Duché des Crânes

I.DESCRIPTION GÉNÉRALE DU DUCHÉ DES CRÂNES

Capitale : Cornilles-sur-les-Crânes

Dirigeant.e : Le Duc Scarletin de Fern

Devise historique : “Prospérité et Liberté”

Inspirations : Liberté totale, humanisme et ouverture sur le monde, populisme et mérite

Gentilé : Baiecranois / Baiecranoise


Édifié à partir de deux anciens comtés traditionnels salvamerois, le Duché des Crânes déclara son indépendance de Salvar en 323 de notre ère. À la tête du soulèvement qui vit naître cette nouvelle entité se tenait Carolyn Lucini, héritière légitime du Comté d’Émeraude et Capitaine de la Pieuvre Rouge, un navire de commerce faisant affaires sur la Vaste-Mer. C’était en tant que l’une des nobles de l’une des plus anciennes familles Mérillons qu’elle allait refuser l’autorité du Seigneur-Palatin de l’époque, Lorenzo Acciaro, en dénonçant notamment la corruption du suzerain aux mains d’une organisation terroriste du nom de l’Ordre. Ces événements ne faisaient toutefois que confirmer le statut unique de la culture des Crânes, de tout temps jugée plus rustre, populiste et sauvage que celle des Salvamerois du nord. Point de jonction historiquement à la rencontre des Enfants d’Arianne et des Mérillons, ce qui fut jadis le sud de Salvamer avait effectivement toujours entretenu des divergences philosophiques autant dans ses traditions que dans sa façon de concevoir la noblesse.

À la suite de l’indépendance des Crânes, sa structure se démarqua par l’adoption de pratiques rappelant celles utilisées à bord des navires en mer. Celles-ci furent choisies par la comtesse Lucini à l’origine, puis renouvelées et améliorées par le duc de Fern en 382. Nul baron ne règnerait sur les terres ; seulement des “Amiraux”. Même si le titre était traditionnellement associé à la marine, certaines amirautés furent rattachées à des propriété terriennes, acquérant le prestige des titres de noblesse classiques. Les Amiraux devaient posséder un bateau apte à voguer en haute-mer, être à la tête d’un équipage et se voir acceptés par l’un des trois comtes ou comtesses du Duché. Plus encore, chacun des Amiraux était non seulement nommé parmi les corsaires et capitaines du Duché pour ses talents et ses faits d’armes, mais aussi à la suite d’un discours au cours duquel il devait obtenir l’acclamation de la foule de la région ou de la communauté convoitée. Inversement, la succession -ou la révocation- de ces comtes et comtesses était décrétée par les Amiraux parmi les candidats des trois grandes familles fondatrices : Lucini pour le Comté d’Émeraude, Sognarello pour le Comté des Saulnières et Renault pour le Comté de Saphir. Enfin, le Duc ou la Duchesse des Crânes devait recevoir l’appui des comtes et comtesses ainsi que de la majorité de l’Assemblée des Amiraux pour prendre le pouvoir. Sur cette légitimité similaire à celle qui existe au cœur d’un équipage de navire, le pouvoir s’exerçait près du peuple et constituait résolument une critique vis-à-vis de la vision de la noblesse militaire traditionnelle. Le seigneur suprême des Crânes pourrait être issu de la noblesse ou non ; l’important était qu’il obtienne l’assentiment de son peuple. Voilà pourquoi c’est aujourd’hui Scarletin de Fern, fils du comte laurois Enguerrand de Fern et d’une proche amie de la comtesse Lucini, Dame Scarlet, qui fut élu à ce poste.

Après la Guerre de l’Avènement, jamais Salvar et l’alliance de la Ligue des Mérillons n’acceptèrent de conclure une paix avec le Duché des Crânes. Selon les dires des représentants du Symposium des Justes unissant les autorités d’Avhor et Salvamer, les seigneurs du sud n’étaient que des rebelles sans légitimité occupant un territoire résolument salvamerois. Cela n’empêcha pas la Duchesse Carolyn Lucini, vieillissante, de se pencher sur la question de la prospérité économique de ses terres. La flotte s’étant enrichie grassement lors de pillages en mer et ayant, contre tous les ordres de la Marine des Mérillons, poursuivi ses relations avec la Lance d’Ardar, elle disposait des coudées franches pour faire contrepoids à l’hégémonie commerciale du nord sur la Vaste-Mer. De plus, avec Agnès Sognarello, comtesse des Saulnières mariée à monsieur Rupert Ripois d’Yr, le duché profitait d’un certain rayonnement politique dans le nouveau royaume.

Forte de ses alliances avec le Duché de Fel, Lucini obtint donc audience devant le nouvel occupant couronné du trône d’Ébène et lui fit accepter le maintien du duché dans le cadre de la Paix du Monarque. Cependant, si la duchesse conservait le contrôle de son territoire, elle devait en échange mettre à la disposition des armées royales une flottille -la Pieuvre rouge- et accepter l’hégémonie totale du trône d’Yr sur ses propres vassaux. Avant sa mort, c’est la Duchesse elle-même qui mit en place le système qui prévaut à ce jour dans les Crânes et que son successeur, le Duc Scarletin de Fern, préserva.

Depuis le début des grandes explorations en 380, la guerre entre les Mérillons du nord et le Duché des Crânes a toutefois repris de plus belle. L’assassinat sauvage de l’épouse de Duc de Fern, la mystérieux Néréia, par les inquisiteurs salvamerois et les rixes sur la Vaste-Mer et à Ascandia ont mené à un nouvel embrasement des frontières. De celui-ci découlèrent de nombreux morts dans les marais des Saulnières et la perte de la Dépendance de Peyguevan en Cassolmer, sous contrôle des Crânes depuis un demi-siècle.

II. COMTÉ DE SAPHIR

Créé par la volonté du Duc Scarletin de Fern à la suite de la reprise active des conflits avec Salvamer, le Comté de Saphir a été taillé de toutes pièces à l’intérieur des anciens territoires des Comtés des Saulnières et d’Émeraude. Offert à la famille Renault avec les promesses de pouvoirs équivalents à ceux dont jouissent les familles Sognarello et Lucini, le lien entre les nouveaux seigneurs et leurs terres remonte à beaucoup moins loin historiquement. C’est Isidore Renault dit le Chien de Mer, peu avant l’indépendance du duché, qui fut le premier de la lignée à obtenir les honneurs nobiliaires en se voyant nommé baron de la seigneurie d’Ocrebutte, qui, aujourd’hui est le lieu de siège du comté.

Bordant l’inquiétante Baie des Crânes, le Comté de Saphir est un mariage assez harmonieux entre la terre et la mer, où les marais salins des Saulnières fusionnent gracieusement avec les eaux chatoyantes de la Vaste-Mer. La région tire son nom de la magnifique teinte bleu-verte des eaux marines qui l’entourent, créant un paysage unique dans l’est du continent. C’est l’Amiral d’Ocrebutte, le Capitaine Philippe Renault, qui eut, en 382, l’honneur de porter le premier le titre de Comte de Saphir. En l’honneur de son frère Tristan d’Ambroise, qui avait été froidement exécuté par Salvamer, le nouveau seigneur adressa un vibrant discours à l’Assemblée réunie à Cornilles-sur-les-Crânes et confirma, par l’approbation populaire, son statut. C’était là l’un des symboles les plus clairs que les naissantes traditions baie-des-craniennes n’étaient pas vaines et éphémères.

