Corrèse

I.DESCRIPTION GÉNÉRALE DE CORRÈSE

Capitale : Porte-Chêne, le bastion sylvestre

Dirigeant.e : La duchesse Katerina Paurroi

Devise historique : “Nous tenons”

Inspirations : Tradition, superstition, discipline

Gentilé : Corrésien / Corrésienne


Berceau des légendes du royaume d’Ébène, duché déchiré par l’invasion des disciples d’Horathot en 381, Corrèse trouve ses racines dans les plus anciennes familles du pays. Avant même l’arrivée du Roi-Prophète au début de l’ère royale, les habitants de Porte-Chêne, dernière ville sécurisée avant la ténébreuse forêt d’Ébène, cultivaient les champs à la lisière des bois et bûchaient prudemment les arbres à leur disposition. C’est d’ailleurs à Corrèse où, pour la première fois, furent recensées les victimes du Sang’Noir et où, par conséquent, les ravages de la maladie furent les plus importants. C’est aussi dans la forêt d’Ébène, dans le terrifiant château du Lichthaus, que naquit la Garde Céleste, congrégation fanatique qui fit déferler une vague inquisitrice sur le pays au début du siècle. Aujourd’hui, les cicatrices de ces mystérieux événements tardent à s’effacer des esprits des superstitieux Corrésiens.

Le territoire de Corrèse trouve ses limites dans les Criffes à l’est, dans les monts Namori au sud et, traditionnellement, dans la forêt d’Ébène à l’ouest. Au nord, la culture corrésienne se fait beaucoup plus fluctuante en raison de la proximité du duché de Fel et du palatinat de Laure. Historiquement, le cœur du palatinat était le bourg de Porte-Chêne et ses environs, ambitieux vestige d’une lointaine époque où l’humanité affrontait quotidiennement la forêt d’Ébène et ses obscurs secrets. Effectivement, dans les temps anciens, la capitale de Corrèse s’était considérablement fortifiée afin de soutenir les assauts d’un ennemi aujourd’hui disparu. Désormais, les hauts murs de pierres grises qui ceinturent Porte-Chêne produisent un angoissant contraste avec la vie lente et prudente qui y subsiste. Là-bas, chaque citadin entretient au moins une histoire à glacer le sang à propos de spectres ou d’entités rôdant dans les rues le soir venu.

Le statut de Porte-Chêne changea toutefois drastiquement lors de la Guerre de l’Avènement. Confrontée aux impératifs d’un royaume en plein changement, Corrèse se scinda en deux factions: traditionalistes à Porte-Chêne et réformistes dans la cité marchande de Mordaigne, au nord. Au plus fort de ce conflit, la célèbre porte plusieurs fois centenaire de Porte-Chêne fut déplacée de force à Mordaigne. Le déménagement de ce symbole acheva de transférer vers cette plate-forme commerciale les pouvoirs politiques et économiques de la région, ne laissant à l’ancienne capitale pendant un demi-siècle qu’un statut de vestige d’un temps révolu. Il faudra attendre en 379 pour que les tensions s’apaisent à l’occasion de la signature de la Grande charte du Levant confirmant l’hégémonie politique des Paurroi de Porte-Chêne et les privilèges de la haute-noblesse des différents comtés.

Pendant des siècles, la menace que représentait la forêt d’Ébène fut au coeur des préoccupations quotidiennes des Corrésiens. Aucun de ceux ayant entrepris une traversée des bois n’est jamais revenu pour témoigner de son expérience, et les légendes millénaires concernant ses horreurs antiques pullulent. Si l’on connait le peuple vivant au-delà de celle-ci –les Siludiens-, c’est exclusivement grâce aux quelques convois maritimes qui se risquent à traverser la mer Blanche. Traditionnellement, les seuls Corrésiens suffisamment braves -ou désespérés- pour s’aventurer dans les bois étaient les forestiers d’Entre-Gage. Toutefois, en 381, la région fut profondément bouleversée. Originaire de la “terra incognita” au sud, une horde de barbares apparut aux frontières méridionales de la région sylvestre. Les armées ébènoises, affaiblies par des années de guerre civile et de guerre contre la Ligue d’Ardaros, ne répondirent que mollement à la menace et ne parvinrent qu’à limiter le déferlement des ces “éveillés sanguinaires”. Seule l’intervention salvatrice des Pharmacies de Sabran, puis des légions de la principauté du Val-de-Ciel, permirent de limiter la conquête des envahisseurs connus comme la “Horde d’Horathot”. Néanmoins, en 383, les hérétiques tribaux occupaient près de la moitié du duché, asservissant les communautés des comtés des Cendres et de Haute-Sève.

Les Corrésiens sont pour la plupart des individus bourrus, fermés sur eux-mêmes et hautement traditionalistes. Non seulement estiment-ils que les “étrangers” (tous ceux qui sont nés à l’extérieur du duché) comprennent mal ce qui rôde dans la forêt d’Ébène, mais ils se perçoivent comme le seul rempart des terres célésiennes face à ces menaces. Évidemment, il ne fut jamais démontré que les vastes étendues sauvages à l’ouest de Porte-Chêne accueillaient des créatures mythiques ou maléfiques. Cependant, les récits compilés depuis le début du siècle par rapport aux rites mystiques du Lichthaus et aux entités étranges rencontrées dans les profondeurs des forêts suscitèrent des doutes chez le reste des Ébènois. La présence de la Horde d’Horathot dans ces mêmes régions ne fit qu’accentuer ces préoccupations.

Pourtant, les Corrésiens persistent à partager leurs histoires avec parfois une sincérité désarmante. Ces contes, qu’on les perçoive comme véridiques ou non, ont un fort écho dans l’ensemble du continent. Même s’ils sont un peu partout réservés aux adultes en raison de leur contenu parfois violent et troublant, ils sont d’abord et avant tout destinés aux enfants corrésiens. Ainsi, avant de souffler la chandelle, les petits se font raconter des histoires de garçonnet déchiqueté par des rapaces, de chiot dévoré par un cultiste d’Horathot ou de fillette enlevée par d’horribles créatures nocturnes. Le sommeil qui suit ces séances de contes est parsemé des pires cauchemars, mais cela a le mérite d’apprendre à l’enfant à se méfier des forces obscures de ce monde.

Sur le plan vestimentaire, Corrèse fait dans l’austérité. Le sérieux de ses habitants déteint nécessairement sur leurs tenues et rares sont les individus osant sortir de la masse par des habits extravagants et colorés. Ainsi, à l’exception des quelques fourrures acquises lors de parties de chasse, peu d’éléments distinguent la noblesse corrésienne de la roture.

II.COMTÉ DU CHÊNE

“À l’austérité des steppes succéda la morbidité des routes de Corrèse. Pendus, égorgés, brûlés et décapités jonchaient les champs de part et d’autre des voies que nous empruntions. Si nulle âme qui vive ne daigna nous croiser, nous devinions sans peine qu’un danger incommensurable guettait chacun de nos pas. Sous la guidance du Sage, nous fîmes un arrêt devant les grilles de Porte-Chêne. Du haut des remparts les surplombant, deux soldats nous interpellèrent immédiatement : “Passez votre chemin voyageurs! hurlèrent-ils, vous ne trouverez ici ni allié, ni ami. Le Sang’Noir nous a frappés les premiers, la mort nous emportera les derniers!””

Gaspard l’Ancien, premier Témoin


Bastion de l’Ouest, premier rempart d’Ébène, frontière du monde civilisé, telles étaient jadis les marques de prestige auréolant la plus vieille cité du royaume d’Ébène. Surplombant le lac du Chêne et les campagnes environnantes depuis l’ère de l’Illumination, les hautes murailles grises de Porte-Chêne sont imprégnées de l’histoire de l’humanité depuis ses premiers chapitres et témoignent aujourd’hui encore de la victoire du Céleste et de sa création sur les êtres issus du Foisonnement. Monument issu du défrichement de l’Orrindhas par les Enfants d’Arianne, éprouvée par le Sang’Noir, témoin de la venue du Roi et demeure d’un peuple tout aussi inébranlable que ses fondations, il apparaît que Porte-Chêne survit au temps telle une empreinte du savoir-faire et de la ténacité de l’humanité.

Longtemps privés de leurs lettres de noblesse, Porte-Chêne et sa famille régnante dominent aujourd’hui le Duché de Corrèse. Tantôt contraints de valser au rythme des désirs populaires, les Paurroi savent néanmoins en appeler au devoir de leurs sujets lorsque vient le temps de défendre leurs traditions contre les menaces étrangères. Dans les rues du Bastion de l’Ouest, traditionalisme et misère exercent leur joug dans une atmosphère lugubre où se côtoient vivants, légendes et superstitions issues d’un passé tantôt glorieux, tantôt terrible. Pressés les uns contre les autres dans la pauvreté de leurs bourgs sous le poids d’un exode rural sans précédent provoqué par l’invasion des hordes hérétique d’Horathot, les habitants du Chêne sont un peuple fier et farouche pouvant affirmer, par les armes s’il le faut, être les “seuls vrais Corrésiens”. Gare à celui ou celle qui voudrait suggérer le contraire en leur présence, car il est peu de choses aussi dangereuses en Ébène qu’une foule n’ayant plus rien à perdre.

Élevée comme capitale du Marquisat (puis du Duché) de Corrèse à l’hiver 380, Porte-Chêne est la demeure de la Duchesse Paurroi et de sa famille. Dominant le lac du Chêne, la cité accueillait autrefois en ses murs la noblesse des comtés du Chêne et des Cendres. Tragiquement, avec la chute de ces régions aux mains de l’envahisseur, Porte-Chêne se trouve isolée et menacée. D’abord liés à Ébène par leur foi et leurs serments envers la Reine, les Corrésiens se perçoivent comme l’écu gardant les terres célésiennes des Ombres qui émanent de la Forêt d’Ébène et refusent catégoriquement de se laisser dicter leur conduite par d’autres forces que celles du Céleste.

-Géographie-

Qui empruntait par le passé la route de Porte-Chêne ne pouvait qu’être marqué par la densité des vastes étendues de feuillus qui parsemaient son chemin. En temps de paix, ces forêts riches en gibiers de diverses tailles accueillaient les bûcherons et les trappeurs qui y tiraient leur subsistance. Or, lorsque sonnaient les cors de guerre, ces mêmes zones forestières devenaient le premier rempart de la vieille capitale, offrant couvert et protection aux tirailleurs. Ce n’est pas sans regret que la Duchesse du Chêne, proclamant son édit en la 340e année de l’ère royale, appela au défrichement de la sylve ancestrale et ce n’est pas sans peine que les Corrésiens s’affairèrent à cette tâche ardue et dégradante. Il eût été difficile de faire autrement, la pauvreté du sol et une série de mauvaises récoltes ayant aggravé la dépendance des habitants de Porte-Chêne et des environs envers les sources d’approvisionnement issues des autres régions du sud du royaume lors des années précédant l’édit de Mensner -édit qui poussa à la colonisation des terres occidentales du duché. Derrière ces mesures drastiques se perçoivent aujourd’hui encore la peur omniprésente d’un autre blocus commercial meurtrier et le sentiment de mendicité causé par une précarité à même de nourrir une rancoeur grandissante, ce tant entre les murs de la capitale que dans ses campagnes. Ainsi, les forêts denses et abondantes qui faisaient jadis la réputation de l’Ouest corrésien cèdent progressivement leurs places à des arpents de terres agricoles à faible rendement qui ne peuvent qu’évoquer la mélancolie pour quiconque regarde l’horizon

La vie demeure lente et prudente sur les terres entourant l’antique capitale corrésienne. De modestes villages et communautés articulées autour d’une poignée de familles tentent de tirer une pitance des terres défrichées, mais les récoltes sont rarement au rendez-vous. Selon les légendes locales, une sombre malédiction tirant ses origines dans les guerres mystiques de l’ère de l’Illumination empoisonnerait les terres et rendrait pratiquement impossible toute culture. De ce fait, nombre de paysans évitent l’indigence en se faisant bûcherons et en vendant à prix fort le bois d’Ébène aux envoyés de la Divine Adrianna. Effectivement, depuis la fin de la guerre contre la Ligue d’Ardaros en 381, la Couronne d’Yr doit remettre à son ancien ennemi un tribut annuel en bois sollicitant à lui seul une part importante de la production locale. Calamité pour les constructeurs ébènois, opportunité en or pour les travailleurs corrésiens, ce tribut devrait théoriquement perdurer jusqu’en 386.

Or, ces misérables agglomérations rayonnent par leur humilité lorsque comparées à l’immense cité se dressant en bordure du lac du Chêne. Derrière de hautes murailles de pierres grises érigées pour contenir un ennemi aujourd’hui disparu s’élève fièrement Porte-Chêne. Témoins de l’ingénierie humaine dont les fondations remontent à l’ère de l’Illumination, ces fortifications millénaires tiennent toujours une place d’avant-plan dans la définition du corps social des Portéens. Ainsi, le statut de citoyen n’est accordé qu’à ceux habitant l’intérieur de l’enceinte, ce qui limite par le fait même le développement de faubourgs. Qui plus est, l’entretien du mur relève du devoir de chacun des habitants de Porte-Chêne, lesquels préfèrent vivre dans la misère plutôt que de voir leurs fortifications tomber en ruines. Monument à la résilience et à la témérité du peuple corrésien, un véritable Portéen préfère nettement vivre sous le joug de l’austérité afin de garder sa fierté et son honneur de toute souillure plutôt que d’avoir à subir les affres de l’humiliation qu’imposerait la décrépitude de ses fortifications.

Pouvant se targuer d’être la plus vieille cité d’Ébène, l’ancienne capitale corrésienne se démarque aujourd’hui par la multiplication de hautes structures d’habitations ternes en son enceinte, lesquelles sont vouées à loger un nombre toujours grandissant de citoyens fuyant la famine et la misère occasionnées par les disettes régulières en campagne. Semblant rivaliser afin de gagner les cieux, ces grands édifices noient aujourd’hui les merveilles architecturales de la cité dans une marée de bois gonflé et de crépis maussade. Ainsi, les fines sculptures du Palais forestier de la famille Paurroi et son bastion ancestral paraissent aujourd’hui être écrasés par de hautes tours populeuses. Ce qui n’empêche pas la famille régnante de vaquer à ses tractations politiques par des réceptions dans ses jardins, chaque espace vert étant désormais une marque de prestige pour les riches habitants de la ville, ou depuis le confort de sa majestueuse salle de banquets. Cette dernière, prestigieusement surmontée d’une voûte boisée, est cause d’émerveillement pour qui pose le regard sur sa longue broderie mettant en scène l’histoire des Paurroi, et plus encore pour quiconque admire les vestiges des butins passés qui y sont exposés. Pièce maîtresse de cet ensemble, le trône blanc, surmonté de peaux de sorhinars sacrés et construit à même le bois d’une galère blanche ayant jadis orné les bannières Aerann, est un rappel à tous les visiteurs des exploits guerriers qui ont permis aux Paurroi d’asseoir leur règne.

Fréquemment prises d’assaut par la brume dense du lac et un froid humide, les rues de la ville, qu’elles soient pavées ou boueuses, vivent au rythme de foules réchauffant leurs humeurs auprès de prédicateurs éloquents et à portée d’âtres de tavernes. Or, ces lieux sont source d’une ambiance bien souvent tout aussi glaciale que celle imposée par le climat, alors que les récits d’épouvantes et les superstitions issues de combats contre les forces de la Forêt d’Ébène, de disparitions funestes, et de massacres contemporains du Sang Noir ravivent fréquemment les fantômes d’une sombre époque. Nul ne s’aventure à l’ombre des quartiers portuaires après le couvre-feu sans remettre sa vie entre les mains du Céleste, un avertissement trop souvent ignoré des quelques négociants qui s’aventurent encore jusque dans la cité.

La protection de Porte-Chêne repose aujourd’hui entre les mains des redoutables chevaliers du Chêne. Obéissant aux ordres directs de la Duchesse Katerina Paurroi, ces chevaliers et nobliaux en armes maintenaient autrefois l’ordre jusqu’au confins du comté des Cendres, à l’ouest. Au terme d’une guerre impitoyable contre la horde d’Horathot, plusieurs d’entre eux durent se résoudre à abandonner leurs fiefs pour servir en tant que chevaliers sans terre en Porte-Chêne. Traquant avec une brutalité inqualifiable les brigands sur les routes pour certains, menant des escarmouches visant la reconquête de leurs propriétés pour d’autres, ceux-ci sont omniprésents dans la capitale ducale et imposent à la fois peur et respect. À cet effet, le rempart de la Faucheuse accueille une potence permanente servant de rappel à quiconque arrive en vue de Porte-Chêne. Quant aux bourreaux, ils jouissent d’un meilleur traitement que leurs pairs dans le reste des terres célésiennes, atteignant même parfois une renommée à même d’en faire des courtisans prisés des seigneurs ébènois.

Enfin, il convient de noter que, depuis l’invasion des adeptes d’Horathot, la famille Paurroi a multiplié les chantiers de construction de fortins sur les frontières méridionales et occidentales du comté. À la limite de la Marche d’Arianne, au sud, le château de la Motte du Hêtre est le meilleur exemple de cette consolidation des frontières. Après la chute de tous les bastions éloignés en 381, celui-ci fut le dernier rempart qui permit aux forces d’Ébène de repousser les hérétiques et de prévenir la destruction de Porte-Chêne. D’une vulgaire palissade assortie de tranchées et de douves, la Motte du Hêtre est désormais l’ultime avant-poste célésien au sud de Corrèse et le symbole de la résistance farouche des vrais Célésiens.

