Havrebaie et
l’archipel d’Yr

I.RÉPUBLIQUE SEREINE DE HAVREBAIE

La République sereine de Havrebaie est la plus grande agglomération de l’archipel d’Yr après la Cité d’Yr elle-même. Relevant autrefois du domaine personnel des princes, princesses et de la famille royale, celle-ci a acquis son indépendance en 381 en remerciement de ses contributions majeures à la sainte guerre contre la Ligue d’Ardaros. Le principal artisan de la prospérité de ce qui n’était auparavant qu’une banlieue cossue de la capitale ébènoise est le Felbourgeois d’origine Joseph Morrigane, désormais reconnu comme Doge sérénissime de la ville marchande et de l’Île Sereine qui l’accueille.

Malgré cette autonomie nouvellement acquise, la République sereine de Havrebaie maintient d’excellentes relations avec la Divine Adrianna et la Cité d’Yr. Première fournisseuse des céréales de la capitale, hôtesse de la corporation commerciale de Havrebaie et havre pour les constructeurs et spécialistes des armements militaires, la république aime se comparer aux palatinats se déclarant “Protecteurs de la Divine”. Si la jeunesse de ses traditions l’empêche de prétendre à ce titre, le dynamisme de ses élites ne manque pas de modeler l’économie et la politique du continent.

(Gentilé : Havrebéen / Havrebéenne)

-Géographie-

L’archipel d’Yr est composé de cinq îles principales qui, pendant près de trois siècles, relevèrent toutes de l’autorité directe des suzerains d’Ébène. Du sud au nord, on trouve ainsi l’Île de l’Ancien, l’Île du Phare, l’Île d’Yr, l’Île Sereine, et finalement l’Île d’Avhor, qui forment ce que nous appelons l’archipel d’Yr. Si quatre d’entre elles sont toujours considérées comme des domaines de la Divine à ce jour, l’Île Sereine, dont le coeur est le bourg de Havrebaie, a acquis son indépendance en 381 de l’ère royale.

La Sereine est la plus grande île de l’archipel d’Yr et agit à titre de grenier pour l’ensemble insulaire. Son sol est riche et fertile et jouit d’une irrigation naturelle qui assure annuellement des récoltes de céréales abondantes. Sans ces dernières, il serait difficile, voire même impossible, d’assurer un approvisionnement efficace de la Cité d’Yr. Pour cette raison, à l’automne 379, les routes entre Havrebaie et la capitale furent restaurées, permettant un transport beaucoup plus rapide des marchandises -et troupes- entre les communautés. C’est l’Union commerciale du Sud qui hérita du privilège d’entretenir et de gérer l’axe terrestre tandis que la Marine des Mérillons devait veiller au maintien des quais. En 381, dans le cadre du processus d’indépendance de la région, ces guildes nationales, constatant que leurs principaux représentants locaux désertaient au profit du projet de Joseph Morrigane, acceptèrent de céder ces droits à la nouvelle corporations de Havrebaie. Aujourd’hui, la République marchande de Havrebaie gère l’entièreté des installations commerciales sur son propre territoire.

Bien que les régions cultivées de l’île soient parsemées de hameaux, aucun n’est comparable en envergure et en influence que celui d’Havrebaie. Second centre urbain de l’archipel après la capitale, il s’agit d’un bourg vivant au rythme des transactions marchandes et des plaisirs aristocratiques. Jouissant d’un vaste port naturel ouvrant sur la baie d’Ambroise, de nombreux marchands préfèrent mouiller en ses eaux, échanger à même son bourg et s’approvisionner en vivres auprès de ses étales plutôt que de tenter leur chance à Yr. Au coeur de la ville, trônant entre les entrepôts des guildes commerciales et des riches demeures bourgeoises, le Hall du Grand Conseil d’Havrebaie est au centre de l’activité commerciale locale. C’est entre les murs de cet imposant édifice de pierres, prenant tantôt l’apparence d’une place forte à même de garder les réserves de froment, tantôt d’un somptueux palais paré des pavillons des plus éminents dignitaires locaux, que se réunit le Grand Conseil, héritier de l’ancienne Guilde frumentaire. Cet organe du pouvoir présidé par le Doge sérénissime Joseph Morrigane agit à titre de gestionnaire de la collectivité et de la corporation. Effectivement, en son sein, commerce et politique ne font qu’un. L’appartenance à la corporation de la “République marchande de Havrebaie” est obligatoire afin de gravir les échelons politiques, seuls les détenteurs d’actifs commerciaux pouvant prétendre y avoir une voix.

Un système électif fut établi en 381 afin de remplacer les nominations arbitraires jugées vétustes de la Guilde frumentaire. Sous le nom de la “Sérénissime Bienfaisance”, il prévoit que, à moins d’une situation exceptionnelle, chaque membre du Grand Conseil y siège à vie. Lors du décès d’un membre (ou du Doge), le remplaçant est choisi via le système d’élection intimement lié aux investissements personnels des candidats :

  • Tout individu voué au commerce ou à l’artisanat faisant partie de la République Marchande d’Havrebaie peut investir dans son avenir politique.
  • Tout projet ou don financé personnellement par un membre actif de la République et qui vise à améliorer directement les infrastructures de la République est comptabilisé sous la loi de la Sérénissime Bienfaisance.
  • Ne peut soumettre sa candidature pour un siège au Grand Conseil que l’individu ayant l’investissement dans la Sérénissime Bienfaisance le plus élevé, ainsi que celui ayant investi au moins les trois quarts de ce montant.
  • Un collège d’électeurs est alors sélectionné parmi les membres associés à la République.

Ce système aspire à officialiser la richesse et le capital monétaire comme moyen de s’élever politiquement (et dans l’appareil administratif) à Havrebaie, mais a également comme but d’assurer le maintien et l’amélioration continue des infrastructures de la République.