-Géographie-

Le territoire de Saphir est une intéressante combinaison des divers éléments géographiques caractérisant le Duché des Crânes. Située entre les eaux vastemeroises et le Fleuve en Saulne, la majeure partie de la population du Comté de Saphir est installée dans les terres et assure l’approvisionnement des ambitions insatiables des capitaines de flotte. Cette populace est par ailleurs la plus diversifiée de tout le duché, des cueilleurs et cueilleuses de sel aux cultivateurs et cultivatrices conventionnels en passant par les bûcherons alimentant les chantiers navals de l’armada des Crânes.

Tout d’abord, à l’est de la côte se dresse l’île d’Ocrebutte, nommée en raison de la couleur de son sable tirant sur le rouge. Première parcelle de terre rencontrée par les voyageurs pénétrant dans la Baie des Crânes, Ocrebutte est souvent la première halte des navires de passage ou des flottes locales s’apprêtant à débuter leurs expéditions. Cette île, dont le donjon principal de sa forteresse joue aussi le rôle de phare pour les marins, est un havre de paix depuis plusieurs centaines d’années pour les navigateurs de haute mer. Sur celle-ci se tient le Poulpe Scintillant, une auberge où l’on retrouve moult services et qui sert de lieu de rencontre pour les marins de la Baie. Les pêcheurs ocrebuttois vivent de trois pêches importantes pour le continent. D’abord, la pêche aux homards y est quelque chose de très rentable. On le cuisine passionnément au Poulpe Scintillant et c’est un met recherché et raffiné pour les continentaux. Ensuite, l’aiglefin, pêché plus au nord dans les eaux près de Pyrae, est fort apprécié dans le village pêcheur. Enfin, Gilberto Rodrigo, renommé navigateur, tire des eaux à proximité un précieux hareng qui détient le fameux goût algué typique de la Baie des Crânes.

L’île d’Ocrebutte ne doit toutefois pas être confondue avec le bourg d’Ocrebutte, pour sa part situé sur le continent. Officiellement, les deux régions font partie de la baronnie d’Ocrebutte sous le contrôle de la famille Renault depuis des décennies désormais fief personnel de son Amiral Philippe Renault. Le bourg sert à la fois de relais de ravitaillement -par son port- pour les insulaires et de pied à terre pour les seigneurs locaux ayant besoin d’un site sécuritaire pour amarrer leurs navires et loger leurs équipages entre les traversées.

Le massif port de Bellafonte, second plus grand dans le duché après celui de la capitale, s’élance sur les eaux de la Baie. En dehors de son statut de halte de ravitaillement pour la Pieuvre rouge, Bellafonte est un hameau évité de la plupart des marins et voyageurs. Entre les chaumières décrépies au bardeau pourri et les entrepôts désertés, le visiteur se sentira constamment observé par des regards invisibles. Une odeur âcre de poisson flotte dans l’air en permanence, donnant l’impression que le peuple lui-même semble émerger des mers. Ancien fief du mystérieux et terrifiant Cornelius Felton, les légendes racontent que c’est dans ses eaux troubles qu’auraient nagé, il y a moins d’un siècle de cela, des créatures ténébreuses connues sous le nom de Capisthéons. Si Felton a abandonné ses terres il y a longtemps à bord du Léviathan, son gigantesque galion de guerre, les événements récents tendent à prouver que les légendes à son sujet étaient vraies. Effectivement, depuis 380, les apparitions de Capisthéons se sont multipliées au large des côtes et le Léviathan lui-même a été aperçu naviguant aux côtés de la flotte des Crânes. Dans les chaumières, on raconte à mots couverts que le Duc de Fern, dans sa soif de vengeance à l’endroit des assassins de son épouse Néréia, aurait pactisé avec le mal en personne.

Cornilles-sur-les-Crânes, ancienne forteresse restaurée à grands frais au début de la Guerre de l’Avènement par sa baronne Wendy Rosenberg en l’honneur de qui une statue fut érigée au coeur de la ville, se dresse sur les bords de la Baie des Crânes. C’est de là que le duc coordonne les activités marchandes et militaires du duché. Le port de Cornilles, au cours des dernières décennies, n’a cessé de prendre de l’ampleur, ses entrepôts regorgeant de marchandises uniques à la région. Des épices de la famille Sognarello des Saulnières au miel de Médérice de Peyguevan en passant par certains produits fort probablement importés illégalement de la Lance d’Ardar et d’Ardaros, les négociants savent débusquer dans les quais de la capitale régionale l’objet de leurs convoitises. On y observe surtout des navires cassolmerois et felbourgeois, mais aussi, et malgré l’état de guerre froide perdurant, de téméraires Avhorois et Salvamerois. C’est principalement en ces eaux, à l’ombre de la forteresse ducale, que mouille l’essentiel de la flotte de la Pieuvre rouge, prête à être déployée partout sur les mers de l’est. Depuis ses épais remparts et tours imposantes, on peut contempler loin à l’est les eaux étincelantes de la Vaste-Mer et les marais salins qui s’étendent à perte de vue à l’ouest, créant une vue spectaculaire qui enflamme l’imagination de tous ceux qui la contemplent.

-Histoire-

Fondé en 382 par décret du Duc Scarletin de Fern lors de l’Assemblée de Cornilles-sur-les-Crânes, le Comté de Saphir est une entité politique naissante dont l’histoire se fond dans celles de ses voisines. Pour plus de détails à ce sujet, veuillez consulter la Marche des Saulnières et le Comté d’Émeraude.

III. MARCHE DES SAULNIÈRES

Siège de la famille Sognarello, prospère commerçante d’épices et protectrice de la marche des Saulnières, Coeur-de-Sel et sa forteresse surveillent le Fleuve en Saulne au nord. Point tournant du commerce d’épices en Ébène, l’endroit contribue à la réputation de la flotte commerciale de la Pieuvre Rouge en lui fournissant ses contacts, ses talents et de nombreuses marchandises.

Comté profondément enclavé dans les marais salins des Saulnières, il est réputé pour les légendes de morts qui marchent et autres étrangetés du même type. Son peuple, versé dans l’art de la récolte du sel depuis des générations, est majoritairement issu d’anciennes lignées de paysans et travailleurs chevronnés portant autant les sangs des Mérillons que des Enfants d’Arianne. C’est présentement Lazare Ripois, Amiral de Coeur-de-Sel, qui occupe la Régence de la marche après avoir été un commandant déterminant lors des conflits récents. La précédente marquise, Livia Sognarello, ayant perdu la vie lors des affrontements contre les légions de la Ligue des Mérillons en 382, le trône de la marche demeure officiellement vacant à ce jour.