-Histoire-

Les érudits s’accordent aujourd’hui, sur la base de récits oraux mis à l’écrit ultérieurement, pour dater la fondation de Porte-Chêne sous l’ère de l’Illumination. Par conséquent, on attribue la fondation légendaire de Porte-Chêne à une matriarche issue de la lignée d’Édarianne lors de la Seconde Guerre des Enfants d’Arianne. Celle-ci, aux prises avec les premières factions dissidentes, aurait ordonné l’érection d’un campement fortifié afin de garder ses arrières contre ses ennemis mystiques de la forêt tandis qu’elle allait combattre des adversaires d’un même sang. D’abord une simple garnison, l’ensemble fut cerné d’un hameau dès lors que des indigents entreprirent d’y travailler la terre en échange de protection. Progressivement, Fort-de-Chêne s’enracina pour devenir un bourg vibrant sous la garde de son ost. La garnison initiale céda sa place à un fortin et on entreprit d’ériger un mur de pierres tirées d’une carrière locale à même de résister à un ennemi sylvestre aujourd’hui disparu. Comme pour tout ce qui a trait à Corrèse, légende et vérité sont si bien imbriquées qu’il est difficile de les départager. Aux contes fantasques de l’Illumination succèdent toutefois les récits plus fiables de l’Avant, lesquels font déjà mention de la porte écarlate des Paurroi flottant depuis le sommet des remparts de pierres de Porte-Chêne. L’expansion de la cité d’une époque à l’autre laisse entendre qu’ils furent nombreux à gagner le couvert de ses fortifications imprenables, multipliant les habitations dans la capitale et les serments faits à la famille régnante, ce qui permit aux seigneurs de la place forte de garnir leurs rangs de soldats à même de suivre leur bannière à l’arrivée du printemps. Fiers seigneurs en quête de pouvoir et de richesse, l’histoire des Paurroi regorge de grands héros ayant guerroyé afin tenir leurs acquis et pour repousser les limites de leur domaine au dépens des chevaucheurs de l’est et des géants du nord. Aujourd’hui encore, les voûtes de leur château d’écorce regorgent de trophées non inventoriés issus de ces butins ancestraux, tous jalousement gardés par les ducs et duchesses en place.

Ayant détourné son attention de la Forêt d’Ébène pour combattre des ennemis d’un même sang sous l’Avant, Corrèse renoua brusquement avec les abominations qui ont hanté son histoire lorsque surgit des tréfonds des bois le Sang’Noir. Première victime de ce fléau, Porte-Chêne fut emportée par une marée de violences et de massacres qui fit couler des rivières d’un sang de jais dans ses rues tandis qu’un nombre restreint de survivants parvenaient à se réfugier derrière les portes du bastion Paurroi. Débuta alors un siège pénible, contraignant les survivants à lutter quotidiennement contre les assauts des damnés, siège qui ne prit fin qu’avec la venue du Prophète au terme de la Longue Année. Ployant du genou face à leur sauveur, les Corrésiens demeurèrent néanmoins tourmentés par des superstitions qui échappaient à la raison d’autres Ébènois. S’isolant des autres palatinats sous l’ère des princes et des princesses, Corrèse s’abstint d’implications directes dans les grands conflits qui bouleversaient le royaume unifié et devint plutôt une enclave de traditionalisme fermée sur elle-même. Plus occupés à reconstruire ce qui avait été emporté par le fléau du Sang Noir qu’à convaincre leurs voisins lors de tractations exhaustives, les Paurroi de Porte-Chêne se contentèrent dès lors de défendre l’intégrité de ce qu’ils avaient érigé par le passé contre les revendications felbourgeoises et les pillages sarrens dévastateurs. De fait, Ébène n’eut que deux suzerains issus du palatinat sylvestre, et tous deux passèrent à l’histoire pour leurs politiques d’austérité exacerbée et de discipline rigoureuse incitant à la révolte. Si le premier, Casimir le Sévère, eut la chance de mourir avant d’être renversé par ses détracteurs, l’histoire fit de la seconde, Théodoria l’Illuminée, la seule princesse chassée du pouvoir par ses sujets.

Divisant le royaume, le règne de Théodoria vint aggraver les tensions internes à Corrèse, ce qui aboutit sur une guerre civile destinée sonnant le glas du palatinat. En effet, en 316, les frictions entre des factions aux visées diamétralement opposées se multiplièrent dès les prémices de la Guerre des Deux Couronnes, notamment en ce qui avait trait au traitement de la paysannerie, aux rapports entretenus avec les Sarrens et à l’acceptation des zélotes religieux de la Garde Céleste. Latentes pendant plusieurs années, ces tensions atteignirent un point de non-retour à l’aube de la Guerre de l’Avènement en 323. D’un côté, les partisans d’un palatinat traditionaliste et isolationniste trouvèrent leur champion en la Garde forestière, un regroupement de tirailleurs expérimentés chargés de défendre les frontières de la forêt d’Ébène. De l’autre, les partisans d’une Corrèse ouverte aux échanges avec le reste d’Ébène se rallièrent aux bannières de l’Alliance de Mordaigne, chef-lieu de l’Union commerciale du Sud tournée vers la modernisation et la promotion du savoir-faire corrésien en dehors de ses frontières. Trouvant un allié de taille auprès du Grand Chevaucheur du Sarrenhor Salomond l’Avisé, Mordaigne rejoignit en 323 le Protectorat de l’Orrindhas, entité politique visant à unifier les Enfants d’Arianne dans l’espoir de porter un coup rapide et décisif à ses adversaires.

Ce qui s’annonçait être une guerre armée rapide céda bien vite sa place à un blocus commercial exercé contre les défenseurs de Porte-Chêne et les comtés relevant de son autorité. Sous l’impulsion des généraux Klev Brenmar et Conrad Mensner, Porte-Chêne résista, menant des raids forestiers sanglants et cruels. Il fallut attendre l’an 341 pour enfin saisir l’ampleur des conséquences de cette guerre commerciale. À la suite de deux années de mauvaises récoltes, une famine sans précédent s’empara de l’ouest de Corrèse. Toujours sous l’effet du blocus de l’Union commerciale du Sud et du Protectorat de l’Orrindhas, les comtés affiliés à Porte-Chêne sombrèrent dans l’anarchie. À Port-Casimir, au nord-ouest, une révolte éclata alors que les citadins affamés réclamaient la reprise du commerce avec les Corrésiens de l’est et les Sarrens. Ristoff Paurroi, seigneur de la cité, décida d’envoyer Klev Bremnar sur place afin de mater l’insurrection, mais les méthodes violentes et sanglantes du commandant de la Garde forestière ne firent qu’ajouter de l’huile sur le feu. Au début du printemps, Brenmar fut pris pour cible par la foule lors d’une exécution publique et pendu aux murailles de Port-Casimir. La ville était hors de contrôle, alors que le pouvoir échappait aux détenteurs du pouvoir traditionnels pour passer entre les mains du peuple. En l’absence d’une volonté de remettre l’ordre établi en question, la masse armée se contenta d’imposer ses désirs à la noblesse en place. À l’été, Ristoff Paurroi, accompagné de Conrad Mensner, accepta finalement de rencontrer Salomond l’Avisé et Abigamond afin de négocier la paix. Une entente fut alors conclue : Ristoff acceptait d’intégrer ses territoires au Protectorat de l’Orrindhas et d’abandonner ses prétentions palatines sur l’ensemble de Corrèse, mais exigeait de conserver son autonomie seigneuriale dans la gestion des affaires internes. Promis à être unis sous une même bannière par une héritière commune, les comtés de Porte-Chêne et des Cendres, derniers défenseurs de l’ouest corrésien, profitèrent du traité de paix pour proclamer la création du Duché du Chêne au sein du Protectorat de l’Orrindhas.

Ayant été intégrés de force à cet ensemble, c’est avec une rancoeur avouée que les seigneurs du Chêne siégèrent quarante ans durant au Symposium d’Arianne, une assemblée dispersant le pouvoir du Protectorat entre ses nobles. Les Paurroi et leurs vassaux s’y firent fréquemment la voix des Corrésiens rejetant tout effort de centralisation. Qui plus est, un fort ressentiment persista à l’égard des chevaucheurs de l’Orrindhas, et ce malgré les années qui s’étaient écoulées. Pour les Portéens, le souvenir du grand sac de Porte-Chêne par les Sarrens en l’an 316 et le rapt des imposantes portes qui avaient donné leur nom à la cité paraissaient toujours frais en mémoire. Réputées pour avoir légué à Corrèse sa bannière unique, ces majestueuses portes furent de tout temps une fierté pour les citadins de la ville. Or, après avoir été traînées à Lys d’Or au Sarrenhor par les chevaucheurs, celles-ci furent remises à Mordaigne qui les exhiba effrontément sous le seuil de sa forteresse pour plusieurs décennies. Ce n’est qu’en 380, avec leur retour à Porte-Chêne, qu’elle vint finalement confirmer la création du Marquisat de Corrèse et l’entente renouvelée entre le Bastion de l’Ouest et Mordaigne.

Au milieu du quatrième siècle, à cette rancune tenace s’ajouta le spectre de la famine et d’une mort lente et indigne héritée du blocus commercial. Aggravée par un mauvais rendement des terres et la division de celles-ci en parcelles ne pouvant assurer la subsistance de ceux les travaillant, cette crainte donna vie à un exode rural sans précédent vers les centres urbains à même d’offrir un sort n’étant pas nécessairement plus enviable. Les terres environnantes baignaient encore dans une crainte constante de voir leur approvisionnement coupé pour servir quelques desseins politiques. Repliés dans un traditionalisme animé, les comtés du Chêne et des Cendres furent le théâtre de pogroms occasionnels contre les partisans de monopoles commerciaux. Bien que les seigneurs locaux protégeaient les intérêts de l’Union commerciale du Sud, ils toléraient avec complaisance ces excès de violences populaires adressés aux autres grandes guildes du royaume. Dans les centres plus populeux, et particulièrement à Porte-Chêne qui croulait sous le poids de la mendicité, c’étaient les désirs populaires qui exerçaient leur joug plutôt que l’autorité de quelconques aristocrates. Jugés nécessaires, mais redevables au peuple corrésien, les nobles locaux étaient contraints à n’exercer qu’un pouvoir de sanction des actions entreprises par la masse. En somme, dès le milieu du siècle, l’aristocratie Portéenne fut soumise aux aléas de la colère populaire, la craignant mortellement tout en l’utilisant comme une arme.

Néanmoins, le fragile équilibre entre le peuple et ses dirigeants ne put en tout temps être maintenu. En 374, le retard inattendu d’un convoi de vivres vers la vieille capitale corrésienne aboutit sur un violent pogrom contre les non-Corrésiens habitant les murs de la cité. Suivant l’impulsion du moment, la populace en armes prit la route d’Eidelbourg et de Port-Casimir afin de s’approprier des vivres par ses propres moyens tandis que les seigneurs des lieux ne parvenaient guère à lever leurs bans. Déjà mobilisés pour aller assister les troupes royales impliquées dans la Guerre des Calcientes à Salvamer, les régiments locaux furent plutôt dépêchés au Duché du Chêne pour guider le peuple en armes vers son logis. L’Ost de Porte-Chêne refusant d’obéir aux ordres des cavaliers des steppes, les cavaliers Vors de l’Orrindhas appelés en renfort entreprirent de piller une nouvelle fois les terres du Chêne afin de forcer le retour de l’armée populaire pour défendre ses terres. Arrivant finalement sur les lieux, les autres régiments de l’Orrindhas se heurtèrent quant à eux à une opposition provenant tant de l’Ost portéen que des forces Vors refusant d’abandonner leur pillage. Les escarmouches s’aggravèrent pour ne prendre fin qu’avec l’intervention d’un jeune Dietrich Paurroi, chapelain et théologien, dont les sermons parvinrent à calmer les ardeurs de ses compatriotes.

Liés à la famille Brenmar régnant sur les Semailles par des alliances matrimoniales, les Paurroi saisirent l’opportunité créée par la mobilisation de l’Orrindhas à Bas-Cieux en 379 pour se rapprocher de leurs alliés absolutistes. Dépêchés sur les lieux, Orellio et Astésia Merioro d’Avhor oeuvrèrent de concert avec d’autres courtisans yriotes pour reconstruire le Guet-du-Levant dans les Semailles. Le fortin ne subsista que quelques semaines avant d’être rasé par une coalition patricienne à la demande des Arches de l’Orrindhas. Sa destruction entraîna toutefois un vent de contestation dans l’ensemble des comtés corrésiens et, réunis à Bois-aux-Malvernes, les seigneurs de la sylve se rassemblèrent sous la bannière de l’Alliance du Levant pour réclamer l’autonomie de leur patrie. Au terme de tractations politiques orchestrées par l’Avhorois Orellio Merioro dans la cité de Mordaigne, la signature de la Grande Charte de l’Alliance du Levant et le rapatriement des portes de Porte-Chêne vinrent finalement clore le sort du Protectorat de l’Orrindhas par la création d’un marquisat corrésien autonome. D’abord lié à Ébène par sa foi envers le Céleste et ses serments à la Reine, le Marquisat de Corrèse se présenta comme l’écu gardant le royaume des Ombres qui émanaient de la Forêt d’Ébène. Tandis que la marquise Paurroi assurait la protection des terres depuis Porte-Chêne, les comtes de l’Alliance du Levant se rassemblaient à Mordaigne pour y légiférer.

C’est au printemps 381 que Corrèse fut soumise au plus grand péril de l’ère royale. Arrivant des lointaines plaines des rêves au sud de l’ancienne république de Firmor, une marée humaine de sauvages aux pratiques tribales et cannibales -les Éveillés sanguinaires- s’agglutina aux frontières du marquisat. Les armées ébènoises, malgré leur faible nombre, livrèrent une lutte acharnée pour tenir ces envahisseurs loin de Porte-Chêne. Rejoints par les félons Insoumis se terrant dans la Forêt d’Ébène, les hérétiques s’empèrent de la baronnie de Gardebois, loin au coeur du territoire du comté du Chêne. Ne pouvant tolérer cet affront, le fils de la marquise et héritier présumé, Karl Paurroi, leva sa garde personnelle afin de chasser l’ennemi de ses terres. Or, dans un acte de trahison impardonnable, un régiment corrésien -les Chasseurs de Haute-Tour- décocha ses flèches sur le futur marquis et l’assassina froidement. Dès lors, Corrèse se trouvait privée de son premier chef des armées et exposée au spectre des traîtres rôdant sur son territoire.

À l’été, les influentes pharmacies de Sabran, à l’origine de cette résistance salvatrice, retirèrent leurs investissements du front après qu’elles eurent été informées de la volonté de l’Académie du Zanaïr de réduire à néant leurs recherches. C’était là la démonstration de la puissance désormais incontournable de l’organisation. Toutefois, en dehors des protecteurs corrésiens, plus rien n’empêchait l’ennemi de progresser en sol célésien, au nord comme au sud de Porte-Chêne. Rapidement, les défenseurs se replièrent à la Motte du Hêtre et implorèrent le Céleste de répondre à leurs prières. Celui-ci exauça leurs souhaits car l’ennemi recula temporairement afin de regrouper ses troupes et mener un nouvel assaut à l’ouest.

À l’automne 381, les armées valéciennes, s’estimant menacées par la chute de leur voisine et aspirant à se substituer au pouvoir royal dans la région, se joignirent aux forces corrésiennes pour contrer la seconde avancée des hérétiques. Les légions conjointes parvinrent à repousser les hordes au-delà de la Tour du Zanaïr au sud, mais exposèrent le nord de la province. Avant la fin de l’année, les hérétiques contrôlaient tout le nord corrésien, de la forêt d’Ébène aux montagnes du Liais -au sud de Fel- et de Port-Casimir au fleuve de la Laurelanne. Les barbares se heurtèrent heureusement aux défenses naturelles de Corrèse et aux fortifications du grand mur de Fel, bloquant définitivement leur avancée. La marquise Katarina Paurroi, endeuillée par la mort de son fils et enragée par l’absence de considération de la Couronne pour sa mission protectrice, fut persuadée par ses homologues felbourgeois et valéciens de rompre ses serments à la Reine Adrianna. Tout comme ses voisins, Corrèse faisait désormais route seule à la tête du nouveau “Duché de Corrèse”.

Isolée dans ses retranchements de Porte-Chêne depuis la mort de son fils, la duchesse Katerina Paurroi rumine depuis plusieurs années sa haine envers les hérétiques et félons ayant mené à la déchéance de son domaine. Fille vieillissante du défunt duc Ristoff Paurroi et de son épouse Sigrid Mensner, elle laisse à son second fils Manfred -une jeune homme réputé comme cruel et inflexible- la charge de protéger les terres, dispenser la justice avec le concours de la Foi et cultiver le support (ou la crainte) de ses sujets. Commandant actif des chevaliers du Chêne, il n’hésite guère à mener avec leur concours des coups d’éclat afin de garder le peuple en laisse. Frêle de corps, mais forte de caractère, Katerina quant à elle apparaît à tous comme une stratège hors pairs, même si nul ne pourrait cerner ses objectifs concrets actuels. Malgré la mort de son aîné Karl Paurroi, sa succession semble assurée par ses fils issus de son mariage à Emerek Brennmar Manfred (20 ans) et Dietrich (19 ans). Le benjamin, Dietrich, fut d’ailleurs remis au monastère de Noirbois à sa naissance pour implorer le pardon du Céleste en réponse aux actes de la princesse Théodoria. Détaché des soucis temporels, et assez indifférent par rapport au reste de sa famille, il est connu à travers les terres du Chêne comme étant un prédicateur éloquent. Celui-ci entretiendrait une proximité controversée avec la veuve de Karl Paurroi, l’Avhoroise et théologienne Astesia Merioro.