Sur l’Île Sereine et dans la cité, la sécurité est assurée par les effectifs terrestres et navals de la Dernière Légion. Stationné au Fort de Pointe-aux-Hérèges, à l’est du bourg, ce régiment d’anciens vétérans de la Terre des Roses a fortement évolué lors des récentes années. Après nombre d’altercations avec autorités locales, il est finalement tombé sous le commandement de Maximilien César Auguste Mortimer, célèbre capitaine de la Gloire d’Adrianna (avant sa perte). La principale fierté de la troupe et de la république elle-même est probablement le Bouclier d’Ébène, la première forteresse-flottante ébènoise. Acquise des mains de la Ligue d’Ardaros lors de la dernière guerre, cet “Atak’Ebunaï” reconverti selon les besoins des Célésiens peut accueillir plus de cinq cents marins et résister aux tirs d’artillerie des galions et frégates conventionnels. En temps de paix et depuis la première “Croisière de la Démesure” du printemps 382, le pont principal du Bouclier d’Ébène est utilisé comme une arène de calcio pour l’équipe locale. Réservé aux riches et puissants spectateurs, on raconte qu’il égale en décadence les plus réputées festivités avhoroises.

À l’extrême ouest de l’Île Sereine, le Pavillon des affaires et développements militaires de Fulcieu fondé par le commandeur Mortimer est depuis 381 un campus officiel de l’Académie Fulcieu de Felbourg-la-Cité. Fortifié à l’aide de hauts murs de pierre, de tourelles et de canons, il est l’un des principaux sites d’expérimentation militaire en Ébène. Dans ses laboratoires, de nouveaux engins toujours plus destructeurs sont élaborés et testés dans son champ de tir ou au large des côtes, sur la Mer Blanche. Grâce à l’expertise développée par le Doge Morrigane lui-même, il s’agit du plus important centre de recherche sur le horstanium.

La présence de ce Pavillon n’a rien pour plaire aux occupants du monastère de Havregivre, situé sur un minuscule îlot non loin de là. Occupé depuis des siècles par l’Ordre guerrier de Havregivre, ce cloître, désormais sous le joug de la République sereine, tente tant bien que mal de concilier sa mission première et les nouvelles réalités. Effectivement, après l’attaque du Vinderrhin sur la Cité d’Yr au début de l’ère royale, des soldats voués à la protection de l’archipel d’Yr décidèrent de créer un ordre militaire ayant pour unique objectif de s’entraîner en prévision d’une future attaque sur la capitale célésienne. En 380, avec l’aide de William Cotnoir et de l’armée religieuse de la Rex Hasta, le monastère regagna ses lettres de noblesse. Or, avec les rapprochements grandissants entre l’Ébène et le Vinderrhin et la silhouette menaçante des canons de Fulcieu, les traditions religieuses des moines sont fortement compromises.

Finalement, toujours délaissées, les ruines de l’ancienne Havrebaie détruite lors de l’invasion du Vinderrhin de 322 sont visibles au sud-ouest du bourg actuel. Seul vestige demeuré intacte depuis, le Beffroi du Pénitent se dresse sur la côte de la Baie d’Ambroise tel un sinistre rappel des menaces nordiques.

-Histoire-

Lorsqu’elle est comparée avec celle des autres palatinats d’Ébène, l’histoire de Havrebaie est toute jeune. Effectivement, il fallut attendre le deuxième siècle de l’ère royale, sous le règne d’Esther la Festive, pour assister aux premiers efforts de défrichement de l’Île Sereine et à l’érection de premiers hameaux sur celle-ci. Cette nouvelle ère de peuplement dans l’archipel visait à répondre à la cadence de vie imposée par le rythme du premier règne princier avhorois, alors que se multipliaient les banquets et les fêtes contribuant à épuiser les réserves en vivres de la capitale. Soutenue par les palatinats d’Avhor, de Laure et de Salvamer, lesquels affichaient leur support par l’envoi massif de serfs et de ducats au port d’Havrebaie, la Couronne força bien rapidement le retrait de la flore abondante du sud de l’île au profit de ses nouvelles terres agricoles. Véritable centre de cette conquête de la nature, Havrebaie devint bien vite le point de rencontre des ressources issues des nouvelles terres et des marchands en provenance de la capitale. Ce rôle d’avant-plan dans l’approvisionnement d’Yr investit alors le bourg d’une importance capitale dans ses campagnes et justifia le rassemblement des plus influentes familles de propriétaires terriens auprès de ses entrepôts. D’un effort commun, ces familles profitèrent des concessions faites par Ferrinas le Tolérant pour ériger une première Viguerie en l’an 184, se voyant ainsi déléguer le pouvoir sur les Campagnes d’Yr. Ces privilèges nouvellement acquis se concrétisèrent dans la forme du premier palais de la Viguerie d’Havrebaie, une place forte à même de protéger les réserves de grains de la Guilde frumentaire.

Malheureusement pour Havrebaie, ce qui avait facilité son développement quelques siècles auparavant -soit son accessibilité et sa position stratégique pour les départs en haute mer- devait être la cause de sa perte en l’an 322 de l’ère royale. La cité tomba en effet sous le contrôle de l’ost du Vinderrhin, qui utilisa le bourg et son port naturel afin de coordonner son siège d’Yr. L’armée hérétique défaite dans la capitale, les combats se poursuivirent lors des mois subséquents pour gagner le bourg toujours sous l’égide des suivants de l’Arth. La bataille d’Havrebaie, lors des Floraisons de la même année, se solda par la victoire des forces célésiennes, mais laissa la communauté en ruines. À la décision d’Enguerrand de Fern, alors comte d’Yr, les travaux de reconstruction commencèrent au terme de cette victoire, mais dans un nouveau site plus éloigné jouissant de meilleures défenses naturelles et toujours accessible depuis la baie. Malgré tout, les bâtiments décrépis et désordonnés du Vieux-Havre, tel qu’il est aujourd’hui connu, demeurent prisés des mendiants, des marins en permission et des bordels de l’archipel. Son seul édifice digne de mention est le Beffroi du Pénitent, érigé à même le bois des navires du Vindh en commémoration de la victoire d’Havrebaie, où des clercs s’affairent à promouvoir un message de rédemption par la Foi auprès de ces marginaux.