-Géographie-

Traversé d’une centaine de rivières se jetant dans le Fleuve en Saulne, le territoire de la marche des Saulnières longe l’affluent, dans les marais, et est bordé au sud par les Comtés des Milles-Barons, de Bois-Blanc et de Peyguevan. Faisant face à la Marche de Marmagne, au nord, l’endroit est l’un des lieux les plus litigieux dans le cadre du conflit qui oppose les Crânes à Salvamer. L’extraction de sel, à l’aide de marais salants tirant leur eau du fleuve à proximité, assure un revenu quotidien au petit peuple de la région. La ressource, une fois extraite, est directement envoyée dans les ateliers de salaison de Coeur-de-Sel et préserve les viandes et poissons nourrissant les corsaires et navigateurs de la Baie des Crânes.

Cela dit, contrairement à ses voisins du nord, la famille Sognarello a développé au cours des siècles une expertise en herboristerie lui permettant de cultiver certaines plantes prisées en tant qu’épices sur le continent. Ce sont les divers dérivés des piments, doux ou forts, qui font leur spécialité. De l’amer piment royal au doux piment commun en passant par le puissant et décapant piment Sognarello, ces légumes sont séchés et broyés afin de créer des poudres agrémentant les plus fades repas. Même en Salvar, officiellement en guerre froide contre le Duché des Crânes, ces produits sont subtilement importés et trouvent leur chemin jusque sur les tables des hauts seigneurs. Cette maîtrise des herbes et légumes des marais fut une bénédiction pour Coeur-de-Sel qui, sans ce commerce, aurait connu une misère profonde.

Le château de Coeur-de-Sel est la principale agglomération et place-forte de la marche et agit en tant que siège du pouvoir des Sognarello dans la région. Érigé au début du quatrième siècle en tant que forteresse et prison par une organisation pan-ébènoise de seigneurs soucieux de contrer la hausse de la criminalité dans le royaume, il s’agissait à l’origine d’un bastion protégeant une mine d’émeraudes scrupuleusement gardée secrète. Lorsque les filons souterrains s’épuisèrent, rendant difficile le financement et l’entretien de la forteresse la protégeant, le bastion devint purement et simplement le point de surveillance des frontières du nord. Au fil des querelles politiques entre Salvamer et Pyrae -Zeryab Nazem de Pyrae étant le principal financier de cette plate-forte- celle-ci fut officiellement cédée aux intérêts salvamerois. Située sur une île au milieu du Fleuve en Saulne, cette forteresse est désormais le centre de la nouvelle communauté de Coeur-de-Sel, déménagée sur place lors de la Guerre de l’Avènement. Profitant à la fois des marécages, des eaux du fleuve et de ses fortifications de pierre, Coeur-de-Sel est considérée comme l’une des communautés les mieux protégées des Crânes, voire du continent. Personne ne veut réellement se lancer dans une guerre sale, putride et sanglante dans cette région.

Si les récits parlant de créatures étranges rôdant dans les Saulnières sont tenaces autour de Coeur-de-Sel, elles font partie du quotidien des habitants des marais de Complaigne, au sud-ouest du territoire. Région modeste trouvant sa pitance, comme les autres, dans l’exportation du sel, ses habitants se trouvent à être d’hardis travailleurs qui vivent du commerce marin. Constituée de grandes étendues de marais, de mangroves et de champs de hautes herbes, on peut comprendre la réticence de certains voyageurs à l’explorer. Ceux qui osent s’y aventurer rapportent systématiquement avoir observé une épaisse brume s’élevant des eaux stagnantes au petit matin, emportant avec elle des ombres et apparitions indistinctes.

-Histoire-

Considérées comme l’arrière-cours de Salvar, les Saulnières furent de tout temps dédaignées des illustres dirigeants de Salvamer. Jusqu’au début du quatrième siècle, les marécages ne retenaient l’attention que pour deux raisons : les exploitations de sel et les légendes récurrentes de créatures mortes-vivantes rôdant dans ses bayous. Sa petite-noblesse, méprisée et tenue à l’écart des hauts conseils du palatinat, se contentait de ses nauséabonds manoirs et de ses gueux sans éducation. Or, en 314, le destin des Saulnières changea du tout au tout lorsqu’une apprentie de Rozella et fille de baron fit la découverte d’un ancien document familial. Cette demoiselle, c’était Isadora Aerann, future reine d’Ébène.

Dans les archives de l’Académie Rozella, la Felbourgeoise exhuma un vieux manuscrit confirmant que, bien avant le Sang’Noir, la famille Merizzoli possédait une mine d’émeraudes en plein coeur des marais. Confrontée à des émanations de gaz toxiques dans les entrailles de l’exploitation, les orfèvres l’abandonnèrent, ce qui eut pour effet de la faire disparaître de l’Histoire. Par un jeu de négociation, ce fut Zeryab Nazem de Pyrae qui acheta cette information à Isadora et élit de prendre possession de la région où devait théoriquement se situer la mine. Il approcha le baron salvamerois de l’endroit, un dénommé Alphonzo Titto, et lui promit mer et monde en échange d’un mariage avec sa protégée, Tali Belkassem, et de la cession de ses terres. Ignorant tout des richesses dissimulées sous son fief, Titto accepta et déménagea à Pyrae la cité où il vécut dans une opulence crasse. Après avoir restauré en catimini l’exploitation minière, la famille Nazem régla les problèmes d’émanations toxiques dans les souterrains et redémarra l’extraction d’émeraudes. Afin de dissimuler ses opérations et s’éviter les foudres des seigneurs salvamerois, Zeryab fit ériger autour de la mine une forteresse et un complexe pénitentiaire servant de quartiers généraux à la guilde politique du Noble Cercle. Pendant des années, les émeraudes des Saulnières remplirent discrètement les coffres des Nazem, leur permettant de se hisser jusqu’au sommet du pouvoir politique pyréen.

Près de là, ignorant tout des opérations se déroulant dans les quartiers du Noble Cercle, le hameau commercial de Coeur-de-Sel tira grandement profit de la présence des subordonnés et soldats étrangers. C’est un certain Osvaldo Sognarello, bailli du village, qui gérait les lieux à ce moment et parvint à en faire un intermédiaire commercial entre Salvamer et les Pyréens. Pendant plusieurs années, il développa le commerce local, allant même jusqu’à faire naître une industrie liée à la production d’épices uniques aux Saulnières en supplément des exploitations des marais salants de la région.