III.COMTÉ DE HAUTE TOUR

Du pied des Monts Namori à l’orée de l’obscure Forêt d’Ébène s’étend le comté de Haute-Tour. Autrefois sous le contrôle de la famille Bogdanov puis des barons de Mordaigne, la région est désormais entièrement sous l’autorité de la maîtresse académicienne du Zanaïr et comtesse honorifique de Haute-Tour, Dame Florence. Alimentant les centaines d’érudits et de gardiens des secrets de la Tour du Zanaïr, les fermiers et bûcherons se tiennent loin de l’imposante structure de pierre. Pour le commun des mortels, les sujets discutés dans “La Tour” relèvent exclusivement de l’Inquisition et des mystérieux savants et devins.

-Géographie-

Des Monts Namori à l’orée de la Forêt d’Ébène, l’ancien comté de Haute-Tour est étrangement ignoré des seigneurs du royaume. Pourtant, son territoire est l’un des plus diversifié et riche de Corrèse. Avec le décret royal autorisant la poursuite des activités du Zanaïr dans la région au lendemain de la Guerre de l’Avènement, personne n’ose plus désormais s’en prendre aux fiefs de l’académie.

À l’est peut d’abord être visité le bourg de Weinburg. Emplacement de choix en raison de la richesse en minerai de fer de ses sols, Weinburg était autrefois dirigé par la très ancienne famille du même nom. Après la mystérieuse disparition du baron Gustav Bogdanov au début de la Guerre de l’Avènement, l’agglomération minière fut mise en tutelle par les seigneurs d’Esfroy à l’est. Soucieux de l’approvisionnement en lingots des armées républicaines, ces derniers investirent des fonds respectables dans le développement des mines locales. Après le conflit, l’Union commerciale du Sud mena des tractations avec les négociateurs de la Couronne d’Yr afin d’acquérir à bon prix ces exploitations de fer, devenant ironiquement des partenaires incontournables du financement du Zanaïr.

Au nord, près des frontières de Mordaigne, se dresse la communauté forestière de Faragon. Située aux abords des ultimes bras de la Laurelanne qui traverse d’ouest en est l’entièreté de Corrèse, l’endroit est une plaque tournante pour le commerce des comtés du sud-ouest et pour l’approvisionnement en bois des terres intérieures. Sa position privilégiée à la jonction des affluents lui permet de fournir les fiefs situés à l’orée de la Forêt d’Ébène et d’y assurer par la même occasion un renforcement rapide de troupes militaires. Étant lui-même tout près d’être englobé par la forêt légendaire, les produits forestiers sont omniprésents dans l’architecture de ses bâtiments. Des billots gigantesques de troncs d’arbres centenaires ne sont pas rares et plusieurs artisans viennent s’établir à Faragon pour profiter de la qualité de la ressource.

Au sud, à l’ombre des Monts Namori et de la redoutable forteresse de l’Antre-du-Loup au Val-de-Ciel, prospèrent les carrières de pierre de Silroc. Auparavant délaissées par manque de marchés profitables dans le sud du royaume, celles-ci décuplèrent leurs activités après la conclusion de la paix du Monarque. Effectivement, que ce soit pour alimenter la rénovation perpétuelle du Mur de Théodas au Val-de-Ciel ou restaurer les châteaux laurois ou felbourgeois endommagés lors de la guerre, on voit quotidiennement d’impressionnants convois chargés de blocs gris prendre la route du nord. Toutefois, c’est la construction et l’entretien de la “Voie du Pénitent”, entre l’Antre-du-Loup et la Tour du Zanaïr, qui financent la carrière au quotidien. Effectivement, au lendemain de la purge du Zanaïr, le Monarque commanda la création d’une large route pavée entre les deux points stratégiques. L’intérêt du projet était alors purement militaire ; en cas de fourberie de la part des Sages de la Tour, les forces inquisitrices valéciennes pourraient déferler promptement sur place pour mater les félons. Les froids hivernaux abimant périodiquement cette voie, il revient aux tailleurs et spécialistes de Silroc d’en assurer la maintenance.

Cela dit, bien au-delà de ces haltes commerciales, c’est la Tour du Zanaïr qui attire l’essentiel de l’attention dans la région. Émergeant de la canopée de la forêt d’Ébène tel un obélisque hérité d’époques où la magie faisait frémir l’humanité, cette construction d’une soixantaine de mètres de hauteur suscite invariablement l’angoisse chez ceux qui y posent les yeux pour la première fois. Nul ne sait qui édifia ce monument de pierre, ni quand cet exploit fut réalisé. Néanmoins, ce que tous savent, c’est que jusqu’à la purge de 357, rien ni personne n’avait réussi à conquérir par la force l’endroit. Cela pousse d’ailleurs certains détracteurs de l’organisation à affirmer que sa complaisance à l’endroit de la Couronne est l’un des rouages des pernicieux plans millénaires de ses occupants.

S’il est impressionnant de visiter les multiples locaux, laboratoires et bibliothèques de la tour à huit façades et huit étages, tous savent aujourd’hui que c’est sous terre que les plus grands secrets du Zanaïr sont confinés. Avec le support de l’Inquisition, les Sages conservent leurs trésors (ou malédictions) dans des voûtes réparties sur un nombre inconnu d’étages creusés et consolidés au fil des siècles. Dans un dédale de corridors obscurs, des alcôves de tailles diverses servent de reliquaires pour des artefacts soupçonnés de contenir des vestiges des arts mystiques pourtant présumés anéantis par le Céleste. Auparavant, c’étaient des Sages aux recherches questionnables qui occupaient les quelques salles de recherche sous la surface. Toutefois, avec la purge, l’exécution ou l’exil de ces derniers laissa les voûtes exclusivement à l’attention des rares individus autorisés par la Foi et l’académie à y pénétrer.

-Histoire-

Pour toute idéologie dominante, un contre-courant se fait entendre. Aux érudits souvent partenaires des grandes familles nobles et des richissimes bourgeois, quelques mystiques opposent une voix dissonante et agaçante. Depuis bien avant le Sang’Noir, l’antique tradition du Zanaïr subsiste dans la région de Corrèse. C’est en l’an 90 que le prince en place, Orcidias II, officialisa le statut d’académie de l’ordre du Zanaïr. Le suzerain, passionné par les contes et légendes corrésiennes, avait pour conseillers personnels des mystiques plongés dans les arts divinatoires qui, pour d’obscurs services rendus, réussirent à obtenir de leur maître la reconnaissance de leur institution.

Les origines du terme “Zanaïr” sont fort contestées. Pour quelques sages du Sarrenhor, il s’agirait d’une ancestrale expression des premiers Enfants d’Arianne renvoyant aux mystères naissant de l’union du vent et des cieux. Pour des érudits pyréens, ce serait le nom d’un mage ardarosien ayant impressionné les anciens Ébènois par ses prouesses magiques. Enfin, pour plusieurs autres spécialistes des dialectes étrangers, le Zanaïr serait un concept métaphysique hérité des voyageurs du Firmor, peuple occupant autrefois les terres perdues au sud des monts Namori. Ultimement, toutes ces interprétations se recoupent sur la nature mystérieuse de notre monde et sur la recherche des incantations oubliées.

Bien qu’ils se réunissent habituellement en cercles d’initiés, la plupart des membres officiels de l’académie du Zanaïr résident dans la région de Haute-Tour, à Corrèse. Effectivement, hors des murs des cités, à proximité de la Forêt d’Ébène, les éminences grises de l’ordre habitent depuis des siècles une tour fortifiée -d’où le nom de la région- où peu de visiteurs osent s’aventurer. Effectivement, ce que les érudits du Zanaïr appellent “Sagesse” est hautement controversé dans les communautés savantes ébènoises. La Sagesse n’est ni une science au sens théorique, ni une technique au sens pratique. Il s’agit plutôt d’une intuition inexplicable du substrat de l’existence. Celui qui accédera à la Sagesse saura en déduire des formules, des incantations et des gesticulations qui, selon leurs pratiquants, auront un effet sur la matière et l’esprit. En termes plus simples, les adeptes du Zanaïr se prétendirent pendant des siècles magiciens et sorciers. Bien sûr, jamais ils ne l’avouaient en ces mots -la magie étant une impureté enrayée par le Céleste lors de l’ère de l’Illumination-, mais leurs ambitions se résumèrent pendant longtemps à redécouvrir la sorcellerie perdue des premières races. Dès lors, tous les indices suggérant la survivance de vestiges mystiques quelque part dans le royaume furent récupérés par les représentants du Zanaïr qui les rapatriaient en leurs quartiers centraux près de Porte-Chêne.

Cependant, en 357 de l’ère royale, la situation du Zanaïr changea drastiquement. À l’automne, quatre régiments royaux commandés par le Connétable d’Ébène de l’époque, Hadrien Visconti, encerclèrent la Tour corrésienne. Par décret royal, l’académie mystique fut sommée d’ouvrir ses portes aux enquêteurs de la Couronne. Sachant que rien n’empêcherait le Monarque d’en arriver à ses fins, les Sages se plièrent à ces demandes. Lorsque les soldats débutèrent leur inquisition, ils découvrirent une Tour à moitié désertée par ses occupants. La plupart des disciples avaient déjà fui vers l’est afin de gagner les rives de la lointaine île de Marbelos, réputée pour être un havre d’hérésie et de recherches blasphématoires. Pour ceux qui choisirent de rester, près de deux cents procès furent tenus afin de séparer le bon grain de l’ivraie. Tous ceux ayant fricoté avec les arts mystiques -voire la magie- et les ombres furent condamnés à mort. La vénérable Volinia Varos, grande sage de la Tour, fut elle-même immolée sur le bûcher pour ses nombreux échecs à protéger les artefacts de ses voûtes lors des années précédentes. Une jeune Sage loyale à la Couronne et à la Foi, Dame Florence, fut alors nommée spécialement par le Monarque pour la remplacer. Dans les années qui suivirent, la vocation du Zanaïr changea du tout au tout.

La purge du Zanaïr n’était pas un hasard de l’Histoire. Celle-ci découlait directement des innombrables errances des Sages en matière de conservation d’artefacts. En quelques années à peine, des objets qualifiés de maudits consignés dans les voûtes de la Tour tombèrent entre les mains d’ennemis du royaume. Plus encore, au fil des enquêtes, il devint évident que plusieurs chercheurs tentaient de percer le voile séparant la vie de la mort. Reconnaissant néanmoins l’utilité des connaissances du Zanaïr dans le royaume, le Monarque accepta de placer en tutelle les Sages de la Tour sous l’Inquisition céleste. Les dérives des recherches en matière d’occultisme devaient être balisées par des autorités dignes de confiance, plus spécifiquement celles de la Forteresse de l’Antre du Loup au Val-de-Ciel, à quelques lieues de là. Pour cette raison, il est aujourd’hui fréquent d’apercevoir des ecclésiastiques à l’intérieur de la Tour de Corrèse s’enquérant des progrès et sujets d’études des érudits.

D’explorateurs des mystères oubliés, les Sages du Zanaïr sont devenus les gardiens sacrés. Il n’est plus question de mener des expéditions dans la Forêt d’Ébène ou d’aspirer à activer le potentiel d’un artefact. Les secrets des ères antiques doivent demeurer enfouis et il serait blasphème que de chercher à les révéler au grand jour. Toutefois, si jamais un événement occulte devait survenir en terres célésiennes, les érudits seraient immédiatement convoqués afin d’assister les investigateurs, voire les guider dans leurs recherches. Par leurs connaissances uniques, ceux-ci sont en mesure de circonscrire les menaces obscures afin de les rapatrier dans leurs voûtes sécurisées. Dans celles-ci, nul ne peut pénétrer sans autorisation personnelle de la maîtresse académicienne de la Tour Dame Florence et du Haut-Inquisiteur de la Forteresse valécienne de l’Antre du Loup.

Au contrôle de la Tour du Zanaïr s’ajoute depuis la purge de l’académie la gestion des territoires environnants traditionnellement alloués au comté de Haute-Tour. Afin de s’assurer la loyauté des académiciens en dépit des rigides contraintes leur étant imposées, la Couronne, puis les Paurroi du Duché de Corrèse, accordèrent à la maîtresse académicienne l’intendance des forêts et plaines de Haute-Tour. Du village de Weinburg à l’est aux frontières de Porte-Chêne et du pied des Monts Namori à la ville de Faragon au nord, les récoltes et impôts de la région financent les activités du Zanaïr. Dame Florence, actuelle rectrice et comtesse honorifique de l’endroit, et ce depuis la restructuration, est réputée pour sa droiture et son respect de ses engagements envers la Couronne. Contrairement à ses prédécesseurs, celle-ci est souvent aperçue à l’extérieur de la Tour afin d’inspecter l’état de ses terres. Aussi érudite des sciences métaphysiques que consciente des réalités tangibles de ce monde, elle tente d’ouvrir, dans les limites de l’acceptable, le Zanaïr à ceux qui le nourrissent.

Fait à noter, Dame Florence s’est fermement dissociée de la sécurité de son comté depuis sa nomination. La protection des communautés et hameaux, de même que l’application de la justice laïque, y sont laissées aux soins de baillis locaux élus par leurs concitoyens et chargés d’y recruter des milices. Certes, le Zanaïr veille au financement de ces initiatives, mais il laisse l’entière responsabilité à chaque bourgade de la loi et de l’ordre. En réponse à cette négligence calculée, la Couronne d’Yr a constitué au milieu du quatrième siècle un régiment formé de traqueurs et forestiers d’expérience : les Chasseurs de Haute-Tour. Pendant quelques décennies, ceux-ci travaillèrent de pair avec les forces de la Foi afin de garder à l’oeil les installations de l’Académie mystique et leurs chercheurs. À l’écart des conflits, la plupart de ses archers étaient des individus laconiques et rustres souhaitant éviter d’entrer en contact trop longtemps avec le reste des Ébènois.

Au printemps 381, ces traqueurs surprirent le royaume d’Ébène tout entier en trahissant la cause célésienne et en rejoignant les rangs de la Horde d’Horathot déferlant par le sud de Corrèse. Lors de la bataille de Gardebois, dans le comté de Haute-Sève, les Chasseurs décochèrent leurs flèches sur le fils de la Marquise Katerina Paurroi, Karl Paurroi, et provoquèrent chaos et confusion chez les Célésiens. Pourchassés sans relâche par la Garde forestière du commandant Boris Zverev dans les années qui suivirent, les Chasseurs disparurent dans les territoires hérétiques occupés de l’ouest corrésien. Selon les rumeurs, ceux-ci seraient désormais à la solde des barbares, collaborant avec eux pour pourchasser et mater toute révolte en terres conquises. À ce jour, nul ne sait comment ni pourquoi le régiment entier a fait défection à l’heure la plus sombre de l’histoire corrésienne.

IV.COMTÉ D'ESFROY

Étonnant résultat de l’alliance historique entre le Sarrenhor et Corrèse au début du siècle, le comté d’Esfroy est l’un des uniques exemples de réussite de mixité des cultures en Ébène. Au-delà des héritages physiques issus de l’union d’Abigaël Tesar de Corrèse et de Salomond l’Avisé du Sarrenhor, c’est la paix qui règne entre les chevaucheurs et les forestiers dans cette région qui marque l’esprit des voyageurs. Bois-aux-Malverns, principale cité du territoire, accueille indistinctement les artisans, marchands et chevaliers des steppes et des forêts. Dans l’Académie des Métiers d’art, institution réputée pour ses nombreuses formations manuelles, tous s’y côtoient dans un même désir d’apprentissage. C’est Ivanna Kodenberg qui fait présentement office de rectrice du lieu de savoir.

Le comté d’Esfroy est sous la guidance de Casimir d’Iscar, fils d’Abigaël Tesar. Lié par ses serments au duché corrésien, mais régnant sur des dépendants aux valeurs diverses, le comte est constamment pris entre l’arbre et l’écorce. Parfois critique des excès de zèle de ses pairs, il demeure plus près des modernisateurs de Mordaigne que des traditionalistes de Porte-Chêne.

-Géographie-

Les majestueuses forêts caractérisant Corrèse ne sont pas étrangères au peuple du comté d’Esfroy. Enclavé par celles-ci de part et d’autre, des plaines plaine donnant une vue toujours franche sur les montagnes de Fondebleau le bordant au sud, le comté corrésien s’étend de la frontière orientale du duché jusqu’au coeur de celui-ci sur les berges de la Laurelanne. Affluant vers cette dernière, deux rivières d’une eau vive et claire marquent les limites politiques des terres des habitants d’Esfroy; à l’ouest, l’Aumance prend sa source presque au pied des monts valéciens et, au nord-est, la Dranse des Jumeaux serpente à travers boisés et forêts jusqu’au coeur du Bois-aux-Malverns.

Le bourg corrésien est lui-même construit autour de la grande Académie des Métiers d’Art, constituée de quelques fortins, pavillons et hameaux ponctuant un paysage majoritairement sauvage. Les installations de l’Académie ne comportent habituellement pas plus de deux étages et, bien que leur hauteur ne leur donne pas une allure très impressionnante, leur structure en bois ouvragé avec minutie fait des petites habitations corrésiennes des pièces d’oeuvre d’art à part entière. C’est d’ailleurs à l’orée de la forêt de Bois-aux-Malverns que fut bâtie la demeure de la famille Tesar à la fin de l’an 317. Le manoir fortifié, conçu et commandé par Abigamond – Abigaël Tesar avant ses épousailles- est ornementé de plusieurs figures de pierre représentant des créatures de légendes locales et sa structure est finement gravée de motifs floraux et végétaux retrouvés dans les environs. De larges arbres matures cintrent le village forestier et coupent, en été, la chaleur aride et étouffante des rayons du soleil. Les branches nues des chênes et des ormes laissent filtrer, de l’automne jusqu’au printemps, une éclatante lumière qui se reflète sur la pierre et le bois naturel des bâtiments environnants, donnant un tout autre visage au mystérieux village sylvestre.