Quant à la nouvelle ville prenant le nom d’Havrebaie, celle-ci fut dotée par l’architecte de sa reconstruction d’un plan carré et de fortifications. Si l’histoire retient le nom d’Enguerrand de Fern comme étant celui d’un félon, les citoyens de l’île Sereine l’élèvent encore comme étant l’artisan de leur réédification. Cette image sera promue de nombreuses années durant par les officiels de la Guilde frumentaire, devant au comte de Fern la reconstruction de sa Viguerie et la confirmation de sa charte dans la nouvelle cité d’Havrebaie. Cet appui officiel céda cependant sa place à un mutisme éloquent dès l’an 327, une fois la construction du palais de chasse royal achevée sur l’Île d’Avhor, au nord de là.

Que cela soit fait au nom de la Reine ou du profit, les familles de la Guilde frumentaire veillèrent pendant des décennies à l’administration des Campagnes d’Yr et au bon approvisionnement de la Cité d’Yr en tant que domaine royal. Jusqu’en 379, la ville était sous la tutelle du Viguier, baron effectif des Campagnes élu à vie par les familles siégeant à la Viguerie d’Havrebaie. La Guilde frumentaire savait alors entretenir une entente cordiale avec la Couronne. Cependant, cette même année, le Connétable d’Ébène Narcisse Lancerte proposa à l’organisation d’accueillir les survivants du régiment de la Légion de la Dernière Frontière, récemment rescapés des griffes des Éveillés sanguinaires en Terre des Roses. À sa grande surprise, le titré royal se heurta à une farouche résistance du Viguier du moment, Geoffroy de Blanc-Roc, un vieux bourgeois aigri et froidement calculateur ayant hérité de la fortune d’une lignée issue des premiers colons laurois. Connu pour avoir été un ami proche du Monarque, Blanc-Roc refusa catégorisa la venue de ces soldats en ses terres.

Malgré cette opposition, la Dernière Légion débarqua sur l’Île de la Sereine peu avant l’été et investit le nouveau Fort de Pointe-aux-Hérèges construit par les soins de la Guilde royale des artisans. Quelques jours plus tard, plusieurs militaires présentaient des signes d’empoisonnement, provoquant la colère du régiment. C’est sa capitaine, Oléna des Ombres, qui mena alors la riposte, accusant le Viguier de Blanc-Roc d’être derrière la corruption des vivres de la troupe. Face à cette attaque surprise, le chef de la Guilde frumentaire prit la fuite vers la Cité d’Yr et abandonna son titre à dame des Ombres et aux armées. Pendant plus d’un an, la Légion supervisa les activités de la Guilde frumentaire, clamant servir la Reine en s’opposant à tous ceux se dressant sur son chemin. Avec l’aide du Connétable Narcisse Lancerte, la Dernière Légion -officialisée en tant que régiment royal à l’automne 379- se rapprocha grandement du Bataillon sacré avec le temps, allant même jusqu’à mener dans les murs de la capitale des opérations militaires afin de venir en aide à la troupe en cas de crise.

En 380, devant les abus répétés de la Dernière Légion, Joseph Morrigane, alors Viguier, fit valoir auprès de la Couronne la nécessité de rétablir une autorité civile à la tête du bourg. Heureusement, au même moment, la commandante Oléna des Ombres et plusieurs de ses plus fidèles supporteurs prenaient la route de Port-Casimir, en Corrèse, pour y combattre une force d’invasion siludienne. De cette opération, des Ombres ne devait jamais revenir, ce qui facilita grandement la transition des pouvoirs. Tandis que l’ancien Brigadier Edrick des Ombres prenait la tête de la Dernière Légion, Morrigane obtenait enfin le titre tant convoité de Viguier Assermenté de Havrebaie, mettant fin à une année de dictature militaire. À partir de ce moment, les avenirs commercial et politique de Havrebaie ne firent qu’un.

Au courant de l’automne 381, plusieurs découvrirent avec étonnement un intérêt soudain pour la religion en Havrebaie. Le nouveau Viguier assermenté, accompagné de Florentina Da Luciana, religieuse et fille du riche banquier Nicola Da Luciana, cherchait à fonder un nouveau Chapitre de la Foi sur place. Certains courtisans virent clair au travers des plans de Morrigane : si menée à terme, cette initiative affranchirait l’Île Sereine du pouvoir législatif de la Cité d’Yr, se rapprochant ainsi d’une autonomie face à la Couronne. Une vive opposition se fit entendre de la part de la Voix du Chapitre d’Yr. Malgré celle-ci, Havrebaie alla de l’avant avec la construction d’un beffroi et le recrutement d’ecclésiastiques. Lorsque ceux-ci, provenant du Val-de-Ciel, arrivèrent sur place pour visiter leurs nouveaux appartement, ils furent tous emprisonnés à leur grande surprise par le Viguier et ses alliés. Il fut révélé que ces derniers avaient été recommandés par le cartel criminel du Verbe et avaient ainsi été pris au piège dans un plan visant à empêcher un nouveau chapitre de s’implanter sur l’Île Sereine. Bien que les religieux aient été par la suite relâchés et innocentés, ce tour de force prouvait au royaume que Havrebaie avait l’autonomie nécessaire pour gérer sa criminalité, tant religieuse que laïque. Ceci poussa donc la Très Divine Adrianna à accepter la fondation du nouveau Chapitre de la Foi malgré l’opposition de la Voix d’Yr, et également à nommer Florentina Da Luciana Juge Royale de celui-ci.