En 316, à l’aube de la Guerre des deux Couronnes, Osvaldo, déjà fort âgé, s’éteint, cédant sa place à son fils Carmelo Sognarello. Confiant et plein de volonté, il s’aligna sur les positions politiques pyréennes et prit la décision d’appuyer le camp des Désirants et de la princesse Isabelle Delorme, le tout malgré les conseils de Roselyne et Rosa, sa mère et la plus vieille de ses deux sœurs. Il prêta plusieurs troupes de volontaires recrutées un peu partout dans les marais à l’effort de guerre des Désirants, camouflant comme il le pouvait l’origine de celles-ci. Effectivement, le seigneur-palatin salvamerois avait pour sa part pris le parti du prince Élémas IV et il relevait de la félonie que d’aller à l’encontre de ses volontés. Néanmoins, à la suite d’interceptions successives de plusieurs informateurs, les hauts seigneurs finirent par découvrir l’implication de la famille dans l’autre front de la guerre. Lorenzo Acciaro vint personnellement conduire le procès du bailli de Coeur-de-Sel. Dans un discours qui rappelait les plus grands lecteurs du Haut Pilier, il condamna la famille Sognarello à abandonner tout titre dans la région. Carmelo fut exécuté et, pour la peine, Lorenzo proposa un mariage entre sa jeune fille Julia Sognarello -l’aînée et la plus sujette à hériter- et Ernesto Sonta, un jeune noble militaire de la cours de Salvar, afin de raffermir son contrôle sur les marais et déstabiliser les Sognarello. Ce fut le plus jeune frère, Joachim Sognarello qui prit la tête de la famille, dépossédé de son autorité et surveillé de près par les Sonta. Joachim était déjà marié et voulait plus que tout vivre une vie de marin en mer, mais il se trouvait paralysé dans les marécages.

Après la Guerre des deux Couronnes, Ernesto Sonta, voyageant entre Salvar et Coeur-de-Sel, remarqua les étranges convois qui entraient et sortaient de la forteresse du Noble Cercle dans les Saulnières. Promptement, il fit mener des enquêtes et, sans difficulté, il découvrit l’existence de la mine d’émeraudes. Lorsque le palatin Acciaro prit note du rapport, il céda à une colère noire. Non seulement le désormais comte-protecteur de Pyrae volait le territoire salvamerois, mais il le dépouillait de ses trésors. Acciaro somma alors Joachim de prendre action contre le Noble Cercle afin de regagner son statut, voire même d’être élevé au titre de baron. Toutefois, l’économie de Coeur-de-Sel étant étroitement dépendante de ces installations et Joachim étant déjà dépassé par les événements, le jeune homme décida de tout abandonner. Il avait déjà deux enfants avec une femme et souhaitait s’installer en homme heureux en d’autres lieux. On lui fit alors une proposition qu’il ne pouvait refuser : Ladislao Anghiari, comte de Villeroc à l’époque, allait prendre en charge les demandes d’Acciaro en échange du territoire, lui permettant ainsi d’étendre son empire jusqu’à cette ville des Saulnières. C’est à ce compte qu’il laissa l’endroit au dénommé Amédéo Anghiari tandis que Joachim disparaissait en mer, mettant fin temporairement aux prétentions des Sognarello dans la région.

Forcés de quitter leurs terres natales, les Sognarello finirent leur errance dans les bas quartiers de Salvar, à Lagune-sur-Mer. Hébergés dans une auberge du nom de “La Belle Lamproie”, ceux-ci firent la connaissance d’un généreux parrain, Federico Cicero, qui les mit en contact avec le capitaine Isidore Renault. Les événements se précipitèrent alors. Amédéo Anghiari se complaisant dans l’inactivité et refusant à son tour de s’en prendre à la forteresse du Noble Cercle, ce furent les armées des Émeraudes qui attaquèrent la place-forte. Après de violents combats où tous les coups étaient permis, les corsaires de la baie des Crânes, auxquels se joignirent les guerriers Sognarello menés par une dénommée Agnès, expulsèrent les Pyréens menés par Vahya Lazhiri de leur bastion, redonnant l’entier contrôle de la région aux Salvamerois.

Après les combats, Carolyn Lucini, comtesse d’Émeraude, hésita à remettre le contrôle de Coeur-de-Sel à Agnès Sognarello. Ne connaissant que peu la demoiselle, elle préféra accorder les terres à Isidore Renault le temps que la jeune femme se fasse un nom. Jusqu’en 323, Renault, considérant la demoiselle Sognarello comme sa propre fille, effectua des recherches généalogiques intensives afin de remonter la lignée de la famille des Saulnières. Le capitaine avait l’intuition que les Sognarello, étrangement influents dans les marais, possédaient une histoire cachée. Cette intuition s’avéra juste car, peu après le déclenchement de la Guerre de l’Avènement, des documents oubliés dans les voûtes de Salvar révélèrent que les ancêtres Sognarello n’étaient nul autre que les comtes légitimes des Saulnières avant le Sang’Noir. Fort de ces preuves, Renault prit les dispositions nécessaires afin de céder à sa protégée Coeur-de-Sel et les marais, restaurant l’antique pouvoir de la famille déchue. Un an plus tard, la comtesse Agnès prenait pour époux l’ancien chambellan du palais d’Yr, Rupert Ripois, confirmant son statut de grande dame du royaume.

En 331, les combats entre la Ligue des Mérillons et le Duché des Crânes menèrent à la perte de Coeur-de-Sel, puis à sa reconquête grâce au support de Fel. Dès lors, Agnès acquit le titre de “Marquise des Saulnières” et protectrice de Coeur-de-Sel. Son modeste hameau, ravagé par les affrontements, fut reconstruit au pied des murailles de l’ancienne forteresse du Noble Cercle de sorte que la femme puisse désormais surveiller les mouvements de l’ennemi au nord du Fleuve en Saulne. Sur le plan familial, il fut convenu entre Rupert et Agnes que les filles de la lignée porteraient le nom de Sognarello et que les garçons porteraient celui de Ripois. Trois enfants émergèrent de cette union, Livia et Antonine Sognarello, et Lazare Ripois, qui, tous trois, devinrent des membres influents et du Duché des Crânes et de sa flotte. En 346, après la fin de la guerre, Livia fut mariée à Prospero Cicero, un jeune corsaire prometteur, fils de Federico. Les deux familles, alliées contre les menaces aux Saulnières, allaient maintenant être liées par le mariage de leurs enfants.

En 357, Livia succéda à sa mère, décédée d’une pneumonie dans ses appartements de Coeur-de-Sel. Il lui incomba alors de poursuivre la protection de la marche. Effectivement, jamais la Ligue des Mérillons, au nord, et le Duché des Crânes, au sud, ne conclurent de traité de paix. Pendant plusieurs décennies, seules quelques escarmouches devaient troubler la Paix du Monarque dans la région, Salvamerois comme capitaines des Crânes ne souhaitant guère s’aliéner les bonnes grâces du tout-puissant souverain d’Yr. Toutefois, la succession d’événements tragiques -exécution de la Duchesse Néréia, contre-offensive navale des Crânes, infiltration de forces salvameroises, etc.- mena en 381 à un nouvel embrasement du conflit. Les Saulnières devaient être au centre des combats dans ce second épisode de cette guerre éternelle.

