Avhor

I.DESCRIPTION GÉNÉRALE D'AVHOR

Capitale : Vêpre, l’Étoile du Soir

Dirigeant.e : Le Mécène-Palatin Augusto Filii

Devise historique : « Sans attendre »

Inspirations : Art, fête, carnaval, ivresse

Gentilé : Avhorois / Avhoroise


Le palatinat d’Avhor, bénéficiant d’un climat tempéré et d’un positionnement singulier sur les bords de la baie d’Ambroise, fut dès sa fondation orienté vers l’exploitation des terres arables. Vignobles, houblonnières et cultures maraîchères parsèment les champs de la province et fournissent les matières premières essentielles aux boissons de qualité qui font la réputation d’Avhor. Le territoire est ainsi finement découpé et entretenu à l’intérieur de domaines agricoles articulés autour de manoirs ou de fortins détenus par la petite noblesse qui, paradoxalement, ne fut historiquement que peu supervisée par la chancellerie de Vêpre. Cependant, ce laisser-aller par rapport à la principale richesse du palatinat est amplement compensé par le rayonnement inégalé de Vêpre, la principale cité, dans laquelle se déroule la majorité des échanges commerciaux. Comme le confirme l’expression consacrée, en Avhor, vos pas ne peuvent que vous mener à Vêpre.

Érigée au centre du lac Dive, sur la minuscule île du même nom, la ville exige des semaines d’exploration pour devenir familière à l’oeil étranger. Le jour, le calme et la simplicité apparente de la ville aux mille vins sont susceptibles de décevoir le voyageur inexpérimenté qui en sillonne les artères. Effectivement, entre le lever et le coucher du Soleil, la Place aux Fêtes de Vêpre est essentiellement occupée et animée par les marchands de vin, de bière et de liqueur des campagnes environnantes. Par contre, le soir venu, les rues et les ponts reliant la cité à son faubourg vibrent aux sons des ménestrels et des tragédiens qui offrent leurs prestations aux passants et, dans le cas des artistes réputés, aux aristocrates et négociants. C’est cette vie nocturne qui fait l’honneur de Vêpre et qui justifie son surnom de l’Étoile du Soir.

Enfin, le lac Dive se jette dans la baie d’Ambroise par l’entremise de deux rivières jumelles : l’Astésia et l’Orellia. Si ces affluents ne se distinguent guère des autres cours d’eau du continent, le modeste delta qu’ils forment entre leurs lits était couvert jusqu’en 322 d’une luxuriante forêt réservée aux chasses du prince et des seigneurs-palatins visitant Vêpre. Le Bois-du-Trône était entretenu en permanence par des forestiers directement placés sous les ordres de l’ancienne famille palatine Filii afin d’assurer aux dignitaires une expérience unique. Malheureusement, peu de scribes furent disposés à décrire avec précision les attraits de cette forêt, la roture et la moindre noblesse en étant exclues d’emblée. On raconte que des jardins secrets et des labyrinthes exotiques y avaient été aménagés dans une absolue discrétion. Le mystère entourant les bois et la prolifération du gibier qui la parcourait permettent de comprendre l’engouement des puissants pour la région. Cependant, à l’été 322, un incendie dévastateur ravagea la forêt sous l’initiative d’un meurtrier connu sous le nom de “Rage”. Après que le criminel eut été capturé et exécuté publiquement dans la Cité d’Yr, ses collaborateurs déclenchèrent un brasier infernal qui consuma une grande partie de cette merveille naturelle. Encore aujourd’hui, la forêt peine à renaître de ses cendres malgré les efforts de nombreux aristocrates avhorois.

Voisin continental de Salvamer, Avhor partage avec la région maritime une culture de raffinement et de beauté. Cependant, alors que Salvamer a développé une bourgeoisie forte basée sur les richesses de la mer, les Avhorois se sont fait connaître pour leur tempérament festif et, trop souvent, peu consciencieux. Partout sur les terres, qu’il s’agisse de fiefs nobles ou de terres religieuses, toutes les raisons sont bonnes pour célébrer et faire couler l’alcool : commémoration de la venue du Roi-Prophète et du Guérisseur couronné, semailles, récoltes, naissance d’un nouveau membre de la famille régnante, etc. Par conséquent, avec le temps, les vins et les arts avhorois se sont frayé un chemin dans l’ensemble des terres célésiennes.

Cette prédominance des arts et de la fête a permis la création de guildes d’artistes qui sont devenues les lieux de naissance de la plupart des ménestrels et poètes du royaume. Ces regroupements, au nombre de trois, promeuvent chacun à leur façon les arts en vogue. Ainsi se côtoient les Ardii (tournés vers les arts abstraits et métaphoriques), les Veratii (tournés vers les arts imitatifs) et les Ascensii (tournés vers l’art religieux). Sans être en conflit les unes avec les autres, chaque guilde veille à former selon ses propres prérogatives les futurs poètes, musiciens et écrivains qui la fréquentent. Une fois les bases de leur art acquises, les étudiants partent en pérégrinations sur les routes du royaume afin de parfaire leur connaissance du monde et de trouver l’inspiration pour le chef-d’oeuvre qui fera leur renommée. De plus, ces trois guildes sont responsables d’organiser les multiples festivals avhorois, ce qui donne lieu à une compétition pour les événements les plus mémorables.

Sur le plan vestimentaire, les Avhorois ont des goûts se rapprochant de ceux des habitants de Salvamer où le confort se marie élégamment aux couleurs nobles. Entre les fêtes, les carnavals et les pièces de théâtre, les Avhorois exhibent fièrement les couleurs les plus flamboyantes et les étoffes les plus exubérantes. Chaque habit se doit d’être une fête en lui-même. Lors des festivals, la tenue d’occasion est la toge ample ou stola -écarlate, blanc et pourpre de préférence-, celle-ci facilitant les mouvements pendant les danses et maximisant le confort lors des banquets.

II.COMTÉ DE VÊPRE ET NORTFORTE

Nichée au coeur du lac Dive, l’Étoile du Soir d’Avhor, Vêpre, attire à elle depuis des siècles les amants des arts et de la culture. Après plusieurs décennies de luttes intestines, de guerres fratricides et d’attentats terroristes sanglants, Vêpre a aujourd’hui regagné son effervescence créative d’antan. Dans ses rues et ruelles sinueuses et colorées, c’est un peuple bouillant, passionné et avide de justice que l’on peut rencontrer. Aussi prompt à chanter la sérénade qu’à entamer une mortelle Vêproise, jamais il ne s’assoupit véritablement. Depuis la fin de la Guerre de l’Avènement, le comté de Norforte, au nord du lac, est aussi devenu l’une des dépendances de la cité, accueillant la redoutable -mais avide- Armada des Carats.

L’actuel Mécène-Palatin de Vêpre, élu par les comtes d’Avhor, est Augusto Filii. Choisi au printemps 383 après la débâcle de l’alliance de la Ligue des Mérillons dans la bataille des Saulnières contre le Duché des Crânes, il succède à la pacifiste Laia Melia. Trésorier de l’Armada des Carats, fils du comte de Vespéra Jordi Filii et héritier de la lignée palatine d’Avhor, il est farouche patriote avhorois partisan d’un repli identitaire.

-Géographie-

Doucement bercée par les eaux calmes du lac Dive, dont les flots pénètrent sporadiquement les confins de l’île par des canaux creusés à une époque reculée, Vêpre est le coeur artistique et politique du palatinat des fêtes, un astre dont les éclats rayonnent jour et nuit sur les comtés qui bordent ses rives opposées. Trônant fièrement au milieu de cet ensemble, depuis les flancs escarpés de ses remparts naturels, la forteresse du Mécénat, sa grande Place aux Fêtes et sa haute-ville surplombent et contrôlent le réseau labyrinthique de ruelles, de ponts et de traboules qui se déploient en aval. En l’absence de murs menaçant d’en occulter les subtilités, ce sont les dédales de ses rues, pouvant être aisément barricadées par leurs protecteurs, qui servent de première ligne de défense à la capitale des arts et des fêtes. De fait, un quartier périphérique de la cité peut tomber entre les mains des assaillants sans que cela ne soit dramatique, des renforts pouvant toujours arriver par le lac pour prendre les assiégeants en tenailles. Or, ce qui attirera sans doute l’oeil du visiteur est la richesse et la vivacité des couleurs qui parent les différents édifices de l’Étoile du Soir. Alors que la majorité des villes ébénoises ont des teintes qui leur sont propres en termes d’architecture, Vêpre semble plutôt relever d’une palette de peinture démesurée, tantôt harmonieuse et réfléchie, tantôt bigarrée et abstraite. Véritable oeuvre d’art en soi, l’Étoile du Soir est cause de choc et d’émerveillement sous les traits voluptueux et presque organiques de ses bâtiments, souvent dotés de cours intérieures et de galeries ouvertes, dont les façades sont ornées de mosaïques animalières, historiées, et symbolistes. Pour quiconque délaisse ses soucis du moment afin de se laisser emporter par la beauté des lieux et la mélodie de ses artistes en pleine performance, il ne fait aucun doute que Vêpre est une ville animée d’un souffle de vie qui lui est propre. Occupant sans doute le pire cauchemar des Corrésiens après la Forêt d’Ébène, les Vêprois diront de leur cité qu’elle est “une maîtresse qu’on apprend à aimer.”

En aval de la haute-ville, par delà les ponts qui traversent ses canaux, quatre quartiers disparates composent les baronnies de Vêpre. Seul quartier périphérique doté de quelques fortifications, plus particulièrement dans les environs de Château-le-Phare qui contrôle le delta du lac, les manoirs du secteur aristocratique peuvent être rejoints par le pont-garnison Vhorili. Au nord du pont couvert d’Horilia, à l’ombre des étals qui peuplent ses espaces ouvertes et entre les performances publiques de ses artistes, le secteur marchand regorge des produits de luxe avhorois, ébénois et étrangers qui assurent la prospérité de ses négociants. C’est également dans ce quartier que l’on trouve la majorité des échoppes d’artisans de l’Étoile du Soir. Au sud des arches qui ceignent le pont de Jolorion, pressé entre la majestuosité de ses conservatoires, musées, salons, théâtres, et monuments, le secteur des arts vit au rythme des révélations de chef-d’oeuvres. Servant jadis de repère pour les acteurs du théâtre des Mérillons, gigantesque amphithéâtre issu d’un autre temps, lequel se dressait au dessus du lac Dive avant d’être emporté par les flammes, l’Auberge de l’Ambre bleue est aujourd’hui prisée des poètes et des écrivains. Finalement, articulé autour du temple d’Avhor, rendu accessible par le pont d’Isabella, le secteur populaire de l’est se laisse emporter par les flots des fêtes citadines et les litanies de la Felicita di Treia. Prenant chacune le nom du pont les liant au centre de la cité, aucune de ces baronnies n’échappe à l’effervescence enivrante des fêtes et des prestations qui animent quotidiennement le dédale de Vêpre. Cherchant toutes à briller par la fastuosité de leurs festivités et par la prospérité de leurs quartiers, elles sont en proie à des rivalités artistiques qui contribuent au rayonnement culturel de la capitale des fêtes.

Finalement, contrairement à d’autres cités du royaume, lesquelles ont bien souvent des quartiers portuaires et des arsenals bien délimités, chaque secteur de Vêpre jouit de ses propres quais, de ses plages de sable blanc et de ses chantiers navaux. Ouverte sur ses comtés avoisinants, l’Étoile du Soir ne vit pas dans l’isolationnisme si commun aux milieux insulaires, coupés du reste du monde par des étendues d’eau, mais voit plutôt le lac qui l’entoure comme étant garant de la fluidité des échanges avec le continent. Après tout, comme le veut l’expression consacrée, en Avhor, vos pas ne peuvent que vous mener à Vêpre.

Se rangeant avec Vespéra dans le camp du Guérisseur lors des premières années de la Guerre de l’Avènement, les habitants de l’Étoile du Soir et leurs barons entretiennent encore un faible pour les monarques éclairés. Toutefois, la capitale n’est pas un bastion autoritariste, sa population étant mitigée sur d’autres sujets relatifs à cette question. Ces conflits aboutissent de manière quotidienne sur plusieurs “valses” que se mènent les partisans d’un pouvoir central fort et les républicains, adeptes d’une Avhor menée par une pluralité d’intérêts. Dans les traboules de la cité, sous les lueurs du jour, il n’est donc pas rare de voir des regroupement de jeunes gens s’affronter lors de rixes, ou même de Vêproises, tandis que les éclats de la lune illuminent plutôt des concours de chant, de danse, de théâtre et de poésie, qui unissent dans la boisson ces mêmes adversaires qui souhaitaient quelques heures plus tôt faire couler le sang de leurs ennemis. De telles compétitions, alliant rivalités mortelles et fraternisation, paraîtront sans doute paradoxales aux visiteurs de l’Étoile du Soir, mais ne relèvent pas de la contradiction aux yeux des Vêprois qui considèrent qu’il y a un moment pour toute chose. Initiée dans la capitale après la proclamation du Mécénat, mais s’étant étendue au reste du palatinat, Avhor est également le théâtre d’un autre type d’affrontement ayant adopté le nom de Valse des Vins. Ainsi, à Vêpre, comme ailleurs dans les dépendances de la Dive, les partisans de l’absolutisme et de l’autoritarisme boivent du vin rouge en public, tandis que les partisans du patriciat optent pour du vin blanc, de sorte que tous sachent à qui ils ont à faire lors de festivités.

Rare vestige de l’Ordre, organisation de justiciers criminels aujourd’hui démantelée, Vêpre partage avec le reste d’Avhor une passion dévorante pour la justice. Soucieuses de rendre des jugements qui soient justes et des peines adaptées aux crimes perpétrés, les autorités judiciaires de Vêpre, héritières de textes de lois scrupuleusement rédigés par l’ancienne baronne de Norforte Myrianni Genedri, veillent méticuleusement à l’application des lois dans l’Étoile du Soir, lorsqu’elles ont l’occasion de mener ses enquêtes à terme, bien entendu. En effet, il n’est pas rare que les partis impliqués jugent le traitement administratif comme étant trop long, dans lequel cas ils s’adonnent plutôt à une Vêproise, ou valse judiciaire. Ce qui serait interprété comme un “duel” dans le reste du continent prend à Avhor les traits d’une danse codifiée. D’une part, le vainqueur d’une Vêproise n’est pas déterminé par l’issue du combat, mais plutôt par trois juges devant évaluer la finesse et la maîtrise artistique des deux bretteurs. Ainsi, une personne sortant vivante d’une Vêproise à mort peut être proclamée perdante sur décision des juges. De plus, lors d’une Vêproise au premier sang, le duel ne prendra fin qu’une fois que les deux participants auront saigné, tandis que lorsqu’elle est à mort, le coup de grâce ne pourra être rendu avant qu’il n’y ait eu touche par chacun des adversaires. Traditionnellement, les Avhorois justifient ces règles de plusieurs manières, prétextant une saignée de mauvaises humeurs de part et d’autre, ou disant qu’il ne peut y avoir de concorde renouvelée sans que les sangs des deux belligérants n’aient eu l’occasion d’être mélangés par violence ou par mariage. Dans un cas comme dans l’autre, la détermination du vainqueur par des juges, comparable à tout autre concours artistique, rend l’issue de la Vêproise critiquable, ce qui peut entraîner une série de valses funestes ne trouvant leur conclusion qu’en l’intervention de la garde de Vêpre. Quoi qu’il en soit, les autorités locales paraissent aux yeux de plusieurs comme étant assez laxistes, certaines instances d’Yr allant même jusqu’à accuser ses clercs de mieux connaître leurs cépages que leurs lois. Peu importe la véracité de ces accusations, il demeure que la justice est plus souvent rendue par des initiatives personnelles que par la Foi dans l’Étoile du Soir.