Au début de l’hiver 381, le Viguier s’allia avec deux grands commerçants du royaume : Giskard de l’Aurore, Intendant de la Banque Libre d’Ébène, et Merwyn Prothero, Centenier de l’Union Commerciale du Sud. Le but de l’alliance était simple : solidifier les acquis de ceux-ci au sein de leurs corporations pour ensuite les quitter en apportant avec eux un maximum d’avoirs et d’influence. Au printemps 381, Merwyn Prothero déclara qu’il quittait l’Union Commerciale du Sud avec tous ses acquis agricoles de Haut-Vignoble au Sarrenhor et ses installations de l’UCS sur l’Île Sereine, et qu’il rejoignait la nouvelle compagnie de la “République Marchande d’Havrebaie”. La séparation entre Giskard de l’Aurore et la Banque Libre fut bien plus brutale. Partout dans le royaume, des bannières de la Banque furent soudainement souillées et remplacées par celles d’Havrebaie. Nombre de manufactures d’armes et comptoirs commerciaux tournèrent également le dos à leurs anciens employeurs et suivirent Giskard dans la nouvelle entreprise. De son côté, Joseph Morrigane avait signé le retrait de la Marine des Mérillons des quais d’Havrebaie en échange d’une bouchée de pain et avait de plus conclu d’avantageuses ententes avec l’ambassadeur de Fel, Siegbald Cuthburg, pour un approvisionnement en métaux. Il collabora également de près avec l’ambassadeur d’Ébène au Vindherrin, Albert Delorme, afin qu’Havrebaie devienne la porte commerciale vers cette contrée étrangère.

Toutes ces ententes et ces tours de force commerciaux permirent à Havrebaie de se tailler une place au sein des grandes corporations officielles du royaume. La cerise sur le gâteau vint cependant au Bal des Floraisons du printemps 381, lorsque la Très Divine Adrianna octroya des cadeaux à ses fidèles sujets en remerciement de leur implication dans la guerre sainte contre la Ligne d’Ardaros. Pour ses investissements déterminants dans la guerre, le Viguier Joseph Morrigane obtint l’autonomie pure et simple d’Havrebaie et de l’Île Sereine. À la suite à cette annonce, le nouveau seigneur déclara sans délai l’inauguration de la République Sereine et Marchande d’Havrebaie. Il intégra Giskard de l’Aurore et Merwyn Prothero à la Guilde Frumentaire qu’il renomma alors “Grand Conseil” et se couronna lui-même Doge Sérénissime d’Havrebaie. L’organe de pouvoir politique de l’Île Sereine devenait donc également le siège de pouvoir de cette nouvelle corporation qui voyait le jour. Les vieilles familles de la Guilde frumentaire n’eurent pas le choix de suivre les ambitions du nouveau Doge Morrigane.

Au cours des années suivantes, le Doge mobilisa le Grand Conseil et sa fortune afin de solidifier et étendre les routes commerciales de la République à l’intérieur et à l’extérieur du royaume, faisant de la corporation un incontournable dans l’économie du continent malgré sa jeunesse. Celle-ci développa des comptoirs dans certaines des anciennes installations de la Banque libre d’Ébène en Fel et Laure, au port d’Yr, à Haut-Vignoble et dans la cité forteresse de Berren-Herderdrovyn au Vinderrhin. Cependant, si elle a su s’implanter de façon fulgurante dans le paysage commercial, la République marchande de Havrebaie demeure essentiellement spécialisée dans le négoce de produits, et non dans la production elle-même. En dehors des ateliers d’armes soutirés à la Banque libre d’Ébène et de quelques vignobles au Sarrenhor, la corporation réalise ses profits grâce au transport de marchandises, à ses routes commerciales avantageusement négociées selon les intérêts politiques du moment et à de fructueuses transactions financières. Néanmoins, avec l’expansion de la recherche et du développement militaires en Havrebaie sous l’impulsion du commandeur de la Dernière Légion Maximilien César Auguste Mortimer, cette situation tend à évoluer rapidement, les besoins des armées et chercheurs étant toujours en croissance, surtout depuis l’éclatement du royaume d’Ébène.

En 383, le bourg et l’Île Sereine sont dirigés par le Grand Conseil de la République Marchande d’Havrebaie sous la présidence du Doge Joseph Morrigane, ingénieur militaire et développeur urbain. Six membres y siègent officiellement :

  • Nicola Da Luciana, banquier
  • Germaine Sanschagrin, grande propriétaire agricole et de pâturages
  • Jérôme du Vieux Havre, maître charpentier
  • Victoria-Éléna Valérienne, artiste et représentante des maçons, sculpteurs et autres artisans de la pierre
  • Giskard de l’Aurore, fabricant et marchand d’armes à feu
  • Merwyn Prothero, importateur et exportateur de produits frumentaires rares

S’il n’y a pas officiellement de factions politiques au sein du Grand Conseil, deux tendances politiques semblent se dessiner. D’un côté, les héritiers de l’ancienne Guilde Frumentaire (les quatre premiers), même s’ils appuient les décisions et réformes de Morrigane, se seraient bien contentés du calme qui régnait sous la Viguerie de Geoffroy de Blanc-Roc. Ils apprécient l’enrichissement obtenu via l’expansion rapide de la République, mais se montrent malgré tout conservateurs. De l’autre, le Doge et ses partenaires de l’Aurore et Prothero ont les yeux tournés vers le reste de la nation célésienne et même vers l’étranger. Ils veulent étendre leur influence et la gloire d’Havrebaie partout où ils vont et sont majoritairement tournés vers les technologies de pointe et les produits rares (armes à feu, horstanium, etc). Assurant l’équilibre entre ces visions divergentes, Florentina et Roberge Da Luciana, bien qu’enfants du Grand Conseiller Nicola Da Luciana, usent de leur influence au sein du clergé célésien et de la populace. Florentina, nommée première juge royale de Havrebaie en 380, et Roberge, instigateur du célèbre Journal du Renard, proviennent tous deux d’une ancienne famille du bourg et sont proches du Doge et de ses partenaires. Ils arrivent donc habituellement à trouver des terrains d’entente entre nouvelle et ancienne gardes de l’Île Sereine.

