LES ACADÉMIES ROYALES

I. ACADÉMIE ROYALE DE FULCIEU

Campus principal : Felbourg-la-Cité, Duché de Fel

Devise : «Façonner le monde»

Priorités : Sciences naturelles, technologies, étude de la vapeur


L’histoire de la prestigieuse Académie de Fulcieu débute à quelques lieues de la métropole de Felbourg-la-Cité, sur les berges de la modeste rivière Ellorie. Dès le début du troisième siècle après le Sang’Noir, la rivière Ellorie accueillit nombre de moulins à scie usant du pouvoir de l’eau afin de nourrir les chantiers navals de Felbourg. Sur l’un de ceux-ci naquit et travailla Jehan Fulcieu, un brave jeune roturier au corps faible mais à l’esprit acéré. Toute son enfance durant, il observa le labeur de ses aïeuls, convaincu que les méthodes ancestrales de sciage pouvaient être améliorées pour le profit de tous. Faisant fi des quolibets de ses compatriotes, il mena pendant plusieurs années des expérimentations visant à remplacer l’énergie motrice limitée de l’eau.

C’est en 270 de l’ère royale que Jehan fit l’heureuse découverte du potentiel de la vapeur. Comme moult inventions de notre monde, ce fut une expérience impromptue qui éclaira l’esprit du chercheur. Un matin où il admirait les filles de cuisine vaquer à leurs occupations sur le chantier du moulin où il résidait, il remarqua que l’un des chaudrons de soupe mis sur le feu avait été recouvert d’une lourde plaque de fonte. Or, malgré son poids considérable, l’épais morceau de fer frémissait et se soulevait allègrement sous l’effet de la vapeur tentant de s’échapper du récipient. Il n’en fallut pas davantage pour que Fulcieu explore cette piste dans ses recherches.

Après cette illumination, il suffit à l’homme de quelques mois pour mettre au point un dispositif démontrant la puissance inimaginable de la vapeur. Sous la forme d’un moulin à scie miniature, la maquette se mouvait par l’intermédiaire d’une maigre chandelle. Fort de ce prototype, Jehan demanda audience à la seigneur-palatine de Felbourg de ce temps, Aubertine Lobillard. Contre toute attente, la grande dame Lobillard approuva l’initiative de Fulcieu et lui octroya le financement nécessaire pour construire à proximité de la rivière Ellorie un premier moulin à vapeur. Si ce dernier s’avérait plus productif et efficace que ses homologues animés par des énergies traditionnelles, le palatinat de Felbourg financerait massivement l’implantation de la nouvelle technologie.

Bien sûr, la tentative de moulin à vapeur fut un succès. Avec la moitié moins d’ouvriers, Jehan parvint à doubler la production normale de bois de charpente. Entre 270 et 275, il fut mandé par la famille dirigeante de veiller à l’amélioration des infrastructures industrielles de Felbourg, ce qui fit de la métropole une plaque tournante du commerce ébènois. Lors de l’accession d’Aubertine Lobillard au titre de princesse d’Ébène sous le nom de Vastelle dite l’Érudite, il obtint la permission princière de fonder une académie royale, l’Académie de Fulcieu, dont il devint le maître académicien jusqu’à sa mort, en 305. Lui succéda son fils, Hector Fulcieu, puis sa petite-fille, Sophia Fulcieu, qui dirige encore aujourd’hui les activités de l’institution.

De nos jours, l’Académie de Fulcieu fait la renommée de Fel et entretient des liens très étroits avec la bourgeoisie et la noblesse du duché. Par ses trouvailles technologiques constantes, l’institution participe à la croissance de l’économie et de l’industrie de la métropole. Au début du quatrième siècle, l’académie a d’ailleurs réalisé de nombreuses percées dans diverses sphères de la société ébénoise. Implantée à Pyrae pendant deux décennies, elle se familiarisa avec l’utilisation des alcôves volcaniques dans un dessein de production de vapeur. À Laure, sous l’impulsion du savant Yazhid Nazem, elle participa à la construction d’écluses sur le fleuve Laurelanne. À Fel, elle fut gratifiée par l’ancien chancelier Valérian Ronce-Coeur de la charge de veiller à l’éducation populaire des sujets du duché. Enfin, l’académie s’est directement impliquée dans la fondation de l’Ordre médical d’Ébène, surtout par l’intermédiaire de son campus de Gué-du-Roi spécialisé en herboristerie et recherches pharmacologiques.

Dans la seconde moitié du quatrième siècle, l’émergence du mouvement biomécanique promu par les Pharmacies de Sabran a décuplé l’influence de Fulcieu sur le continent ébènois. Faisant de la science, de la technologie et de la rationalité pure les fondations du développement intellectuel d’Ébène, les adeptes de la biomécanique étaient des alliés naturels de Fulcieu. Grâce aux efforts constants de sa principale penseure et Maître-Alchimiste Claude de Sabran, de l’alchimiste Haralyne de Sabran et leur entourage, les Pharmacies de Sabran ont établi des comptoirs de vente et de recherches dans chacune des régions célésiennes et converti de nombreux disciplines aux thèses de Fulcieu. Simultanément, les fondateurs de la nouvelle République sérénissime de Havrebaie, Joseph Morrigane et Maximilien César Auguste Mortimer, ont ouvert grandes les portes de leur cité aux savants et instauré sur l’île Sereine, à quelques pas de la Cité d’Yr, un campus dédié à la recherche de nouvelles technologies militaires : le pavillon des affaires et développements militaires de Fulcieu. Enfin, lors de la grande épidémie de peste sanglante de Pyrae en 381, les installations de l’académie à Felbourg-la-Cité ont accueilli le chantier de “l’Omnipurgateur”, une gigantesque machine pouvant extraire d’une substance physique des propriétés pour les transférer dans une matière autre. Controversé et instable, l’engin colossal n’est que rarement utilisé, les ingénieurs et alchimistes eux-mêmes ne saisissant pas parfaitement la portée de ses effets. À la fin du siècle, l’avenir semblait appartenir aux héritiers de Jehan Fulcieu.

