humiliation.

La Lance d’Ardar est dirigée par le Rangatira Hauauru Te’Ahi et sa cour personnelle. Passionné de science, d’astrologie et de mysticisme, le seigneur d’Ardar entretient toutefois une méfiance tenace envers les Ébènois qu’il soupçonne être toujours animés d’une soif de vengeance et prêts aux pires trahisons pour en arriver à leurs fins.

-Géographie-

La Lance d’Ardar se situe exclusivement à l’intérieur de l’île de Kessa, principal territoire de l’ancien archipel pyréen. Malheureusement, on ne connait que peu l’actuelle géographie de la Lance d’Ardar. Les voyageurs y étant rares et l’éruption volcanique de 323 ayant ravagé jungles et villages, on ignore précisément comment les Ardarosiens en ont géré la reconstruction. Néanmoins, les navigateurs purent observer depuis les côtes lors des dernières cinquante années le lent processus de renaissance de la flore locale. Les forêts luxuriantes semblent avoir étonnamment rapidement reconquis une bonne partie de l’île, ramenant avec elles une faune ayant réussi à échapper au cataclysme. Cela laisse deviner que Kessa demeure à l’image de ce paradis tropical et verdoyant qu’était Pyrae auparavant.

La capitale de cette province étrangère est surnommée “l’Enflammée” par les Ébènois. Née dans les cendres de Pyrae la Cité, l’Enflammée embrasse la base du volcan Iniraya avant de s’arrêter sur les plages de sable blanc de la Vaste-Mer. Dans ses rues, d’innombrables étals colorés sont animés par des marchands et négociants tentant de vendre au plus offrant des babioles ou marchandises rapportées des quatre coins de Célès : acier rosé, blocs de marbre orangé, vins et spiritueux de fruits de la passion, filets marinés d’espadon argenté, statuettes de cultes lointains et inconnus, etc. Les constantes négociations qui y ont cours génèrent un capharnaüm interrompu uniquement par les prestations des Pyromanciens, des jongleurs de feu alliant savamment l’illusion et les arts anciens du culte à Ardar. C’est au port de l’Enflammée que jettent l’ancre la plupart des navires marchands en visite. En raison de l’embargo partiel mené par la Couronne d’Yr sur la Lance d’Ardar pendant des décennies et de la récente guerre, la majorité des voiles aperçues sur place portent le symbole du kraken d’Ardaros. Toutefois, quelques caravelles et galions de la Marine des Mérillons y accostent de plus en plus, tirant profit de leurs bonnes relations et de la proximité de leurs quartiers généraux en Avhor.

Malgré la prospérité de la ville, le Rangatira Hauauru Te’Ahi ne siège pas à l’Enflammée. C’est plutôt au sommet du mont Erebus, épargné par les rivières de feu en raison de son altitude, qu’il a élu domicile. Sur l’un des plateaux escarpés de la montagne, la Sage du Zanaïr Drissia Nazem avait autrefois fait construire un observatoire astronomique et une bibliothèque de recherche. Récupérées à sa mort par ses disciples, les installations gagnèrent en réputation dans les milieux académiques d’Ébène. Quand le Rangatira en fit la découverte, il y adjoint de nouvelles annexes résidentielles dignes de son statut, peaufina les fortifications et y fit déménager sa cour personnelle. Par le choix de ce lieu éloigné comme résidence principale, nul ne peut douter de la passion qu’entretient l’homme pour la recherche, les étoiles, les mystères anciens et l’alchimie.

Depuis la guerre de 380, les Ébènois connaissent la puissance redoutable des forces ardarosiennes. Leurs jonques et sempaï, aptes à effectuer régulièrement la traversée de la Vaste-Mer, sont affublés des canons et d’artilleries rivalisant avec les plus récentes créations des ingénieurs de Fulcieu. Leurs Atak’Ebunaï, de véritables forteresses-flottantes, peuvent abriter jusqu’à cinq cents guerriers et faire pleuvoir des flammes sur des cités entières. Leurs soldats d’élite, les Éternels, sont des guerriers tatoués ne reculant devant rien afin de protéger les terres sacrées confiées par leur dieu Ardar. On raconte même que, avant chaque bataille, ceux-ci s’entaillent les chairs afin de priver leur ennemi de faire verser le premier sang. Enfin, les esprits superstitieux rapportent que les Ardarosiens seraient toujours en contrôle de certains arts mystiques antiques leur permettant de maîtriser les flammes et les esprits. Aucunement prouvée, cette rumeur s’est néanmoins frayé un chemin dans l’esprit des soldats d’Ébène afin de modérer leur soif de conquête. En somme, un conflit avec la Lance d’Ardar serait aussi sanglant que risqué.