Face à la protectrice Sognarello de Coeur-de-Sel se tenait la Marquise de Marmagne, Floriana Brezra. Largement financée par la Ligue de Mérillons et ruminant depuis nombre d’années la reconquête du territoire qu’elle estimait lui revenir de droit, Brezra fut à la tête de l’assaut sur les marais. À cette occasion et pour la première fois de sa carrière militaire, la marquise Brezra fut nommée stratège en chef de la reconquête des Saulnières. Ayant à sa disposition des milliers de soldats avhorois et salvamerois et maîtrisant à la perfection la géographie périlleuse des marais, elle fut à la principale responsable des victoires initiales fulgurantes des alliés sur leurs adversaires de Coeur-de-Sel. Le Duc de Fern, davantage préoccupé par la sécurité des eaux de la Baie des Crânes, n’avait répondu que faiblement à l’appel de renforts terrestres de sa vassale de sorte que, malgré ses positions stratégiquement supérieures, la Marquise ne put résister à l’offensive ennemie. La dame, refusant de quitter son peuple et son domaine en compagnie des armées se repliant, fut elle-même faite prisonnière par les Salvamerois et condamnée à assister impuissante au développement du conflit.

Pour les assaillants, cette victoire ne devait être que de courte durée. Tandis que les combattants, confiants de leur position à Coeur-de-Sel, entreprenaient de conquérir le reste des marais vers le sud, un ennemi inattendu fit son apparition. Confirmant les rumeurs d’alliance, des contingents d’Éternels et de Kohurus -de redoutables assassins- arborant la bannière du kraken enflammé ardarosien des Disciples de Mura’Ahi se greffèrent aux renforts envoyés par les Crânes. En quelques semaines, les hérétiques reprirent le territoire perdu et forcèrent l’avant-garde à abandonner Coeur-de-Sel. La puissante cavalerie des Acrobates des Ronces, fine fleur de la chevalerie montée avhoroise, se trouva isolée par l’ennemi au sud des frontières. Forcée de mettre pied à terre dans les marais, elle fut encerclée par les assassins ardarosiens qui, pendant plusieurs jours, s’amusèrent à la traquer et la saigner. C’est décimée et au compte-goutte qu’elle regagna finalement la Marche de Marmagne deux semaines plus tard. Enragée, la marquise Brezra ordonna personnellement au printemps 382 l’exécution de la marquise de Coeur-de-Sel, Livia Sognarello, avant que ses armées ne battent en retraite et n’abandonnent les territoires des Crânes dans les Saulnières. Sognarello, à qui le Symposium des Justes avait pourtant réservé un emprisonnement confortable au lendemain de sa capture, fut alors sauvagement écorchée vivante par les Chasseurs des frontières avant d’être clouée, sa chair et ses organes exposés, sur les portes de son fortin. Cet acte brutal et hors des conventions nobiliaires -même en temps de guerre- fut unanimement condamné par les représentants du Duché des Crânes. De Salvar, la marquise Brezra ne reçut qu’une faible réprimande qu’elle ignora publiquement. Depuis, la cour de Marmagne prépare sa contre-attaque afin de reprendre le territoire qui lui fut volé par les hérétiques et les conspirateurs.

Quelques semaines plus tard, le Duc Scarletin de Fern présenta Lazare Ripois comme régent des Saulnières pour la période de la guerre et de la reconstruction de Coeur-de-Sel lors de l’Assemblée des Crânes à Cornilles-sur-les-Crânes.

IV. COMTÉ D'ÉMERAUDE

Grenier du duché, le Comté d’Émeraude s’étend sur la rive septentrionale de la Lagune-d’Émeraude, reflet quasi-parfait, mais à la destinée diamétralement opposée, des comtés du nord de Salvar. Coeur incontesté du comté qui fut établi par la famille Lucini il y a de cela plusieurs centaines d’années, la ville que l’on nomme “L’Émeraude” s’est développée avec l’indépendance du Duché des Crânes lors du quatrième siècle et est devenue une plaque tournante du commerce international sur la côte est. Étant d’abord vue comme une compétitrice pour Salvar, la cité accueillait la Maison-mère de la Flotte de la Pieuvre Rouge, ce qui lui assurait une forte présence militaire et commerciale, en plus d’être d’un point d’observation idéal des activités de l’Escroix salvameroise. Aujourd’hui, ce positionnement contribue à faire de L’Émeraude une terre propice aux rencontres diplomatiques et à la recherche sur la Vaste-Mer.

C’est Georges Lucini, premier fils de Cassandre et petit-fils de la fondatrice du Duché des Crânes Carolyn Lucini, qui porte le titre de Comte d’Émeraude depuis 379. Le comté étant un rouage primordial de l’économie du Duché, il est plus souvent qu’autrement sur le pied de guerre en réaction aux mouvements des forces de Salvar mouillant à quelques heures à peine de ses eaux.

-Géographie-

Située à l’est du continent, au nord de Cassel et au sud de Salvar, la Baie des Crânes est une étendue d’eau qui a su inspirer les pires légendes, et ce depuis très longtemps. Entièrement tourné vers la mer, le Comté d’Émeraude est un élément fondateur des traditions ducales et est intimement relié à l’arrivée des Mérillons sur le continent. Cette région pittoresque est l’épine dorsale agricole du duché, fournissant une abondance de céréales et de produits cultivés qui alimentent non seulement ses propres villes, mais également les cités frontalières maritimes. Juste au nord des marais, des champs de céréales variées s’étendent en vagues ondulantes sous le doux soleil vastemerois. Les champs de maïs et de blé sont bercés par les brises de la mer, donnant à toutes les cultures du coin leur propre signature. Les rangées ordonnées de vignes grimpantes serpentent entre les cultures, promettant une récolte abondante de raisins pour la production de vins typiques du sud de la région. Dans les campagnes, les villages agricoles aux maisons de pierre chaleureuses et aux toits de tuiles rouges rappellent bien la proximité de Cassolmer. Ces communautés sont peuplées de travailleurs acharnés qui veillent jalousement sur leurs récoltes. Ils sont fiers de leurs traditions agricoles, qui, de surcroît, se voient bonifiées par la direction résolument commerciale que prend le Duché.

Cependant, c’est dans la ville de L’Émeraude, siège du pouvoir de Georges Lucini, que se déroulent la plupart des activités politiques du comté. Depuis l’indépendance des Crânes il y a quelque cinquante ans de cela, L’Émeraude fut au coeur des préoccupations militaires stratégiques des seigneurs. Trop près des territoires salvamerois pour accueillir le gros de l’armada de la Pieuvre Rouge, elle devait néanmoins être protégée à tout prix. Si la ville devait tomber aux mains de l’Escroix, bientôt la Baie des Crânes toute entière succomberait. Ainsi, autant sur terre que sur mer, des fortifications de pierre tenant en respect n’importe quelle artillerie contemporaine furent élevées de sorte que la cité elle-même devint une vaste forteresse conçue pour résister en un seul bloc aux éventuels sièges. Les Lucini, refusant de vivre dans la paranoïa perpétuelle, firent alors le choix de se contenter d’une simple villa trônant au coeur des hauts quartiers. Plutôt que de se terrer dans un château, ils vivraient parmi les leurs, combattraient parmi les leurs et, si nécessaire, périraient parmi les leurs.