Finalement, le lac Dive et les quais d’Horilia hébergent fréquemment les frégates en quête de contrats de l’Armada des Carats, un régiment naval avhorois trouvant ses quartiers au port militaire de Norforte. Située sur une île fortement boisée au nord-est du palatinat des fêtes, les chantiers navaux de Norforte permirent au comté du même nom de rivaliser de nombreuses années durant avec son voisin de Trenquiavelli pour s’arroger le contrôle du commerce maritime en Avhor. Or, l’afflux des richesses entraîné par le monopole de la Marine des Mérillons dans les entrepôts de Trenquiavelli devait changer la donne, rendant impossible l’entretien d’une rivalité saine entre les deux comtés côtiers. Voyant leurs marchandises dépérir en l’absence grandissante d’acheteurs potentiels, les cités de Norforte et de Basilia durent se résoudre à vendre leurs avoirs aux marchés de Vêpre pour quelques sommes modiques en attendant de trouver une solution viable.

Acculé au bord du précipice, on doit au comte Oliba Duchesne, fils du grand bâtisseur Octavien Duchesne, la découverte d’une nouvelle source de profits en Norforte en marge de la Guerre de l’Avènement. S’appuyant sur ses chantiers de construction naval, Duchesne délaissa dans un premier temps la fabrication de navires marchands pour ériger une importante escadre de frégates de guerre, dépensant sans compter afin de peupler ses navires de marins aguerris jusqu’alors laissés oisifs dans les ports de la baie des Carats. Rendu fort de nombreux navires en mer, il approcha les intendants des ports de l’est afin de leur proposer un marché simple: les armateurs pouvaient désormais acheter ses services de protection dispendieux, ou “risquer” de voir leurs marchandises disparaître lors d’un malencontreux accident en mer. D’abord réfractaire à l’idée, qualifiant le tout d’extorsion pure et simple, la Marine des Mérillons n’eut éventuellement d’autre choix que d’accepter les services du comte de Norforte après la disparition de nombreux convois chargés de marchandises. Vivant désormais sur le dos du comté de Trenquavelli et de bien d’autres ports marchands, Norforte est riche d’un afflux constant de carats issus de ses entreprises de “protection” maritimes. Peu versé dans les arts guerriers avhorois, Oliba Duchesne se contente de coordonner les déplacements de son armada depuis son manoir dans les quartiers marchands de Vêpre. Derrière sa façade de gentilhomme, il reste un seigneur dangereux et craint des armateurs d’Ébène, une personne dont il vaut mieux chercher à satisfaire la soif insatiable de carats.

-Histoire-

L’histoire de Vêpre tire ses racines du terreau mythique de l’Illumination, alors que l’humanité entreprit de dompter les forces primordiales qui exerçaient leur joug en Céles. L’Épopée de Vhorilon veut que les Mérillons, d’audacieux navigateurs ayant banni les Néréïdes de la Lagune de Salvar, élirent d’étendre leur hégémonie vers l’ouest pour y ériger d’autres villes. Première née des tentatives de colonisation vers l’intérieur du continent, c’est la cité de Caliamo qui devait servir de berceau à Avhor. Porté par les rumeurs de l’existence d’un temple et d’un trésor Néréïde à l’intérieur des terres, juché sur une île au coeur d’un grand lac, le capitaine Vhorilon prit la mer en quête de ce domaine jalousement gardé du peuple de l’eau. Après des mois en mer et nombre de péripéties incluant des tempêtes surnaturelles et des créatures aujourd’hui disparues, les Mérillons firent enfin la découverte de l’île tant convoitée. Couronnant un promontoir rocheux, vaillamment gardé par des cours d’eau et des vignes abondantes, le temple était désert. Or, l’existence du temple laissait entendre que le trésor n’était pas qu’une fable. Refusant d’abandonner son entreprise, Vhorilon chargea son équipage d’entreprendre la fondation d’une ville à l’emplacement du temple, revendiquant ces terres en son nom, puis il manda sans attendre ses plus fidèles lieutenants de continuer leurs recherches sur les berges opposées du lac. À Filii il ordonna de mater les fleuves, de Merioro il exigea que soient domptées les forêts, à Norforte il dit de gravir les monts, et Trenquiavelli il envoya affronter les vents de la côte. Quant à sa cité, bien visible de toute part sous les éclats du disque solaire, elle entonnerait le soir venu des vêpres, prières nocturnes à la gloire des navigateurs Mérillons pour éviter que des navires ne se perdent dans les ténèbres, si mélodieuses et si portantes qu’elles auraient tôt fait de guider les pas des siens vers le bercail au plus creux de la nuit tout comme les étoiles guident les marins en mer.

Naturellement, il s’agit d’un récit de fondation mythique dont la véracité est difficilement vérifiable. Ce dont il est certain, c’est que nous trouvons en ce dernier les noms et les origines caliamanes des familles de la vieille noblesse avhoroise, en plus de la considération de Vêpre, plutôt que Salvar, comme étant au coeur des efforts de défrichement et de colonisation des terres relevant de la descendance de Vhorilon, soit les terres aux Vhorili qui donneront forme à Avhor. Quant à l’existence de ce temple et du trésor, aucune des deux ne fut jamais attestée. Comme il s’agit d’une source de débats fréquents pour les érudits de Rozella, il n’existe pas réellement de consensus à cet égard. Pour certains, le temple serait enfoui et le trésor n’aurait jamais été trouvé en raison des conflits ayant opposé l’humanité depuis l’Avant, tandis que pour d’autres, le tout n’est qu’une allégorie pour évoquer l’emplacement central de Vêpre et la fertilité incomparable des sols qui bordent le lac Dive.

Quoi qu’il en soit, nous savons de source sûre que la vigne indigo des Vhorili valsait sur Vêpre et guidait les Avhorois contre les Mérivar de Salvar, les Torrense de Casteval et les Torrig de Vaer sous l’Avant. Sans aucun doute le plus grand monument se tenant toujours fièrement à la gloire des Vhorili, la Place des Fêtes, gigantesque esplanade ceinte de colonnes triomphales enveloppées par des vignes et dont les chapiteaux historiés illustrent les plus grands moments de l’histoire avhoroise, accueille encore chaque nuit de fastueuses célébrations à même de faire rayonner la joie de vivre héritée des premiers ducs des fêtes sur les terres environnantes. Toutefois, quand le Mal de la Forêt d’Ébène s’immisça dans l’Étoile du Soir, il s’en prit directement aux bons Vhorili. En l’espace d’une nuit, le duc de l’époque, Galandrio Vhorili, sombra dans une folie meurtrière et fit massacrer sa propre mesnie. Par la suite, il ordonna la destruction des ponts reliant le coeur de la cité aux terres environnantes afin d’empêcher sa population de fuir et de le “trahir”. En quelques heures, les résidents de Vêpre étaient devenus prisonniers dans leurs propres demeures.

Dans les campagnes, la noblesse terrienne décida de se porter à la défense des opprimés de la cité. Sous le commandement d’Isabella Filii, comtesse du fortin de Vespera au sud de la capitale, les vassaux libres des Vhorili rassemblèrent leurs bannières sur les berges du lac Dive. Toutefois, la démolition des passerelles menant au manoir urbain du duc empêchait les troupes de poser pied sur l’île pour en déloger le seigneur assassin. C’est par la ruse qu’Isabella en arriva à ses fins. Munie d’un drapeau blanc, elle hurla au duc que son île était en proie au Sang’Noir et que sa populace incendierait sous peu sa résidence pour s’approprier ses biens. Galandrio lança alors un coup d’oeil aux gardes qui l’escortaient et, dans un élan de paranoïa indescriptible, se jeta subitement dans le lac noir. Il suffit de quelques brasses pour que l’eau imbibe et alourdisse le pourpoint et la cape du seigneur, le tirant vers sa mort. Les récits affirment que, pour une première fois dans l’histoire de Vêpre, un silence total fut maintenu dans les rues. Au lendemain de la tragédie, Isabella Filii prit la tête de la lutte contre le Sang’Noir, ce qui lui vaudra d’être sacrée seigneur-palatine d’Avhor lorsque le mal sera finalement levé par la venue salvatrice du Roi-Prophète.

Sous l’ère princière, Vêpre prospéra pour devenir la cité qu’elle est aujourd’hui. Jouissant du commerce de ses dépendances côtières, de l’approvisionnement régulier de ses comtés intérieurs et du passage fréquent d’une haute-noblesse envieuse de chasser au Bois-du-Trône, l’Étoile du Soir parvint à entretenir un rythme de vie effréné en plus de financer quelques unes des plus grandes productions artistiques du royaume. Succédant au règne austère de Casimir le Sévère, marqué par des couvre-feux, la prohibition d’alcool et des politiques répressives, en plus de précéder l’année des deux trônes, le règne d’Esther la Festive s’étendit de 164 à 184 pour être considéré comme un âge d’or en Ébène. Élue dauphine par une majorité claire au premier tour de vote, certains ont avancé l’hypothèse que Serena Filii, telle qu’elle était connue à l’époque, avait déjà cumulé les supports nécessaires à son élection avant la tenue du conclave de succession, peut-être en vue de renverser Casimir le Sévère. Celui-ci mourut néanmoins avant qu’il n’y ait quelque signe d’un soulèvement réel, ce qui permit une transition de pouvoir pacifique.

La vie festive de Vêpre devait cependant être interrompue en 316, lorsque survint la conspiration Orfroy contre la palatine Lucrecia Filii. Menée par Hugues Orfroy, comte de Norforte, lui-même assisté dans son entreprise par des réfugiés felbourgeois de Rivebois et Vidalia, la conspiration se heurta à une résistance farouche dans les rues de Vêpre, fermement défendues par Alphonzo Merioro, époux de la palatine au commandement de ses corps d’archers redoutés, et Fidel Gugglielmazzi, comte de Vespéra et vétéran du Bataillon Sacré. Accusant seulement Lucrecia Filii d’être une contrebandière des Écores après l’échec de leur assaut initial, il apparaissait évident aux yeux de tous que la conspiration relevait plus de la prise de pouvoir que d’une soif de justice. Deux années durant, Vêpre fut l’un des théâtres les plus sanglants de la Guerre des deux Couronnes, opposant la noblesse des comtés intérieurs à la bourgeoisie des comtés côtiers dans les dédales de ses ruelles et de ses ponts. Se soldant par un accord signé à Yr en 318, les rennes du palatinat des fêtes échurent finalement entre les mains de Georgio Filii, fils de Lucrecia âgé de 12 ans seulement, lequel fut mis sous la tutelle du comte-protecteur Hugues Orfroy en échange de son allégeance au prince Élémas IV. Élevant le jeune homme au tempérament particulièrement sanguinaire avec l’aide d’Adryan Orfroy, Hugues disparaîtra finalement en 322, à la suite de la condamnation à mort pour hérésie de son épouse, Rhéa de Corail. Laissant un vide derrière lui, le titre de comte-protecteur d’Avhor sera ensuite assumé par Philippe d’Ambroise IV, comte de Vidalia, qui tentera tant bien que mal de contenir les pulsions violentes de son jeune protégé.

L’Étoile du Soir connut de nouvelles effusions de sang en 323, lorsque Georgio Filii invita ses vassaux à venir prêter allégeance au Guérisseur couronné à Vêpre.. Cette invitation tenait toutefois davantage du piège que de l’entreprise politique. Profitant de la présence des sympathisants du Guérisseur couronné dans la cité, Georgio Filii, psychotique et fervent allié des criminels sanguinaires de l’Ordre, fit exploser avec ses associés le théâtre des Mérillons, une merveille d’architecture se dressant au milieu du lac Dive, où se déroulait la cérémonie, emportant dans la mort des dizaines de nobles, courtisans et vassaux. Il est sans doute fortuit pour Georgio d’avoir rencontré la mort dans le même mois à Yr, sans quoi son retour à Avhor aurait été bien mouvementé. Se ralliant à la bannière de Diego Merioro, l’oncle de Georgio ayant lui-même perdu son fils lors du dernier coup d’éclat de l’Ordre, les barons de Vêpre saisirent l’ouverture offerte par le Sommet de la Dernière Chance d’Yr en juin 323 pour rendre le contrôle de leur cité au Monarque à qui leurs parents avaient prêtés allégeance avant d’être emportés par les flammes. Apprenant le décès de Georgio, puis l’assassinat de Lucrecia Filii dans la prison de son cloître au lendemain du sommet, l’Alliance du Trône, unissant les comtés de Vêpre et de Vespéra, éleva Merioro au titre de palatin tandis que la Ligue des Mérillons officialisait l’inclusion d’Avhor au Symposium des Justes lors d’une cérémonie à Treia. Deux années s’écoulèrent ensuite sans affrontements majeurs, les deux camps essayant de mobiliser leurs alliés extérieurs afin de porter un coup rapide et décisif à leur adversaire. Or, ces appels demeurèrent sans réponses, l’hésitation étant encore trop grande entre les factions belligérantes pour entreprendre des manoeuvres de troupes massives. De plus, on apprit peu après la naissance de Jordi Filii, fils présumé de Georgio et de Fideli Belleli, ce qui venait remettre en question les prétentions palatines de Merioro au sein de l’Alliance. Brisant l’équilibre précaire pour épargner au palatinat et à sa capitale un autre conflit civil à même de les laisser en cendres, Diego Merioro convoqua Victor Casielli, général des forces patriciennes avhoroises, à mener une Caliamana unique dans les vallées en marge de Fortugno pour sceller le sort d’Avhor. Se soldant sur une victoire de la Ligue des Mérillons, les barons de Vêpre ployèrent du genoux à même le sol ensanglanté de Fortugno, se résignant à la victoire des forces républicaines en Avhor.

Restait alors au Symposium des Justes à déterminer ce qui devait être fait du cas de Jordi Filii, celui-ci pouvant éventuellement entretenir des prétentions palatines. Lors d’une séance extraordinaire tenue à la forteresse des Vignes de Vêpre, Avhorois et Salvamerois débattirent longuement de la marche à suivre. Le Symposium ayant affirmé son autorité sur Avhor par sa victoire contre l’Alliance du Trône, les Avhorois gardant un mauvais souvenir des derniers règnes Filii et le jeune homme étant de toute manière trop jeune et dépourvu de quelconque support à même d’en faire une menace, les débats portèrent alors davantage sur la faisabilité légale de la chose. C’est ainsi que, puisant dans les archives juridiques du royaume, les comtes d’Avhor proclamèrent à l’unanimité la création du Mécénat de Vêpre, un conseil oligarchique composé de six commissaires délégués dans la capitale par les comtes avhorois, soit ceux de Rivebois, de Norforte, de Trenquiavelli, de Vidalia, de Caliamo et de Vespéra, devant élire annuellement le Mécène de Vêpre. Agissant à titre de comte de Vêpre, le Mécène devait veiller à la promotion des fêtes et à la production d’un chef d’oeuvre artistique révélé aux Floraisons. Or, dans les faits, le Mécène de Vêpre était le porte-parole, voire le chancelier, des comtés de l’ancien palatinat. C’est Atonio Orfroy, petit fils dans la fleur de l’âge d’Adryan Orfroy, qui fut fait Mécène de Vêpre en 377, et ce à la grande surprise de tous dans la capitale. Sa dernière pièce de théâtre “Le Célestaire de la Dame” ayant reçu des critiques fortement mitigées, tous attendaient avec impatience de voir quelle serait l’oeuvre révélée aux Floraisons 379. Rêveur un peu abstrait, se jugeant incompris, il n’était pas réellement associé à aucune faction dans la cité. Ce n’est toutefois qu’en 380 qu’une dame originaire de la Sainte Cité de Treia, Laia Melia, parvint à ravir le titre d’Orfroy. Lors d’une pièce théâtrale exemplifiant la folie de la guerre avec la Ligue d’Ardaros et les horreurs du massacre de l’île de Treia, elle galvanisa la foule dégoûtée par le conflit. Profondément pacifiste, la Mécène Melia n’avait qu’une ambition : sortir Avhor des guerres qui pourraient embrasser ses terres et consumer les vies de ses habitants innocents.