II.ÎLE DES ANCIENS

L’Île des Anciens est l’hôte d’une unique seigneurie sous la juridiction de la Divine Adrianna. Occupant la section sud de ce modeste bout de terre rocailleux, la Seigneurie des Anciens fut placée à l’automne 380 sous le contrôle de Hugues Lemestiers, représentant de l’Union commerciale du Sud, qui l’exploite depuis la carrière de pierre au nom de sa corporation.

Tailleurs, sculpteurs et mineurs composent la faible population de l’île montagneuse, et oeuvrent depuis ses carrières à approvisionner les agglomérations de l’archipel en pierres travaillées.

-Géographie-

Anomalie dans le paysage des archipels d’Yr, l’Île des Anciens est un territoire montagneux qui fut probablement, dans des temps immémoriaux, une portion orientale des montagnes des Crocs, en Fel. N’égalant bien sûr pas en hauteur les monts felbourgeois, le relief de l’île est néanmoins la première vision de l’archipel de la Divine qu’ont les navigateurs remontant la Laurlanne depuis le sud.

Quatre principaux monts caractérisent la géographie locale, chacun nommé en l’honneur de vieilles légendes ayant marqué l’histoire de l’île. Du sud au nord, on retrouve ainsi la Jouvencelle, la Mère, l’Aïeule et la Veuve. Ce sont les carrières de la Jouvencelle qui sont les plus exploitées par les travailleurs de la seigneur des Anciens, ceux-ci en extrayant des pierres de qualité ayant permis l’édification de la Cité d’Yr au début de l’ère royale. À son pied, le hameau commercial des Anciens, sous l’autorité de l’Union commerciale du Sud, dispose d’un modeste quai spécialisé dans le transport par barques du lourd matériau vers les côtes lauroises, felbourgeoises ou yriotes.

La Mère, l’Aïeule et la Veuve, pour leur part, ne sont que faiblement habitées, seuls les pèlerins les plus traditionalistes appréciant en fréquenter les rares autels abandonnés à la nature par les congrégations religieuses. Autrefois, c’étaient les Moines du Phare, au nord, qui veillaient à leur entretien, mais, depuis que ceux-ci ont adopté une politique d’isolement presque complète, ils laissent ces antiques constructions de pierre être lentement mais surement rongées par la pluie et les vents. Des mythes locaux soutiennent que des grottes oubliées et taillées par les premiers Ébènois déboucheraient sur des tunnels serpentant sous les montagnes, mais, à ce jour, personne n’a pu confirmer ces rumeurs.

-Histoire-

L’histoire lointaine de l’Île des Anciens échappe encore à ce jour aux érudits d’Ébène. Cependant, selon les hypothèses les plus répandues, l’île et ses quatre montagnes auraient hérité leurs noms d’une antique légende partagée par les Laurois et les Felbourgeois vivant sur les rives du nord de la Laurelanne. Bien avant l’avènement du Prophète et le retour du célésianisme, un devin résidait sur les sommets des montagnes de l’île. Le sage pouvait, selon les croyances de l’époque, prodiguer la vérité à quiconque s’en montrait digne. Un jour, une jeune pêcheuse lauroise affligée par son sort décida d’aller à sa rencontre afin de lui poser l’ultime question : “Comment trouverai-je le bonheur?”

Au sommet de la première montagne au sud, la Jouvence rencontra donc l’ermite afin de l’interroger. L’homme lui répondit laconiquement : “Reviens dans dix ans exactement et tu auras ta réponse”. Déçue, mais exaltée par la perspective d’accéder un jour à la sagesse de l’ancien, elle retourna en sa demeure et attendit. Elle prit époux, donna naissance et devint mère, mais jamais elle ne cessa de compter les jours. Le moment venu, la Mère alla à la rencontre du sage, cette fois sur la seconde montagne. Elle posa de nouveau sa question, mais fut affligée de recevoir la même réplique : “Reviens dans dix ans exactement et tu auras ta réponse.” Dix ans passèrent et la Mère, rongée par l’angoisse et le désespoir, vit ses cheveux blanchir et s’éclaircir, ses rides se creuser et ses propres enfants prendre époux et la quitter. Le moment venu, l’Aïeule retrouva le devin sur la troisième montagne, terrifiée à l’idée d’obtenir la même réponse…et tel fut le cas : “Reviens dans dix ans exactement et tu auras ta réponse”. Enragée, elle retourna en sa demeure. Or, à son retour, elle découvrit son époux sans vie, l’homme ayant trépassé d’une fulgurante fièvre lors de son périple. Sans attendre, la Veuve abandonna ses possessions et réalisa l’ascension de la quatrième montagne. N’ayant pas écoulé les dix années requises, elle n’y trouva guère le sage. Dépossédée et endeuillée, elle prit donc place au sommet et médita. Sous la pluie et le Soleil, elle assista à l’écoulement de chaque seconde, ne devenant plus qu’une avec le temps et l’espace. Dix années passèrent, au terme desquelles le devin revint à la rencontre de la Veuve. Cette fois, c’est l’homme qui posa la question : “Comment trouverai-je le bonheur?”. À celle-ci, la Veuve répondit : “Reviens dans dix ans exactement et tu auras ta réponse”. Le sage esquissa un sourire, puis disparut à jamais.