Au fil du temps, la sécurité de L’Émeraude et le tempérament libertaire de son peuple ont attiré nombre de marchands, académiciens et explorateurs en quête d’un havre de paix. Ironiquement, la cité imaginée pour résister aux flammes de la guerre était perçue comme un terreau de liberté et d’ouverture sur le monde. La Banque libre d’Ébène y installa d’abord une filiale après la Guerre de l’Avènement. Plus récemment, une ambassade de la Lance d’Ardar -la première en Ébène après la sainte guerre de 380- y vit le jour, rejointe peu après par un domaine consacré aux Disciples de Mura’Ahi. Enfin, en 383, un campus autorisé par l’Académie Rozella et dédié aux recherches historiques, naturelles et politiques sur la Vaste-Mer y vit le jour à l’initiative de l’équipage du navire du Zodiaque. Celui-ci joue depuis le rôle de point de rencontre officieux entre les émissaires, religieux et savants d’Ardaros, de même que salon philosophique et scientifique sur les affaires de l’est.

Finalement, sous le leadership de l’ancienne gouverneure de Peyguevan Pénéloppe d’Ambroise, qui en est la Grande Amirale depuis la perte de la dépendance, la flotte commerciale de la Pieuvre Rouge a pris sa place dans les environs commerciaux déjà très occupés de la Vaste-Mer et de l’est du continent, et initialement à partir de L’Émeraude. L’entreprise étant propriété du duché, c’est l’Assemblée des Crânes qui en nomine sa Grande Amirale. Si tous les bateaux du duché peuvent à un point ou à un autre avoir appartenu à la flotte, les Tentacules sont des navires spécifiquement créés pour celle-ci et transigeant en haute mer. C’est autour de leurs déplacements que les autres bâtiments, plus militaires, sont organisés. Entretenant des liens avec une pluralité d’acteurs vastemerois, ils sont les spécialistes du transport à haut risque et assurent aussi une grande discrétion pour clients et clientes. Le ravitaillement de la colonie de Fort-Saphir, en Ascandia, est officiellement de leur responsabilité.

Possédant plusieurs pieds à terre -dont son quartier administratif à L’Émeraude- la flotte offre des services financiers ainsi que plusieurs types de contrats pour les marins en tous genres. Elle tient aussi plusieurs auberges sur la côte est du continent :

  • Le Poulpe Scintillant (Île d’Ocrebutte)
  • La Belle Lamproie (Basse ville de Salvar)
  • La Seiche Humide (Cassel)
  • L’Encornet Écorné (Coeur-de-Sel)
  • Le Calamar Coquet (L’Émeraude)
  • Le Dernier Chipiron (Île de Marbelos)
  • La Tortue Taquine (Py’Raï)
  • La Méduse Musicale (Îles d’Elfeand)

-Histoire-

En l’an 22 de notre époque, la guilde commerciale de l’Assemblée des Mérillons fut fondée par Horacio le Flamboyant, influent marchand et marin de Salvamer. Se targuant de respecter la volonté de ses camarades capitaines de navires, Horacio déclara ouvertement la guerre aux marchands renégats orientaux qui refusaient l’autorité de la nouvelle guilde. Parmi ces rebelles commerçants, certains luttèrent farouchement afin de défendre leurs droits acquis au fil des années tandis que d’autres décidèrent de voguer vers le Sud pour échapper à la réglementation des palatinats d’Avhor et de Salvamer. Au début de la quatrième décennie, c’étaient une dizaine de caravelles qui jetaient ainsi l’ancre au large des côtes de Cassolmer afin de fuir les combats.

La flotte de l’Assemblée des Mérillons tenta pendant plusieurs années d’écraser ces quelques rebelles à leur cause. Horacio, ne pouvant gérer les affrontements à partir de Salvar, fonda le port de Cormilles afin d’accueillir ses navires. Toutefois, les innombrables récifs mortels qui ponctuent la Vaste-Mer à proximité de Cassolmer offraient aux renégats une chance de survie et, surtout, une échappatoire au triste sort de leurs confrères du Nord. Au pied des falaises du palatinat défavorisé, les capitaines des boutres marchands s’emparèrent des écores naturelles formées par les vagues déferlantes de la Vaste-Mer et y établirent leurs quartiers généraux. Ne pouvant rivaliser avec l’influence commerciale des Mérillons, les capitaines rebelles décidèrent de faire fortune grâce aux affaires illicites et immorales. Après tout, jamais la demande en produits rares et illégaux n’allait cesser de croître et quelqu’un, en dehors des compagnies marchandes officielles, allait devoir satisfaire les besoins de la populace et des seigneurs. Pendant près de deux siècles, ceux qui allaient devenir les Contrebandiers des Écores gagnèrent lentement en importance et en moyens. La dizaine de navires devint une vingtaine, puis une cinquantaine. Chaque semaine de chaque saison, au moins une caravelle amarrait dans l’un des havres clandestins des falaises de Cassolmer pour y débarquer de précieuses cargaisons en provenance d’Ardaros, du Vinderrhin ou du Silud. Chaque mois, de nouveaux récits de batailles maritimes entre des combattants des Écores et des voyageurs des Mérillons étaient chantés dans les tavernes ébénoises. Inévitablement, l’influence de ces marins s’ancra profondément dans la culture du Sud-Est du royaume. Par de généreux dons en ducats aux paysans et pêcheurs, les receleurs s’assuraient que personne ne remette en question leurs activités ou ne dévoile les accès secrets menant à leurs quartiers généraux. En raison de cette puissance indéniable, ceux qui se disaient Marchands libres furent qualifiés par beaucoup de “contrebandiers” et de “pirates”. À force de blessés, de morts et de noyés, la baie dans laquelle ces capitaines oeuvraient pris le nom de “Baie des Crânes”.

Face à ces criminels sans foi ni loi, les successeurs de l’amiral Horacio durent adapter leurs techniques de traque. Aux pirates financés par l’argent de la clandestinité, les seigneurs de Cornilles-sur-les-Crânes et des environs opposèrent des corsaires engagés spécialement par l’Assemblée des Mérillons et Salvar. Parfois, un même capitaine pouvait servir les Écores au printemps, puis se faire corsaire officiel à l’automne. Au final, ces luttes n’étaient que des questions d’argent et de profit. Afin de s’assurer de la loyauté de ses engagés, la famille Acciaro de Salvar, sous les conseils des amiraux des Mérillons, décida d’officialiser le statut de Cornilles-sur-les-Crânes en faisant pleuvoir les titres. Ainsi furent créés en l’an 189 de l’ère royale le comté d’Émeraude et les baronnies de Cornilles-sur-les-Crânes, Corantine, Ocrebutte, Cuore Verde et Bellafonte. Cependant, contrairement aux traditions féodales du nord, les titres des seigneurs et dames d’Émeraude ne se transmettaient pas par le sang : à chaque génération, les barons et comtes devaient prouver leur valeur aux côtés des flottes salvameroises.