Néanmoins, notons que, depuis la fin de la guerre contre l’Ébène, une faction militariste et religieuse obéissant aux volontés d’un général renégat du nom de Mura’Ahi a fait défection de la Lance d’Ardar. Ce qui était autrefois le comté d’Hara, au nord de la Baie de l’Iniraya au coeur de Kessa, est désormais sous le contrôle de cette secte nouvelle.

-Histoire-

La Lance d’Ardar est une réalité récente dans le paysage de la Vaste-Mer. Avant le quatrième siècle, celle-ci était un palatinat ébènois à part entière sous le nom du Palatinat de Pyrae. Effectivement, à l’été 322, les forgerons oeuvrant dans les alcôves de l’Iniraya rapportèrent aux autorités palatines Amezaï une recrudescence inquiétante de gaz toxiques émanant des tréfonds du cratère. Peu après, une volute de fumée noire commença à s’échapper de la principale cheminée du volcan, ne laissant aucun doute sur l’éveil de ce dernier après des siècles, voire des millénaires, de sommeil. Prenant la menace au sérieux, de nobles Pyréens se mirent immédiatement en action afin de préparer leur exode. Face aux torrents de lave, nul mortel ne pouvait se dresser. Un an plus tard, tandis que les premières secousses sismiques ébranlaient les colonnes du palais Amezaï et que des tempêtes de flammes dévoraient les jungles, des dizaines de milliers de Pyréens quittaient les rives de leurs îles ancestrales. Ce dont ils ne se doutaient pas, c’est qu’ils cédaient en fait leurs terres à l’envahisseur.

Alors que la Guerre de l’Avènement était sur le point d’être déclenchée, une armada arborant les couleurs de la Ligue d’Ardaros apparut sur la Vaste-Mer. Quelques semaines à peine après l’éruption de l’Iniraya, alors que la lave n’était même pas encore refroidie en Pyrae la Cité, les adorateurs d’Ardar jetaient l’ancre près des jungles de Nui, au nord de Kessa. Les rapports confus des pêcheurs affirmèrent qu’Enrich Britt, un Avhorois d’origine, épaulé par Rangi Sansfamille, un Cassolmerois, avait été nommé Rangatira de la nouvelle Lance d’Ardar au sein de la Ligue d’Ardaros. En plus de constituer une annexion hostile -malgré l’absence de combats- il s’agissait là d’une cruelle trahison. Depuis deux années, un vent d’hérésie avait effectivement soufflé sur l’Ébène. Vénérant une entité ancienne et mystérieuse s’affublant du nom d’Assaï, des Ébénois avaient délaissé le Céleste pour renouer avec les rites païens. À Yr, l’une de ces fidèles -Rhéa de Corail- avait d’ailleurs été immolée et empalée en 322. Toutefois, tous ignoraient que la corruption religieuse des hautes instances d’Ébène était à ce point répandue. Enrich Britt, grand explorateur et érudit avhorois, était l’un des proches amis du comte-protecteur de son palatinat, Philippe d’Ambroise. Rangi Sansfamille, en tant que réputé architecte, siégeait au sein du Symposium des Forts de Cassolmer. Lorsque les Célésiens les aperçurent rejoindre la Lance d’Ardar, ils comprirent qu’on s’était joué d’eux depuis longtemps. Pire encore, en 324, on rapporta que Sulayman Rai, le Pyréen qui avait permis la création de la flotte d’évacuation des îles, s’était de nouveau établi sur Kessa, sous le régime ardarosien. Méprisant l’Ébène, il avait fait le choix de rejoindre l’ennemi, jugé plus près de ses origines.

Une tentative de libération de l’île survint peu après son annexion. C’est Vahya Lazhiri, ancienne comtesse de Rouge-Fort et Générale des armées pyréennes, qui prit sur elle cette responsabilité. Après avoir rassemblé le gros de ses forces dispersées à Laure et en Avhor, elle débarqua près des jungles de Nui où elle établit un avant-poste devant servir de point de départ à la reconquête. À la tête de deux mille zélotes et combattants avides de vengeance, elle s’enfonça ensuite en terre ennemie. On ne devait plus jamais la revoir. Encore aujourd’hui, on ignore le sort que subirent les guerriers de Pyrae, mais le tragique mystère qui l’entoure dissuada nombre de soldats d’entreprendre un nouvel assaut. La Marche de Sang, comme on la surnomma, jeta imprégna d’un profond malaise les communautés d’exilés du continent.