Au début de l’ère royale, l’Île des Anciens fut officieusement scindée en deux. Au nord, le territoire des montagnes de la Mère, l’Aïeule et la Veuve fut remis aux Moines du Phare, sur l’île éponyme non loin de là. Malgré leurs origines s’ancrant dans l’ère de l’Avant et, donc, probablement dans des cultes païens, le Roi-Prophète accorda personnellement sa bénédiction à cette communauté religieuse et lui confia la mission de faire ériger au sommet de chaque montagne un autel dédié au culte renouvelé au Céleste. Lors des siècles qui suivirent, l’Île des Anciens devint une halte obligée pour nombre de pèlerins convergeant vers le Siège des Témoins, dans la Cité d’Yr. Pour ces fidèles, l’ascension de la Jouvencelle, de la Mère, de l’Aïeule et, finalement, de la Veuve était un exténuant rite de passage avant l’ultime destination salvatrice d’Yr. Selon les légendes locales, on raconte que Galvin le Fier lui-même, avant de libérer la Cité d’Yr des griffes du Vinderrhin au lendemain de la mort du Roi-Prophète, procéda à la montée des quatre monts. Malheureusement, en 161, lorsque le prince Casimir le Sévère jeta son dévolu inquisiteur sur les Moines du Phare, ces derniers fermèrent leurs portes et abandonnèrent l’entretien de ces sites de pèlerinage. Depuis, la nature reprend son emprise sur le nord de l’Île des Anciens.

Les territoires au sud, pour leur part, ne cessèrent jamais de prospérer depuis quatre siècles. Depuis la fondation de la seigneurie des Anciens, au pied de la Jouvencelle, aux premiers jours de la construction de la Cité d’Yr, jamais elle ne cessa d’approvisionner les chantiers de la capitale. Jusqu’à l’avènement de la Reine Adrianna, le suzerain siégeant sur le trône d’Ébène se fit un devoir de maintenir son autorité personnelle sur le fief. Ce n’est qu’en 380, dans une démonstration de confiance étonnante -ou de détresse économique?- que la Divine Adrianna accorda au Centenier de l’Union commerciale du Sud, Hugues Lemestiers, le privilège historique d’agir à titre de seigneur de l’exploitation.

III.ÎLE DU PHARE

L’Île

-Géographie-

Anomalie

-Histoire-

L’histoire

IV.ÎLE D'AVHOR

Depuis l’incendie ayant ravagé le Bois-du-Trône d’Avhor en 322, le Bois-du-Roi, sur l’Île d’Avhor au nord de la communauté de Havrebaie, est connu comme étant le domaine de chasse royale hivernal. Malgré les tentatives de la Couronne pour faire respecter cette appellation, les habitants se bornent à s’y référer comme étant le Bois-de-Fern, en l’honneur de celui ayant reconstruit la ville.

Il serait impossible de traiter de l’Île d’Avhor sans considérer le majestueux palais de chasse qui s’y trouve. Lieu de résidence privilégié de la famille régnante, le Palais d’Hiver attire dans son ombre des demeures aristocratiques qui ne sont mises à la disposition que des plus hauts nobles du continent et des serviteurs de la Divine les plus méritants. Cette proximité privilégiée avec le palais fait de l’Île d’Avhor un endroit incontournable pour qui cherche à se rapprocher personnellement de la Divine, même si ne fait pas halte en ces terres qui veut.

-Géographie-

Loin de la frénésie de la Cité d’Yr et de Havrebaie, sur l’île la plus septentrionale de l’archipel yriote, les demeures de marchands et de propriétaires terriens cèdent leur place à de luxueux chalets et loges de chasse aristocratiques rivalisant sans peine avec les demeures des quartiers huppés de la capitale. Ces résidences construites à même les rondins des arbres centenaires poussant en périphérie ne sont toutefois que rarement fréquentées, nul ne pouvant chasser dans les forêts environnantes sans l’autorisation spéciale de la Divine. Le plus souvent, la possession d’une demeure sur l’Île d’Avhor suffit à susciter l’admiration et les rumeurs mondaines, seuls quelques élus détenant ce privilège.

Nul chalet n’égale toutefois la majestuosité du Palais d’Hiver et de ses jardins exubérants, lieu de résidence privilégié par la Divine et, dit-on, par les membres de sa famille. Aménagés au coeur de la forêt et étroitement surveillés par des gardes-chasse spécifiquement entraînés parmi les meilleurs candidats du Bataillon sacré, ces domaines ne sont réservés qu’aux yeux de la Divine et de ses invités personnels. À la différence du Palais d’Été en Hefel, beaucoup plus vaste et populeux, le Palais d’Hiver est réputé pour ses réceptions intimes et ses chasses offrant un accès privilégié à l’oreille de la suzerain de la Foi célésienne.

Le Bois-du-Roi, tel qu’il est connu de la monarchie, ou le Bois-de-Fern, ainsi appelé par les locaux, constitue en effet le nouveau boisé de chasse royal depuis l’incendie ayant ravagé le Bois-du-Trône en l’an 322. Doté d’une flore luxuriante, le gibier y est abondant, bien que peu varié, et la chasse y demeure un privilège qui ne peut être octroyé que par la Divine.

-Histoire-

Malgré son caractère sacré en tant que site de chasse de la Couronne, la forêt de l’Île d’Avhor doit perpétuellement tenir à l’écart les braconniers et criminels tentant de s’y infiltrer pour traquer le foisonnant gibier y résidant. De la Cité d’Yr à Havrebaie, la pauvreté est un incontournable des paysages urbains. Les gueux peuvent donc être tentés d’y renflouer leurs cuisines au détriment de toutes les lois et conventions royales. Habituellement, ces petits malfrats sont rapidement interceptés par les gardes-chasse du Palais d’hiver, mais certains osent parfois contester ouvertement les privilèges de la Divine Adrianna. Le meilleur exemple de cette effronterie est la grande chasse de la Dernière légion à l’hiver 379.

S’estimant sous-financés par la Couronne et subissant les contrecoups de la famine sévissant partout dans le royaume, des dizaines de soldats vétérans du régiment royal de Pointe-aux-Hérèges, à Havrebaie, décidèrent de braver les interdits royaux pour s’offrir le luxe de la venaison. Ceux-ci croyaient alors être protégés par leur aura de héros des guerres contre les Éveillés sanguinaires, en Terre des Roses, mais tel n’était pas le cas. À l’initiative de Magdalena Merioro, Garde-chasse du Palais d’hiver, et avec l’appui de la justice d’Yr, les contrevenants furent traqués et subirent un châtiment exemplaire : l’index tenant la corde de leur arc fut coupé, la main opposée tranchée et ils furent jetés dans une cage, en plein froid, sur les bords de la route longeant Havrebaie. Depuis, les occurrences de braconnage dans le Bois-du-Roi ont drastiquement diminué.