À l’ouest de ce dernier, le coeur du comté d’Esfroy est formé des landes et des coteaux d’Eberwald, nommé en honneur de la cité savante du même nom. L’architecture qui la caractérise est, contrairement à la majorité de ce que l’on retrouve dans les environs, faite toute en hauteur et marque le paysage de la région. De partout en Esfroy, il est possible de se repérer grâce aux flèches, contreforts et arc-boutant des grands monuments qui y furent construits et qui, en plus de participer à l’impressionnante perspective urbaine, permettent aux nombreux oiseaux porteurs de messages de prendre un peu de repos. Seule une partie de la forêt corrésienne, au nord de la cité, arrive à faire de l’ombre aux imposantes structures que l’on voit même depuis Haute-Tour et la Sénéchaussée de Porte-Sainte. C’est encore plus à l’ouest de la plaine irrégulière d’Esfroy que la communauté religieuse de Haute-Vallières fut fondée au début de l’an 304. Les herbes hautes, couvrant les vallons qui y mènent et laissées libres par une urbanisation concentrée près de la rivière, sont portées par le vent constant, mais doux, en provenance des Monts Namori.

Enfin plus au sud, à l’extrémité méridionale de Bois-aux-Malverns, l’éclaircissement de la forêt permit de consolider le bourg industriel de Kurks. Les forges, ateliers et exploitations de ressources premières développées tout en longueur le long de la frontière corrésienne parsèment ses nombreuses collines. C’est à son opposé, tout au nord et donnant directement sur la Laurelanne, que s’est établie la bourgade riveraine de Podilsk. Reliant l’entièreté du comté d’Esfroy au reste de Corrèse, la position privilégiée de son marché effervescent profite du couvert du Bois-aux-Malverns, riche en ressources naturelles, mais aussi de l’éclairci de son orée où sont plantés les grands champs de blé qui marquent presque la moitié du territoire.

Les habitants du comté d’Esfroy, mais surtout du bourg de Bois-aux-Malverns, sont formés à la fois de Corrésiens et de Sarrens. Grâce aux initiatives conjointes du couple formé par Abigaël Tesar et Salomond l’Avisé pendant et après la guerre de l’Avènement, ces sujets furent persuadés d’abandonner leurs querelles ancestrales pour renouer avec leur souche commune “d’Enfants d’Arianne”. Vu leur propension naturelle à apprendre les techniques d’attaque et de défense propre à leurs traditions, très peu de troupes armées officielles parcourent le territoire boisé. Les routes toujours bien aménagées et les nombreux gîtes de relais permettent un déploiement rapide des forces du comté si le besoin se fait sentir. C’est d’ailleurs l’un des seuls endroits de Corrèse où l’oon peut apercevoir régulièrement des cavaliers sur le dos de très sacrés sorhinars; pour la plupart des membres influents de clans Sarrens en visite du côté corrésien de leur famille. Les chevaucheurs y sont respectés et posent généralement un regard bienveillant sur leurs résilients voisins.

-Histoire-

L’ouest du royaume d’Ébène et sa forêt étaient source de mystères, de magie cruelle et de sombres forces avant même que les Enfants d’Arianne ne décident d’en défricher les terres. Dès que ces derniers s’installèrent sur les plaines et dans les boisés qu’ils avaient nouvellement conquis, l’inquiétude des Corrésiens se tourna vers la limite occidentale de leur territoire. Au fil des années et des conflits marquant les anciens clans et les familles palatines choisies par le Prophète, les menaces auxquelles ils durent faire face prirent majoritairement comme point d’origine la forêt en elle-même. Naturellement, Corrèse fut appelée à devenir le Bouclier d’une Ébène désunie et en guerre perpétuelle contre les périls sylvestres.

C’est à l’aube de la Guerre des deux Couronnes, vers la fin de l’an 315, qu’un vif sentiment d’indignation s’empara de certains habitants de Corrèse. Hors de leurs terres, les Ébènois négligeaient, et méprisaient même parfois, le devoir sacré de protection cher au coeur des Corrésiens. Cette lutte entre traditionalisme et modernité finit inévitablement par contaminer la politique du palatinat et par créer une division entre les adeptes des voies anciennes et des superstitions articulés autour de Porte-Chêne et les progressistes rassemblés autour de Mordaigne. Alors que l’Alliance de Mordaigne prenait forme, constituée de seigneurs du comté du même nom et de leurs homologues des Semailles, c’est une Corrèse divisée qui fut mise au jour face devant le reste des Ébènois.

Prompts à réagir à cette opportunité, ce sont les troupes sarrens du seigneur-palatin Sigismond dit le Vif qui se lancèrent dans une guerre de conquête de Corrèse sans précédent. Concentrés sur leur propre querelle intestine, les Corrésiens furent pris de court. Ce n’est que trop tard qu’ils finirent par mettre de côté la politique interne au profit d’une défense coordonnée, repoussant non sans lourdes pertes les envahisseurs du siège de Porte-Chêne. La seigneur-palatine de l’époque, Cathara Paurroi, voyant en ses voisins une menace digne d’intérêt, écouta alors la demande de l’une de ses sujettes pleine de volonté et d’ambition. Abigaël Tesar, historienne et artiste de la petite noblesse de Mordaigne, proposa de séparer l’immense frontière orientale du comté de Haute-Tour en deux territoires afin d’en faciliter la protection. Ayant déjà mandé l’un de ses conseillers de la préparation de documents d’ingénierie légaux, la récemment veuve et nouvelle comtesse d’Esfroy -nommé ainsi en mémoire des terribles faits d’armes ayant mené à sa création- et son fils mirent pied dans le coeur du Bois-aux-Malverns où elle fit construire son domaine à l’aube de l’an 318. Déployant rapidement ses plus fidèles proches dans les villages et bourgs locaux afin d’en dresser un portrait, elle élabora un système hiérarchique efficace en distribuant titres et richesses aux nobliaux selon leurs mérites. Pendant trois ans, le nouveau comté corrésien prit de l’essor. Le réaménagement de l’Académie des Métiers d’Art dans le Bois-aux-Malverns, fondée par dame Tesar afin d’offrir aux rebelles roturiers Désirants une façon de reprendre leur vie en main, permit aux producteurs, artisans et académiciens régionaux de faire rayonner et prospérer leur savoir-faire.

Toutefois, de 318 à 321, la menace des raids sarrens planait toujours sur le comté et l’effervescence de l’Académie ne suffisait pas à assurer la stabilité de son économie. C’est dans l’espoir de protéger les siens que la jeune comtesse d’Esfroy scella une alliance, par mariage, avec le chef de guerre sarren Salomon d’Iscar, celui-là même qui avait semé la mort et récolté la destruction de sa patrie. Dans les saisons qui suivirent, le comté d’Esfroy profita largement de cette alliance. Abigamond, qui avait adopté la tradition nominative des clans sarrens pour affirmer son pouvoir aux côtés de celui qui en était devenu seigneur-paladin des steppes, s’était montré fine stratège et avait su garder ses terres de nombreux maux. Si on ne peut en dire autant des comtés voisins qui furent durement touchés par le déchirement de leurs seigneurs lors de la Guerre de l’Avènement, l’Esfroy tira profit des nombreuses et solides alliances qu’avait tissées Abigamond.

L’ouverture politique, culturelle et religieuse de la comtesse d’Esfroy attira toutefois éventuellement l’attention de l’ancienne seigneur-palatine Cathara Paurroi, désormais Princesse Théodoria, et des troupes inquisitrices de la Garde Céleste. C’est la position tranchée et “révolutionnaire” de la comtesse Abigamond -la noble embrassant les idéaux républicains visant le renversement de Théodoria- qui finit par apporter le malheur dans les chaumières corrésiennes. Les zélotes de la Garde Céleste multiplièrent les enlèvements et les morts en Esfroy et on en vint à craindre de sortir le soir venu. Conspirateurs et assassins oeuvrant pour les ennemis de leur comtesse firent couler leur sang. Bien qu’occupée à fomenter la rébellion qui mènerait au retour du prince Élémas V dit le Juste sur le trône qu’occupait la princesse corrésienne, la comtesse Tesar respecta ses engagements féodaux envers son peuple. C’est le déploiement d’une horde considérable de Sarrens, déterminés à démanteler les campements et quartiers des oppresseurs de Théodoria, qui renversa le règne de terreur qui sévissait dans le comté d’Esfroy. Cette démonstration de force des Républicains et progressistes de Corrèse et de leurs alliés finit d’asseoir l’importance du nouveau comté dans la balance des pouvoirs du palatinat.

Par après, le titre comtal d’Esfroy fut remis, malgré la jeunesse des intéressés, au fils de la comtesse. C’est d’abord Émond – nommé Émil Tesar à la naissance, qui en prit le contrôle en 325, alors qu’Abigamond et Salomond soutenaient les troupes d’Élémas V à partir de Lys d’Or contre les monarchistes de celui qui devait devenir le Monarque. Écoutant les conseils de sa mère et marchant dans ses pas, il offrit au comté corrésien une continuité politique logique. Travaillant de pair avec son oncle Énosh d’Iscar, époux de la seigneur-palatine du Val-de-Ciel, il consolida la défense des terres dont il avait la charge et encouragea les échanges commerciaux à partir des Monts Namori. Lorsque ce dernier rejoignit sa mère, après le décès de son père adoptif, afin de reprendre le bâton de la diplomatie, c’est son frère cadet Casimond qui prit la relève du comté d’Esfroy. Plus adroit aux affaires de la cour qu’Émond, dont la franchise pouvait parfois être déconcertante, il scella une alliance maritale avec la petite-fille du comte Krystian Rominski, Lana Rominski.

Croyant fermement dans les principes de patience que prônait Abigamond, Casimir considéra la paix comme le seul moyen de renforcer les acquis de son comté. Appuyé par plusieurs barons corrésiens et de quelques chefs de guerre sarrens souhaitant décentraliser le pouvoir de Lys d’Or, il s’entoura de conseillers d’horizons divers et attachés au respect des traditions, mais pas aux dépens du développement du bien-être du peuple. Cependant, malgré le fort lien économique qu’il construisit entre l’Arsenal de Mordaigne et l’Académie des Métiers d’Art et l’alliance forte qu’il tira du clan Volund, il ne sembla pas avoir autant de soutien populaire que sa soeur jumelle Jaromond la Conciliatrice. Cette dernière, bien que ne possédant pas le titre de comtesse d’Esfroy, s’impliqua fortement au sein du Protectorat de l’Orrindhas unifiant Corrèse et le Sarrenhor, puis prit le titre de Gardienne du Symposium d’Arianne pour s’assurer de la loyauté de plusieurs barons locaux. Son mariage avec Étienne Lacignon, fils unique du héros Élémas V et de la noble Clarté Sanspitié, renforça définitivement la place du patricisme et du républicanisme dans le coeur de nombre d’habitants d’Esfroy.

Toujours porté vers la diplomatie, Casimond, vieillissant, accepta en 379 d’accueillir une noble assemblée corrésienne réunie en réaction à la destruction du Guet-du-Levant par les forces de l’Orrindhas et leurs alliés patriciens. Contraint par ses barons à défendre les intérêts corrésiens contre ceux de l’Orrindhas, Casimir d’Iscar joignit sa bannière à un regroupement de comtes et comtesses se réclamant de l’Alliance du Levant. Animée d’un désir d’autonomie et d’un zèle absolutiste, l’Alliance gagna Mordaigne pour y ériger les fondations du Marquisat corrésien et la fin de l’hégémonie du Protectorat de l’Orrindhas en Corrèse. Si le dénouement de ces frasques politiques était un pied-de-nez flagrant à l’héritage d’Abigamond qui avait milité toute sa vie durant pour l’unité de Corrèse et du Sarrenhor, Casimir parvint à sauver les meubles en devenant le principal porte-parole des nobles de l’Alliance du Levant contre le pouvoir centralisateur et traditionaliste des Paurroi de Porte-Chêne. En siégeant sur l’assemblée législative de l’Alliance du Levant à l’instar des autres comtes corrésiens, il peut protéger les intérêts d’Esfroy et honorer la mémoire de sa mère.

La vision et les méthodes du comte d’Esfroy ne font toutefois pas l’unanimité parmi ses pairs. Pour plusieurs, Casimir serait derrière l’assassinat de la comtesse de Mordaigne (et sa belle-mère), Léa Rominski, lors des négociations de l’Alliance du Levant à Mordaigne à l’hiver 380. Soufflant à la fois le chaud et le froid selon qu’il se prononce en public ou en privé, il veillerait constamment à saper la puissance menaçante des Paurroi et de leurs sbires. Ainsi, lors de l’invasion de la Horde d’Horathot à l’été 381, le comte accueillit en son domaine des messagers du régiment félon des Chasseurs de Haute-Tour qui accusait la famille Paurroi de pactiser secrètement avec les barbares. Ne désirant pas contribuer à une conspiration de Porte-Chêne -selon les mots de Casimir-, Esfroy retint ses légions en ses terres afin de fortifier ses frontières. La propagande des Chasseurs de Haute-Tour avait tous les airs d’une diversion de l’ennemi pour diviser les armées corrésiennes, mais elle donnait au comte une raison légitime de préserver ses forces tout en affaiblissant les seigneurs conservateurs de l’ouest. Pour plusieurs, la survie des régions de l’est de Corrèse et l’invasion rapide de celles de l’ouest par la Horde d’Horathot ne sont pas étrangères aux manigances de Casimir.

V.COMTÉ DES SEMAILLES

Au rythme des saisons, l’agricole comté des Semailles rumine depuis la fin de la Guerre de l’Avènement sa nostalgie d’une époque où ses fiers guerriers luttaient contre les Sarrens et conseillaient les palatins de Corrèse. À partir de Havre-Écarlate, agglomération centrale, Mila Brenmar, fille vieillissante du grand résistant de Porte-Chêne Klev Brenmar, gère le comté tout en gérant ses nombreuses dettes envers la puissante Union commerciale du Sud. Pendant longtemps une vulgaire halte sans fortification ni point d’intérêt digne de mention et obéissant aux exigences de l’Union commerciale du Sud, la seigneurie a regagné son caractère belliqueux et martial depuis la signature de la Grande charte du Levant en 379 et l’éclatement du Protectorat l’Orrindhas. Les chevaucheurs sarrens, collaborateurs de Corrèse pendant un demi-siècle, constituent de nouveau une menace pour les paysans de l’est. À partir du fort de Guet-du-Levant, construit, détruit puis reconstruit envers et malgré toutes les oppositions, les armées de Brenmar se tiennent prêtes à répliquer par les armes à toute incursion des pillards des steppes et à renouer avec les guerres de leurs aïeuls.

Joignant sa bannière à l’Alliance du Levant en 379, la comtesse Brenmar est l’une des artisanes de l’avènement du Marquisat corrésien, puis une farouche partisane de l’indépendance du Duché de Corrèse au lendemain de l’invasion de la Horde d’Horathot. Cynique et réfractaire au changement, elle appuie d’ordinaire les factions traditionalistes et belliqueuses du duché.

-Géographie-

Le comté des Semailles est considéré depuis des siècles comme le grenier de Corrèse. Depuis les antiques ères où les Enfants d’Arianne dévastèrent l’impénétrable Forêt d’Ébène par les flammes, une tradition agricole s’y est implantée. Fournissant le blé et l’orge des marchés de Mordaigne et de Porte-Chêne, les fermiers de la région profitent d’une relative prospérité comparativement à plusieurs de leurs semblables du continent. De plus, avec la fin des raids du Sarrenhor sur les terres lors du quatrième siècle, des dizaines de villages ont vu le jour à l’est des terres. La paix, bien qu’ennuyeuse et méprisée de nombreux habitants nostalgiques des guerres d’antan, a assurément apporté richesse et santé chez ces Corrésiens. Cependant, avec le démantèlement du Protectorat de l’Orrindhas et le retour des menaces des pillards, plusieurs de ces villages vivent aujourd’hui dans la crainte perpétuelle des razzias.

Une forte part de cette prospérité nouvelle découle de la création de la Route des Semailles au début de la Guerre de l’Avènement. Initiative d’Abigamond et de ses alliés de l’Orrindhas, l’axe marchand lie directement Lys d’Or et Mordaigne. Tout au long de celui-ci, des comptoirs de commerce de l’Union commerciale du Sud permettent aux producteurs et artisans locaux d’exporter leurs surplus afin d’arrondir leurs fins de mois. Le plus important de ceux-ci est d’ailleurs le comptoir de Guet-du-Levant, anciennement château des comtes des Semailles. Cela dit, en 344, la Route des Semailles fut rebaptisée “Route de la Veuve” lorsqu’Abigamond, celle-là même qui orchestra la “modernisation” de la région, disparut mystérieusement lors d’un voyage. Selon les témoins, c’est sur le tronçon de route séparant Havre-Éclarlate et Guet-du-Levant qu’elle se volatilisa avec son escorte sans laisser de trace. Après la sortie du Protectorat de l’Orrindhas en 379, cette route fut compromise par l’absence de pouvoir veillant à son entretien. Ce n’est qu’en 381 que l’Union commerciale du Sud en fit l’une des étapes de sa vaste “Route de l’Union” liant Porte-Chêne à la Baie-aux-Noyés en Cassolmer. Malgré les dangers rôdant dans les steppes, cet axe commercial traversant les Semailles demeure une véritable mine d’or pour la corporation.