Cependant, de l’avis de plusieurs, le pouvoir de la Mécène de Vêpre était fermement limité par l’adhésion d’Avhor au Symposium des Justes de Salvar dans le cadre de l’alliance de la Ligue des Mérillons. Siégeant aux côtés des Tribuns salvamerois, les comtes et représentants avhorois alignèrent à leurs intérêts sur ceux de leurs homologues dès la fin de la Guerre de l’Avènement. Ainsi, lorsqu’en 381 le Duché des Crânes lança des représailles sur l’Escroix à la suite de l’exécution sommaire de sa duchesse Néréia en Hurlemer, Laia Melia elle-même n’eut d’autre choix que de répondre à l’appel de guerre de Salvamer et inviter les seigneurs avhorois à mobiliser leurs armées contre l’ennemi. Au début de l’année suivante, au terme d’affrontements violents dans les marais des Saulnières, les forces alliées de la Ligue des Mérillons s’emparèrent du château de Coeur-de-Sel, affligeant un coup dur à leurs adversaires des Crânes. Tragiquement, cette victoire ne devait être que de courte durée.

Tandis que les alliés, confiants de leur position à Coeur-de-Sel, entreprenaient de conquérir le reste des marais vers le sud, un ennemi inattendu fit son apparition. Confirmant les rumeurs d’alliance, des contingents d’Éternels et de Kohurus -de redoutables assassins- arborant la bannière du kraken enflammé ardarosien des Disciples de Mura’Ahi se greffèrent aux effectifs des Crânes. En quelques semaines, les hérétiques reprirent le territoire perdu et forcèrent l’avant-garde à abandonner Coeur-de-Sel. La puissante cavalerie des Acrobates des Ronces, fine fleur de la chevalerie montée du palatinat, se trouva isolée par l’ennemi au sud des frontières. Forcée de mettre pied à terre dans les marais, elle fut encerclée par les assassins ardarosiens qui, pendant plusieurs jours, s’amusèrent à la traquer et la saigner. C’est décimée et au compte-goutte qu’elle regagna finalement la Marche de Marmagne deux semaines plus tard.

Le massacre des Acrobates des Ronces fut pour Laia Melia le début de sa déchéance politique. À peine réélue lors des Floraisons 382, elle fut placée dans une position intenable : choisie pour son pacifisme, elle devait désormais justifier une guerre initiée par les alliés salvamerois. C’est à ce moment qu’apparut à Vêpre celui qui devait provoquer sa chute : Augusto Filii. Fils du controversé comte de Vespera Jordi Filii, Augusto s’était démarqué en tant que négociateur et capitaine au sein de l’Armada des Carats. Réputé comme ambitieux, fier à outrance du particularisme avhorois et familier avec les célébrations mondaines et les boudoirs du palatinat, il initia une sauvage campagne de diffamation à l’endroit de la Mécène en place. Faible, servile, à la solde des Salvamerois, opportuniste, apathique…tous les qualificatifs étaient bons pour dénigrer sa personne et ses politiques. Par ailleurs, ses alliés traditionnels -Merioro en tête- avaient les mains liées hors du palatinat et ne pouvaient s’offrir le luxe de venir à son secours. Évidemment, les ménestrels de Vêpre, répondant à la demande populaire, en firent l’objet de leurs nouveaux succès.

Au Floraisons de l’année suivante, la Mécène Melia, pleinement consciente de son statut, abdiqua officiellement en laissant aux nouveaux prétendants la liberté de se disputer sa position. Or, à la surprise générale, Augusto Filii fut le seul candidat à se présenter à la foule au jour des prestations artistiques. Par un habile jeu d’échange de faveurs, de propagande, de pots-de-vin et de chantage initié par son père plusieurs années auparavant, il fut incontestablement acclamé par la foule et la noblesse comme nouveau Mécène au théâtre des Mérillons. Il rompit du même coup la tradition artistique et ne proposa ni pièce de théâtre, ni opéra, susceptible de lui acquérir les votes des juges. Comme il le déclama dans un discours coloré, sa propre personne était en elle-même un “glorieux spectacle ne pouvant qu’être diminué par d’autres artifices”. Dans une même lancée, il profita de l’occasion pour se présenter comme “Mécène-Palatin”, en référence à ses grandioses origines.

Depuis la nomination incontestée d’Augusto Filii, Avhor adopte de plus en plus de décrets isolationnistes, militaristes et patriotiques. Ses Tribuns délaissent les assemblées du Symposium des Justes en Salvar tandis que ses armées ont officiellement quitté le front contre le Duché des Crânes. Pour Filii, l’heure est venue pour les Avhorois de sortir de l’ombre de ceux se prétendant leurs maîtres. 

III.COMTÉ DE RIVEBOIS

Bordant les rives de la mer blanche, la citadelle de Blanche-Tour est l’exemple parfait de ce qu’aurait pu être l’exode pyréen de 323 s’il avait reçu un respect égal en Ébène à celui qu’il obtint en Avhor. Sous le commandement du comte de Rivebois Sélim Basam, Blanche-Tour et la montagne blanche la protégeant de par le sud hébergent nombre de merveilles et archives de la culture pyréenne. Le Forum de la Loi, assemblée de doctes érudits légaux, qui y fut construit lors des dernières décennies tire avantageusement profit de l’un des seuls héritages positifs de l’Ordre (organisation criminelle de l’entre-deux guerres) en Avhor : une passion dévorante pour la justice.

Blanche-Tour abrite aussi le chapitre des redoutables Chevaliers de Rostam mené par la sénéchale Makara Al’Kahf. Flotte de galères de guerre embarquant à leur bord des centaines de paladins lourdement armés, elle constitue l’une des plus puissantes forces armées religieuses indépendantes des terres célésiennes.

-Géographie-

Dominant les eaux tumultueuses de la Mer blanche depuis les monts qui forment son promontoir, la citadelle de Blanche-Tour adopte les traits exotiques qui faisaient jadis la réputation des places fortes monumentales de l’archipel pyréen. Érigée lors de la Guerre de l’Avènement par des exilés d’Avicennes et d’Aliare, lesquels bénéficièrent du concours des maîtres bâtisseurs avhorois, la citadelle est parfois nommée “la petite soeur d’Avicennes”, évoquant le souvenir de cette forteresse imprenable qui avait tenu les armées princières en échec au terme de la Guerre des deux Couronnes. Dotées de deux murailles, l’une protégeant la citadelle et l’autre le bourg, les fortifications de Blanche-Tour sont ponctuées de grandes tours rondes dont les balistes, les meurtrières et la mâchicoulis veillent en permanence sur les contrebas.

Construit à même le roc de ses flancs escarpés, le bourg de Blanche-Tour est un ensemble de rues labyrinthiques, entrant parfois jusque dans les profondeurs des Montagnes blanches. Il est bien sot celui qui élit de ne pas y engager les services d’un guide local, sans quoi un séjour de quelques jours peut rapidement se transformer en internement de plusieurs semaines. Parfois séparés par des crevasses, traversées par des ponts pouvant être défendus d’une poignée de soldats, les quartiers de Blanche-Tour sont pensés de sorte à rendre la citadelle imprenable. De fait, un stratège pourrait avoir entre ses mains l’entièreté des plans de la cité qu’il ne lui en coûterait pas moins cher de mener un siège à terme.

Plus en aval encore, au-delà du premier mur, le faubourg de Cinq Récifs s’articule autour du beffroi de Rostam et des quartiers portuaires. Plus grand port militaire du Nord après ceux de Havrebaie et de la Cité d’Yr, contrôlant de ce fait même les étendues de la Mer blanche, c’est à Blanche-Tour que mouillent les galères de l’Ordre des Gardiens de Rostam, une légion religieuse constituée exclusivement d’héritiers de la culture pyréenne. Anciennement un ordre chevaleresque affilié à la Compagnie hospitalière et au dernier comte-protecteur des îles Zeryab Nazem, ses membres furent pendant un demi-siècle connus comme les “paladins des mers” au sein des régiments du royaume d’Ébène. En raison des lois militaires imposées par le Monarque, l’escadre ne pouvait que servir les intérêts de la Couronne en tentant de préserver son identité propre. Or, après l’éclatement du royaume d’Ébène en 382, l’escadre regagna son indépendance et se fit un devoir de le faire savoir à l’entièreté des fidèles célésiens.

Supervisés par la sénéchale Makara Al’Kahf, les chevaliers de Rostam portent la mémoire des Pyréens en exil qui voient en eux les monuments d’un passé glorieux. Embarquant à leur bord des chevaliers en armures lourdes et parfois dotés de sabres d’acier pyréen rescapés des flammes, les galères de Rostam sont les derniers espoirs des Pyréens opprimés du continent. Laissant aux Amezaï du Palatinat de Pyrae et aux peuples de la Ligue indépendante de Kessa la tâche de protéger la foi dans les îles orientales, ils se mettent au service de causes célésiennes et viennent au secours des Pyréens du continent dans le besoin. Par conséquent, ceux-ci ne constituent pas à proprement parler une armée avhoroise, les seigneurs devant constamment négocier leur collaboration en cas de conflit. Fidèles à leurs traditions, la peau de ces chevaliers est régulièrement parée de tatouages évoquant leurs faits d’armes passés.

Au sud des montagnes blanches et sur les berges du lac Dive, toujours dans les dépendances de la citadelle pyréo-avhoroise, se dresse encore aujourd’hui une autre communauté issue d’un exil passé. Coexistants en un même lieu depuis le retour au pouvoir de la famille Aerann en Fel, Felbourgeois et Avhorois peuplent la cité de Rossolmo qui est au coeur du réseau d’approvisionnement de la citadelle septentrionale. Ayant connu un petit afflux de citoyens lorsque le Vindh prit le contrôle de Cinq Récifs au début du siècle, il ne manque jamais de main-d’oeuvre pour labourer ses champs irrigués par le fleuve Delorme. La vie y est, à l’instar du palatinat, bercée par les eaux du lac Dive qui y emportent les oeuvres musicales et festives produites dans la capitale.

-Histoire-

Avant la libération du dauphin Ludovic Lacignon par le criminel “Rage” et l’invasion subséquente du Vinderrhin en l’an 321, Cinq-Récifs n’était qu’un hameau ne pouvant même pas prétendre à se frayer une place dans les livres d’histoire. Sans doute fondé à quelque moment par quelqu’un -probablement un Avhorois issu du comté de Rivebois- le village ne comptait que quelques pêcheurs vivant de l’air salin porté par la Mer blanche. Voyant en Cinq-Récifs ce que les Ébénois n’avaient pu discerner -un bastion imprenable, les hordes du Vinderrhin accostèrent en 322 au nord des montagnes blanches pour en expulser la populace célésienne dans le but d’y prêcher l’Arth, leur étrange culte athée issu de leurs terres glaciales. Après avoir érigé un fortin sur les lieux, la sûreté de leurs missionnaires était garantie par la chaîne de montagnes impraticables gardant son flanc sud et une flotte sans pareille gardant son flanc nord.

Défaits par les légions célésiennes à Havrebaie aux Floraisons de l’an 322, les quelques survivants de l’ost hérétique prirent la mer pour regagner leurs forteresses lointaines, ne laissant derrière eux que quelques sots – ou braves – pour garder leur terre d’ouverture à l’Arth en Cinq-Récifs. Privé de ses sentinelles navales, le fief fut toutefois bien rapidement conquis par l’Ordre, une organisation de justiciers criminels, qui fortifia l’endroit et y tint des tribunaux populaires. Malgré une entente avec plusieurs seigneurs de l’est, la situation ne devait pourtant pas durer, une alliance opportune de Felbourgeois et de Valéciens mettant prestement fin en 323 à cette entreprise en rasant et massacrant tout ce qui se trouvait à Cinq-Récifs.

Aussi rapidement qu’il en était sorti, Cinq-Récifs retomba dans l’oubli, laissant derrière lui un vide sur les plages septentrionales avhoroises. C’est finalement l’éruption de l’Iniraya, dont les flots de lave emportèrent le palatinat de Pyrae, qui vint changer la donne. Confrontés à un afflux d’exilés, les palatinats continentaux adoptèrent des solutions variées pour loger ces nouveaux arrivants de l’est. Fière enclave de culture, Avhor n’en était pas à son premier accueil d’exilés. Effectivement, Avhor avait reçu au comté de Rivebois, peu avant la Guerre des deux Couronnes, bon nombre de rescapés felbourgeois au lendemain de la guerre civile qui avait marqué le glas du règne des Lobillard sur Fel. Plusieurs dames et seigneurs de Fel s’étaient alors vu octroyées des seigneuries respectables près de Vêpre.

Tandis que certains palatinats proposaient des politiques poussant vers l’assimilation, les seigneurs avhorois, bien que divisés à ce moment par des questions politiques, s’entendirent de part et d’autre pour garantir la pérennité de la culture pyréenne en échange de serments d’allégeance à Avhor. Chaudement accueillie sur ses nouvelles terres, l’escadre d’exilés menée par le capitaine Kamal Basam, ancien baron des îles d’Aliare, entreprit alors la fondation d’une citadelle à même de témoigner à jamais de la survie des siens. Assisté dans sa tâche d’architectes issus du comté d’Avicennes, lesquels avaient déjà pu admirer la forteresse monumentale de la famille Nazem, il entreprit d’ériger un hommage éternel à la grandeur de Pyrae. Seule différence notable avec l’oeuvre originale outre sa taille et son emplacement, la nouvelle citadelle était dotée d’une haute tour couronnée d’un brasier à même les montagnes blanches qui puisse guider les navires à travers les eaux tumultueuses de la baie. Ainsi, après avoir valsé au rythme des occupations étrangères et criminelles, les plages septentrionales d’Avhor virent enfin la naissance de Blanche-Tour, la citadelle de culture.

Composée de plusieurs galères affrétées pour la guerre, l’escadre qui accosta sur les plages de Cinq-Récifs pour y fonder Blanche-Tour portait à son bord nombre de réfugiés, mais également certains des meilleurs combattants du comté d’Avicennes. C’est de cette manière que l’Ordre des Gardiens de Rostam, un ordre chevaleresque affilié à la Compagnie hospitalière et organisé par le défunt Zeryab Nazem, aboutit à Blanche-Tour pour y ériger son beffroi. Sous le commandement du sénéchal Mustakim Al’Akdhir, les chevaliers de Rostam s’excusèrent des premières escarmouches de la Guerre de l’Avènement par la neutralité de la Compagnie hospitalière, préférant contribuer à l’établissement des leurs sur les rives avhoroises que d’engager leurs forces à la demande de la Ligue des Mérillons.

La situation changea cependant en l’an 326 avec la bataille de la Rosefranche alors que le premier affrontement majeur de la guerre opposait les forces patriciennes aux armées royalistes sur les rives de la Laurelanne. Le coeur des forces du Guérisseur couronné étant composé des effectifs de nobles valéciens, il apparut évident que tous n’interprétaient pas la supposée neutralité du Val-de-Ciel de la même manière. C’est fort de cette réalisation et conscient des avancements de la citadelle de Blanche-Tour, que le Commandeur de la Compagnie hospitalière Vladimir Girimov autorisa en 327 les chevaliers de Rostam à combattre pour le parti qu’ils jugeaient juste. Ces derniers, sympathiques aux Républicains, décidèrent de s’opposer au Guérisseur couronné.