Encore aujourd’hui, Magdalena Merioro occupe le poste honorifique de Garde-chasse du Palais d’hiver, et ce malgré ses sympathies pour le commandant Charles Desneiges lors du Soulèvement d’Yr de 381. En signe de reconnaissance pour ses oeuvres passées, la Divine Adrianna accepta de conserver sous ses ordres la talentueuse artisane et organisatrice mondaine. Rarement les chasses royales du Bois-du-Trône ont-elles été aussi prisées que depuis la nomination de dame Magdalena.

V.RUINES ENGLOUTIES DE JOLORION

L’emplacement exact des ruines englouties de Jolorion, sous les eaux de la Baie d’Ambroise, n’est aujourd’hui indiqué que par la présence d’un unique poteau de fer rouillé émergeant de la surface. Avant l’été 381, le site était réputé pour être celui d’un mystérieux chantier archéologique englouti. Initialement sous la supervision de Melino Petriali de l’Académie Rozella, puis sous celles de Fino Piccolini, du Bureau de l’Omniscience d’Yr et finalement du Cercle des archivistes royal, et financé et protégé par la Couronne, il recelait les secrets oubliés d’une civilisation antique encore inconnue des Ébènois.

Les trouvailles réalisées dans les tréfonds de Jolorion bouleversèrent les milieux académiques et ecclésiastiques du royaume d’Ébène, poussant plusieurs des chercheurs y étant liés vers le blasphème et l’hérésie. À l’été 381, il fut finalement décidé de détruire la plate-forme donnant accès au site sous-marin, rendant impossible l’accès aux ruines de l’antique cité cyclopéenne connue sous le nom de “Cerethot”.

-Géographie-

L’unique poteau de fer rouillé permettant de localiser l’emplacement des ruines englouties de “Jolorion” est situé au sud de la Cité d’Yr, en plein coeur de la Baie d’Ambroise. Celui-ci est un vestige de l’ancienne plate-forme péniblement construite sur plusieurs années par les spécialistes de l’Académie Rozella. En-dessous du niveau de la mer, Jolorion était isolé des eaux à l’aide d’une immense structure de bois et d’acier construite sur près de dix ans par les chercheurs. Ce n’est que grâce à l’utilisation minutieuse de scaphandriers primitifs et de pompes à eau massives que les eaux de la Baie d’Ambroise purent être maintenues quotidiennement à l’extérieur des ruines pendant des années.

Ces ruines, de dimensions cyclopéennes, ne rappelaient à ceux qui les observaient rien de connus en Ébène ou à l’étranger. À l’image des forteresses des géants du Vinderrhin, elles constituaient un unique complexe architectural dans lequel pouvaient être visitées des salles et halls ridiculement vastes aux vocations singulières. Les pierres de marbre noir envahies par les algues et coquillages dépassaient en taille les blocs de roc de la Forteresse du Fils et semblaient avoir été extraites des montagnes de Crocs.

Après la destruction de la plate-forme d’accès en 381, les informations concernant Jolorion furent scrupuleusement consignées dans les archives royales et les artefacts débusqués préservés dans les voûtes du Zanaïr. Le commun des mortels n’a donc plus accès à ces savoirs hautement compromettants pour l’Histoire officielle célésienne, seuls les individus autorisés ou ayant eu la chance de côtoyer les anciens archéologues pouvant reconstituer le récit de ces ruines maudites.

-Histoire-

En 364, un typhon d’automne déferla sur le nord du royaume d’Ébène. Cet événement, surnommé “la rage céleste”, causa des ravages du sud de Laure jusqu’à Havrebaie, balayant du revers d’une main divine maisonnées et chaumières. Cette pluie diluvienne dura plusieurs semaines, apportant avec elle des vents violents et dévastateurs. Dans la Cité d’Yr, les canaux maritimes de la cité débordèrent et les demeures situées aux abords du bassin principal furent frappées par le vent et les eaux salées.

Au retour du beau temps, les pêcheurs de la Baie d’Ambroise n’eurent le temps que de sortir de leur chaumière pour constater avec surprise et inquiétude que le typhon avait révélé à la surface des eaux quelque chose d’absolument incroyable : le sommet d’une ruine d’un temps oublié. S’exposant dans la baie à quelques centaines de mètres des berges de la capitale, cette agglomération de pierres laissa les érudits pantois. Constituée de bâtiments indescriptibles en pierres non-équarries, ce mystère architectural aux dimensions cyclopéennes ébranla les officines des savants du royaume. Représentation grossière d’une époque lointaine et fort probablement précélésienne, les autorités du royaume en interdirent pendant longtemps l’exploration. Des navires furent postés autour du sommet visible de la zone afin de dissuader les pilleurs de tombe d’y plonger.

C’est seulement en 369 que la Couronne se résolut à débuter les investigations. Le chantier, mené par l’Avhorois Melino Petriali de l’Académie Rozella, entreprit d’isoler les ruines des eaux environnantes. Grâce au célèbre scaphandrier du Duché des Crânes conçu plusieurs décennies plus tôt, il assécha peu à peu les vestiges en créant tout autour d’elles un vase de bois et d’acier. Finalement, la ruine fut baptisée selon le nom de l’un des anciens dieux des Mérillons : le site “Jolorion”.

En 378, les navigateurs et archéologues remarquèrent que les ruines crachaient fréquemment des jets de vapeurs extrêmement dangereux pour quiconque s’en approchait. Ce n’est qu’à l’hiver 379 que, après des milliers de carats en investissement, une première expédition fut lancée par le Cercle des archivistes du palais royal. Lors de celle-ci, il fut découvert que les ruines formaient en réalité une cité-forteresse fermée et scellée. Les explorateurs purent y explorer tout d’abord sa vaste cour d’entrée qu’ils surnommèrent “Hall aux Mille Silhouettes” en raison des innombrables et gigantesques statues d’hommes et de femmes s’y élevant. Le nom de ce peuple ancien d’êtres humains fut aussi dévoilé : les Daemons.