Dans les environs du comptoir, situé sur la rive occidentale de la rivière d’Auban séparant les Semailles des terres sarrens, la vie est toutefois régulée par une communauté de moines ayant élu domicile dans le cloître de l’ancienne comtesse. Veillant au bien-être de la population locale, il se dit dans la région que plusieurs d’entre eux seraient des vétérans en quête de paix guidés spirituellement par le vieux fils de Klev Brenmar, Ardal Brenmar. Les fleurs sauvages issues de leurs jardins sont prisées par nombre de congrégations religieuses lorsque viennent les Floraisons.

Havre-écarlate (anciennement Le Havre), principale ville de la région et coeur du comté, était autrefois connue comme le pourvoyeur de ressources halieutiques du grenier de Corrèse. Sa position centrale a cependant fait du fief une cible de choix pour les pillages sarrens lors de la guerre sarreno-corrésienne pendant la Guerre des deux Couronnes, autant lors de l’offensive vers l’intérieur des terres corrésiennes que lors du départ des troupes sarrens. Cette situation a donc donné lieu à plusieurs pillages et massacres sur le fief, occasionnant notamment la destruction des installations de pêches tout au long du seul fleuve du comté, l’Olmstred. On raconte que les violents massacres sarrens qui eurent lieu lors de la guerre auraient été si importants que l’eau du fleuve aurait été teintée de rouge des jours durant, donnant son nom à l’agglomération. Encore aujourd’hui, des reflets cuivrés peuvent être décelés à certains endroits au fond du cours d’eau. C’est sur les bords de celui-ci que se dresse le manoir de Mila Brenmar, comtesse des Semailles. Reconstruit à partir de ruines à la suite de la Guerre de l’Avènement, le bâtiment fait bien piètre mine par rapport aux imposants monuments des cités corrésiennes. Néanmoins, dame Brenmar n’en fait guère de cas, celle-ci préférant entretenir ses vieilles idées guerrières plutôt que sa demeure.

-Histoire-

L’ancien comté des Semailles, malgré son statut de marche corrésienne, fut de tout temps le premier à faire les frais des pillages, raids et invasions sarrens. Bien avant le sac de Porte-Chêne par le Sarrenhor en 316 et la création de l’Ordre de l’Orrindhas par Salomond l’Avisé en 323, les Semailles voyaient ponctuellement des cohortes de chevaucheurs s’aventurer en leurs terres afin de s’emparer de leurs récoltes. Afin de répliquer à ces menaces, le fortin de Guet-du-Levant, à l’est, fut construit lors de l’ère de l’Avant. À partir de là, les familles comtales se succédèrent pour garder un oeil sur leurs frontières menacées.

L’omniprésence de la menace des steppes forgea au fil des siècles le tempérament des paysans des Semailles, de même que celui de leurs seigneurs. À plusieurs reprises depuis l’avènement du premier Roi-Prophète, on vit les comtes et comtesses de la marche être élevés au statut de comtes-protecteurs et comtesses-protectrices de Corrèse et mener les armées de tout le palatinat. Entre l’austère réserve des Paurroi de Porte-Chêne et le froid esprit guerrier des meneurs de l’est régnait une concorde qui consolida les politiques corrésiennes. Cette tradition perdura jusqu’à l’éclatement du palatinat au début de la Guerre de l’Avènement avec le partenariat entre la comtesse de l’époque, Mila Chilikov, et la seigneur-palatine de Porte-Chêne, Cathara Paurroi (connue par la population comme la princesse Théodoria).

Effectivement, peu avant le déclenchement du conflit, Corrèse, en précurseur des événements à venir, sombra dans une guerre civile fratricide. Entre les partisans de l’ouverture sur l’Orrindhas à Mordaigne et le Bois-aux-Malverns, et les conservateurs de Porte-Chêne et des Semailles, il n’y avait guère place au compromis. Tandis que la comtesse des Bois-aux-Malverns, Abigaël Tesar, avait fait le choix d’épouser le chevaucheur sarren Salomon d’Iscar dit l’Avisé, prouvant son désir profond de rapprocher les deux palatinats, les vétérans de guerre forestiers ayant connu la mort et la souffrance lors des raids sur Porte-Chêne les années précédentes s’insurgeaient de la possibilité même d’une paix avec leurs voisins. Plus que tout autre, c’est la comtesse-protectrice Mila Chilikov qui fit les frais de ces affrontements lorsqu’elle fut exposée à un rituel obscur accompli dans les tréfonds de la forêt d’Ébène par la zélote Garde Céleste. De l’avis des témoins, la femme ressortit troublée de cette expérience, ce qui la mena, au fil des tragédies, à assassiner de ses propres mains certains des enfants de la famille Paurroi qu’elle avait pourtant juré de protéger. Peu après, capturée par les Monarchistes du Val-de-Ciel, elle fut exécutée publiquement au palais d’Yr.

Au déclenchement de la Guerre de l’Avènement, après la mort de la dernière comtesse Chilikov, la plupart des forces armées de la région, coincées entre les fronts de Mordaigne et du Sarrenhor, quittèrent la marche sous le commandement du baron Klev Brenmar afin de poursuivre la lutte à Porte-Chêne. La “libération” des Semailles donna les coudées franches aux représentants du Protectorat de l’Orrindhas, lors des années suivantes, pour moderniser le comté et neutraliser ses défenses jugées inutiles avec l’alliance des peuples du sud. Ce fut Abigaël Tesar, désormais connue sous le nom d’Abigamond au lendemain de son union avec Salomond l’Avisé, qui supervisa ces opérations.

Cette initiative débuta avec le complétion de la Route des Semailles, premier axe reliant directement le Sarrenhor et Corrèse. Effectivement, depuis des siècles, les seigneurs de la marche avaient imposé leur veto sur tout projet de construction d’une voie marchande entre les deux palatinats. Conscients des dangers que représentait la facilitation des transports en cette région, ils refusaient de donner suite aux demandes insistantes des négociants de Mordaigne et d’Esfroy avides d’ouvrir de nouveaux marchés. La création d’une route balisée et soigneusement entretenue à l’est en 325 fut donc un premier revers au pouvoir de la belliqueuse noblesse des Semailles. Par la suite, à partir de 335, au moment où la victoire de l’Orrindhas sur Porte-Chêne ne faisait plus de doute, les ingénieurs d’Abigamond s’affairèrent à démanteler systématiquement toutes les structures défensives du territoire. Le Guet-du-Levant, symbole de la résistance corrésienne, vit ses murailles abattues tandis que son donjon principal devenait un simple poste de commerce de l’Union commerciale du Sud. Lui succéda le fortin de Schwarze, au nord, et les fortifications du Havre-Écarlate. En cas d’invasion future d’un ennemi autre -Felbourgeois ou Valécien, l’entière protection des Semailles reposerait sur le support des armées de l’Orrindhas.

En 341, Porte-Chêne, affamée par un long siège des partisans de l’Orrindhas, rendit finalement les armes devant l’ennemi. Immédiatement, la question de la suzeraineté des Semailles émergea. Mila Chilikov décédée, son capitaine Klev Brenmar exécuté par la plèbe à Port-Casimir quelques mois plus tôt, qui allait régner sur les plaines fertiles? Dans un souci de conciliation et d’apaisement de la population locale, Salomond l’Avisé se tourna vers l’innombrable descendance de Brenmar. Stratégiquement, le Grand chevaucheur remit à “la famille Brenmar” la gestion des Semailles, sans spécifier de chef légitime. Pendant des années, Emerek (époux de Katerina Paurroi), Ekleviov, Ezkiel, Ardal, Branral, Elyanne, Mary, Luks, Madalaine, Kartle et Mila, tous fils et filles du prolifique capitaine, s’entre-déchirèrent afin de déterminer qui d’entre eux hériterait du prestigieux titre. Ce n’est qu’en 365, après des alliances, des complots, des duels et des batailles circonscrites que les trois derniers survivants, Ardal, Kartle et Mila en arrivèrent à un compromis temporaire : nommer Mila comme comtesse des Semailles. Sans enfant ni mari et vieillissante, elle représentait la moindre menace pour les autres lignées elles aussi fort prolifiques.

Jusqu’en 379, le comté des Semailles demeura extrêmement affaibli. Essentiellement rurale, sans agglomération ou place-forte d’importance et privé de reconnaissance de la part de Lys d’Or et de Mordaigne, la région se contentait de vivre au rythme des saisons. Dans les auberges, les vieillards racontaient avec nostalgie cette époque révolue -qu’ils n’avaient guère connue eux-mêmes- où l’on décapitait quelques Sarrens pour le petit-déjeuner avant de retourner aux champs en après-midi. Mila Brenmar, siégeant dans la ville centrale de Havre-Écarlate, était l’incarnation de cette nostalgie guerrière. Fière fille du sanguinaire Klev, elle rêvait du jour où serait reconstruit Guet-du-Levant, ultime boutade à l’endroit de ceux qu’elles considèrent être les envahisseurs des steppes. Lorsqu’à l’automne de cette année la famille Merioro, nouvellement unie par le mariage à la famille Paurroi de Porte-Chêne, proposa aux Brenmar de reconstruire ledit fortin, un vent d’espoir souffla sur la région. Le temps de quelques semaines, le bastion de Guet-du-Levant, désormais affublé d’un grenier et d’un quai, domina de nouveau les Semailles, rappel d’un glorieux passé. Cette initiative attira toutefois l’attention de l’Orrindhas et de ses alliés. Près de deux mille soldats de l’alliance patricienne déferlèrent sur le chantier et réduisirent à néant les prétentions des Corrésiens. Si cette victoire plut à Lys d’Or, elle enflamma les passions des Brenmar et autres seigneurs de la province, allant jusqu’à provoquer la mort de Kartle lors d’un assaut vengeur sur le Port royal de Bas-Cieux en 379. La signature de la Grande charte du Levant et la sortie de Corrèse du Protectorat de l’Orrindhas quelques saisons plus tard devaient toutefois donner raison aux résistants.

Dès 381, la comtesse Brenmar décupla les efforts pour renouer avec la vocation martiale de sa marche. Négociant sa permission avec l’UCS pour restaurer la route de la Veuve et laisser passer la route de l’Union sur ses terres, elle obtint les fonds et ressources nécessaires pour reconstruire définitivement le Guet-du-Levant. Cette fois, l’Orrindhas affaibli ne put s’opposer à l’initiative et se contenta d’assister impuissant à la remilitarisation des frontières voisines. Par la légion du “Ban de la Faucheuse” stationnée dans le bastion restauré, la comtesse affirma son rôle de premier plan dans la défense de Corrèse en participant assidument aux combats contre la Horde d’Horathot au sud du duché. Porteurs des traditions martiales et folkloriques de leur comté, les soldats du Ban de la Faucheuse font preuve d’une résilience marquée lorsque vient le temps de repousser l’ennemi hors de leurs frontières. Comtesse mythique de la marche, la Faucheuse y est connue pour lever son ost funeste en temps de famine, emportant à sa suite jouvenceaux et vieillards. Se revendiquant de cette sombre légende pour souligner qu’ils ne craignent pas la mort, les guerriers du ban troquent volontiers la faux et la houe pour les armes afin de se porter à la défense de leurs traditions.

VI.COMTÉ DE MORDAIGNE

Première plate-forme commerciale de Corrèse pendant des décennies, Mordaigne a finalement acquis la réputation qu’elle méritait au terme de la Guerre de l’Avènement. Après des siècles de soumission au pouvoir politique de Porte-Chêne et des palatins Paurroi, la cité a acquis le statut de comté autonome et de poumon économique corrésien. Plus ouverts sur l’extérieur que leurs compatriotes en raison de leurs contacts récurrents avec les marchands étrangers, les habitants de Mordaigne ont développé une fierté exacerbée de leur rôle dans le portrait politique du continent.

Succédant à sa mère assassinée à l’hiver 380, Lana Rominski règne aujourd’hui en tant que comtesse sur la cité et les environs. Elle est déjà forte d’une grande expérience politique, ayant longtemps représenté sa mère auprès du Symposium d’Arianne du Protectorat de l’Orrindhas, ce qui lui vaut le respect des petits nobles et bourgeois plus longuement établis. Grâce à la proximité de l’Arsenal de l’Union commerciale du Sud et aux mariages stratégiques, elle se fait la voix de la modernité et du progrès au sein de l’Alliance du Levant et du duché. Elle a hérité de son père une affection particulière pour les idéaux chevaleresques.

-Géographie-

Située à la frontière nord du Duché de Corrèse, la grande cité de Mordaigne est le coeur du comté éponyme. Son territoire s’étend de part et d’autre du grand fleuve de la Laurelanne, et ce jusqu’au Lac de la Croisée. C’est l’accès à ce fleuve et son lien direct avec Porte-Chêne qui explique en grande partie le succès économique du comté. Traversée de plusieurs rivières au débit plutôt important et moins densément boisée que ses voisins, la région a pu se développer autour de cinq pôles importants assez urbanisés.

Latwy, à l’est, est la porte sur le comté pour les caravanes empruntant la Route de la Croisée et pour les navires arrivant au Port de l’Alliance. La cité se développa en prélevant des droits douaniers et tarifs commerciaux et en abritant un grand nombre d’employés manuels de l’Union commerciale du Sud. C’est également en Latwy qu’Edvard Forsberg, ancien maître architecte et baron des terres, fonda le premier collège Forsberg, institution académique dédiée à la formation des ingénieurs civils pour le sud du royaume.

De l’autre côté de la Laurelanne, formant l’ouest du comté, les terres de Prudel représentent un havre de paix pour tous les traditionalistes corrésiens essoufflés du flot cosmopolite parcourant la région. Plus en retrait des activités commerciales effrénées de Mordaigne et de l’Union commerciale, le secteur occidental du comté compte un bon nombre de petites bourgades, de monastères et de forêts sacrées dédiées à la lumière du Céleste. La cité de Prudel des seigneurs Balzareck attire par ailleurs une abondance de conteurs et d’artistes dévoués à la tradition orale des grandes histoires mythologiques traditionnelles de Corrèse.

Au sud du comté, les terres de Makmira étaient, il y a de cela à peine quarante ans, densément boisées. Toutefois, depuis, le baron Anton Borzivoi décida de mener la guerre aux Insoumis de la Forêt d’Ébène en fondant plusieurs camps de travail forcés où les prisonniers de la Guerre de l’Avènement étaient envoyés afin de priver les résistants de leurs cachettes. Avec cet afflux de bois de qualité et d’espace à défricher, le sud de Mordaigne se transforma en une multitude de domaines privés vendus à fort prix aux bourgeois – et à certains individus moins recommandables mais tout aussi riches- du royaume souhaitant avoir leur retraite dans les terres “sauvages” de la forêt corrésienne. Au centre de la cité même de Makmira, la Haute loge Borzivoi gère les opérations des prêteurs sur gage et usuriers oeuvrant dans les diverses maisons de prêt, le tout en association directe avec la Banque libre d’Ébène de Gué-du-Roi.

Incontournable monument à la modernisation de Corrèse, la cité de Mordaigne et les terres de Basse-Mordaigne occupent le nord du comté à la frontière de Fel. Second pôle de pouvoir du Duché, Mordaigne n’a rien à envier aux cités avhoroises ou felbourgeoises. Places marchandes, temples, manoirs, écoles et quais se côtoient à l’ombre de la grande forteresse Rominski d’où la belliqueuse dynastie règne sur une partie importante des richesses de l’ancienne Corrèse. C’est à l’entrée même de cette forteresse que furent jadis fixées les grandes portes de Porte-Chêne lors de leur retour du Sarrenhor en 323, geste qui signa les débuts de l’unification du Protectorat de l’Orrindhas. Rapatriées à Porte-Chêne en 380 lors de la création du Marquisat corrésien, ces portes furent remplacées par les portes du Levant. Confectionnées avec soin par Magdalena Merioro, ces dernières sont parées d’un soleil levant aux motifs végétalisés entouré des armoiries de différents comtés corrésiens, représentation d’une Corrèse nouvellement unifiée.

C’est à Mordaigne que se déroulent les événements culturels et économiques d’envergure des territoires gérés par le duché. C’est aussi dans sa forteresse que sont tenues les rencontres de l’Alliance du Levant, soit l’assemblée des comtes corrésiens chargés d’élaborer les lois du duché avec la sanctification de la duchesse Paurroi. Ces éléments contribuent à faire de Mordaigne un bastion de la cause nobiliaire en Corrèse. Malgré que les signes physiques du sac de la cité par le général Klev Brenmar au début de la Guerre de l’Avènement ne paraissent plus vraiment sur la région, l’événement laissa un profond traumatisme au sein de la populace. Avant sa mort aux mains de la princesse Théodoria, l’ancien comte de Mordaigne, Krystian Rominski, promit que les armées du comté ne quitteraient plus jamais le territoire. Dans cette optique, sa fille unique Léa, consacra les efforts militaires de la riche cité à améliorer et entretenir ses défenses -ce qui contribua encore davantage à l’essor économique de la région.

Les plaines fertiles de l’est de Mordaigne sont majoritairement parsemées de petits hameaux et d’auberges en bordures de route desservant les habitants souhaitant rejoindre l’Arsenal situé à Zolynia. Forteresse commerciale faisant rougir de jalousie les hauts seigneurs d’Ébène sur les berges du Lac de la Croisée, l’Arsenal est effectivement la concrétisation du rêve d’un homme, Vlado Trifoni. Négociant réputé de Corrèse, Trifoni écoula la majorité de sa vie à tisser des liens, conclure des ententes, rapatrier des ressources et coordonner des compagnies marchandes. L’entièreté de cette existence avait pour objectif de fonder ce qui allait un jour devenir les quartiers généraux de l’Union commerciale du Sud. À la fois place-forte, complexe de cales sèches, caravansérail et jardin d’entrepôts, l’Arsenal, ayant su gagner son indépendance face aux seigneurs de Mordaigne, a son mot à dire sur l’entièreté des échanges commerciaux d’envergure de l’ouest du continent. Chaque contrat signé par un Centenier en terres célésiennes trouve son chemin jusque dans les archives de l’Arsenal où la vicomte Klara Folker peut les consulter afin de se forger une opinion solide de l’état du royaume.