À bord de leurs galères propulsées par la force des rameurs et sous l’impulsion des vents de la baie d’Ambroise, les chevaliers de Rostam arrivèrent en vue d’Yr par un froid matin d’octobre 327. Sous les pavillons de l’hydre pyréenne et de la vigne avhoroise, le sénéchal Al’Akdhir avait choisi de combattre au nom de ceux qui leur avait offert le gîte. Filant vers eux à vive allure, la flotte valécienne de l’Estecôte -l’entièreté des forces navales du Monarque sous le commandement de l’amiral Linerius Quantus, entreprit ses manoeuvres afin d’aborder les petits bâtiments pyréens approchant la capitale. Reconnaissant la stratégie de son adversaire, le sénéchal dépêcha quelques galères sur les flancs avant d’ordonner un rythme de bataille au coeur de son escadre. D’une violence inouïe, le choc des premiers navires se fit entendre depuis la capitale. Assiégeant les navires pyréens, les soldats valéciens, légèrement armurés comme le veulent les traditions maritimes, s’attendaient à rencontrer quelques gueux comme ceux peuplant la Nouvelle-Kessa en marge d’Yr. Ils se heurtèrent plutôt aux écus de paladins, leurs lames ne pouvant trouver une faille dans les armures lourdes de leurs opposants, et leurs chairs étant déchiquetées par le tranchant de sabres d’un acier noir comme l’ébène. Lui-même sur le pont du Protecteur, navire amiral, Linerius Quantus tenta de sonner la retraite pour réaliser qu’il était trop tard, le son tonitruant de l’éperonnage mené par les galères de flanc se faisant déjà entendre. Depuis les remparts de sa cité, le Monarque vit sa flotte sombrer, emportée par les flots tandis que se réorganisaient les bâtiments pyréens. Semblant d’abord hésiter, le prétendant au trône dicta ses ordres et les soldats de la capitale prirent la route de la Nouvelle-Kessa, diaspora d’exilés hors des murs de la cité d’Yr.

Heureux de sa victoire, Mustakim prit le temps de féliciter ses chevaliers, puis il donna l’ordre que les prisonniers, incluant Linerius Quantus, soient portés dans les calles pour être traités honorablement, après quoi seulement il prononça les mots tant attendus. Fendant les vagues vers la capitale, il pourrait bientôt entamer le siège d’Yr et mettre fin à ce conflit les séparant de la reconquête de Pyrae. Or, à l’horizon se dressait désormais de nouveaux navires, lesquels n’étaient que trop reconnaissables aux yeux du sénéchal. Refusant la défaite, le Monarque avait envoyé ses guerriers mettre les navires de la Nouvelle-Kessa à l’eau, portant en leur bord un lot d’exilés pyréens. Le choix s’offrant alors aux chevaliers de Rostam était clair : ils pouvaient forcer leur chemin à travers des navires chargés d’indigents pour établir le siège de la Cité d’Yr, ou repartir forts d’avoir anéanti la flotte royaliste. Reprenant la mer vers Blanche-Tour, le sénéchal fit porter à terre les têtes de tous ses prisonniers valéciens. Sur un parchemin entre les dents de l’amiral Quantus, on pouvait lire: “Coupez la tête d’une hydre, et d’autres repoussent. Qu’en est-il de celles des couards?” Se soldant par une victoire républicaine sur les forces royalistes, trois conclusions devaient être tirées de la bataille d’Ambroise. D’abord, les chevaliers de Rostam étaient une force navale à ne jamais négliger. Ensuite, ils ne souilleraient pas leurs lames du sang d’innocents pour regagner leurs îles. Finalement, aux yeux du Monarque et des citoyens d’Yr, la population de la Nouvelle-Kessa était utile, mais parfaitement sacrifiable. Dans tous les cas, les exploits militaires des chevaliers de Rostam devait leur permettre, après la fin du conflit, d’être recrutés dans les rangs de l’armée royale.

Lors de la guerre sainte contre la Ligue d’Ardaros en 380 et 381, l’Ordre de Rostam se démarqua magistralement par le zèle de ses guerriers. Brandissant la bannière de la libération pyréenne, il fut de toutes les batailles et forma le fer-de-lance des escadres ébènoises. Tragiquement, les divisions politiques au sein du royaume d’Ébène sapèrent plusieurs de leurs offensives et provoquèrent l’échec de la reconquête. Pour la sénéchale Makara Al’Kahf, la signature d’une paix humiliante avec les hérétiques ardarosiens et la création du Palatinat de Pyrae -au territoire ridiculement modeste comparativement à celui précédant l’éruption de l’Iniraya- furent des injures qu’elle ne put pardonner à la cour d’Yr. Avant même que les armées royales ne soient officiellement démantelées en 382, elle proclama l’indépendance de l’Ordre de Rostam face à toutes les autorités politiques. Encore aujourd’hui, tout en venant en aide aux Pyréens du continent et en luttant contre les menaces hérétiques, la puissante organisation militaire caresse le rêve d’achever la libération de Kessa.

Ironiquement, compte tenu du passif de Cinq-Récifs avec les tribunaux populaires de l’Ordre, Blanche-Tour su bénéficier de l’amour de Kamal Basam pour les lois et la justice afin de progressivement s’affirmer comme un phare légal ébénois. Naissant d’abord d’un désir simple -celui d’offrir aux différentes communautés pyréennes du royaume des conseils, le Forum de la Loi, une assemblée de juristes et leurs archives à même la citadelle de Blanche-Tour, attire depuis de nombreuses années déjà les envoyés de seigneurs en quête d’avis légaux sur des situations particulièrement épineuses. Ainsi, pour des raisons moins polarisantes que par le passé, le regard des nobles du royaume se tourna vers les montagnes blanches pour des raisons légales. Cette primauté de la justice à Blanche-Tour permit au fils de Kamal, Sélim Basam, d’obtenir l’appui des barons de Rivebois pour être fait comte en l’an 356. Bien qu’il soit un laïc, Sélim est particulièrement féru de théologie et se fait un devoir de conseiller ses homologues avhorois en matière de justice.

À la fin de la guerre sainte contre la Ligue d’Ardaros en 381 et à la création du nouveau Palatinat de Pyrae, plusieurs craignirent que le comté de Rivebois, avec ses couleurs orientales, ne perde de sa pertinence. Partout sur le continent, des familles et communautés pyréennes quittaient leurs chaumières pour regagner les îles orientales. Or, contrairement à ces individus souvent opprimés par leurs seigneurs, les Pyréens de Blanche-Tour n’ont jamais partagé les espoirs des autres exilés, lesquels vivaient dans la nostalgie des îles qu’ils avaient laissées dans les flammes. Ayant embrassé leur situation dans le palatinat des fêtes, la grande majorité des gens vivant à l’ombre de la “petite soeur d’Avicennes” préférèrent renforcer ce qu’ils avaient érigé sur le continent plutôt que de tourner leur regard vers l’est. Le comte Basam, au service de Vêpre, doit ainsi jongler entre les intérêts “avhorois” de son peuple et les ambitions militaires et religieux du redoutable Ordre de Rostam logeant en ses terres.

IV.LE BOIS DU TRÔNE

Autrefois le refuge privilégié d’une haute-noblesse en quête de sensations fortes, le Bois-du-Trône d’Avhor fut l’objet d’un tragique incendie en 322. Dévoré par les flammes attisées par des criminels et hérétiques, cette merveille naturelle héritée des ères précédant le Sang’Noir a aujourd’hui perdu de son lustre. Certes, la faune et la flore y a regagné son emprise au cours des cinquante dernières années, mais celles-ci ne rivalisent en rien avec la splendeur décrite dans les poèmes des artistes des temps anciens.

Lors de la Guerre de l’Avènement, par boutade envers le pouvoir du Monarque d’Yr, les Républicains prirent officieusement possession des vestiges du Bois-du-Trône et des domaines de Châteaux-les-Cendres s’y cachant. Par la suite, la Couronne n’a pas daigné réclamer les lieux, laissant les patriciens d’Ébène s’y rassembler afin de chasser, fraterniser et, fort probablement, comploter. Après l’éclatement du royaume d’Ébène en 382, les patriciens troquèrent leurs idéaux pour ceux de la république avhoroise, se plaçant en opposition avec la tendance centralisatrice croissante de Vêpre incarnée par Augusto Filii. Grâce aux bons soins de Julietta Ciervo, actuelle Garde chasse de l’endroit, les aristocrates et bourgeois du royaume y convergent à tout moment de l’année afin de s’enorgueillir du privilège d’y mener leurs tractations et sports d’exception.

-Géographie-

Dressé au coeur du delta qui sépare les rivières jumelles de l’Artesia et de l’Orellia, le Bois-du-Trône n’est aujourd’hui plus que l’ombre de ce qu’il était lorsqu’Aurèle d’Avhor y fit la rencontre du Roi-Prophète. De cette véritable merveille naturelle tirant sa vivacité d’un limon fertile parcouru d’une riche flore rampante s’élevait anciennement une sylve luxuriante, dont les hauts feuillus accoudés les uns aux autres laissaient filtrer les éclats du disque solaire à même de faire briller l’ensemble verdoyant tel une feuille d’or parant la façade d’un monument. Se faufilant entre écorce et bosquets, une faune tout aussi diversifiée et bien portante avait élu domicile à l’ombre du bois, proliférant par l’abondance de vivres et l’éloignement de la civilisation.

Or, ce Bois-du-Trône n’est plus. Plus précisément, il cessa d’être à l’été 322, en marge de la Guerre contre le Vinderrhin, lorsqu’il fut ravagé par un incendie dévastateur perpétré par Rage et ses suppôts hérétiques. Massivement abattues par les flammes, maintes étendues verdoyantes s’envolèrent en une colonne de fumée et de cendres qui ne trouverait son égal que lors de l’éruption de l’Iniraya à Pyrae. Quant à la faune, forcée à se retrancher dans les confins plus denses et épargnés de la forêt, il fallut quelques années avant d’apprendre qu’elle n’avait pas été entièrement immolée.

Malgré ces ravages, au terme d’une décennie en friche, les Avhorois constatèrent un renouveau dans les décombres de cette hécatombe. Puisant à même le sol richement irrigué et son lourd manteau de cendres, le Bois-du-Trône se ragaillardit d’une végétation fraîche et vivace, le tout dans un élan presque surnaturel aux yeux des plus superstitieux. Si la forêt est encore bien loin d’avoir regagné sa splendeur d’antan, elle n’en est pas moins assistée par les Républicains avhorois qui y élirent domicile lors de la Guerre de l’Avènement, multipliant les efforts de plantation et important des bêtes communes et des créatures exotiques. À savoir si ces initiatives contribuent réellement à la régénérescence du Bois-du-Trône, ou si elles s’avèrent être davantage nuisibles, il est encore impossible de le dire.

Seule enclave civilisée de l’île, jadis entouré de jardins et de labyrinthes luxuriants qui ne pouvaient être admirés que des membres de la haute noblesse ébènoise, Châteaux-les-Cendres est composé de trois châtelets fortifiés perchés au sommet d’une triade de collines terreuses qui sont aujourd’hui entourées d’habitations modestes aux ruelles déroutantes et de petits manoirs de chasse aristocratiques et bourgeois qui gagnent tranquillement la lisière du bois en pleine régénérescence. Au temps des Merioro, les poètes de Vêpres disaient de Châteaux-les-Cerfs -comme on l’appelait autrefois- qu’il s’agissait d’une forteresse où se pressait quotidiennement un siège mené par la faune et la flore. Aujourd’hui, il faut plusieurs jours de marche vers les profondeurs de la sylve pour parvenir à trouver du gibier qui soit digne d’une partie intéressante. Ces expéditions sont toutefois prisées des seigneurs avhorois et de leurs invités, pour qui Châteaux-les-Cendres est devenu un lieu de fraternisation et de prise de positions politiques tout aussi important que les salles de bal et boudoirs. Rien ne vaut quelques jours à chasser en forêt pour trouver un terrain d’entente, ou encore pour qu’un malheureux accident de chasse n’entraîne la disparition d’un rival. Le Bois-du-Trône est le lieu où la liberté de parole et de pensée règne, une assemblée pure et sauvage, dont Châteaux-les-Cendres est le bastion. Au temps du Monarque et de la Reine Adrianna, la Couronne n’y voyait guère une menace à leur règne, ceux-ci le percevant comme un terrain de jeu nécessaire à la catharsis violente des éléments réactionnaires. Or, depuis qu’Avhor a regagné son autonomie en tant que palatinat, le Mécène-Palatin de Vêpre, Augusto Filii, la conçoit comme un danger à ses ambitions, une résistance à l’inévitable retour des intraitables seigneurs-palatins de la Vigne.

Construits à des époques différentes, les trois châteaux ayant offert leurs noms au lieu sont sans conteste les édifices les plus imposants du bourg. Ainsi, Château-l’Hermine et ses baraquements, anciennement la demeure des seigneurs locaux, fait aujourd’hui office de résidence à la Garde chasse et à ses soldats, chargés de garder les lieux et d’y faire respecter les lois. Château-les-Vignes, dont la grande salle et ses murs chargés de trophées accueillaient autrefois les Filii et leurs invités, sert maintenant de lieu de rencontres mondaines aux voyageurs et invités. Quant à Château-le-Roi, il n’abrite plus désormais que les vignes qui ont gravi ses hautes murailles. Officiellement, le domaine demeure la propriété de la dynastie royale et de la Divine elle-même dans le Bois-du-Trône, mais celle-ci n’y a jamais mis les pieds, préférant ses palais en Hefel.

Le peuple s’en tient quant à lui à la lisière des forêts, ayant obtenu de Juliette Ciervo le droit d’y chasser et de conserver le petit gibier qui y est abondant. En temps de disette, il est même arrivé à quelques occasions que les comtes et barons s’appuient sur le concours des chasseurs populaires afin de regarnir ses greniers de viandes et de champignons, promettant aux participants le quart de leurs prises. Ces initiatives firent des collecteurs avhorois des éclaireurs et des pisteurs fort expérimentés.

-Histoire-

De mémoire d’Ébènois, Châteaux-les-Cerfs, tel qu’il était connu à l’époque, a toujours été la demeure de la famille Merioro, parée avec fierté du titre de Maîtres de Chasse du Bois-du-Trône depuis le règne des anciens ducs Vhorili sur Vêpres. La chasse, déjà l’apanage d’une aristocratie toujours anxieuse de prouver sa valeur par des prouesses guerrières, permettait alors aux seigneurs de la vigne de s’élever par leurs exploits pour mieux asseoir leur pouvoir en domptant une nature sauvage et dangereuse. Sentinelle de ces rites nobiliaires sous la bannière des Vhorili, Châteaux-les-Cerfs devint l’hôte récurrent d’une noblesse souhaitant tester sa valeur contre un monde échappant à l’emprise de l’humanité, accueillant par ce fait même de fastueux rassemblements aristocratiques bien avant la tenue d’une première réception à Yr. Il faut cependant attendre l’avènement de la famille palatine Filii au début de l’ère royale, et plus particulièrement le couronnement du Roi-Prophète, avant que ce statut de sanctuaire aristocratique ne soit garanti par des sanctions irrévocables. Conquis par la splendeur des lieux lors de sa première venue en Avhor, le Prophète promulgua effectivement un édit dès son couronnement afin d’en réserver l’accès à ses plus grands seigneurs et à leurs invités, excluant d’emblée la roture et la petite noblesse du Bois-du-Trône.

Confirmés dans leur position par l’acquisition d’un titre héréditaire sous l’édit du Roi-Prophète, les Merioro deviennent sous l’ère princière des acteurs clés de tous les jeux de pouvoir ébènois. Siégeant depuis Châteaux-les-Cerfs, ils accueillent en leurs terres suzerains et palatins, ce qui leur vaut maints bénéfices; donations, faveurs, et mariages avantageux. De tradition aristocratique et militaire, le déclin de la famille s’entame avec son appauvrissement lors des règnes des derniers princes laurois au début du quatrième siècle, ces derniers délaissant la chasse au profit de cours princières. Ce sentiment d’abandon est aggravé lors de la Guerre contre le Vinderrhin en 322, lorsque la Couronne sous la princesse Théodoria laisse le Bois-du-Trône être incendié par les sbires d’un criminel du nom de “Rage”. Leurs coffres vides et leurs terres ruinées, les Merioro doivent également vivre l’humiliation de voir leur demeure ancestrale être affublée du sobriquet de Châteaux-les-Cendres. Arborant une haine sans pareil pour les Lacignon de Laure, Diego Merioro, oncle du dernier seigneur-palatin avhorois Georgio Filii, envoie en 323 son fils prêter allégeance aux envoyés du Guérisseur couronné, y perdant de ce fait même son héritier lors d’un coup d’éclat terroriste et meurtrier mené par une organisation criminell3 du nom de l’Ordre dans la capitale avhoroise.