Lors des années qui suivirent cette annexion, personne ne remit réellement en question la présence des Ardarosiens. Au contraire, la Guerre de l’Avènement faisant rage, des traités furent conclus entre les Pyréens de Nui représentés par Salazar Moana, la Ligue des Mérillons d’Avhor et Salvamer et le Duché des Crânes afin de commercer avec cette nouvelle province ardarosienne. Malgré la dévastation causée par l’éruption de l’Iniraya au début de l’été 323, les fidèles d’Ardar pouvaient reconstruire ces îles à leur image.

Sous l’oeil tout-puissant du Rangatira Enrich Britt, renommé Hauauru Te’Ahi (ou “Feu de l’Ouest”), nombre de fidèles d’Ardar vinrent s’établirent sur l’île de Kessa. Selon leur logique théologique, en recouvrant les terres de flammes, leur dieu Ardar leur avait confié une nouvelle île sacrée à coloniser, protéger et faire prospérer. Partout où le feu s’était répandu s’étendait désormais leur territoire. Si cela représentait l’essentiel de Kessa, cela excluait de facto certains secteurs des jungles de Nui au nord, de même que plusieurs minuscules îlots en périphérie. Après l’annexion, jamais les Ardarosiens ne tentèrent de s’approprier ces lieux, fidèles à leurs dogmes spirituels étranges.

Après la paix du Monarque de 345, les relations entre l’Ébène et la Lance d’Ardar devinrent fort complexes. Considérée comme une terre étrangère, l’île était interdite de commerce pour le commun des marchands ébènois. Seuls les détenteurs de permis commerciaux -dont la Marine des Mérillons- pouvaient jeter l’ancre dans les ports de “L’Enflammée”, cité reconstruite sur les ruines de Pyrae la Cité. Cela n’empêcha pas les contrebandiers salvamerois, avhorois et cassolmerois de s’y rendre discrètement afin de profiter des marchandises exotiques qui y pullulaient. C’est à partir des îlots célésiens environnants que ceux-ci menaient leurs tractations, les utilisant à titre de cachettes et de ports clandestins. Sévèrement châtiés par les autorités du royaume, ces criminels étaient chaleureusement accueillis chez les Ardarosiens qui y voyaient une occasion de rapprocher les deux peuples par le négoce. C’était le Rangatira Hauauru Te’Ahi et son conseil personnel (auquel siégeait toujours Rangi Sansfamille, chargé du commerce extérieur) qui veillait à la protection et prospérité de l’île. Fanatique convaincu d’Ardar (comme tous les Rangatiras), Hauauru préférait de loin entretenir ses relations avec la nation mère à l’est qu’avec le royaume d’Ébène. Méfiant envers les intentions vengeresses des Ébénois, il était constamment sur ses gardes et n’acceptait que de rares invités à sa cour. L’histoire démontra la légitimité de cette méfiance.

Au printemps 380, sous l’impulsion de l’ancienne famille palatine en exil Amezaï, l’Assemblée d’Ébène en Yr manifesta officiellement à la Reine Adrianna sa volonté de déclencher une guerre de reconquête de la Lance d’Ardar. Unilatéralement, les Célésiens décidèrent de lever leurs saintes armées afin de les lancer à l’assaut des côtes de Kessa. Probablement conscients de la puissance des légions d’Ardar, les Ébènois adoptèrent dès les premiers jours du conflit des tactiques sournoises pour en arriver à leurs fins. La première victime de celles-ci furent l’Amiral Kahurangi, honorable commandant de la flotte de la Lance d’Ardar. Malgré sa bonne volonté et son ouverture aux négociations, il fut sauvagement assassiné à bord de son Atak’Ebunaï tandis qu’il s’apprêtait à venir en aide à des naufragés salvamerois. Lui succéda l’Amirale Taureï’Ra qui, à l’encontre de la volonté du Rangatira Hauauru Te’Ahi, déclencha une invasion surprise sur la Sainte Cité de Treia, en Avhor. Encore à ce jour, les historiens comprennent mal pourquoi la capitaine s’adonna à un tel acte, mais la théorie la plus plausible est celle de la vengeance symbolique pour la mort de son prédécesseur. Tragiquement, la femme fut elle aussi victime des tactiques sournoises de ses ennemis et faite prisonnière.