Officiellement, les bâtiments administratifs et les quartiers des travailleurs du siège de l’Union commerciale du Sud s’étendent sur trois baronnies : Zolynia, Latwy et Chambourg. Les opérations maritimes intérieures au pays -l’Union attirant sous sa bannière plusieurs dizaines de navires fluviaux- sont opérées en grande partie à partir du Port de l’Alliance situé en Latwy, voisin immédiat du fleuve. Afin d’éviter aux caravanes routières de traverser inutilement les étendues d’eau, de nombreux entrepôts ont été construits sur les terres du clan Volund en Chambourg, ce clan étant historiquement plus près de la notion classique du commerce chez les Sarrens. Le coeur de l’Arsenal reste cependant en Zolynia où, jadis, Vlado Trifoni, le baron corrésien à la tête du projet, fit construire par le maître architecte Edvard Forsberg un grandiose édifice abritant le vicomte de la guilde marchande ainsi que ses administrateurs. Aujourd’hui, c’est Klara Folker qui agit à titre d’intendante de l’Arsenal, première Centenière de l’UCS et vicomtesse du comté de Mordaigne.

-Histoire-

Le comté de Mordaigne, au nord de Corrèse, fut de tout temps le mouton noir du duché. Son territoire longeant la Laurelanne et bordant les territoires de Fel en a fait une région accédant facilement accès aux produits exotiques du nord du royaume d’Ébène ainsi qu’aux marchands les acheminant. Ce faisant, la cité commerciale de Mordaigne a toujours été une halte naturelle pour les négociants ne souhaitant pas s’enfoncer dans la malicieuse Forêt d’Ébène ou voulant limiter le plus possible leurs interactions avec le superstitieux peuple corrésien. Sans dire que les habitants de Mordaigne étaient chaleureux, ouverts d’esprit à la culture du nord et progressistes face aux innovations, la population du comté se montrait au moins plus curieuse ou plus en mesure de feindre un intérêt pour les “frivolités” des provinces nordistes.

Autrefois sous la juridiction de la famille Paurroi, le pouvoir de la région a passé au fil des siècles entre les mains de diverses familles nobles. Le rôle du comte de Mordaigne a toujours été de maintenir ouvertes les routes commerciales pour l’exportation du bois de Corrèse et de filtrer les produits fastueux pénétrant le territoire, la surabondance de luxe ayant toujours été signe de paresse d’esprit chez les Corrésiens. C’est avec ce mandat en tête que les barons et l’aristocratie du territoire organisèrent leurs terres, toujours pris entre deux mondes : celui de la tradition et celui du progrès. Craignant que les familles nobles ne sombrent dans la corruption avec le temps, le titre de comte de Mordaigne devint temporaire, pas plus de trois ou quatre générations d’une même famille ne pouvant jouir de ce statut. Après quoi, les Paurroi décidaient d’une nouvelle dynastie qui aurait à gérer le commerce du grand fleuve.

Le comté ne se mêla jamais réellement de politique ou des affaires de la cour de Porte-Chêne. Aussi longtemps que les revenus des divers impôts et des taxes marchandes allaient dans les coffres Paurroi, Mordaigne bénéficiait d’une certaine autonomie quant à son rôle de protection frontalière de la Forêt d’Ébène. En 315, la région étant alors sous la direction du comte Frédérik Garant. Une organisation de seigneurs mineurs, d’artisans, de négociants et de lettrés se forma alors autour de la bannière du jackalope de l’Alliance de Mordaigne. Ce regroupement de Corrésiens était prêt à rejoindre la politique du royaume en Yr afin d’y porter les intérêts commerciaux et culturels du palatinat sylvestre, ses intérêts militaires y étant déjà adroitement représentés par la Garde forestière. La prise de position de l’Alliance dans la Guerre des deux Couronnes fixa le ton de ce qui allait se produire lors des années suivantes. Partisans du prince Élemas IV, mais refusant d’exécuter tous ses opposants tel que prêché par l’austère et traditionaliste Garde forestière, l’Alliance de Mordaigne commença créer des frictions à l’intérieur du palatinat.

En 321, après que la Guerre des deux Couronnes eut mené au tombeau nombre de seigneurs de la cité marchande, la comtesse Mila Chilikov prit les rênes du comté voisin des Semailles et la comtesse Abigaël Tesar ceux du comté d’Esfroy au sud-est. Même si ces deux dames étaient membres de l’Alliance de Mordaigne, cette prise de pouvoir ne profita pas directement au comté, les intérêts des nouvelles comtesses divergeant maintenant de la réalité de la plate-forme commerciale. Krystian Rominski, fondateur de l’Alliance resté en Mordaigne, négocia alors à la cour d’Yr une entente de non-agression avec Salomon d’Iscar, leader des raids sarrens sur Corrèse et éventuellement vainqueur du siège de Porte-Chêne. Cette négociation se fit sans l’aval du comte Garant qui n’y vit qu’une habile manoeuvre politique protégeant ses terres des incursions du Sarrenhor. Les intentions de Rominski allaient cependant bien plus loin et, par diverses tractations, il réussit à être nommé baron de la Basse-Mordaigne. Il s’assura par la suite que les postes décisionnels du comté soient mis entre les mains de membres encore fidèles à la cause de l’Alliance de Mordaigne.

Le baron construisant son influence petit à petit pendant les années suivantes, il réussit à ce que la seigneur-palatine de l’époque, Cathara Paurroi, le nomme comte de Mordaigne en 321 avant que celle-ci ne soit elle-même nommée princesse d’Ébène sous le nom de Théodoria. Un terrible jeu de pouvoirs s’installa alors en Corrèse. Une nouvelle faction -la Garde Céleste- s’installa dans l’ouest du palatinat et en son sud jusqu’au tristement célèbre château du Lichthaus, dans les profondeurs de la Forêt d’Ébène. Alors que Mordaigne continuait de jouer son rôle de pourvoyeur commercial pour Porte-Chêne, l’influence des zélotes grandit rapidement et l’Alliance de Mordaigne se tourna, au grand dam de plusieurs Corrésiens, vers l’extérieur du palatinat pour y trouver de nouveaux alliés condamnant le fanatisme de la Garde céleste. Profitant des rapprochements créés par la fondation de l’Union commerciale du Sud par le comte, les relations s’adoucirent avec le Sarrenhor ainsi que Fel et Cassolmer. Avec la fusion des Oblats hospitaliers et de la Compagnie du Heaume -d’anciennes congrégations religieuses célésiennes- en une seule organisation, la cité de Mordaigne reçut le statut de lieu sacré par sa grande implication auprès des Oblats durant la Guerre des deux Couronnes. Le comté prospéra alors rapidement et la cité commerciale doubla sa population.

La situation à l’intérieur de Corrèse dégénéra cependant en un terrible conflit ouvert en 322. Les comtés de Mordaigne, Esfroy et Haute-Tour se rebellèrent contre l’autorité des Paurroi qui étaient, à leurs yeux, manipulés par la Garde Céleste et son étrange rite mystique d’Illumination. La cité de Mordaigne fut saccagée par les troupes fidèles aux Paurroi dirigées par nulle autre que la comtesse protectrice Mila Chilikov. Ce massacre traumatisa profondément la population de la cité qui n’avait pas connu la guerre depuis plusieurs décennies et qui s’était enfoncée dans un mode de vie basé sur la prospérité marchande. À partir de ce moment, Krystian Rominski fit la promesse que les troupes de Mordaigne ne quitteraient plus jamais les frontières du comté. Ce fut la seule calamité qui frappa la ville qui possédait désormais sa grandiose forteresse à laquelle on apposa les portes de Porte-Chêne, offertes par les Sarrens après moultes négociations. Dès lors, il n’était plus question pour l’Alliance de Mordaigne de retourner sous la juridiction des Paurroi et on mit sur papier les bases du Symposium d’Arianne -au sein du Protectorat de l’Orrindhas- qui rejoindrait le camp des Républicains durant la Guerre de l’Avènement.

Par un terrible concours de circonstances, les enfants Paurroi à la tête de Corrèse furent assassinés par une Mila Chilikov confuse et désespérée. La princesse déchue Cathara Paurroi prit alors plusieurs otages de marque afin de ramener les rebelles sous le giron de Porte-Chêne -et du même coup du Guérisseur couronné. Le comte Rominski s’offrit en sacrifice afin que soient épargnés ces otages où figurait le fils d’Abigael Tesar et Salomond le Grand chevaucheur : Émond. Il fut alors abattu en pleine cour d’Yr et c’est sa fille, Léa Rominski, qui hérita du prospère comté et du fardeau de la guerre. Le maître architecte Edvard Forsberg put heureusement assurer son entrée en pouvoir au lendemain du grand deuil qui frappait Mordaigne. Les alliances tissées avec Esfroy, le Sarrenhor et le comté de Mille barons de Cassolmer tinrent et elle put rapidement contribuer à ce que le Protectorat de l’Orrindhas voit le jour.

L’Arsenal de Vlado Trifoni fut terminé et pleinement opérationnel l’année suivante. Le vicomte de l’Union commerciale du Sud put alors utiliser le plein de pouvoir économique de son organisation pour faire bénéficier au comté de nouvelles routes économiques. Mordaigne tint bon et participa activement à l’embargo sur la partie ouest de Corrèse sous le contrôle des traditionalistes Ristoff Paurroi et Conrad Mensner. Les escarmouches planifiées par la milice des “Insoumis” n’eurent que peu d’impact sur le territoire dû à la grande attention portée au développement d’infrastructures défensives visant à protéger les marchands sous la gouverne de Trifoni et honorer la volonté de l’ancien comte Rominski. Le Port de l’Alliance imaginé par le mentor de la comtesse, le baron Forsberg, sur le Lac de la Croisée atteignit le sommet de ses activités aux débuts des conflits de la Guerre de l’Avènement. De concert avec l’Arsenal de l’Union, le contrôle des fleuves et des caravanes de tout le sud du royaume allait lentement tomber sous le contrôle des marchands corrésiens et le poids du fardeau économique finit par avoir raison des traditionalistes de l’ouest en 341.

Avec les négociations visant à constituer le Protectorat de l’Orridhas et le Symposium d’Arianne, le comté de Mordaigne se rapprocha du clan Sarren des Volund, lui également possédant de grandes lignées de familles marchandes. En 330, Léa Rominski scella l’alliance entre les deux comtés en se mariant avec Andrivolund -devenu Andrii Rominski à la mort de son père tel que le souhaitait la tradition sarren-, second fils du chef du clan Mirovolund. C’est l’année suivante que naquit Lana Rominski et deux ans après, Daria Rominski. En 341, avec la signature de la paix en Corrèse et la mort de Salomond l’Avisé, la lignée des Mond prit une grande importance dans le Symposium d’Arianne qui tenait toujours tête aux forces monarchistes. Casimir d’Iscar remplaça son demi-frère, Émond, à la tête du comté d’Esfroy, voisin et allié de toujours de Mordaigne. Avec la signature de la paix du royaume en 345, la possibilité d’un retour au pouvoir des Paurroi sur Mordaigne était alors temporairement écartée et Léa Rominski concentra ses efforts à faire de la cité un lieu de rencontre privilégié pour les autorités du Symposium.

En 346, on célébra le mariage de Lana et Casimir d’Iscar, qui se montra être un adroit diplomate plus sympathique aux Corrésiens qu’à ses souches sarrens. La triple alliance que formait Mordaigne, Esfroy et les terres Volund s’avéra un tremplin supplémentaire à l’Union commerciale du Sud qui prospéra encore plus rapidement une fois la paix signée avec les Monarchistes. En 351, c’est le mariage de Daria Rominski que l’on célèbre avec Marko Forsberg, héritier du maître architecte et fondateur des collèges d’ingénierie civile Forsberg, Edvard Forsberg. En 357, avec la purge que subit le comté de Haute-Tour et l’Académie du Zanair, un Anton Borzivoi aigri et vieillissant réintègra ses terres de Makmira, constituant autrefois le sud de Mordaigne, au comté des Rominski. L’ancien membre de l’Alliance de Mordaigne, momentanément comte de Haute-Tour, mit sa fameuse Haute loge Borzivoi et son réseau de maisons de prêt au service de l’Union commerciale et de la cité forteresse de Mordaigne.

Malgré l’animosité ayant pu exister par le passé entre la Couronne et le Symposium d’Arianne, Léa Rominski fit un pèlerinage en Yr en 362 afin d’y contempler le Siège des Témoins et voir pour la première fois le lieu où son père fut assassiné. À sa grande surprise, elle y rencontra le Monarque en personne et revint en Mordaigne convaincue du bienfait du régime monarchique en place. Le comté commença alors à s’impliquer plus d’avant dans les affaires royales, contribuant monétairement au trésor royal et offrant aux Corrésiens la possibilité de rejoindre les rangs de l’armée royale plutôt que les défenses de Mordaigne.

Lana Rominski commença alors à représenter le comté dans l’assemblée des seigneurs du Symposium. Aidée de son époux Casimir, ils travaillèrent activement à faire en sorte que l’entité géographique constituée de Mordaigne, Esfroy et les terres Volund reste le coeur économique de l’organisation au grand détriment de Lys d’Or. Compensant pour le côté plus idéologue et l’éducation de lettré de Casimir, Lana se montra rapidement être une femme d’action politique pragmatique à l’image de son grand-père. Elle fit d’ailleurs mettre le jackalope de l’Alliance de Mordaigne sur les armoiries familiales Rominski, famille dont elle comptait bien avoir la charge dans les décennies à venir.

Avec les années, un fossé se creusa cependant dans le Symposium d’Arianne. L’accumulation de petits incidents amena des rivalités et des tensions à l’intérieur même de l’organisation politique. En 377, Léa Rominski, âgée de près de 70 ans, dirigeait toujours le comté de Mordaigne, mais elle laissait sa fille Lana s’occuper de la représentation auprès du Symposium envers lequel elle portait peu de crédibilité. Le Protectorat de l’Orrindhas, imposant sa loi dans le sud du royaume pendant un demi-siècle, commençait à perdre de son influence. À l’hiver 380, un mouvement revendiquant la sortie de Corrèse du Protectorat souffla sur la province. Rassemblés sous le nom de l’Alliance du Levant, celui-ci regroupait les traditionalistes des Semailles, des Cendres, de Haute-Sève et, bien sûr, de Porte-Chêne. Toutefois, plus profondément, ce mouvement était alimenté par les rixes entre les forces absolutistes et patriciennes, opposées sur la question de l’Orrindhas. Rapidement, une armée de libération se leva et se présenta devant Mordaigne, symbole de l’union entre Corrèse et le Sarrenhor.

Par la grâce du Céleste, les négociateurs évitèrent les affrontements directs. La comtesse Rominski, désireuse de trouver une sortie de crise pacifique, invita ses homologues à une rencontre privée à l’intérieur même des murs de sa cité. Si cette initiative permit la signature de la Grande charte du Levant officialisant la création du marquisat autonome de Corrèse, elle fut aussi l’arrêt de mort de la dame. Pendant la nuit suivant les tractations, Léa Rominski fut lâchement assassinée par un meurtrier inconnu. Celle-ci avait été sauvagement poignardée à l’intérieur même de la forteresse par un assassin inconnu. La rumeur désignait évidemment comme commanditaires de cet acte les partisans de l’Orrindhas, qui auraient voulu éliminer la comtesse qui avait toujours douté de la pertinence du Protectorat. Très vite, la population s’indigna contre ces opposants idéologiques, les accusant de vouloir saboter les décisions corrésiennes de la plus odieuse des manières. Cette nuit-là, des émeutes violentes éclatèrent dans toute la ville, alors que des sympathisants de l’Orrindhas et du patricisme étaient violemment battus en pleine rue par une foule pro-monarchie en colère. La “Nuit de la rétribution”, comme on l’appela, fut le chant du cygne du Protectorat de l’Orrindhas. Néanmoins, la fille de la défunte, la comtesse Lana Rominski, ratifia la Grande Charte de l’Alliance du Levant et obtint la souscription de l’ensemble des comtes corrésiens. Sous la tutelle de la famille Paurroi, seigneurs traditionnels de Corrèse, l’Alliance du Levant verrait le jour sous la forme d’une noble assemblée législative siégeant depuis Mordaigne. Dirigeant les bannières corrésiennes depuis Porte-Chêne, la marquise Paurroi avait le devoir d’administrer la justice sur ses terres, de protéger l’assemblée de Mordaigne et de veiller à cultiver le support de ses sujets.

Quelques années plus tard, en 382, le comté de Mordaigne fut exposé à la menace d’invasion de la Horde d’Horathot. Fidèle à sa politique de défense, la comtesse Lana Rominski refusa de déployer ses troupes -les Francs-Tireurs de Mordaigne- hors de son territoire. Ainsi, tandis que le comté de Haute-Sève tombait sous les coups des assauts des hérétiques, la dame renforçait à grands coups les berges des rivières frontalières. L’isolationnisme militaire de la dame fut largement condamné parmi la noblesse corrésienne, mais elle lui permit, lorsque les barbares lorgnèrent vers ses terres, de contenir le menace. Puissamment fortifiés à grands frais et protégés par les mercenaires des Francs-Tireurs, les cours d’eau au nord de la Laurelanne en Corrèse constituent une ligne de défense contre les ambitions dévorantes des hérétiques.

VII.COMTÉ DES CENDRES

[Avertissement : Le comté des Cendres est sous le contrôle de la Horde d’Horathot. Les informations ci-dessous pourraient être obsolètes, le détail des conséquences de l’occupation échappant aux autorités ébènoises.]