Jurant néanmoins d’honorer les serments de son défunt fils, le seigneur Merioro use du Sommet d’Ébène en 323 pour saisir le contrôle des quartiers palatins de Vêpres au nom du Monarque. L’hermine bleue flottera deux années durant sur les remparts de l’Étoile du Soir, Merioro tenant la place forte des défunts Filii, avant d’être supplantée par les forces de la Ligue des Mérillons. Fait captif par ses opposants, le vieux seigneur royaliste est emmené sur son fief. Il y est d’abord gavé de vin, puis accoutré de bois de cerfs. Par un bel après-midi d’octobre, sous les railleries de ses détracteurs, il est la proie d’une chasse menée par quelques bourgeois patriciens bien nantis. Pour les partisans de la royauté dans l’est du royaume, il s’agit d’un récit de martyr éloquent. Pour les patriciens, il s’agit du glorieux moment où le Bois-du-Trône incendié fut enfin remis au peuple et aux nobliaux. Quant aux plus superstitieux d’entre eux, l’âme de Diego Merioro hante encore les lieux entourant Châteaux-les-Cendres, courant dans les bois accoutré de son panache.

En 330, confirmant l’invalidation de l’édit royal par la mort du dernier palatin Filii, le Symposium des Justes, en guise de boutade à l’endroit du nouveau Monarque contre qui il est en guerre, proclama la fin des privilèges de chasse aristocratiques et ouvrit les portes de Châteaux-les-Cendres à la bourgeoisie avhoroise. Célébré annuellement à l’occasion de la fête du panache, le libération du Bois-du-Trône se voulut pendant des décennies un pied-de-nez à la royauté et aux monarchistes. Lorsque le pouvoir revint entre les mains des Avhorois en 382, le discours des patriciens évolua en faveur du Symposium des Justes ou, du moins, du pouvoir des comtes et barons contre celui des centralisateurs de Vêpre.

Administrant le fief au nom du Mécène-Palatin de Vêpre, le Garde chasse doit remettre son titre en jeu annuellement lors des célébrations entourant la fête du panache. Traditionnellement, les organisateurs dissuadaient les partisans monarchistes d’y prendre part en n’ouvrant le concours qu’aux participants ayant offert de généreuses donations Symposium des Justes de l’est du royaume. Or, avec le fossé se creusant entre Avhor et Salvamer et le mépris de plusieurs pour le Symposium des Justes, ce stratagème semble avoir trouvé ses limites. À l’hiver 383, la Garde chasse Julietta Ciervo, en poste depuis 6 ans, fut sévèrement contestée par le précédent Mécène de Vêpre en personne, Atonio Orfroy. Désormais sympathique au Mécène-Palatin Filii, Atonio jeta un froid sur les célébrations en brandissant le spectre d’un changement de garde idéologique à Château-les-Cendres. Heureusement, dame Ciervo, femme aux sens fabuleusement aiguisés et à l’audace sans pareille, parvint à affirmer son hégémonie à la chasse et préserver sa position. Déjà veuve malgré sa vingtaine débutante, elle a hérité de la fortune de son époux, Ruggiero Ciervo, un marchand réputé de Treia qui disparut en mer en 375. Ses talents à l’arc lui valent une grande admiration parmi les chasseurs de Châteaux-les-Cendres, ainsi que moult prétendants.

V.COMTÉ DE VESPERA

Comté aux paysages dignes des peintures des réputés artistes de Vêpre, Vespéra représente ce qu’Avhor a de plus bucolique et verdoyant à offrir. Au milieu des champs de fraises, des vergers et des vignobles, les promeneurs peuvent y profiter d’une existence paisible et apaisante. S’il n’en fut pas toujours ainsi lors du dernier siècle en raison du statut particulier de comté palatin en Avhor, Vespéra a aujourd’hui regagné son calme. Entre les parcs et l’École des Bonnes manières, le visiteur peut trouver son compte en matière d’affaires de la cour.

En 378, c’est le comte Jordi Filii, fils du dernier seigneur-palatin avhorois Georgio Filii et père de l’actuel Mécène-Palatin de Vêpre Augusto Filii, qui tient les rênes de la province. Après des années à cultiver ses relations politiques malgré le mépris de nombre de nobles à l’endroit de sa lignée, il se réjouit aujourd’hui d’avoir réussi à ramener un Filii à la tête d’Avhor, position perdue par la folie de son père lors de la Guerre de l’Avènement.

-Géographie-

Comté privilégié des peintres avhorois pour sa beauté inégalée, il existe difficilement une personne en Avhor qui ne connaisse dans les moindres détails les vallées sinueuses creusées par le fleuve des Vignerons et la pléthore de petits châteaux cernés de villas pittoresques qui gardent assidûment les vastes vignobles de Vespéra. Il ne fait aucun doute qu’il y a plus de canevas alliant les couleurs éclatantes de ses eaux turquoises coulant patiemment vers le lac Dive, de ses contrées verdoyantes ponctuées de petits fruits aux éclats fugaces, et de ses toitures d’argile orangée, qu’il n’y a de personnes pour les admirer dans l’Étoile du Soir. Malgré cela, Vespéra connaît un afflux continuel de jeunes artistes en quête de leurs premiers chefs-d’œuvres. Aux yeux de ces maîtres en devenir, tous armés de leurs palettes et pinceaux, les couleurs de Vespéra sont plus resplendissantes qu’en tout autre lieu du royaume.

Comme le nom de son fleuve le laisse entendre, Vespéra doit sa vitalité au fruit de ses récoltes viticoles abondantes, lesquelles ont donné au comté son dicton favori: “En nos veines coule un fleuve de vin”. Naturellement, on y trouve également bon nombre de fermes maraîchères, incluant les fameuses fraisières de Vespéra qui firent la fortune de la famille Guglielmazzi. Il en résulte une situation à même de nourrir l’envie de nombre d’indigents en Ébène, soit que personne ne meurt de faim en Vespéra. Tous, du plus humble des serfs au plus haut seigneur, ont le plaisir d’y manger et d’y boire à leur guise. Parsemé de petits châteaux typiques à Avhor, prenant bien des fois l’apparence de vignobles fortifiés, le comté est la demeure d’une vieille noblesse d’épée bien peu nantie par manque d’intérêt pour les affaires commerciales. Si le comté peut se targuer d’être prospère, il ne peut certes pas prétendre être riche, surtout lorsqu’il est comparé à l’opulence des cités côtières. La richesse en Vespéra ne se calcule pas en carats et en ducats, mais plutôt en bonnes manières et en relations mondaines, lesquelles sont accessibles aux plus désireux à l’École des bonnes manières de la cité de Vespéra qui accueille chaque année bon nombre d’étudiants et d’étudiantes souhaitant parfaire leur maîtrise des arts de l’étiquette et du raffinement au sein des cours ébènoises. Fondée en 325 par les épouses Marion Chanteclaire et Fidéli Belleli, l’École s’est bien vite affirmée comme un haut lieu de culture dans le royaume avec ses cours de posture décente et d’éloquence, ses séminaires sur les arts nouveaux et traditionnels, ses séances de bonne conduite à table, et bien d’autres activités mondaines. Vantée dans tous les salons d’Ébène, personne ne semble insatisfait des services offerts en ces lieux.

Or, l’École des bonnes manières n’est qu’un des nombreux attraits de la capitale du comté. Occupant deux des trois rives formées par l’affluent de la fourche des Filii, Vespéra s’élance de part de d’autre de ses ponts au-delà de la cime des arbres qui peuplent ses nombreux parcs sous la forme de beaux édifices de pierres orangées à galeries ouvertes. Plus ancien, le quartier des feuilles abrite des marchés à ciel ouvert et le beffroi de l’omniscience, ayant assumé la place de l’ancien manoir seigneurial après la venue du Prophète, qui y tient un emplacement central. Lui faisant face au Nord-Ouest, le quartier des grappes accueille le château pourpre, anciennement la place forte des Filii, puis leur résidence secondaire, et enfin de nouveau leur demeure, qui est ainsi nommé en raison des nombreuses vignes qui gravissent ses remparts. Finalement, la rive nord-est est caractérisée par le mont des baies, seul lieu où pousse le cépage de Vespéra, réservé depuis toujours à la famille régnante de Vêpre.

-Histoire-

Fait parfois oublié des Ébènois, incluant des Avhorois, les Filii n’ont pas toujours été les seigneurs de Vêpre. Il faut dire que ceux qui ont assumé la gouverne du palatinat des fêtes au lendemain du Sang’Noir n’ont pas été avares lorsqu’est venu le temps de financer des productions à même d’occulter l’ère des ducs Vhorili de l’Avant par leur glorieuse libération de l’Étoile du Soir. Issue de la lignée de Vespéra Filii, qui établit les fondations de son vignoble en aval du mont des baies avant de voir son nom être légué à l’ensemble de son oeuvre par sa descendance, ce fut la comtesse Isabella Filii qui, à la tête de ses armées et convois de vivres, garda Vêpre des damnés et de la folie qui s’étaient emparé de la famille régnante. Sacrée seigneur-palatine par celui qui fut couronné Roi-Prophète, la comtesse céda sans grande peine ses terres à de loyaux sujets pour n’y garder qu’une résidence secondaire en son ancien fortin.

Pour un peu plus de trois siècles, les Filii trouvèrent en Vespéra leurs plus fidèles vassaux. Si le titre de comte valsa quelque peu au gré des intrigues baronniales, tous délaissaient sans broncher leurs querelles pour répondre à l’appel des Filii lorsque les bans étaient convoqués. Bien certainement le plus célèbre d’entre eux, Fidel Guglielmazzi fut l’un des rares partisans de la palatine Lucrecia Filii contre la conspiration des Orfroy qui éclata en l’an 316, opposant la famille régnante aux réfugiés felbourgeois qui élirent domicile dans les comtés côtiers. Ne pouvant supporter les conditions de paix acceptées par son seigneur-lige, le comte Guglielmazzi remit le pouvoir sur la cité de Vespéra et son comté entre les mains du jeune Georgio Filii, puis il prit la route de Laure. Qualifiant l’endroit de fort ennuyeux et indigne de son temps, Georgio se contenta d’accepter ces rentes supplémentaires qui lui permirent de satisfaire d’autres types de passe-temps sans jamais se préoccuper de son nouveau comté.

Néanmoins, les barons répondirent à l’appel en 323 lorsque leur palatin les invita à venir prêter allégeance au Guérisseur couronné à Vêpre, s’y rendant eux-mêmes ou y envoyant des émissaires. Cette invitation tenait toutefois davantage du piège que de l’entreprise politique. Profitant de la présence des sympathisants du Guérisseur couronné dans la cité, Georgio Filii, psychotique et fervent allié des criminels sanguinaires de l’Ordre, fit exploser avec ses associés le théâtre où se déroulait la cérémonie, emportant dans la mort des dizaines de nobles, courtisans et vassaux. Il est sans doute fortuit pour Georgio d’avoir rencontré la mort dans le même mois à Yr, sans quoi son retour à Avhor eut été bien mouvementé.

Se ralliant à la bannière de Diego Merioro, l’oncle de Georgio ayant lui-même perdu son fils lors du dernier coup d’éclat de l’Ordre, les barons de Vespéra saisirent l’ouverture offerte par le Sommet de la Dernière Chance d’Yr en juin 323 pour prendre le contrôle de Vêpre au Monarque à qui leurs parents avaient prêté allégeance avant d’être emportés par les flammes. Apprenant le décès de celui qu’ils croient être le dernier Filii, l’Alliance du Trône, unissant les comtés de Vêpre et de Vespéra, éleva Merioro au titre de palatin tandis que la Ligue des Mérillons officialisait l’inclusion d’Avhor au Symposium des Justes lors d’une cérémonie à Treia. Deux années s’écoulèrent ensuite sans affrontements majeurs, les deux camps essayant de mobiliser leurs alliés extérieurs afin de porter un coup rapide et décisif à leur adversaire. Or ces appels demeurèrent sans réponse, l’hésitation étant encore trop grande entre les factions belligérantes pour entreprendre des manoeuvres de troupes massives. De plus, on apprit peu après la naissance de Jordi Filii, fils présumé de Georgio et de Fideli Belleli, ce qui venait remettre en question les prétentions palatines de Merioro au sein de l’Alliance. Brisant l’équilibre précaire pour épargner le palatinat d’un autre conflit civil à même de laisser en cendres, Diego Merioro convoqua Victor Casielli, général des forces patriciennes avhoroises, à mener une Caliamana unique dans les vallées en marge de Fortugno pour sceller le sort d’Avhor.

Acceptant l’invitation, le comte Casielli mobilisa sans attendre les forces de Norforte, de Trenquiavelli, de Vidalia et de Caliamo contre son adversaire. Par une chaude matinée de juillet 325, les deux factions se firent enfin face dans toute leur puissance. Aucun des partis ne prit la peine d’en appeler à des pourparlers, chacun reconnaissant la futilité de l’entreprise. De part et d’autre, les armées se firent une révérence, les orchestres entamèrent simultanément de faire résonner leurs rythmes de bataille à travers la plaine, et les troupes enchaînèrent immédiatement les pas de leur valse guerrière. Celle-ci s’éternisa jusqu’en début d’après-midi, débouchant sur une victoire décisive pour les forces patriciennes. Fait prisonnier lors des affrontements, Merioro fut subséquemment jugé, puis exécuté. Quant à ses vassaux, ils se virent offrir une chance unique de joindre leurs forces à celles du Symposium des Justes, faute de quoi ils seraient dépossédés de leurs terres. Acceptant leur défaite, les barons de Vêpre et de Vespéra plièrent du genou à même le sol ensanglanté de Fortugno. Malgré les tournures de la Guerre de l’Avènement, l’histoire ne retint pas d’autre tentative de soulèvement contre le Symposium des Justes en Avhor. Néanmoins, pendant longtemps, Vespéra demeura bercée par des idéaux aristocratiques et constitua le foyer des plus fervents partisans monarchistes dans le palatinat des fêtes.

Restait alors au Symposium des Justes à déterminer ce qui devait être fait du cas de Jordi Filii, celui-ci pouvant éventuellement entretenir des prétentions palatines. Lors d’une séance extraordinaire tenue à Vêpre, Avhorois et Salvamerois débattirent longuement de la marche à suivre. Le Symposium ayant affirmé son autorité sur Avhor par sa victoire contre l’Alliance du Trône, les Avhorois gardant un mauvais souvenir des derniers règnes Filii et le jeune homme étant de toute manière trop jeune et dépourvu de quelconque support à même d’en faire une menace, les débats portèrent alors davantage sur la faisabilité légale de la chose. Puisant dans les archives juridiques du royaume, l’assemblée élit ultimement de former le Mécénat de Vêpre, faisant de la capitale un comté autonome où le pouvoir serait remis entre les mains de ministres délégués par les comtes avhorois. Conservant néanmoins ses possessions à Vespéra, Jordi fut gracieusement fait comte par le même décret qui lui soutirait ses possessions dans l’Étoile du Soir.

Aujourd’hui âgé d’une cinquantaine d’années, Jordi vit une vie exubérante dans le château pourpre de Vespéra, militant avec acharnement à la reconnaissance de son nom et de son titre sur Avhor. C’est d’ailleurs dans cette optique qu’il lança unilatéralement en 359 une attaque sur les Hautes Plaines, en Salvamer. Ne connaissant rien aux arts de la guerre, il vit ses armées être lentement mais surement déchiquetées par les Cavaliero du comte Giulianno Merizzoli, ce qui le persuada à rester en ses terres et d’opter pour une stratégie nouvelle. Conscient que son propre passé demeurait associé à l’héritage de son père psychopathe et qu’il ne remporterait guère la sympathie générale par la guerre, il transposa ses espoirs dans son fils aîné, Augusto Filii.