Les défaites crève-coeur de la flotte ardarosienne permirent le débarquement des armées ébènoises à l’automne 380. La résistance terrestre revint alors au général Mura’Ahi, ancien bras droit de Taureï’Ra et haut prêtre d’Ardar. Néophyte dans les traditions militaires de sa nation, il calqua sa stratégie sur celle de l’Ébène et profita de l’apparition de la peste sanglante dans l’Enclave de Nui pour renforcer ses positions et mener une guerre d’attrition contre les envahisseurs. Le temps jouant en la faveur de la Ligue d’Ardaros qui augmentait, semaine après semaine, sa puissance de frappe grâce aux renforts en provenance de leurs terres d’origine à l’est de la Vaste-Mer, le pari de Mura’Ahi et ses nombreuses bavures menèrent à la conclusion d’une paix à l’hiver 381. Pour le Rangatira, la victoire était alors totale. Il obtenait de ses ennemis un tribut de billots de bois corrésiens pendant cinq années, la cession de l’Île de Corail et de la flotte y mouillant, la consultation des savoirs techniques et culturels à Havrebaie, etc. Plus encore, la Lance d’Ardar et la Couronne d’Ébène partageaient un pacte de défense mutuelle sur la Vaste-Mer visant à combattre l’influence des pirates sur les eaux.

Or, pour le général Mura’Ahi, la conclusion de la guerre était un signe de faiblesse et un blasphème à l’endroit d’Ardar. Par des jeux politiques inconnus des Ébènois, le haut prêtre persuada ses légions stationnées aux frontières nord de la Lance d’Ardar de se mutiner face au pouvoir du Rangatira et déclara la fondation d’une entité politique nouvelle sous le contrôle de ceux s’appelant “Disciples de Mura’Ahi”. Sous la bannière du kraken enflammé, le fanatique aspirait à enflammer le monde entier dans un brasier spirituel. En raison du soutien dont il jouissait auprès de plusieurs personnalités religieuses influentes de la Ligue d’Ardaros, le mouvement ne fut pas maté par le Rangatira Hauauru Te’Ahi de crainte de provoquer une véritable guerre civile. Officiellement, la Ligue et les Disciples sont donc depuis en “paix”, même si l’existence de ces derniers prive la Lance d’Ardar de près du tiers de son territoire.

IV. HARA (DISCIPLES DE MURA'AHI)

Autrefois connus comme le comté d’Hara sur l’île de Kessa puis propriété de la Lance d’Ardar, les territoires sacrés des Disciples de Mura’Ahi sont un phénomène nouveau dans le paysage de la politique ardarosienne. Sous le commandement du chef de culte et général Mura’Ahi, cette secte militaire extrémiste aspire à propager le brasier d’Ardar partout où leur regard se porte afin que, un jour prochain, la bannière du kraken enflammé flotte sur l’entièreté des terres de ce monde.

Apparue à la conclusion de la guerre de 381, cette organisation est encore plutôt méconnue.

-Géographie-

Le modeste territoire des Disciples de Mura’Ahi couvre la superficie de l’ancien comté d’Hara. De la chaîne de montagnes formant un goulot d’étranglement au coeur de Kessa, au sud, aux puissantes fortifications délimitant la frontière avec l’Enclave de Nui, au nord, il dispose de redoutables protections naturelles. Bien que l’Ébène ignore la géographie exacte de la région au lendemain de l’éruption de l’Iniraya en 323, certains rapports confirmés par la Table des Stratèges de la Cité d’Yr en 380 permettent d’en avoir un aperçu.

Au nord, les frontières avec l’Enclave de Nui sont fermement protégées par deux séries de fortifications. À l’ouest, la Porte d’Assad est un passage naturel permettant à n’importe quel défenseur de réduire à néant l’avantage numérique des armées ennemies en marche. Celle-ci ne doit pas son nom à ses fortifications (inexistantes), mais à la présence d’une vallée permettant de passer du nord au sud. Historiquement, les Ardarosiens y ont positionné leurs forces en hauteur dans des tours de guet rudimentaires leur permettant de se déplacer rapidement et de tirailler les armées en approche. À l’est, la Porte de Ghassan est un second passage dans les montagnes orientales. Puissamment fortifié, il s’agit d’une forteresse en bonne et due forme construite par les Ardarosiens eux-mêmes lors de l’invasion du début du siècle. Selon les rumeurs, le sinistre et belliqueux Général Mura’Ahi en aurait fait sa résidence personnelle.