Cette politique eut des effets inattendus sur le tempérament des élites du comté. Estimant que tous les moyens étaient bons pour en arriver à leurs fins, ils en vinrent à célébrer les exploits de capitaines aux exploits controversés et aux fréquentations controversées. Afin de combattre les contrebandiers, les guerriers d’Émeraude en vinrent eux-mêmes à fricotter avec les techniques propres à ces brigands des mers. À chaque génération, un fossé idéologique se creusa entre l’élite aristocratique de Salvar et les rudes traqueurs du sud. C’est finalement au quatrième siècle que la scission définitive eut lieu.

En 321, pour l’une des premières fois de la région, les capitaines d’une seule et unique flotte marchande et guerrière monopolisèrent l’entièreté des fiefs et titres d’Émeraude. Les navigateurs de la Pieuvre rouge, corsaires au service du pouvoir de Salvar depuis des décennies, obtinrent le privilège, face à la montée en puissance sur la Vaste-Mer de la nouvelle organisation terroriste de l’Ordre, de coordonner la protection de la Baie des Crânes. Sous la comtesse Carolyn Lucini, plusieurs personnages illustres se firent un nom : Isidore Renault, Cornelius Felton, Wendy Rosenberg, Agnès Sognarello, Iris Abisso, Brigitte et Tristan Dubois, etc. Ironiquement, plusieurs de ceux-ci devaient plus tard devenir des ennemis publics du royaume, mais c’est là une autre histoire.

Pendant deux ans, la Pieuvre rouge augmenta son influence sur la Vaste-Mer, allant jusqu’à étendre ses tentacules dans les Saulnières et dans le nord de Cassolmer. Cependant, en 323, il lui parut évident que l’ennemi mortel des Salvamerois, une organisation criminelle et terroriste du nom de l’Ordre, s’était infiltré dans le palais de Salvar lui-même. Plusieurs seigneurs et dames du nord de Salvamer et d’Avhor prouvaient par leurs actes qu’ils obéissaient aux préceptes de cette faction et, pour la comtesse Lucini, c’était là une situation inacceptable. Le seigneur-palatin Lorenzo Acciaro fut donc acculé au pied du mur, devant choisir entre des corsaires aux méthodes “flexibles” et ses vassaux fidèles à l’Ordre. Loyal à l’extrême envers la Couronne d’Yr et à son code d’honneur, il repoussa les deux factions à la fois. Cela devait le mener, quelques mois plus tard, à son renversement au profit de sa fille Ezzra Acciaro. Un Symposium des Justes fut alors formé par les seigneurs du nord.

Pour les capitaines d’Émeraude, ce Symposium n’était qu’une vulgaire blague. Plutôt que de se rallier à lui, ils firent officiellement sécession de Salvamer et fondèrent le Duché des Crânes. Peu après, ne pouvant faire face seuls au nouvel ennemi de Salvar, lui-même allié à Avhor, ni aux Monarchistes du Guérisseur couronné qu’ils refusaient aussi de suivre, les seigneurs du duché conclurent un pacte avec le Duché de Fel et les Plaines libres du Sarrenhor, de même qu’une trêve avec les Gwenfrynn de Cassel. Grâce à une flotte redoutable et, selon les rumeurs, le support de forces surnaturelles, le duché réussit à tenir à l’écart ses ennemis pendant une dizaine d’années. Or, en 331, après avoir pillé l’un des plus précieux galions de la Ligue des Mérillons, le duché subit les foudres concertées de ses adversaires. Wendy Rosenberg, alors intendante et baronne de Cornilles-sur-les-Crânes, fut elle-même capturée et exécutée comme une vulgaire brigande. Ce ne fut qu’avec le soutien des légions de Fel, ayant traversé le royaume en entier, qu’il put repousser les ennemis du nord en leurs terres.

Après la Guerre de l’Avènement, jamais Salvar et la Ligue des Mérillons n’acceptèrent de conclure une paix avec le duché des Crânes. Selon les dires des représentants du Symposium, les seigneurs du sud n’étaient que des rebelles sans légitimité occupant un territoire résolument salvamerois. Cela n’empêcha pas la duchesse Carolyn Lucini, vieillissante, de se pencher sur la question de la prospérité économique de ses terres. La flotte s’étant enrichie grassement lors de pillages en mer et ayant, contre tous les ordres de la Marine des Mérillons, poursuivi ses relations avec la Lance d’Ardar, elle disposait des coudées franches pour faire contrepoids à l’hégémonie commerciale du nord sur la Vaste-Mer. De plus, avec Agnes Sognarello, comtesse des Saulnières, mariée à monsieur Rupert Ripois d’Yr, le duché profitait d’un certain rayonnement politique dans le nouveau royaume. Forte de ses alliances avec Fel, Lucini obtint audience devant le Monarque et lui fit accepter le maintien du duché. Cependant, si la duchesse conservait le contrôle de son territoire, elle devait en échange mettre à la disposition des armées royales une flottille -la Pieuvre rouge- et accepter l’hégémonie totale du trône d’Yr sur ses propres vassaux.

Cependant, Lucini fit rapidement face aux écarts de conduite de plusieurs de ses vassaux. Cornelius Felton et Brigitte Dubois, officiellement reconnus par les enquêtes royales comme des adorateurs d’un dieu hérétique du nom de “Hors”, quittèrent les rivages d’Ébène et gagnèrent l’île de Marbelos, loin au sud-est. Iris Abisso, suivant les doctrines de Ferval Aerann, fut pourchassée et brûlée sur le bûcher par l’Inquisition Céleste aux côtés d’Ananké Ivarsson. Isidore Renault, près de certains cercles moins recommandables de la Vaste-Mer, disparut sans laisser de traces quelques années après la Guerre de l’Avènement. Carolyn Lucini elle-même, rongée par l’alcool et l’air humide de Cornilles-sur-les-Crânes, décéda en 351. En quelques années à peine, une nouvelle génération de seigneurs et dames dut prendre le flambeau du duché. Lui succéda alors Scarletin de Fern, fils de l’ancien comte-protecteur de Laure Enguerrand de Fern et de l’aristocrate Madame Scarlett. À sa majorité, en plein milieu de la Guerre de l’Avènement, il devint rapidement capitaine sous les recommandations de Carolyn Lucini. Au décès de la femme, Philippe Renault, fils d’Isidore, proposa le jeune homme comme successeur et, à la surprise générale, tous acceptèrent. Fougueux, stratège et brillant, Scarletin savait se faire apprécier des siens (et craindre de ses ennemis), même s’il n’eut jamais de femme ou d’enfants. Ou du moins, pas avant un âge avancé.