Né en 353 de l’union entre Jordi Filii et Valentina Cordari -de l’ancienne lignée comtale de Trenquiavelli, Augusto fut formé dans les arts de la guerre au sein de l’Armada des Carats de Norforte et présenté dans les cours mondaines avhoroises dès sa majorité. En compagnie de sa resplendissante et prestigieuse mère, il devint aux yeux de la noblesse de la province tout ce que son père n’était pas : un homme sensé et modéré, doté d’un esprit vif et stratégique, cultivé dans les arts traditionnels et de la guerre et, surtout, dévoué à la gloire d’Avhor. Pendant ce temps, dans les coulisses des nominations au Mécénat de Vêpre, Jordi amassa inlassablement des faveurs en échange de ses gracieux appuis.. C’est enfin aux Floraisons de l’an 383 que le moment opportun se présenta et que, fort de ces années de préparation, Augusto fut choisi en tant que Mécène, restaurant la dignité de la lignée Filii et présageant une ère nouvelle pour le palatinat des fêtes et Vespéra.

VI.COMTÉ DE CALIAMO

“C’est une offre généreuse sieur Aerann, eussiez-vous affronté nos alliés salvamerois aujourd’hui qu’elle aurait sans doute été acceptée. Or, vous m’avez invité à danser cette Caliamana et un Avhorois ne laisse jamais une valse inachevée. Vous n’obtiendrez point de capitulation en ce jour, les miens et moi-même refusons de retourner à Vêpre défaits et déshonorés. Si vous souhaitez nous voir disparaître de ces lieux, alors vous n’avez qu’à faire mieux que lors des quatre danses précédentes. Si cela peut vous aider à offrir une meilleure performance, sachez que nous mènerons le prochain divertissement par le flanc droit. Tâchez de garder le rythme cette fois-ci, de sorte à ce que nous ayons tous deux du plaisir.”

– Puig de Pallars, défunt comte de Caliamo, lors de la bataille pour Coeur-de-Sel.

Forteresse à mi-chemin entre Vêpre et Salvar, l’antique Château des Mille-Ronces est l’hôte des plusieurs prestigieuses armées avhoroises. Jusqu’en 382, c’était le remarquable Puig de Pallars, héros de guerre renommé faisant l’unanimité dans l’ensemble du palatinat, qui y régnait en tant que comte. En position de faiblesse lors de la bataille de Coeur-de-Sel dans les Saulnières en 330, le vaillant chevalier était parvenu à repousser les armées felbourgeoises à de multiples reprises à l’aide des stratégies avhoroises uniques reposant sur l’art de la Caliamana, ou valse guerrière. À sa mort, c’est sa petite-fille, Rémeï de Pallars, qui lui succéda en respect de ses dernières volontés.

Comté étalon en matière d’affaires militaires à Avhor, Caliamo donne le ton au reste du palatinat lorsque vient le temps de faire face aux menaces internes ou étrangères.

-Géographie-

Ayant toujours préféré rencontrer ses adversaires sur le champ de bataille terrestre, là où la Caliamana est plus agréablement dansée, Avhor n’a jamais été pris d’un intérêt particulier pour l’érection de forteresses monumentales. Aussi, les places-fortes du palatinat des fêtes n’ont jamais connu le même essor que dans les autres régions du continent. Certes, ce ne sont pas les châteaux qui manquent à Avhor, mais ceux-ci sont bien souvent d’une simplicité alarmante. De fait, l’utilité de ceux-ci se limite à arrêter la marche de l’ennemi pour quelques jours, quelques semaines dans le meilleur des cas, afin d’offrir le temps aux légions d’être mobilisées. Ainsi donc, en dehors de la jeune citadelle de Blanche-Tour juchée dans les montagnes du nord, Mille-Ronces est ce qu’Avhor a de mieux à offrir en terme de “forteresse”, c’est-à-dire un fortin modeste de trois étages ceint d’un petit bourg gardé par une simple muraille qui surplombe une vallée parsemée de ronces. Fait de pierres extraites du Val-Follet sous l’impulsion d’un riche seigneur lors de l’année sans prince, l’ensemble fortifié est malgré tout finement taillé et décoré de somptueuses étoffes colorées. C’est entre autres grâce au génie architectural d’Octavien Duchesne que la forteresse fut rénovée et renforcée lors de la Guerre de l’Avènement. Occupant un emplacement central le long de la frontière méridionale, le fief accueillait déjà les baraquements de l’armée avhoroise lors du conflit, mobilisées auprès de leur consul Victor Casielli, ce qui en fit le choix tout désigné pour servir de demeure aux régiments royaux avhorois lorsque fut créée l’armée royale au terme des hostilités. À distance suffisante des cités de Vêpre et de Caliamo pour limiter les grabuges que peuvent causer des soldats oisifs ou en permission, en plus d’offrir aux forces des Fêtes l’occasion d’apprendre à manoeuvrer en terrain accidenté, tous semblaient alors ravis par cette désignation. Après l’éclatement du royaume en 382 et la dissolution des régiments royaux, la plupart des soldats stationnés dans le comté élirent de s’y enraciner, admiratifs des exploits héroïques de la famille de Pallars.

Au-delà de ses fonctions militaires, Mille-Ronces dispense également la justice dans le comté, le tout depuis une petite chapelle castrale finement décorée. Bien que l’organisation criminelle révolutionnaire de l’Ordre -fermement implantée avant la guerre à Avhor- ait été vaincue et démantelée par l’armée royale, un certain nombre de ses idéaux trouvent encore des échos en Avhor. Plus particulièrement, une justice implacable est attendue de la part des autorités en place, une pratique à laquelle les instances du clergé de la Foi céleste et les représentants des familles nobles s’adonnent par des sentences exemplaires. Or, il arrive également que l’affaire soit réglée avant même qu’elle n’ait eut le temps d’aboutir dans les mains de l’Inquisition ou d’un juge, les deux partis ayant élu de se faire justice eux-mêmes en s’adonnant à une Vêproise. Le vainqueur du duel est alors perçu comme étant en son bon droit, et l’affaire est abandonnée. Ces entreprises de justice personnelle ne trouvant pas toujours un aboutissement positif, l’histoire locale regorge de tragédies issues d’actes répréhensibles de duellistes implacables.

Au-delà des ronces, le comté de Caliamo jouit du climat tempéré propre à Avhor. Moins tourné vers la production vinicole que ses voisins, les terres cultes y sont vouées à une production maraîchère et houblonnière dont les fruits sont presque entièrement destinées à l’entretien des forces militaires. Il ne se passe pas une journée sans que des convois marchands prennent la route des garnisons depuis la cité de Caliamo. Jadis une agglomération assez modeste, celle-ci a gagné en prestige avec la création de l’alliance Avhor-Salvamer qu’est la Ligue des Mérillons, devenant un arrêt presque obligatoire pour les délégations avhoroises se rendant jusqu’au Symposium des Justes à Salvar. En effet, situé sur les berges du fleuve rouge, il ne suffit que de quelques jours pour gagner le delta des Saulnières, puis la lagune de Salvar. Cherchant à affirmer l’existence d’Avhor au sein d’une alliance centralisée à Salvar, les nobles et les patriciens avhorois prirent pour habitude de discuter de stratégies politiques aux thermes de Caliamo avant d’entreprendre le voyage devant les mener jusqu’à la capitale salvameroise. La cité est par ailleurs une destination prisée des musiciens souhaitant marcher dans les pas du grand Sombrechant; ménestrel de renom et ancien héraut d’Yr. Peu importe l’heure de la journée, bardes et troubadours s’adonnent à la pratique de leur art sur les places publiques et dans les jardins de villas, espérant trouver quelque mécène qui soit prêt à les prendre sous son aile.

La dissolution des régiments royaux, la passation des pouvoirs comtaux vers la jeune et fougueuse Rémeï de Pallars et le refroidissement des relations entre Avhor et Salvamer transforment toutefois le visage de Caliamo. Les anciens officiers des régiments royaux, auparavant banalement stationnés sur place en attente d’une campagne militaire ébènoise, sont désormais gratifiés de titres de petite noblesse et invités à s’approprier des terres en friche à la frontière sud. Certes, celles-ci ne sont que peu fertiles, mais leur protection offre à ces chevaliers une raison profonde de combattre pour la gloire d’Avhor. Grâce aux fonds récupérés à même la trésorerie non-réclamée des armées royales, la comtesse de Pallars a financé la construction de modestes fortins dans chacune de ces nouvelles seigneuries et baptisa cette nouvelle ligne de défense les “Fortezze di Lara”, en l’honneur de la défunte Connétable d’Ébène et commandante des Danseurs des Ronces Lara Mandevilla.

-Histoire-

Fondée avant Vêpre lorsque les anciens Mérillons remontèrent les terres vers le nord à partir de la lagune d’Émeraude de Salvamer, la cité de Caliamo, donnant son nom aux terres avoisinantes, aurait été érigée à l’extrémité du fleuve rouge lors d’une première tentative de colonisation à l’intérieur des terres. Ce récit de fondation, corroboré par des expéditions savantes de Rozella, fait de Caliamo la plus vieille cité avhoroise. Malgré tout, elle n’atteindra jamais le prestige de Vêpre, de Vespéra et de Treia, son développement étant limité par la multiplication des hostilités entre les Vhorili et les Mérivar, familles ducales d’Avhor et Salvamer, sous l’Avant. Point de passage entre Vêpre et Salvar, elle joua néanmoins un rôle d’avant-plan dans les conflits opposant les deux dynasties régnantes, encourageant le développement de traditions martiales dans le comté. Sous la bannière de la famille d’Urgell, Caliamo assuma la protection des frontières méridionales du domaine Vhorili pendant des siècles sans pour autant se détourner de l’amour de la culture et des fêtes propre aux Avhorois. Aujourd’hui encore, Avhor entretient une culture de la guerre fort singulière, leg direct des traditions artistiques et militaires de sa marche, laquelle s’est propagée dans le reste du palatinat sous le nom de Caliamana; où “Valse de Caliamo”.

En effet, il n’existe pas de différence pour un Avhorois entre le fait de mener une danse et celui de mener une guerre; le concept de “guerre” était d’ailleurs aussi étranger à Avhor que le Céleste avant la venue du Prophète. Ainsi, un seigneur des fêtes souhaitant “déclarer une guerre” à son ennemi l’invitera à danser la Caliamana, de même qu’une “provocation en duel” prendra la forme d’une Vêproise. Dans les dépendances de l’Étoile du Soir, Caliamana et Vêproise ne sont que des valses comme les autres, des valses qui peuvent s’avérer funestes certes, mais cela ne doit rien enlever à l’aspect artistique et festif de la chose. Il en résulte une approche très légère, voire particulièrement positive, de ces divertissements martiaux et des morts occasionnées, un phénomène souvent décrié par les autres Ébènois comme étant déconnecté des affres de la guerre. Cela importe peu au soldat avhorois, lequel se contentera de célébrer ses ennemis et ses camarades tombés lors de la danse. Après tout, pourquoi pleurer pour une personne qui a vécu de son art jusqu’au bout lorsqu’on peut l’honorer? Symboliquement, un soldat avhorois se distingue par sa barbe ou à la longueur d’une tresse de cheveux, ne pouvant les couper qu’en cas de défaite afin de signifier un renouveau de sa force.

Plus concrètement, la Caliamana se danse au rythme des tambours, des flûtes et des trompettes qui dominent en permanence le champ de bataille et dictent avec précision les pas que doivent prendre les soldats. Il en résulte une coordination incomparable des soldats au sein d’un régiment qui s’exécutent lors de leurs manoeuvres avec une légèreté et une précision déroutante. Ainsi, tandis que les stratèges conventionnels dressent des plans de batailles et dictent à leurs troupes des ordres sommaires au moyen de cris et de cors, un commandant avhorois utilise ses temps libres pour rédiger des feuilles de partition et des mélodies guerrières à même de donner un rythme à la bataille. Il va donc sans dire qu’un régiment avhorois peut difficilement être placé sous le commandement d’un militaire n’ayant pas acquis les rudiments de la Caliamana, ni même être coordonné efficacement avec un régiment qui ne comprend pas son fonctionnement. Ces considérations, qui ont provoqué nombre de problèmes au sein des armées royales, sont aujourd’hui écartées grâce à l’indépendance renouvelée du palatinat.

Traditionnellement, les armées avhoroises étaient divisées en deux corps de troupes qui valsaient au rythme d’un orchestre, lesquels trouvent aujourd’hui leurs héritiers dans les deux principaux contingents stationnés à Mille-Ronces. Le premier de ceux-ci, les Vidalies, sont porteurs des traditions martiales des comtés côtiers à même de financer leur équipement. Lourdement armurés et parés d’étoffes et de plumes aux couleurs éclatantes qui évoquent des uniformes de parade, ces soldats sont entraînés dans le maniement de longues piques afin d’attirer l’attention de l’opposant et de maintenir leurs positions. Plus légèrement armurés et héritiers des traditions des comtés intérieurs, les Vespérares sont quant à eux des tirailleurs discrets et agressifs qui s’avèrent particulièrement efficaces à prendre les forces ennemies à revers. Assurant la coordination entre les deux régiments depuis la protection des Vidalies, l’orchestre du capitaine rythme la bataille selon les mouvements de l’opposant. De création plus récente, les régiments avhorois ont également été agrémentés du corps des colleteurs avhorois lors des dernières décennies. Ces derniers, composés de serfs habitués de chasser librement en forêt grâce aux décrets de la Ligue des Mérillons sont des éclaireurs et des ravitailleurs prisés.

Jusqu’en 382, le comte de Caliamo était Puig de Pallars, un chevalier issu de la vieille noblesse et consul des forces avhoroises. Assumant le contrôle des armées d’Avhor dans les Saulnières après la mort de Victor Casielli en 330, il était l’un des plus grands héros républicains de la Guerre de l’Avènement. Lors de la bataille de Coeur-de-Sel, alors qu’il était hautement dépassé en nombre et en équipement, de Pallars entreprit de valser la Caliamana contre les forces Aerann venues renforcer les troupes des Crânes depuis Cellryn. Résistant à quatre assauts consécutifs contre ses positions, le commandement de Fel lui offrit, à lui et aux siens, de reprendre le chemin de Vêpre avec leurs armes et leurs bannières. Clamant qu’il valait mieux mourir que de retourner à Vêpre défait et déshonoré, Puig, ayant perdu un oeil lors des affrontements, invita simplement les Felbourgeois à faire mieux que lors des quatre danses précédentes. Impressionnés par la bravade du jeune homme, et calculant que les gains n’en valaient pas le sacrifice, ce furent les forces Aerann qui élirent de battre en retraite en ce jour. Couvert d’honneurs pour sa victoire, le sieur de Pallars se vit offrir les titres de Victor Cassieli à son retour à Avhor.

Puig de Pallars est décédé en 382 à l’âge vénérable de 81 ans. Dans les dernières années de sa longue existence, il devint la voix de la sagesse et de la paix en Avhor, le héros pouvant trancher par sa seule présence des dilemmes politiques insolubles. Cette réputation est toujours entretenue par les nombreuses oeuvres poétiques et théâtrales qui en font le protagoniste. Le chevalier s’éteignit paisiblement au 101e jour du printemps dans son château des Mille-Ronces après une vie digne des légendaires récits de l’Avant. En guise de dernière volonté, il réclama que son fils aîné, Hector de Pallard, cède ses droits sur le comté de Caliamo à sa propre fille, Rémeï. Hector ayant préféré la voie du commerce à celle des armes et étant lui-même âgé de 61 ans, il était inapte, selon le mourant, à préparer Caliamo à la nouvelle ère avhoroise. Malgré ses réticences, le fils accepta la requête et abandonna publiquement toute prétention au pouvoir. La nouvelle comtesse, personnellement éduquée par son grand-père, a prouvé ses capacités de commandement lors de de la bataille des Saulnières contre le Duché des Crânes en 382. Toutefois, postée à la tête des Acrobates des Ronces, elle fut aussi aux premières loges de la débâcle qui s’en suivit et a assisté au massacre de trop nombreux vaillants chevaliers sous ses ordres.