Dernière frontière des terres célésiennes avant les confins obscurs de la Forêt d’Ébène, le comté des Cendres est une terre où les légendes côtoient la réalité au quotidien. Des antiques guerres contre les Macassars sylvestres aux rituels du mystérieux Lichthaus en passant par les cultes barbares des Insoumis, les Cendres furent et demeurent aux premières loges des phénomènes occultes du continent. Si la forteresse des Cendres fut historiquement le siège du pouvoir de la famille Mensner, c’est Entre-Gage, ultime communauté forestière à l’ouest, qui représente le mieux le caractère sinistre et paranoïaque des habitants de la région.

Lors de l’invasion de la Horde d’Horathot, le comté des Cendres fut le premier à tomber sous le coup des légions hérétiques. Déjà conquise par les Insoumis de la Forêt d’Ébène au printemps 381, on ignore si la communauté d’Entre-Gage a survécu à l’occupation.

-Géographie-

Du Lac du Chêne et ses affluents jusqu’aux profondeurs de la Forêt d’Ébène, le comté des Cendres doit son nom aux antiques guerres que livrèrent les Enfants d’Arianne aux terribles Macassars dans les temps immémoriaux. Incapable de lutter contre la puissance mystique des engeances de l’Enchaîné, l’humanité décida il y a des siècles, voire des millénaires, d’user des flammes pour vaincre l’ennemi. Pendant des décennies, elle incendia les forêts et repoussa les frontières naturelles des créatures, les forçant à se replier dans les profondeurs de la forêt. Le comté des Cendres fut le dernier site où cette tactique fut mise en oeuvre. Selon les légendes, les feux y brûlèrent pendant des années, tapissant les fortins rudimentaires des Enfants d’Arianne d’une suie indélébile et couvrant le sol de cendres qui devaient à jamais étouffer les terres. Incapables de cultiver ces territoires jugés maudits, les habitants de la frontière laissèrent au fil des siècles la nature reconquérir son domaine et se contentèrent d’y aménager des communautés et bastions vivant en permanence sous la canopée d’Ébène. Plus que partout ailleurs en Corrèse, les arbres des Cendres semblent repousser avec vigueur et rapidité.

Néanmoins, certains villages et bourgs virent le jour grâce aux efforts assidus des bûcherons. Au nord, les pêcheries d’Eidelbourg sont l’une des rares sources fiables de vivres de la région, encourageant la populace des autres hameaux surpeuplés à y chercher refuge et subsistance auprès d’une bourgeoisie mieux nantie. Non loin de là, entre la Mer Blanche et Porte-Chêne, la forteresse de Mensner agit à titre de résidence secondaire pour la famille Paurroi et assure une présence dans la région. Construite par l’ancien comte-protecteur de Corrèse au début du siècle, Conrad Mensner, la place-forte aux murs de pierres noircies par la suie s’élève telle une apparition fantomatique au-dessus de la cîme des arbres. Depuis quelques années, celle-ci est au coeur du défrichage voué à améliorer le rendement des terres du Chêne. De ces efforts initiaux de déboisement vers la Forêt d’Ébène, il ne reste toutefois que des histoires de disparitions subites associées aux habitants de la forêt et des rumeurs de boisés entiers ayant repoussé en une nuit. Sur décret ducal, l’expansion vers l’ouest fut éventuellement interdite au profit des forêts au nord et à l’est du duché.

Plus au sud, l’ancien chapitre de la Garde céleste d’Untel figure maintenant au coeur des efforts religieux sur les terres du Chêne. La justice ducale y est sévèrement exercée entre les parois de bâtiments d’un bois noir coupé à même l’Ébène, et les effectifs de l’Inquisition qui y sont stationnés sont chargés d’empêcher quiconque, ou quoi que ce soit, d’entrer ou sortir de la forêt. Aux dépendances d’Untel s’ajoutent les lieux de culte de la vieille capitale, incluant le temple du Chêne, sur la rive nord du lac éponyme. Intégré aux défenses de la capitale, ce dernier prend la forme d’un imposant édifice de bois sculpté couronnant une tour de guet ayant les airs d’une excroissance des remparts orientaux de Porte-Chêne. Historiquement, aucun ennemi célésien n’a jamais pris d’assaut cette façade du mur, les risques d’endommager le lieu saint étant trop élevés.

Le monastère de Noirbois quant à lui est un lieu saint austère à la lisière de la Forêt d’Ébène. Originellement reconstruit afin d’accueillir les Héritiers et les Vestales des terres du Chêne, Noirbois est l’un des rares monastères attachés à cette tradition qui attire encore des enfants de noble lignage, majoritairement les enfants d’une aristocratie superstitieuse ou zélée. Depuis déjà deux générations, les Paurroi eux-mêmes ont pris pour habitude d’y envoyer l’un des leurs afin d’implorer le pardon du Céleste pour les actes de la princesse Théodoria, anciennement Cathara Paurroi. En retrait de la société, les moines y forment quelques-uns des prédicateurs les plus critiques du monde séculier. Depuis la grande chasse du printemps 379, le monastère accueille la célèbre tête du cerf blanc. Ce trophée offert par la duchesse Katerina Paurroi confirme le caractère unique de la foi célésienne en Corrèse marqué par la superstition et une complexe relation avec la Forêt d’Ébène.

C’est toutefois la communauté éloignée d’Entre-Gage qui fait la réputation du comté. Le voyageurs osant se rendre jusqu’à ce hameau profondément enfoncé dans les bois devra d’abord emprunter l’étouffante Route de la Lumière, héritage du règne de Catharina Paurroi et de la Garde Céleste. Celle-ci permettrait, selon les légendes, de se rendre jusqu’au mystérieux château du Lichthaus à des jours de marche à l’ouest, mais, aujourd’hui, elle s’arrête aux portes d’Entre-Gage. De chaque côté de celle-ci, les arbres semblent vouloir à tout moment dévorer les passants. Ils se rejoignent d’ailleurs en son sommet, la canopée voilant la voûte céleste des yeux des voyageurs. L’éternelle ombre qui accompagne la longue route de deux jours pourchasse ainsi le visiteur dès le passage de l’ultime auberge à son entrée : l’Auberge du dernier repos.

À l’issue du pénible pèlerinage y menant, Entre-Gage apparaît comme chaleureuse et accueillante. Les chaumières des quelques trois cents forestiers y résidant laissent échapper des volutes de fumée tandis qu’une immense tour de garde de bois similaire à un phare perce les ténèbres oppressantes de la forêt grâce à son brasier perpétuel. Un fossé profondément creusé et surplombé d’une haute palissade ceint la communauté, gardée par des soldats aux armoiries de la famille Heissen : le loup gris sur fond noir. Quelques potagers de carottes et de navets entourent du côté Est le hameau, mais ceux-ci sont chétifs et peu luxuriants, la forêt s’acharnant quotidiennement à les envahir.

Cependant, pour celui s’attardant à Entre-Gage, il découvrira une population méfiante à l’extrême, conservatrice et d’une inflexibilité troublante. Les visiteurs, lorsqu’ils s’éternisent sur place, sont l’objet de regards suspicieux, d’injures peu subtiles et, éventuellement, d’un interrogatoire en bonne et due forme. Nul ne va à Entre-Gage par hasard, et plus souvent qu’autrement ce sont des explorateurs sylvestres ou des occultistes qui passent par là…donc autant d’individus pouvant réveiller les malédictions de la forêt. Pour les bûcherons et chasseurs subsistant tant bien que mal des rares ressources qu’ils peuvent en retirer, mieux vaut laisser ces fous mourir dans les tréfonds des bois. La nuit, personne ne sort en dehors des murs sous l’ordre strict du bailli Wolfgang Heissen. Tout individu osant se soustraire à ces règlements et s’aventurer dans les bois une fois le Soleil couché disparaît sans jamais être revu. Cependant, au printemps 380, sous l’impulsion d’une délégation royale, une milice locale fut créée. Gérée par Greta Leitner, ambitieuse et mercantile Maîtresse de la Guilde forestière locale, celle-ci est un sérieux pied-de-nez à l’autorité du Bailli.

À cette milice s’ajoutent les sentinelles du régiment des Forestiers d’Entre-Gage. Ayant rejoint les armées royales lors de l’avènement du Monarque au milieu du quatrième siècle, ils sillonnèrent pendant des décennies et avec une efficacité remarquable les frontières occidentales de Corrèse. C’est toutefois sous l’impulsion de leur commandant Boris Zverev qu’ils gagnèrent en réputation partout dans le royaume en tant qu’archers spécialisés en combats sylvestres. Ce sont leurs traits meurtriers qui ralentirent l’avancée de la Horde d’Horathot et sauvèrent les vies de milliers de Corrésiens. Se dissimulant dans les bois comme nul autre, ils embusquèrent pendant des semaines les avant-gardes ennemies. Contrairement aux autres régiments de l’ouest, ils n’abandonnèrent jamais la lutte, harcelant toujours les hérétiques sur leur propre territoire malgré la fin de la guerre ouverte. Selon les rumeurs, ceux-ci constitueraient la principale résistance célésienne en terre d’Horathot.

Enfin, outre la bourgade d’Entre-Gage, peu de points intéressants sont connus dans les environs. Personne n’ose réellement s’aventurer plus loin à l’ouest, craignant les menaces naturelles et surnaturelles sur leur chemin. Des Macassars aux Insoumis en passant par les fosses de Noiroses, chaque heure écoulée en forêt rapproche le voyage de sa mort. Néanmoins, on raconte que, au nord de la forêt, à l’ouest d’Eidelweiss sur la Mer Blanche, se terre un groupe de boucaniers attaquant tous les navires qu’ils croisent au large. Les coupe-gorges de la Côte-aux-Lamentations comme on les appelle sont équipés de galères et sont bien armés, ceux-ci ne semblant pas craindre les bois et massacrant systématiquement tous les marins qu’ils croisent. Plusieurs épaves peuvent être rencontrées en ces eaux, faisant du commerce et des voyages vers le Silud une aventure périlleuse. Ce sont ces mêmes pirates qui, en 380, ont joint leurs forces à celles de l’Empire du Bouc pour prendre d’assaut Port-Casimir.

-Histoire-

Domaine de la famille Mensner depuis la nuit de temps, le comté des Cendres est la véritable marche de Corrèse aux yeux des habitants de la province sylvestre. Les Corrésiens ayant pour mission sacrée de confiner les menaces de la Forêt d’Ébène derrière les frontières humaines, les soldats et comtes des Cendres sont perçus comme le fer de lance de leur lutte. Ce sont eux qui forgent les récits et les contes hantant les cauchemars des enfants du duché, que ceux-ci soient fondés ou non.

Les locaux se font un devoir de rappeler les conséquences d’une ambition excessive offensant les puissances de la forêt. Selon les légendes des Cendres, ce serait la folie des anciens seigneurs de l’ouest qui aurait provoqué l’apparition du Sang’Noir au début de l’ère royale. Ignorant la sagesse des anciens, de téméraires fermiers auraient poussé trop loin leurs entreprises de défrichage, provoquant la colère vengeresse des entités se terrant dans la sylve. Ayant par ailleurs oublié leur dévotion envers le Céleste, ils furent les premiers à subir les assauts maléfiques des damnés du Sang’Noir. C’est à la ferme Canterre, propriété d’un simple cultivateur ignorant, que naquit le mal qui devait déferler sur le continent des années durant. Depuis ce sombre épisode de l’histoire d’Ébène, la noblesse des Cendres se fait un devoir d’être prophète de malheur auprès de ses pairs. Lors des trois premiers siècles de l’ère royale, elle délogea les bûcherons osant s’aventurer à proximité de la ferme Canterre, fit d’Entre-Gage l’ultime frontière du royaume, érigea la forteresse des Cendres et créa la redoutable cohorte de la Garde forestière traquant sans pitié ceux osant contrevenir à ses ordres. Malheureusement, par un ironique renversement des valeurs, ce zèle devait se retourner contre les protecteurs de Corrèse.

Au début du quatrième siècle, lors de la Guerre des deux Couronnes du quatrième siècle, la nouvelle de l’existence d’un mystérieux château antique aux confins de la Forêt d’Ébène fut apportée à l’attention du couple palatin de Corrèse, Ludwig Schattenjager et Cathara Paurroi. Intrigués par les secrets célésiens contenus dans celui-ci, ces derniers restaurèrent les lieux et en étudièrent les rites oubliés. De la théologie dévoilée en ce château naquit la congrégation religieuse de la Garde céleste prônant une purge radicale de comportements “non-célésiens” dans le royaume. Le Lichthaus, ou “château de lumière”, comme on l’appela, devint le bastion de la Garde céleste et fut le théâtre de rituels oubliés à ce jour. Entre-temps, à la mort du prince Élémas V, Cathara Paurroi fut élue princesse d’Ébène sous le nom de Théodoria, instaurant un régime d’austérité et de fanatisme religieux.

En moins d’une année, le règne de Théodoria fit naître un mouvement républicain tirant ses racines dans l’ensemble des palatinats d’Ébène. Ce n’est que plus tard que l’on apprit que la princesse, par des méthodes tordues dignes des grands vilains de l’Histoire, avait volontairement déstabilisé le royaume afin de préparer le retour du Guérisseur couronné, ultérieurement connu comme le Monarque. La montée en puissance de ces factions opposées devait mener directement au déclenchement de la Guere de l’Avènement. Malheureusement, l’attachement d’Entre-Gage aux fanatiques religieux de la Garde céleste attira sur le bourg l’attention des ennemis de Corrèse. En 323, une force de l’est du royaume prit d’assaut le comté des Cendres, ravageant l’entièreté des fortifications et y propageant une terrible épidémie -la Peste sanglante- qui emporta dans la mort une part importante de la population. Quant au Lichthaus, les survivants de la Garde céleste -jugés comme trop radicaux- y furent exilés par le nouveau Monarque lors de la Guerre de l’Avènement. Ceux-ci devaient dans les décennies suivantes donner naissance au mouvement hérétique et criminel des “Insoumis”, des hors-la-loi corrompus par les ténèbres sylvestres et vivant en marge de la paix du Monarque dans la Forêt d’Ébène.

En 333, après les famines découlant de la Guerre de l’Avènement, Conrad Mensner, comte-protecteur de Porte-Chêne aux côtés du fils de la défunte Cathara Paurroi Ristoff Paurroi, ordonna le repeuplement du comté des Cendres dans l’espoir d’en extraire des vivres. Les partisans du Protectorat de l’Orrindhas, utilisant les rouages économiques de Mordaigne pour affamer les traditionalistes de l’ouest corrésien, menaient efficacement une guerre d’attrition du Porte-Chêne et ses alliés. Des colons de la capitale furent donc amenés de force dans la région pour entreprendre la recolonisation. L’aventure ne fut pas un franc succès, mais confiée aux soins du vieux Engelhart Heissen Entre-Gage fut néanmoins reconstruite et le défrichage de la forêt entamé. Père adoptif de Ludwig Schattenjäger, Engelhart en connaissait déjà beaucoup sur les mystérieux secrets de la forêt. Il fit donc construire un phare au coeur d’Entre-Gage, assez haut pour illuminer plus loin dans la forêt. Les chasseurs et bûcherons purent ainsi toujours retrouver leur chemin, ne s’éloignant jamais plus loin que la lumière bienveillante d’Entre-Gage. C’est Wolfgang Heissen, fils d’Engelhart, qui dirigea les lieux par la suite en tant que bailli jusqu’à la conquête de la Horde d’Horathot. Son autorité ne trouvait pour seule opposition que Greta Leitner, Maîtresse de la Guilde forestière d’Entre-Gage fondée en 380. Résolue à exploiter les richesses de la Forêt d’Ébène (malgré les menaces mystiques), la dame était à la tête d’une puissante milice locale apte à remplacer le régiment de la Garde forestière en cas de déploiement à l’étranger. Cette tension entre le conservatisme de Heissen et l’ambition mercantile de Leitner ébranla les fondations même de la modeste communauté jusqu’à l’arrivée de la Horde d’Horathot.

Au terme de la guerre civile qui vit l’intégration forcée de Corrèse au Protectorat de l’Orrindhas, le comté des Cendres devint une dépendance des pouvoirs de Porte-Chêne. Katerina Paurroi, fille du duc Ristoff Paurroi et de la fille de Conrad Mensner Sigrid Mensner, rapatria les titres comtaux dans sa propre famille et laissa à son second fils, Manfred, la responsabilité de restaurer et entretenir la forteresse des Cendres. Toutefois, malgré les précautions prises par les Paurroi depuis la fin de la Guerre de l’Avènement, rien ne préparait le comté au déferlement de la Horde d’Horathot en l’an 381 de l’ère royale. Devant les dizaines de milliers de sanguinaires guerriers des os se présentant à ses portes, Manfred Paurroi lutta avec acharnement. Sous ses ordres, des opérations suicidaires furent mises en branle afin de ralentir la progression de l’ennemi. L’exemple le plus flagrant est celui de la bataille d’Untel lors de laquelle un contingent d’une centaine d’archers forestiers retint pendant trois semaines près de cinq mille hérétiques par des pièges mortels et des tactiques de guérilla. Or, privés de renforts, ceux-ci furent éventuellement encerclés, capturés et sacrifiés au terrible dieu païen Horathot. Au 91e jour automne 381, après un siège de plus de cent jours, Manfred, désespéré, incendia de ses propres mains la forteresse des Cendres et profita du chaos ambiant pour fuir le champ de bataille en compagnie de sa garde personnelle. Nombre d’Éveillés sanguinaires périrent ce jour-là, mais ceux-ci emportèrent dans la tombe la majorité des vaillants défenseurs du comté des Cendres.