En 371, après les multiples propositions de mariage entre le duché des Crânes et le duché de Fel, il fut convenu qu’une démonstration politique était de mise. C’est symboliquement que Scarletine de Fern, soeur de Scarletin âgée de plus de 50 ans, maria le jeune Friedrich Aerann, duc de Fel. Bien qu’elle mourut seulement six ans plus tard, elle reçut des funérailles nationales à Fel et à Cornilles-sur-les-Crânes. Son rôle avait été entier et une nouvelle alliance entre les deux duchés, acoquinés pendant la guerre, avait été scellée. Le décès de cette dernière vint toutefois créer un doute sur l’alliance, rendant précaires les relations entre les deux ducs incarnant l’esprit même de leurs territoires.

L’alliance avec Fel, la détente guerrière avec Salvamer et Avhor et la Paix du Monarque permirent l’accroissement de la flotte de la Pieuvre Rouge. Jusqu’alors un simple regroupement de corsaires et de capitaines aux intérêts fluctuants, elle devint une véritable flotte commerciale incontournable sur toute la côte est. Les forces de Scarletin de Fern, d’Alfredo Zocchi et de Pénélope d’Ambroise réunies n’avaient jamais connu de limites au niveau économique. C’est sous leur influence que les réseaux commerciaux de l’organisation connurent leur apogée en 380. Les capitaines ne soupçonnaient toutefois pas à ce moment que l’une de leurs précieuses marchandises allait un jour prochain provoquer une nouvelle explosion des hostilités sur la côte est.

Au printemps 380, le Duc de Fern annonça à sa cour sa volonté d’aller quérir sur la lointaine et hérétique île de Marbelos un “cadeau” lui étant dû par un partenaire de longue date. Ce fut le capitaine Philippe Renault qui répondit à l’appel et, à bord du Fantôme des Brumes et en compagnie de courtisans yriotes, il se rendit sur place pour réclamer la dette de son seigneur. Lorsque la délégation revint, elle transportait à son bord une demoiselle à la peau de lait, aux cheveux de jais et aux yeux pairs. Néréia, comme elle se surnommait, était l’offrande du vieux partenaire du duc et était destinée à se mettre à son service en tant que conseillère. Rapidement, Scarletin de Fern qui n’avait jamais pris épouse s’enticha de la nouvelle-venue et, avant la fin de la l’année, la prit pour femme. Pour la première fois de son existence, le duc reclus semblait chérir profondément un autre être vivant.

En 381, des explorateurs salvamerois à la recherche du mystérieux continent d’Ascandia vinrent quérir l’aide du Duc de Fern dans leur aventure. Devant sillonner les eaux de Marbelos pour arriver à destination, les Salvamerois ne pouvaient se priver des conseils et contacts des Crânes. Le seigneur, passionné par les affaires occultes, accepta vivement le partenariat et envoya Néréia, elle-même originaire de Marbelos, comme conseillère et représentante. Or, l’apparence et les propos cryptiques de la dame troublèrent les équipages étrangers et, quelques semaines plus tard, une force inquisitoriale assistée de soldats de Salvamer assassinaient sa garde personnelle et la capturaient avec son garde du corps, le capitaine Tristan d’Ambroise. Avant même que la Cité d’Yr ou les Crânes ne puissent réagir, Néréia et d’Ambroise étaient traînés sans procès vers un fief près de Hurlemer et condamnés au bûcher pour hérésie. L’Inquisition d’Yr, assistée des Salvamerois, alla jusqu’à pousser l’audace de mener une cohorte judiciaire sur les terres du duché au nom de la Reine Adrianna, mais celle-ci fut brutalement repoussée par le duc en personne à Cornille-sur-les-Crânes.

La réplique du duc endeuillé et enragé ne se fit pas attendre. Au printemps, la 3e Division de l’Escroix de Salvar et son amirale Shoshanna Verdi furent piégées au large de la Vaste-Mer par l’armada des Crânes. Selon les rumeurs, les frégates vengeresses naviguaient dans une épaisse brume nocturne, accompagnée du légendaire et sinistre Léviathan -navire de Cornelius Felton- et de créatures serpentines ténébreuses. Quoi qu’il en soit, le coup infligé par la flotte ducale, aussi lourd fut-il, n’était que le premier : Scarletin de Fern ne s’arrêterait que le jour où Salvar et les assassins de son épouse brûleraient. Conscients du danger mortel que représentaient les forces des Crânes sur mer, la Ligue des Mérillons opta pour mener les combats sur la terre ferme. Coeur-de-Sel fut alors perdu, mais, grâce à des rapprochements militaires avec une nouvelle organisation militaire ardarosienne -les Disciples de Mura’Ahi- les Saulnières purent être reprises. Tel ne fut toutefois pas le cas de la Dépendance de Peyguevan qui fut officiellement cédée à l’ennemi, puis à Cassolmer. Ces tragédies imposaient un urgent conseil de guerre. Même si, par ce conseil, le haut seigneur mettait plusieurs fronts en péril par la convocation de tacticiens importants, il se devait d’obtenir l’aval des siens dans la réforme du duché.

D’abord, le Duc de Fern proposa la création du Comté de Saphir et son attribution à la famille Renault. Ses membres, depuis plusieurs décennies, étaient demeurés des éléments forts pour la flotte de la Pieuvre Rouge. Tout comme leurs parents d’Ambroise, ceux-ci méritaient, selon le duc, d’obtenir des pouvoirs à la hauteur de leurs responsabilités. Dans un second temps, il proposa que les titres de “Capitaine” du Duché soient libellés “Amiraux”. Effectivement, avec l’ampleur de la flotte et la multitude de Capitaines de navires, il devenait impératif de démarquer les officiers du Duché de leurs autres camarades. D’ailleurs, il proposa que le titre de Capitaine fusse lui aussi recensé et ajouté comme titre honorifique aux femmes et aux hommes le portant.

Enfin, il prononça un discours qui devait faire vibrer la flotte en entier. Orateur hors pair et détenteur d’un flair politique indiscutable, il sut allier les évènements en cours aux moments de liberté qu’avaient pu vivre tous et chacun depuis les dernières années. Vantant les mérites des femmes et des hommes libres des Crânes et sous les applaudissements du peuple en présence, il officialisa la nomination des Amiraux et confirma les trois suzerains d’ascendance noble, Georges Lucini pour le Comté de l’Émeraude, Philippe Renault pour le Comté de Saphir et le Régent Lazare Ripois, qui, bien que n’occupant pas le titre de Marquis, allait être placé à la Régence pour le temps de la guerre. Par la devise du duché, il conclut : “Prospérité et Liberté”. La guerre perdurerait, mais les Crânes demeureraient unis et déterminés à protéger leur indépendance chèrement acquise.

De nos jours, la hiérarchie des Crânes, hautement dépendante de la volonté de son peuple, est la suivante :

  • Duc des Crânes: Scarletin de Fern
  • Premier scribe des Crânes: Tristan Dubois dit le Sage
  • Amiral du Comté d’Émeraude: Georges Lucini
  • Amiral du Comté de Saphir : Philippe Renault
  • Intendant de la Marche des Saulnières : Lazare Ripois
  • Commandante du Fort-Saphir en Ascandia : Stella Abisso
  • Grande Amirale de la Pieuvre Rouge : Pénélope d’Ambroise