VII.COMTÉ DE VIDALIA

Doucement embrassée par les eaux chaudes de la Vaste-Mer, l’île de Treia à l’est du territoire avhorois accueille le centre névralgique de la spiritualité avhoroise. Historiquement sous le contrôle de la famille d’Ambroise, le fief connut de profonds bouleversements lors du déclenchement de la Guerre de l’Avènement, il y a quelques décennies de cela, qui en firent le plus haut lieu du célésianisme en Avhor et dans l’est du continent.

Aujourd’hui, l’île de Treia toute entière avec ses hydromelleries, villages de pêcheurs et monastères, est sous la gestion de la comtesse Lauria Gabrielli, petite cousine de la branche maternelle de Camille d’Ambroise. Théologienne ayant fait ses classes d’abord sous le Prélat de l’Illumination Philippe IV d’Ambroise puis aux côtés de dame Camille, elle incarne parfaitement le renouveau spirituel de l’Est. Sous ses recommandations, défilés traditionnels, pièces de théâtre liturgiques et célébrations mortuaires colorées font quotidiennement bourdonner les voûtes et autels du célestaire. Cette doctrine unique et désormais bien connue fut nommée selon les anciens dialectes du peuple des Mérillons : “Felicita di Treia”, ou “Bonheur de Treia”.

-Géographie-

Grâce aux vents chauds de la Vaste-mer, l’île de Treia jouit d’un climat tempéré, humide et propice à l’agriculture. Au sommet des Collines d’Adamante où se tiennent le beffroi des Quatre-Joies et le comptoir de la Torre Rossa, au centre des terres, s’étendent des oliveraies et des orangeraies parmi lesquelles sont installées les ruches ancestrales de la famille d’Ambroise. Selon les palais les plus fins, le sucré nectar tiré de celles-ci ne trouve aucun rival dans le reste du royaume. C’est à partir de ce miel que les hydromels d’Ambroise, dégustés jusque dans les villas de la Cité d’Yr, peuvent être concoctés avec les recettes secrètes de la famille noble. À ce négoce s’ajoutent les produits de la pêche de la bourgade fortifiée de Monterro-sur-la-Vaste -l’agglomération la plus à l’est du continent- et la culture de chardon de Chardon-sur-Mer.

En raison de la renommée de ces produits d’exception, l’économie largement tournée vers l’agriculture et ses dérivés de Treia dut se développer autour de la négoce et du commerce maritime. C’est au port de la sainte cité que convergent la plupart de ces denrées afin d’être par la suite acheminées chez les riches négociants de Trenquiavelli, au nord. Chaque jour, une quarantaine de caravelles et de barques se succèdent furieusement dans les quais exigus de la ville pour décharger et charger les marchandises ou les pèlerins, eux aussi sources de revenus non-négligeables.

La sainte cité de Treia de son côté est presque exclusivement consacrée à la Foi. Au retour de Camille d’Ambroise, la communauté se tourna définitivement vers une économie de pèlerinage et appliqua des politiques restreignant les autres activités commerciales dans les quartiers. Si les distillateurs et brasseurs d’hydromel et d’autres alcools décidèrent de déménager dans les campagnes environnantes, plusieurs modestes producteurs attribuèrent à leurs créations des propriétés religieuses. Par exemple, les boulangers rebaptisèrent leurs célèbres gâteaux confits à l’orange en pains cérémoniels, les pêcheurs firent de leurs sorties en mer des occasions de cérémonies religieuses à l’honneur des marins, les teinturiers se spécialisèrent dans l’écarlate, l’azur et l’or, couleurs prisées par les prêtres, etc. En somme, la frivole vie avhoroise suivit son cours, mais prit une teinte permanente de ferveur célésienne.

En 379, une brèche fut toutefois opérée dans le paysage commercial de l’île. Croulant sous les dettes et devant leur incapacité à répondre aux exigences de la Reine, plusieurs des hydromelleries locales furent menacées d’achat agressif par la Banque libre d’Ébène. Après des négociations serrées et des actes de sabotage d’origine inconnue, les représentants de la banque et les producteurs locaux en arrivèrent à une entente. Naquit à ce moment la “Coopérative de production d’hydromel de Treia”, conservant leur autonomie, mais étant chapeautée par des branches de la Banque libre d’Ébène. Un comptoir marchand armé -afin de protéger leurs partenaires commerciaux- de la grande guilde fut aussi établi sur place. Cette entreprise perdura pendant plus de deux ans, moment auquel la Banque libre d’Ébène accablée par les revers dans la Guerre des deux Croix de Laure ne put maintenir son emprise sur ses dépendants de Treia. Sur l’île comme ailleurs dans le royaume, les petits producteurs et marchands entreprirent d’effacer leurs dettes à l’endroit de la corporation. Or, le prêteur-électeur Eliott Voss, désireux de se retirer des affaires publiques et jouissant des bénédictions de la Divine, se retira en ces terres pour écouler ses vieux jours. Donnant l’exemple en exploitant lui-même une prospère hydromellerie près de Torre Rossa, il persuada les producteurs de la Coopérative de rester dans le giron de la Banque libre d’Ébène. C’était là son ultime réussite commerciale après une longue carrière d’exploits marchands.

Au centre de la ville, au sommet de l’antique tertre de Vesilia (héritage des ancêtres Mérillons), s’élève depuis près de cinquante ans le prodigieux Célestaire de la Dame, une oeuvre architecturale magistrale rendant hommage au Céleste avec un luxe clinquant et une jovialité inégalée. Construit par Octavien Duchesne sous les ordres de la défunte Camille Ophélie d’Ambroise au début du siècle, ce bastion de la foi permit, au retour de la dame à la suite d’un périple initiatique en Fel auprès du Témoin Ferval, d’archiver en ces terres les enseignements sur la vérité métaphysique du monde. Dès lors, Treia devint un phare faisant rayonner cette vision inédite de la foi. Parés d’or, d’argent et de joaillerie, ses murs et piliers furent taillés dans de gigantesques troncs d’arbres réchappés du Bois-du-Trône, à l’ouest de Vêpre. Ne souhaitant pas laisser ces merveilles naturelles être abandonnées à la pourriture d’une forêt brûlée et en renouvellement, l’architecte avhorois Octavien Duchesne fit sélectionner les billots utilisables pour des fins de construction et les transporta en Treia. Contrairement à la plupart des célestaires du royaume, le temple de Treia n’est donc pas fait de pierres froides, mais de bois chaud, voire cendré. Pour ceux qui s’y recueillent, les arômes sylvestres du prestigieux Bois-du-Trône désormais révolu peuvent encore être humés. Enfin, grâce à la légèreté de ce matériau, le célestaire se dresse haut vers les cieux, donnant l’impression de transpercer l’azur de ses beffrois effilés. Quotidiennement, des centaines de fidèles y déambulent ou y étudient, en faisant un centre théologique comparable en prestige au célestaire de Haut-Dôme ou, selon certains orgueilleux natifs de l’endroit, d’Yr.

Enfin, notons que le comté de Vidalia s’étend sur les terres continentales avhoroises jusqu’à la rive orientale du lac Dive. Cependant, la comtesse Gabrielli, agissant davantage à titre de guide religieuse que de dame de la noblesse, ne se soucie que peu d’affirmer son autorité sur les barons de Bellasylvania, Corranze ou Nordalia. Plus que partout ailleurs dans le palatinat, les modestes seigneurs y jouissent donc d’une liberté accrue, pour autant qu’ils honorent leurs impôts et préservent la pureté spirituelle de leurs serfs.

-Histoire-

Avant la Guerre de l’Avènement, le domaine de Treia était sous la mainmise de la famille d’Ambroise depuis quatre générations. Ses somptueux jardins aménagés à même les oliveraies et orangeraies étaient des incontournables pour quiconque s’adonnait à jeter l’ancre au port de la modeste communauté de l’île. Encore aujourd’hui, ces boisés fruitiers changent de couleur au fil des saisons et demeurent soigneusement entretenus par les jardiniers des communautés religieuses locales.

C’est au début de la Guerre de l’Avènement que l’île changea complètement de vocation sous l’influence de deux célèbres représentants de la famille d’Ambroise : Philippe IV et Camille Ophélie. Au déclenchement du conflit, dame Camille, déchirée entre ses loyautés familiales et ses passions professionnelles, quitta Avhor afin de rejoindre la cour de Ferval Aerann à Fel. À ses côtés, elle apprit à mieux appréhender les mystères de ce monde et à maîtriser les secrets de la vie et de la mort. Pendant ce temps, Philippe IV demeura en Avhor afin d’appuye le camp des Républicains. Ne souhaitant pas être emporté entièrement par le feu de la guerre, il fit de Treia, anciennement surveillé par Camille et désormais sans seigneur, sa retraite personnelle. Le célestaire que l’on y érigeait à ce moment était pour lui source d’apaisement et de contemplation. Lors des années où il en fit sa résidence secondaire, il élabora à temps perdu une intrigante théologie plus adaptée à l’esprit festif et artistique des habitants de l’Est ébénois que la doctrine communément admise ailleurs. Malheureusement, Philippe IV ne profita que brièvement de la paix royale et laissa à sa mort, en 347, Treia sans seigneur.

Peu après, apprenant la nouvelle du décès de son parent, Camille retourna en Avhor et découvrit une Treia immaculée, aucunement atteinte par les ravages de la guerre ou de la maladie. Dans un esprit de nostalgie et de regret, elle y reprit domicile et s’imprégna de la philosophie inachevée laissée derrière par Philippe. Des années durant, entre ses nombreux voyages, elle étaya sur papier son interprétation célésienne des enseignements de Ferval Aerann et de ses liens avec les pensées de Philippe IV. Auprès des religieux du Beffroi des Quatres-Joies dans les hauteurs des Collines d’Adamante et des Aurésiens cloîtés de la cité, elle ficela les détails de sa pensée. Lorsqu’en 355 la parole de Ferval fut officialisée sous le nom du Témoignage de la Vérité, la théologie de Treia, connue sous le nom de la “Felicita di Treia”, ou “Bonheur de Treia”, se répandit comme une traînée de poudre dans l’Est du pays. Au décès de dame d’Ambroise, c’est sa petite cousine, Lauria Gabrielli, qui veilla habilement à la propagation de cette philosophie et offrit la seigneurie des terres au chapitre de la Foi, et ce jusqu’à ce qu’elle récupère le titre de comtesse de Vidalia après le démantèlement des instances judiciaires yriotes.

La Felicita di Treia est moins un culte officiel qu’une façon de vivre la foi adaptée aux descendants des anciens Mérillons. Pour Philippe IV d’Ambroise, Prélat de l’Ordre de l’Illumination, la tradition et l’esprit du Céleste incarné dans les actions des peuples et de ses représentants primaient sur les textes saints. Dès lors, il ne pouvait accepter que les moeurs colorées et créatives des Avhorois et Salvamerois soient à ce point occultées au sein des congrégations. Au même moment, l’Est, fermement républicain, subissait de durs revers : Peste sanglante, complot mortel de l’Ordre à Vêpre, défaites militaires. Il devint important pour Philippe IV de ne point céder au désespoir et de fêter l’existence comme le Céleste l’aurait souhaité. Plus tard, lorsque Camille joindra ses pensées à celles de son parent, cette philosophie intégrera une interprétation festive de la mort elle-même.

La Felicita di Treia s’articule simplement : tout est objet de fête et de beauté. De la naissance à la mort, des récoltes aux famines et du beau temps aux tempêtes, la vie se doit d’être célébrée. Le Céleste créa l’être humain avec une Raison, certes, mais aussi avec une sensibilité. C’est lorsque Raison et Sens sont stimulés simultanément que le Céleste se dévoile véritablement. Sur la base de cette interprétation du célésianisme, il est désormais fréquent d’apercevoir des pièces de théâtre liturgique sur les places publiques, des festivités quotidiennes au nom des Témoins et de leurs actes, des chants spontanés en l’honneur du Dieu et d’autres manifestations spirituelles incarnées dans des formes d’art diverses. Plus encore, la mort devient elle-même un objet de célébration. Les défunts sont menés jusqu’au beffroi où ils sont immolés lors de défilés populaires flamboyants et musicaux. Il n’est pas rare de voir à la tête de cette marche un individu vêtu d’une large toga noire de jais et maquillé d’un blanc éclatant, rappelant par ce contraste les nombreuses dualités complémentaires de ce monde (vie et mort, Céleste et Enchaîné, etc.). Évidemment, en Treia plus que partout ailleurs, ces traditions récentes sont honorées quotidiennement. Cela permet aux visiteurs ecclésiastiques d’éprouver par l’expérience cette philosophie qu’ils rapporteront en leurs domaines.

Malheureusement, autant les campagnes que la Sainte Cité de Treia portent les cicatrices de la guerre avec la Ligue d’Ardaros de 380 de l’ère royale. Effectivement, la paisible île fut la première cible de la fureur de l’amirale hérétique, Taureï’Ra. Les communautés de Monterro-sur-la-Vaste, Chardon-sur-Mer, du Beffroi des Quatre-Joies et de la Torre Rossa furent partiellement ou entièrement saccagées, que ce soit par les forces d’invasion ardarosiennes ou les libérateurs célésiens du continent. C’est dans la ville de Treia elle-même que les combats culminèrent lorsque les sbires d’Ardar incendièrent un antique monastère aurésiens et mirent à mort des centaines d’innocents avhorois. Encore aujourd’hui, le magnifique quartier noble des Azurées, hommage à l’architecture colorée locale, peine à se remettre de cet assaut sauvage. Le discours isolationniste et pacifiste de la comtesse Gabrielli ne fit ensuite que s’intensifier, celle-ci embrassant ouvertement une doctrine ancrée dans la liberté de culte et le libre-arbitre individuel. Comme elle le répète inlassablement : “Vivre et laisser vivre dans la joie de chaque instant.”

[Pour consulter le récit de la bataille de Treia : https://projet-enclave.com/wp-content/uploads/2022/04/Les-Voix-de-Treia.pdf ]

VIII.COMTÉ DE TRENQUIAVELLI

Fourmilière commerciale au-dessus de laquelle flotte l’étendard de la Marine des Mérillons, l’île de Trenquiavelli est le quartier général de la plus importante guilde d’importation et d’exportation du continent. Quotidiennement, des centaines de débardeurs y chargent et déchargent les innombrables navires qui mouillent en son port, contribuant à satisfaire la soif insatiable de produits de luxe des Ébènois. La gestion des affaires de Trenquiavelli et de la Marine échoit à Orietta Casielli, actuelle Grande Amirale de la guilde. De son bureau de la Bourse de l’Alliance, elle observe et coordonne depuis plus de vingt ans les audacieuses entreprises maritimes et explorations lointaines de ses capitaines.

Officiellement, l’Île de Trenquiavelli n’est qu’une parcelle du comté éponyme placé sous la suzeraineté du comte Frederico Cordari. Or, l’incroyable prospérité des quartiers généraux de la Marine des Mérillons a largement occulté au fil des décennies le pouvoir aristocratique de la famille Cordari. On raconte que jamais Frederico n’entreprend un chantier ou ne lève une taxe sans le conseil -voire l’autorisation- de la Grande Amirale Casielli. Le bureau de la marchande accueille donc plus fréquemment que la cour comtale de Cordari les seigneurs des baronnies de Luismonte, Champ-Lune ou Orferoy, ce qui n’est pas susciter l’ire du principal concerné.