Le coeur des frontières du nord est surveillé par le Fort-de-Nui, en possession de la Ligue indépendante de Kessa. Cependant, son contrôle n’inquiète pas outre-mesure les fanatiques ardarosiens. Effectivement, pour traverser le territoire par cette région, les voyageurs ou envahisseurs devront traverser la Vallée d’Alyss. Baptisée ainsi à la mémoire d’Alyss dite la Martyre, l’une des filles de Drissia Nazem, cette vallée est plongée en permanence dans un brouillard suffoquant rappelant les vapeurs émanant parfois du volcan Iniraya. Pour une raison inconnue, les Ardarosiens y ont établi un temple (ou lieu de recherche) au début de l’été 380. On ignore tout de ce lieu, si ce n’est que l’air vicié y est aussi insidieux que mortel.

La principale -et unique- communauté civile connue des Disciples de Mura’Ahi est le bourg côtier de Py’Raï, dans l’est de Kessa. Celui-ci est le port d’attache de la flotte du kraken enflammé. Fait à noter, depuis 381, les vestiges de la prestigieuse frégate “La Gloire d’Adrianna” y sont exposés à la vue de tous les navires sillonnant les eaux à proximité. Autrefois fleuron de l’armada ébènoise, cette imposante frégate de guerre à la coque et aux voiles renforcées et à l’artillerie proéminente fut capturée lors de la bataille pour l’île d’Hara, en 380. Depuis, elle est exhibée à titre de trophée de guerre par les zélotes d’Ardar.

-Histoire-

De connaissances ébènoises, les Disciples de Mura’Ahi apparurent au sein de la société ardarosienne lors de la sainte guerre de reconquête de Pyrae déclenchée par le royaume en 380 de l’ère royale. À l’époque, Mura’Ahi était le conseiller spirituel de l’amirale de l’armada de la Lance d’Ardar, Taureï’Ra. Les Célésiens firent sa rencontre pour la première fois lors du sac de la Sainte Cité de Treia en Avhor lorsqu’il procéda à la destruction d’un cloître antique aurésien et massacra ses occupants. Selon les rumeurs, il extirpa des voûtes du lieu sacré une relique aux pouvoirs insoupçonnés : le Livre des Morts de Ferval. La mince ligne entre les ragots des soldats et la réalité historique étant difficile à tracer, on ignore à ce jour l’hérétique est bel et bien en possession de cet artefact mystique.

Chose sûre, après la capture de Taureï’Ra et l’échec du siège de Treia, Mura’Ahi fut personnellement élevé au statut de Général des armées ardarosiennes de la Lance d’Ardar. Ce n’est pas le Rangatira local qui l’aurait gratifié de cette position, mais un ordre en provenance de l’Agora des Rangatiras au sein de la Ligue d’Ardaros. Rationnel et modéré, le seigneur de la Lance d’Ardar, Hauauru Te’Ahi voyait d’un oeil suspicieux le fanatisme et les ambitions expansionnistes du haut prêtre. Après l’échec des deux précédents amiraux choisis par Hauauru Te’Ahi, des factions radicales ardarosiennes avaient décidé de changer de stratégie et d’outrepasser la volonté des autorités de la Lance d’Ardar. Dans les saisons qui suivirent, Mura’Ahi se fit le miroir des tactiques sournoises et déshonorables des Ébènois. Bien que condamnables selon les traditions d’Ardaros, ces méthodes furent couronnées de succès et, au début de l’année 381, le royaume d’Ébène tendit la main pour sceller une paix durable.

Il apparut rapidement que le Général Mura’Ahi était en complet désaccord avec la conclusion de la guerre. Pour l’homme, le devoir des fidèles d’Ardar était d’activement propager les flammes sacrées sur l’entièreté des terres connues, puis de les conquérir comme l’avaient fait ses aïeuls avec Pyrae au début du siècle. Appuyé par des partisans de la voie guerrière dans la Ligue d’Ardar, Mura’Ahi refusa de démobiliser ses troupes à la fin du conflit et se déclara unilatéralement seigneur des terres du nord de Kessa. En raison du soutien dont il jouissait auprès plusieurs personnalités religieuses influentes dans la Ligue d’Ardaros, le mouvement ne fut pas maté par le Rangatira Hauauru Te’Ahi de crainte de provoquer une véritable guerre civile. Officiellement, la Ligue et les Disciples demeurent donc en “paix” malgré les désaccords profonds et les tensions flagrantes entre les deux gouvernements.