Par la suite, ce fut le tour des archives de l’antique cité de “Cerethot” d’être déblayées. À l’intérieur de celles-ci, des centaines de parchemins plusieurs fois millénaires furent découverts. Toutefois, ces textes étaient préservés dans des vases de verre scellés contenant un air toxique et empoisonné. Certains récipients ayant été fracassés dans le passé, la pièce était elle aussi imprégnée de ce gaz mortel qui exigea la création de masques protecteurs immolant du lys cuivré. Malgré ces précautions, les documents débusqués ne furent pas extraits des ruines. Sous le coup d’un interdit du chapitre de la Foi d’Yr et du Cercle des Rois, ils furent plutôt confinés au Hall aux Mille Silhouettes pour fin de consultation future.

À l’été 379, un mystérieux temple païen fut excavé. Privé de tout altar, celui-ci ne consistait qu’en une colossale salle circulaire au centre de laquelle béait un trou aux profondeurs indéfinies. À la suite de plusieurs débats houleux et d’accidents au parfum mystique, ce lieu hérétique fut scellé et interdit d’accès. Malgré les troubles liés à ses expéditions, Fino Piccolini succéda dans la même lancée à Melino Petriali en tant que superviseur mandé par l’Académie Rozella. Or, l’Avhorois sembla être victime d’une malédiction commune aux chercheurs de Jolorion et disparut sans laisser de trace à la suite d’un voyage en Cassolmer. Le Bureau de l’Omniscience, associé à l’Inquisition céleste en Yr, prit donc le flambeau des érudits et se résolut à surveiller assidûment les investigations menées dans les ruines.

À l’automne 380, les entrepôts des forces de la Foi en Yr, dans les voûtes du céleste d’Yr, furent prises d’assaut par des voleurs probablement associés au cartel criminel de contrebandiers et fraudeurs de la Main dorée. Pour une raison échappant aux enquêteurs, l’escouade de malfrats laissa derrière leur cheffe, une dénommée Anna Tessa, qui prit alors directement le chemin de la prison après une cavale dans la capitale. La femme avait réalisé une copie d’un parchemin ancien -le Grand Parchemin- et nul ne savait ce qu’elle comptait en faire. Bien que le vol s’avéra infructueux, il démontra la précarité de la sécurité des voûtes du céleste d’Yr et la dangerosité des objets y étant confinés. Au jour des morts 380, Anna Tessa fut retrouvée morte dans sa cellule, victime d’un étrange rituel sanglant qu’elle avait elle-même perpétré.

Quelques semaines plus tard, les explorateurs procédaient à l’extraction d’armes et armures de confection daemon. Les hallebardes aux lames d’acier rosé et plastrons sertis de gemmes aux couleurs de la divinité païenne daemon furent immédiatement confisquées par le Bataillon sacré qui veilla à les entreposer dans les quartiers militaires d’Yr. Or, nul ne soupçonnait à ce moment que les tensions déchirant la capitale auraient des échos au sein même des forces armées yriotes. N’ayant aucun scrupule à utiliser ces redoutables équipements, le commandant déchu Charles Desneiges les remit à ses soldats loyalistes qui en firent des outils de massacre. Après l’exécution de Desneiges et la fin du Soulèvement d’Yr, le Gardien Protecteur Narcisse Lancerte décréta que ces armements devaient être tantôt renvoyés dans l’armurerie de Cerethot, tantôt expédiés à Ascandia, dans la colonie de la Nouvelle-Salvar, pour lutter contre la faune mortelle.

Visiblement dépassé par les événements et sollicité par les multiples crises dans le royaume et la Cité d’Yr, le Bureau de l’Omniscience décida de céder au Cercle des Archivistes royal la gestion des recherches en Jolorion à l’hiver 381. Il n’en fallait pas plus pour que trois de ses membres -Montague Fils-de-Mila, Égide Letendre et Ludovic Marello- en profitent pour pousser leurs recherches vers l’hérésie. Au 1er jour d’été 381, ceux-ci apparurent au palais royal changés, visiblement victimes d’une folie inqualifiable. Devant les yeux de la cour, Égide et Ludovic périrent soudainement dans des souffrances terribles. Montague, pour sa part, parvint à quitter le palais pour être exécuté dans les rues en proie au chaos du Soulèvement d’Yr.

Au 30e jour d’été, une force armée en provenance de la Marche des Crocs et menée par la commandante Julianna d’Horst investit le chantier des ruines de Jolorion. Détenant une autorisation de la Couronne et assistée de membres de la famille Vindersen de Fel, elle bloqua tout accès à la cité antique. Il fallut plusieurs semaines aux militaires pour atteindre leur objectif : le démantèlement complet des voies d’accès aux ruines. Après des études approfondies, les spécialistes établirent qu’ils ne pouvaient interrompre les mécanismes à l’oeuvre dans la ville engloutie sans exposer la Cité d’Yr à un cataclysme. Ils décidèrent donc d’en sceller les portes et de démolir à l’aide d’explosifs la plate-forme maritime permettant d’y accéder. Devant une communauté savante horrifiée à la vue des soldats réduisant à néant des années de labeur, les ruines de Cerethot s’effacèrent de nouveau du regard du monde. Dans les saisons qui suivirent, les artefacts des voûtes d’Yr furent graduellement et discrètement emportées vers la Tour du Zanaïr afin d’y être protégées aux côtés des autres reliques oubliées.

Pour de nombreux érudits, les secrets découverts en Cerethot dépassaient largement les connaissances techniques, historiques et occultes des Ébènois contemporains. Probablement associés d’une façon ou d’une autre à l’invasion de la Horde d’Horathot au sud, ils étaient désormais étouffés à jamais.