-Géographie-

À quelques brasses de nage de sa jumelle de Treia, l’île de Trenquiavelli se résume à l’immense complexe commercial qui s’y trouve. Autrefois, des vergers et orangeraies ponctuaient les rares collines du bout de terre, mais, au cours du quatrième siècle, ceux-ci disparurent un à un afin de céder leur place aux domaines et entrepôts des plus prospères capitaines commerçant avec la Marine des Mérillons. Au dehors du port principal du bourg de Trenquiavelli, on peut donc voir se profiler dans les landes près d’une trentaine de villas de tailles variées, l’opulence de celles-ci dépendant de la richesse de leurs propriétaires. La majorité d’entre elles, bien que situées à quelques kilomètres des berges, entretiennent des quais leur permettant de transporter directement en leurs entrepôts les denrées les plus précieuses. Avec le temps, plusieurs des capitaines de la Marine fondèrent de véritables dynasties commerciales et se firent une fierté d’afficher leurs blasons sur ces quais et villas. Ainsi le visiteur peut-il y rencontrer, entre autres, les propriétés des Verazzo, Heinburg, Casielli, Merizzoli, Jolicoeur et Figaro.

L’essentiel des transactions marchandes se déroule à l’intérieur du bourg de Trenquiavelli, désormais considéré comme une zone franche sous le contrôle de la Marine qui peut y faire sa propre loi. Son port, rivalisant avec le prestigieux port d’Yr, s’est graduellement agrandi depuis cinquante ans afin de s’adapter à l’achalandage croissant. Dévorant toujours davantage les eaux de Vaste-Mer afin de former une enclave artificielle ceinte de fortifications de pierre garnies de canons, le port peut accueillir près d’une centaine de navires simultanément. Tout au long des quais, de vastes entrepôts abritent des marchandises étrangères ou ébénoises s’apprêtant à prendre le chemin des étals du royaume ou des lointains rivages d’Ardaros. Dans cette ruche ne diminuant bien souvent ses activités qu’après la tombée de la nuit, il n’y a aucune place pour l’oisiveté.

La ville elle-même vit au rythme de l’arrivée des livraisons de marchandises. Chaque rue de l’agglomération est nommée en l’honneur des artisans qui y pratiquent : des Joailliers, des Forges, des Tanneurs, des Vignerons, des Pelleteries, etc. Les centaines de spécialistes ayant pignon sur rue sont fréquemment embauchés par les capitaines marchands afin d’augmenter la valeur de leurs importations. Qu’il s’agisse de tailler un saphir du Vinderrhin pour en extraire une amulette destinée à une dame de Gué-du-Roi ou de travailler une fourrure exotique ardarosienne pour un seigneur de Fel, ces artisans empochent de coquettes sommes en s’imposant comme intermédiaires dans cette industrie du luxe. Pour cette raison, Trenquiavelli a connu au cours des vingt dernières années une hausse fabuleuse du prix des propriétés, expulsant ses plus pauvres habitants vers le continent et forçant toujours plus les riches à dépendre des importations de denrées essentielles.

C’est dans la Bourse de l’Alliance, trônant au sommet du Mont-d’Alvara au centre de la cité, que se rassemblent les hautes autorités de la Marine et les capitaines en quête d’investissements. Héritière de la Banque des Écumes fondée en 315, la Bourse de l’Alliance est le lieu de rencontre des riches financiers, des marchands et des explorateurs souhaitant mettre sur pied des projets uniques. Ouverture d’un comptoir commercial au Vinderrhin, exploration des mers du sud, achat d’un lot d’armes au Silud…aucune entreprise n’y est honnie. Les seuls juges de la pertinence d’une idée sont les investisseurs particuliers. Avec les années, la Bourse de l’Alliance a pris une telle ampleur dans le pays qu’il n’est plus rare d’y rencontrer des représentants de la Banque libre d’Ébène, de l’Union commerciale du Sud et même de la Divine. C’est la Grande Amirale Orietta Casielli seule qui détient le privilège de déterminer qui a le droit d’échanger des fonds sur le parquet de la Bourse.

On ne peut ignorer la présence des imposants galions de la Flotte des Mérillons mouillant aux quais de l’île. Résultat du chantier initié en 379 par la famille Saïd au nom de la Marine des Mérillons et financé par la Guilde royale des artisans, cette escadre de galions patrouille autant la Vaste-Mer que la Mer Blanche afin de protéger les routes commerciales de la guilde. Ses impressionnants bâtiments de guerre ont d’abord une vocation d’escorte marchande, mais peuvent accueillir des cargaisons précieuses. Lents à se déplacer, ils savent tirer d’un mauvais pas les navires vulnérables une fois en position et assurer l’hégémonie de la Marine sur mer. Si son nombre fut réduit de moitié à la conclusion de la guerre contre la Ligue d’Ardaros en 381 lorsque les négociateurs yriotes offrirent à l’ennemi la propriété de l’Île de Corail et les navires y jetant l’ancre, elle reste l’une des plus importantes forces navales avhoroises.

Sur le continent, les autres baronnies de Trenquiavelli ne tirent qu’une parcelle du ruissellement de richesses transigeant dans les installations de la Marine des Mérillons. Trop fréquemment, les seigneurs doivent accueillir en leurs domaines les ouvriers, serfs et indigents désertant les onéreux quartiers de l’île marchande. Ceux-ci sont alors mis au service des industries de la pêche au nord, minière au sud et forestière à l’ouest. Cependant, l’une d’entre elles se démarque par son dynamisme exceptionnel : le fief de Champ-Lune. Hôte de la Maison-mère des Pharmacies de Sabran, Champ-Lune, sur les bords du lac Dive, est le centre administratif de l’influente institution médicale et scientifique. Par la collaboration de ses rectrices Claude et Haralyne de Sabran, des comptoirs de production et de vente de médicaments et remèdes alchimiques et d’herboristerie furent développés depuis plusieurs années dans l’ensemble des régions d’Ébène. Toutes répondent aujourd’hui aux décisions prises en Avhor où la Rectrice Claude de Sabran a établi ses quartiers personnels. 

-Histoire-

La traversée des deux mers ceignant le royaume d’Ébène fut de tout temps un défi pour les navigateurs. Le succès d’une telle entreprise découle autant de l’expérience des marins, de la robustesse des navires et de la faveur des courants océaniques. De tous les capitaines ébènois, ce sont les descendants des Mérillons –Avhorois et Salvamerois- qui ont su le mieux dompter les dangers du large. Avant le Sang’Noir, nombre des marchands négociant avec l’étranger revêtaient la cape de pirates et de flibustiers pillant autant les cales des boutres ardarosiens que les entrepôts côtiers des baronnets de Salvamer. Par leur intermédiaire, des produits exotiques faisaient leur entrée sur le marché ébènois et se frayaient un chemin jusqu’aux plus nobles cours des landes ; la piraterie était la condition nécessaire au luxe des aristocrates.

Toutefois, quand le Roi-Prophète entreprit de structurer le royaume autour des seigneurs-palatins et de la Cité d’Yr, il devint périlleux pour les bandits des mers de poursuivre leurs activités illicites. Afin de sceller le sort de ces criminels, Vittario Acciaro, seigneur-palatin de Salvamer de l’an 18 à 36, embaucha officiellement à la vingt-et-unième année de notre ère l’un des capitaines pillards sévissant sur la Vaste-Mer afin de combattre ses semblables. Le flibustier Horacio le Flamboyant, tel qu’il aimait se faire appeler, s’empara des ducats des Acciaro et convoqua à Pyrae –archipel neutre- une assemblée des capitaines de l’Est. À force de tractations et de pots-de-vin, il persuada ses homologues de s’unir en une seule coalition apte à monopoliser légalement le commerce extérieur du royaume d’Ébène. Bien sûr, une poignée de criminels résistèrent à la formation de cette nouvelle alliance, mais ils furent promptement écrasés par les forces coordonnées de la nouvelle puissance commerciale. Horacio le Flamboyant fondait ainsi en l’an 22 l’Assemblée des Mérillons.

La croissance fulgurante de la guilde marchande contribua au maintien de l’ordre fragile qui la soutenait. Effectivement, habitués à la liberté du marin et à la frénésie des pillages, plusieurs capitaines de l’Assemblée poursuivirent clandestinement leurs opérations illégales afin de maximiser leurs profits. Cependant, les attraits de la criminalité s’estompèrent rapidement lorsqu’ils constatèrent qu’ils pouvaient –à bien moindres risques- réaliser des profits faramineux en revendant à hauts prix les produits rares acquis dans les marchés ardarosiens. Les dangers inhérents au pillage ne pouvaient que s’évanouir devant les promesses d’un monopole commercial. Nul ne pouvait traverser les mers comme le faisaient les Mérillons de l’Assemblée et nul n’était en mesure de leur faire compétition en ce domaine. L’intégration de Pyrae au royaume d’Ébène en l’an 105 ne fit que consolider le pouvoir de la guilde à l’Est, l’archipel lui servant désormais de fenêtre sur les richesses d’Ardaros.

En 319, à la suite de la montée fulgurante en puissance de la nouvelle Guilde franche d’Ébène basée à Fel, l’Assemblée des Mérillons perdit peu à peu de son influence au sein des marchés ébènois. La plupart de ses ports d’attache orientaux subissant la menace d’une invasion maritime par les forces princières et les eaux de la Vaste-Mer grouillant de pirates et de contrebandiers, la flotte marchande ne pouvait plus rentabiliser ses activités. Pour cette raison, elle se tourna vers la Marine de Carrassin d’Avhor. Regroupement commercial maritime et côtier officiellement fondé par Alvaro de Trenquiavelli et Bartholomeo Souard en 314, la Marine de Carrassin semblait être un partenaire d’affaires tout indiqué pour les Mérillons. L’entreprise, installée dans le palatinat d’Avhor, visait d’abord et avant tout le développement et la protection des réseaux maritimes de la Vaste-Mer et de la Mer blanche et l’acheminement sécuritaire, efficace et légal des ressources sur le continent. De plus, par son fondateur, l’ancien comte de Trenquiavelli, également surnommé le Carrassin d’Or, la compagnie était déjà en alliance directe avec l’Assemblée des Mérillons avec qui elle partageait des objectifs communs.

Ainsi, en 319, Shala Omhenaï, la Grande amirale de l’Assemblée des Mérillons, rencontra ses homologues de Carrassin. À l’issue de cette réunion, l’ensemble des intervenants durent se rendre à l’évidence que leur survie passait par une fusion de leurs activités. En plus de la guerre civile en cours et des menaces de la Vaste-Mer, de nombreux individus hauts-placés de la Marine de Carrassin avaient commencé à prendre leur distance par rapport à la compagnie afin de se concentrer à leurs propres affaires. C’est donc à la fin de la même année, alors que les assauts pirates se multipliaient sur les routes commerciales liant l’Ébène à Ardaros, que l’union entre les deux marines fut scellée. Ainsi naissait la Marine des Mérillons.

Lors des années suivantes, l’essor inquiétant sur la Vaste-Mer de l’organisation connue sous le nom de « L’Ordre » provoqua de nombreux remous au sein de la Marine. Confrontée à ces pirates fanatiques voués au renversement des gouvernements d’Ébène, la guilde marchande dut engloutir des sommes colossales pour préserver son hégémonie commerciale. Ironiquement, les enquêtes ultérieures devaient prouver que les capitaines de l’Ordre, ennemis mortels des Mérillons, étaient souvent infiltrés à même l’organisation, jouant de ce fait sur les deux tableaux. Néanmoins, en 323, après des luttes acharnées, les légions de la Marine parvinrent à poser le pied sur l’île de Corail, à mi-chemin entre l’Ébène et la Ligue d’Ardaros. Il fallut ensuite près de deux décennies de combats sanglants dans les jungles de ce bout de terre tropical pour que les Mérillons reprennent le contrôle aux mains des derniers criminels résistants. Ce fut Didius Falco, Commodore de la guilde, qui mena ces batailles acharnées.

Étroitement associée au Symposium des Justes (entente politique des seigneuries avhoroises et salvameroises) au sein de la Ligue des Mérillons, la Marine a repris du galon depuis trente ans. Grâce à la paix du Monarque et à son contrôle ferme de l’île de Corail (menant à Ardaros), de l’île d’Ivoire (ouvrant la porte du Silud) et de l’île aux Boustrophédons (près du Vinderrhin), la flotte marchande a pu regagner le contrôle des mers. Oeuvrant de pair avec la Couronne, elle loua ses galions et caravelles afin d’entretenir les colonies et comptoirs commerciaux à l’étranger. De plus, par l’adhésion à leurs rangs des familles Merizzoli et Di Ontano de Salvamer, responsables de la fabrication des carats, la Marine s’assura des entrées d’argent récurrentes en ses coffres. Finalement, lorsqu’en 370 la Reine Adrianna autorisa de nouveau le commerce avec les Ardarosiens de la Lance d’Ardar -ancienne Pyrae conquise par les étrangers, la Marine s’empressa de monopoliser les échanges légaux avec les marchands des lieux.

Les principaux entrepôts de la Marine des Mérillons se situent sur les berges de la Vaste-Mer, plus précisément à Avhor, sur l’île de Trenquiavelli. Appartenant au début du siècle au comte Alvaro Trenquiavelli, l’emplacement accueillit en 314 le premier navire de la Marine de Carrassin grâce aux bonnes relations qu’entretenait le seigneur avec le capitaine Bartolomeo Souard. Au moment de la fusion entre l’Assemblée des Mérillons, installée à Salvar, et la Marine de Carrassin moins d’une décennie plus tard, la nouvelle guilde opta pour l’île de Trenquiavelli comme quartier-général de ses activités. L’île étant à mi-chemin entre les ports avhorois, salvamerois et pyréens, cette décision visait à satisfaire ses membres essentiellement actifs dans l’est du royaume. Au fil des années et malgré les agressions militaires -de Fel surtout- et les attentats, le bourg de Trenquiavelli connut une croissance fulgurante afin de donner naissance au complexe portuaire que l’on peut y visiter aujourd’hui.

Après des années d’infiltration des hauts postes de la Marine des Mérillons par les criminels de l’Ordre, la guilde mena une purge parmi ses rangs lors au terme de la Guerre de l’Avènement. Même le nom d’Orfeo Rana, précédent intendant de Trenquiavelli reconnu comme un membre influent de la cabale, fut effacé des livres d’histoire et remplacé par la vulgaire annotation “O.R.” dans les livres de comptes. C’est maintenant Orietta Casielli, petite-fille du grand général de la Ligue des Mérillons Umberto Casielli, qui occupe le poste de Grande Amirale de la guilde. D’esprit aventureux, celle-ci accompagne fréquemment en mer les expéditions de la Marine afin de pouvoir se targuer d’être la première à poser le pied sur de nouvelles plages. Elle reproduisit cet exploit à de nombreuses reprises depuis son élection en 358, entre autres sur l’île d’Ivoire, l’île aux Boustrophédons et l’Île-de-la-Reine près d’Ardaros.

Le passé tumultueux de la Marine des Mérillons en Trenquiavelli et l’influence incontestable de ses capitaines sur la politique de la région ne sont pas sans déplaire au comte légitime des lieux, Frederico Cordari. Au début de la Guerre de l’Avènement, sa mère, Venitia Cordari, prit ouvertement et fermement le parti du Guérisseur couronné et futur Monarque. Tragiquement, pour une obscure raison, la dame ne reçut jamais les fruits de sa loyauté indéfectible. Tenue à l’écart de la cour royale, elle regagna le château de Luismonte en ruminant sa colère et tissa des liens avec le camp républicain. Envers et contre tous, elle fut l’une des seules à renouer avec la famille palatine déchue des Filii et à fréquenter les réceptions de Vespéra. Cette amitié mena éventuellement à l’union entre sa fille Valentina et Jordi Filii. C’est toutefois son fils aîné, Frederico, qui hérita des titres comtaux à sa mort en en 369. Depuis, le comte Cordari se trouve dans une position précaire. Pleinement conscient que le développement de ses terres ne pourra se faire dans l’ombre de la Marine des Mérillons, il est dépendant des maigres redevances de la corporation. Bien que comte de Trenquiavelli, il ne peut empêcher ses vassaux d’aller quérir des fonds directement à la Grande amirale Casielli en outrepassant son autorité. Dans l’éternelle guerre entre la bourgeoisie et la noblesse, entre les capitaux et l’honneur, le sort de Frederico et du comté de Trenquivalli semble scellé.