VIII.COMTÉ DE HAUTE-SÈVE

[Avertissement : Le comté de Haute-Sève est sous le contrôle de la Horde d’Horathot. Les informations ci-dessous pourraient être obsolètes, le détail des conséquences de l’occupation échappant aux autorités ébènoises.]

Héritage du premier prince d’Ébène d’origine corrésienne Casimir dit le Sévère, Port-Casimir et le comté de Haute-Sève constituent la porte maritime du duché sur la Mer Blanche. Des hameaux de pêcheurs longeant les côtes aux fiefs et seigneuries exploitant le Bois de Haute-Sève, ce comté fut pendant des siècles jalousement surveillé et gardé par les Paurroi de Porte-Chêne en raison de sa position stratégique. Au quatrième siècle, les agressions répétées des Pyréens, des Insoumis de la Forêt d’Ébène, de la Garde céleste, de l’Empereur du Bouc et, finalement, de la Horde d’Horathot auront eu raison de la résilience de ses habitants.

Désormais sous le contrôle total de la Horde d’Horathot et privé de lignée comtale depuis la déchéance de la famille de Haute-Sève au début de la Guerre de l’Avènement, on ignore qui dirige au quotidien la destinée des habitants de la région.

-Géographie-

Sécurisant les côtes corrésiennes de la Mer Blanche au nord, le comté de Haute-Sève se divise en deux régions aux caractères bien distincts : l’agglomération de Port-Casimir et ses dépendances côtières, puis les forêts denses régnant sur l’intérieur des terres.

Autrefois un modeste hameau de pêcheurs délaissé des pouvoirs centraux de Porte-Chêne qui dédaignaient le commerce avec l’étranger et concentraient leur attention vers leurs voisins du Sarrenhor et de la Forêt d’Ébène, Port-Casimir devint le principal -et unique- port fortifié de Corrèse lors de l’ère royale. Grâce à son contrôle de la Baie des Pleurs, la cité jouit d’un site exceptionnel où peuvent s’amarrer et voguer les pêcheurs de crabe et de morue. Avant l’invasion de la Horde d’Horathot, l’Escadre de Casimir y mouillait de même, protégeant les eaux jouxtant le comté de la menace des coupe-gorges de la Côte-aux-Lamentations à l’ouest. La seule flotte de Corrèse dut toutefois abandonner son arsenal à la fin de l’année 381 lorsqu’il devint évident que la ville elle-même ne pourrait retenir les assauts des hérétiques. Depuis, grâce à une entente militaire avec le Duché de Fel, l’escadre de Casimir et son commandant, le féroce Gustaw Marceli, utilisent le port de Jéranbourg pour son ravitaillement et ses réparations.

La cité de Port-Casimir en elle-même est, comme son nom l’indique, articulée autour des affaires de la mer. Si au coeur de celle-ci trône au sommet de la Colline des Plénitudes le château ancestral des comtes et comtesses de Haute-Sève, l’essentiel de la vie militaire et économique se joue à l’ombre des hauts quartiers. Entre les marchés aux poissons, les entrepôts de bois d’Ébène et les auberges de marins, les voyageurs pourraient confondre la basse-ville avec un port du Duché des Crânes ou de Cassolmer. Cependant, s’il constitua historiquement une porte ouverte sur le monde et sur la diversité des cultures, Port-Casimir demeure farouchement corrésien dans ses traditions. Ne tolérant aucun désordre public ou manifestation excessive de joie ou de colère de la part de leurs visiteurs ou sujets, les intendants de la ville se font un devoir de réprimer par des exécutions publiques ou des châtiments exemplaires les éléments perturbateurs. Ainsi, sur chacun des quais du port donnant sur la Baie des Pleurs, un pilori de vingt mètres accueille les voyageurs. Lorsqu’un criminel y est mis aux fers et exposé à la foule et aux arrivants, un fanal éblouissant est allumé au sommet du poteau de fer et sert à la fois de phare aux navires et d’avertissement aux mécréants. En raison des imposantes fortifications ceinturant l’agglomération autant sur terre que sur mer, nul ne peut échapper à la vision de ces sinistres démonstrations judiciaires.

Dans la vicinité de la ville, une vingtaine de minuscules villages entièrement dédiés à la pêche longent les côtes de la Mer Blanche. Échappant pour ainsi dire à l’autorité des seigneurs de Haute-Sève et du Chêne, ceux-ci vivent en autarcie quasi-complète depuis des générations. Ces pêcheurs téméraires, contrairement à leurs homologues de Port-Casimir, développèrent au fil des siècles une expertise navale étrangement similaire à celle des descendants du peuple de Vindh. Grâce à des bateaux modestes de taille, mais d’une stabilité et d’un tonnage remarquables, ils sont en mesure de mener des expéditions en haute-mer afin d’y chasser l’espadon, le flétan et parfois même le boustrophédon.

À quelques heures de marche des côtes de la Mer Blanche débutent les Bois de Haute-Sève, extension de la Forêt d’Ébène ayant été apprivoisée et domestiquée par les Enfants d’Arianne bien avant l’ère royale. Plusieurs fiefs et baronnies occupent ce territoire fertile sillonné par la rivière de Haute-Sève et ses ramifications. Le meilleur exemple de ceux-ci est la baronnie sylvestre de Gardebois s’étendant sur plusieurs lieues entre Mordaigne, Port-Casimir et Porte-Chêne. Jadis la demeure des comtes de Haute-Sève, Gardebois était autrefois une halte prospère entre ces différents pôles de pouvoir. Victime du zèle aveugle des Illuminés de la Garde Céleste, puis déserté par le dernier représentant de la famille comtale, le fief fut presque entièrement déserté durant la Guerre de l’Avènement. Ni les Paurroi de Porte-Chêne, ni les Rominski de Mordaigne n’osèrent se le réapproprier lors des décennies suivantes, craignant d’envenimer des rapports déjà tendus. Ce fut Orellio Merioro, beau-frère du défunt Karl Paurroi, qui en fut le dernier baron avant l’invasion des Hordes d’Horathot. La flore et la faune reconquirent alors une part importante des terres qui y étaient anciennement cultivées, faisant de Gardebois un lieu propice pour la chasse.

Gardebois est un fief sauvage et particulièrement riche en ressources naturelles. Situé entre deux cours d’eau importants, il bénéficie d’une source d’irrigation notable qui contribue à son développement agraire et à l’élevage. Préférant éviter les ruines de l’ancienne agglomération par superstition, les nouveaux habitants de Gardebois ont érigé leurs nouvelles demeures -un assemblage modeste de bâtiments rustiques- à distance de l’ancien manoir comtal. Celui-ci est déjà au cœur de nouvelles légendes locales, voulant que les âmes damnées des Illuminés de la Garde Céleste s’y rassemblent une fois la nuit tombée pour invoquer les ombres de la Forêt d’Ébène. À ces superstitions s’ajoute le lot général de croyances corrésiennes sur des créatures monstrueuses diverses qui peuplent les profondeurs sylvestres. Si certaines de ces bêtes relèvent sans l’ombre d’un doute du répertoire folklorique, d’autres s’avèrent des menaces bien plus tangibles. La région est réputée pour accueillir de nombreux sangliers colossaux dont le plus grand spécimen porte l’épithète de “Grand’Dent”.

Finalement, à l’image des autres seigneuries se trouvant sur les routes entre Mordaigne, Porte-Chêne et Port-Casimir, Gardebois s’est développé autour des marchands et convois la traversant. Ainsi, le manoir seigneurial s’y trouvant est agrémenté d’une humble chapelle vouée au Céleste et pouvant accueillir les voyageurs de renom. À ces édifices s’ajoute la taverne du “Chevalier Étincelant” et ses bains où se côtoient quotidiennement la plupart des locaux.

Tragiquement, comme les autres fiefs du comté, Gardebois est aujourd’hui soumis aux barbares du sud. Nul Célésien ne pouvant s’aventurer en ces terres sans péril, le commun des Ébènois ignore si les beautés du Bois de Haute-Sève ont survécu à l’hégémonie des sauvages…

-Histoire-

Le comté de Haute-Sève prend racine dans l’ère de l’Avant, au moment où les enfants du Céleste délaissèrent la lutte contre les engeances de l’Enchaîné pour mener des guerres intestines. À la frontière entre les petits royaumes de Corrèse et de Fel, la Forêt de Haute-Sève fit longtemps office de marche séparant les Enfants d’Arianne du Peuple de Vindh. Les récits folkloriques nous étant parvenus parlent de nombreux affrontements légendaires à l’ombre des chênes de Haute-Sève. Habiles combattants forestiers, les Corrésiens érigèrent éventuellement des avant-postes dans les confins de la sylve pour mieux mener leurs opérations ; ainsi naquit Gardebois. Couverte de gloire pour sa victoire contre l’ost Aerann, Vildinia Cerderbom fut éventuellement élevée comme première comtesse locale par les Paurroi de Porte-Chêne. Pendant des siècles, malgré son autonomie théorique, le comté de Haute-Sève fut étroitement soumis aux volontés des Paurroi, les nobliaux allant jusqu’à affirmer que la position de la famille Cerderbom relevait davantage de l’intendance que de la noblesse comtale. Ce n’est qu’au second siècle de l’ère royale que la région se forgea un nom dans l’histoire.

En 159 monta sur le trône d’Ébène le premier prince d’origine corrésienne. Ristoff Paurroi de Corrèse, connu sous le nom de Casimir dit le Sévère, régna sur Ébène jusqu’en 164 et fut avant tout connu pour son austérité, sa mort subite et son large chantier portuaire sur la Mer Blanche. Consterné par l’absence de port d’envergure en Corrèse, le prince somma dès son accès au trône le comté de Haut-Sève de veiller à la fondation d’une cité commerciale entre ses frontières. Forts de subventions en provenance de la Cité d’Yr, les comtes de Haut-Sève choisirent une humble bourgade sur les rives de la Baie des Pleurs -Hêtre-sur-Mer-, la transformèrent en une véritable plaque-tournante maritime dans l’ouest du pays et la rebaptisèrent “Port-Casimir”. La famille Cerberbom s’y établit par la même occasion, faisant de la cité portuaire le chef-lieu du comté. De leur château nouvellement érigé au coeur des fortifications calquées sur celles de Porte-Chêne, ils pourraient prétendre régner sur leurs dépendants. Dès lors, Gardebois prit les allures d’une résidence secondaire pour les seigneurs de Haute-Sève.

En 316 débuta la longue période de troubles qui devait affliger Port-Casimir lors du quatrième siècle. Sous l’impulsion de Salomon d’Iscar -qui deviendra le Grand Chevaucheur Salomond l’Avisé-, les chevaucheurs du Sarrenhor lancèrent une campagne de pillage du palatinat de Corrèse. L’ambitieux seigneur de guerre aspirait alors à réaliser ce qu’aucun avant lui n’avait accompli : percer les portes ancestrales de Porte-Chêne. Or, tandis que les cavaliers imposaient leur siège sur la capitale, leurs alliés pyréens représentés par la famille Nazem mobilisaient une flotte d’invasion. Les insulaires entretenant de longues dates une rancoeur viscérale pour les austères et orgueilleux dirigeants du palatinat sylvestre, ils aspiraient infliger une défaite symbolique à leurs ennemis. Sans déclaration de guerre préalable, la flotte pyréenne apparut donc au large de Port-Casimir au printemps 316 et s’empara avec une facilité désarmante de la cité. À l’issue des combats, la comtesse de Haute-Sève, Maximiliana Cerderbom, et ses enfants furent exécutés sur la place publique et hissés aux piloris des quais en guise de symbole de la justice vengeresse de Pyrae.

L’occupation de Port-Casimir ne dura que quelques mois. Lorsque les Sarrens se furent retirés des forêts corrésiennes, les Pyréens ne tardèrent pas à les imiter avant que la réplique ne vienne. Au choix de la seigneur-palatine de l’époque, Cathara Paurroi, ce fut un cousin éloigné de dame Cerderbom qui lui succéda : Effroy de Haute-Sève. L’homme ne régna que brièvement et laissa ensuite à son épouse, Apolline de Haute-Sève dite “de Jade”, la tutelle du comté dans l’attente de la majorité de leur fils aîné, Léandre de Haute-Sève. Peu après, la folie prosélyte et fanatique incarnée par la Garde Céleste s’empara du comté. Effectivement, au terme de la Guerre des Deux Couronnes, moment où le controversé comte Léandre de Haute-Sève fit de Gardebois sa résidence principale avant de quitter ses terres pour Lys d’Or, une nouvelle congrégation religieuse fit son apparition dans le paysage religieux du royaume. La Garde Céleste, constituée d’inquisiteurs et de théologiens adhérant à des prophéties mystiques issues des tréfonds de la Forêt d’Ébène, devait ébranler Corrèse toute entière. Selon les légendes, celle-ci adopta même des rituels occultes découverts dans un lointain château sylvestre -le Lichthaus- et aptes à corrompre l’âme et l’esprit de ses fidèles. Longtemps sous le joug de cette corruption, Léandre de Haute-Sève se démarqua au sein des Illuminés par son fanatisme exacerbé. Propageant le mal de la Forêt à Gardebois lors de sombres messes, le fief devint un bastion de l’hérésie ténébreuse. En conséquence de ces conversions massives, les terres de Gardebois furent presque entièrement désertées en 324 lorsque le Monarque ordonna aux Illuminés de prendre la route de du Lichthaus où Léandre disparut sans laisser de trace.

Après les terribles événements entourant la déchéance de la Garde céleste et de ses plus éminents disciples en Corrèse, les Paurroi de Porte-Chêne décidèrent de rapatrier en leur giron les pouvoirs des comtés des Cendres et de Haute-Sève. À sa majorité, Katerina Paurroi devint marquise de Corrèse et comtesse du Chêne et maintint une poigne de fer sur les territoires voisins en s’abstenant d’y nommer une quelconque nouvelle lignée comtale. Éventuellement, elle confia à son second fils Manfred la responsabilité de sécuriser les Cendres et à son aîné Karl celle de veiller à la prospérité de Haute-Sève. Ce dernier travailla de pair avec le commandant de l’Escadre de Casimir, Gustaw Marceli, lui-même descendant des Marceli ayant pendant des décennies servi en tant que capitaines et commandants les comtes locaux.

À l’été 380, l’ombre de l’Empire du Bouc obscurcit le comté de Haute-Sève. Après des escarmouches mineures sur la Vaste-Mer et l’Île d’Ivoire contre les flottes célésiennes, la colossale armada du Bouc convergea vers Port-Casimir. Au même moment, par une sorcellerie inconnue, une légion de fantassins siludiens émergea de la Forêt d’Ébène, assistée de coupe-gorges aux masques de pieuvre de la Côte-aux-Lamentations. Conséquence directe des tentatives de déstabilisation du régime impérial dans les déserts par les agents de la Couronne d’Yr, cette offensive majeure constituait une invasion en bonne et due forme. Usant de la fourberie du commandant felbourgeois Godefroy de Selbourg, les légions étrangères s’infiltrèrent dans Port-Casimir et s’emparèrent des bas quartiers. Au même moment, l’Empereur lui-même, escorté de cinq cents galères, pénétra les eaux ébènoises. En sous-nombre flagrant, les Célésiens ne semblaient pouvoir que contempler leur défaite imminente. Or, un homme accepta de se sacrifier pour l’avenir du royaume ; Herman des Ombres, Roseterrois d’origine, vogua seul avec une bombe au horstanium instable vers l’ennemi et fit exploser le navire-amiral de l’Empereur du Bouc. Désorganisés autant sur terre que sur mer, les Siludiens n’eurent d’autre choix que de battre en retraite. Le comté de Haute-Sève avait acheté un peu de temps.

Un an après ces événements, à l’automne 381, un nouvel envahisseur se présenta aux portes de Haute-Sève. Les Éveillés sanguinaires, tels que surnommés par les Ébènois en raison de leur culte sanglant à un dieu des rêves, traversèrent le comté des Cendres et convergèrent sur Port-Casimir. Ceux-ci étaient rejoints par les hérétiques Insoumis de la Forêt d’Ébène, de même que par des contingents de félons appartenant au régiment des Chasseurs de Haute-Tour. Manfred Paurroi ayant été défait dans les Cendres à l’été, le commandant Gustaw Marceli se trouva entièrement isolé. Les Corrésiens de l’est luttant aux côtés des Valéciens afin de protéger Porte-Chêne et l’Esfroy, le Duché de Fel ayant les mains liées par la guerre en Laure et le reste du royaume vaquant à ses querelles intestines, nul ne viendrait au secours du dernier bastion corrésien de l’ouest. Face aux dizaines de milliers de guerriers hérétiques, à leurs éléphants et autres bêtes exotiques de guerre et aux litanies nocturnes sapant le moral de ses propres troupes, Marceli n’eut d’autres choix que de mettre ses navires à la disposition de la population assiégée afin de prendre la fuite par la Mer Blanche vers Jéranbourg, en Fel. Pendant plus de deux cents jours, il retint vaillamment l’ennemi aux portes de Port-Casimir et permit l’exode de milliers de ses habitants. Dans les premiers jours d’hiver 382, alors que ses galères mouillant dans la Baie des Pleurs menaçaient d’être faites prisonnières des glaces, il sonna l’ultime ordre de retraite et abandonna ses positions. Derrière, il abandonna près de la moitié de la population de la cité aux griffes de l’envahisseur.

Depuis la chute de Port-Casimir et du comté de Haute-Sève, l’Ébène ignore le sort réservé aux locaux par la Horde d’Horathot. Selon des pêcheurs osant s’aventurer près des eaux de la ville fortifiée, celle-ci continuerait d’être habitée, voire animée. Mis en esclavage ou exterminés pour laisser la place aux envahisseurs, le sort des Corrésiens conquis demeure un mystère.