Tout comme le duché pragmatique dans lequel elle s’est développée, l’Académie de Fulcieu priorise les affaires matérielles et techniques. Pour ses précepteurs et érudits, la finalité ultime des efforts de recherche réside dans la découverte de moyens d’améliorer la vie quotidienne des Ébènois, des travailleurs et, surtout, des propriétaires bourgeois. La spéculation, lorsqu’elle a lieu dans l’enceinte de l’institution, n’a pour objectif que l’établissement de nouveaux fondements technologiques plus efficaces. Pour cette raison, les matérialistes et utilitaristes savants de Fulcieu n’ont qu’une faible estime de leurs homologues des académies Rozella ou du Zanaïr, ceux-ci étant jugés comme de vulgaires illuminés incapables d’améliorer de façon tangible le royaume d’Ébène.

Évidemment, le principal sujet d’étude de Fulcieu reste encore à ce jour celui de la vapeur. Au-delà des usages industriels courants impliquant la pression engendrée par l’évaporation de l’eau, très peu d’autres techniques ont été mises au point par les chercheurs. Le pouvoir inouï qui actionne les moulins et forges n’a que très récemment été transposé à des domaines de la vie quotidienne ou à des fins militaires. Pourtant, beaucoup de nobles du royaume rêvent en secret du jour où leurs navires seront propulsés par des rames mécaniques et que des trébuchets à vapeur abattront tels des fétus de paille les murailles des cités. Les prouesses techniques réalisées dans les imposantes Forges en Vaunes dans le nord de Fel n’ont fait qu’attiser ces ambitions. Plusieurs surveillent les progrès de l’Académie de Felbourg, parfois avec excitation, souvent avec appréhension.

II. ACADÉMIE ROYALE DE ROZELLA

Campus principal : Île de Venezia, Salvamer

Devise : «L’avenir par le passé»

Priorités : Sciences humaines, Histoire, archéologie


L’Académie de Rozella naquit du rêve de Detterio Rozella, brillant Salvamerois qui vécut des années 128 à 184 de l’ère royale et occupa le poste de haut conseiller pour la famille palatine Acciaro. Avant l’arrivée de Rozella, l’éducation et la recherche dans les palatinats de la Vaste-Mer dépendaient du bon vouloir de chaque famille noble. Dans la plupart des maisonnées détenant une richesse suffisante, un précepteur et un archiviste veillaient à la conservation et à la transmission des registres familiaux en partenariat avec les beffrois célésiens, assurant par ces faits la préservation des savoirs passés et présents. Or, il suffisait d’un seul aristocrate au tempérament bouillonnant ou d’un vulgaire incendie pour que les efforts de générations d’érudits soient réduits à néant.

Dès que Detterio Rozella accéda aux officines privées des Acciaro de Salvar en 162, il s’appropria le devoir de mémoire des sages du palatinat. Rozella avait lui-même travaillé en tant que scribe d’un baron de l’ouest de Salvamer pendant plusieurs années et avait une haute estime des prouesses de ses ancêtres. Après tout, comment ne pas admirer ceux qui, par des techniques désormais disparues, creusèrent et consolidèrent les impressionnants tunnels sous-marins servant de fondations à la glorieuse cité de Salvar? Comment ne pas rester bouche bée devant la Voie des géants, large route pavée sinuant à travers les Monts Namori? Ces secrets oubliés, afin de refaire surface, nécessitaient une concertation des énergies académiques, une alliance entre les divers esprits savants du territoire.

En dépit des efforts de la congrégation célésienne du Haut Pilier qui tenta de discréditer le projet de Rozella afin de conserver sa mainmise sur les archives populaires de Salvamer, Detterio récolta les appuis d’une cinquantaine d’érudits du palatinat. Lors d’un sommet historique qui se tint en 165, ces dizaines de savants s’entendirent pour transcrire les documents qu’ils détenaient afin d’en déposer une copie dans les archives de Salvar. Le projet, en raison de la somme colossale de temps de transcription qu’il exigeait, s’échelonna sur près d’une décennie. Néanmoins, en 174, les archives de Salvar regorgeaient de manuscrits relatant autant la généalogie des anciennes familles que des contes et poèmes du petit peuple.

L’Académie de Rozella vit véritablement le jour en 179 sur l’île de Venezia, au nord de Salvar, quand Detterio accepta -en échange d’une contribution financière- d’ouvrir les portes des archives à des maîtres et précepteurs de confiance. Graduellement, les voûtes furent agrémentées de dortoirs, de salles de classe, de réfectoires et d’autres commodités permettant une vie académique normale. Avec la permission de la princesse Esther dite la Festive, Detterio prit officiellement le titre de maître académicien et se voua jusqu’à sa mort à faire prospérer la nouvelle académie.

L’Académie de Rozella a pour principales vocations l’histoire, la généalogie et les diverses études des humanités (politique, société, philosophie, etc.). Toutefois, l’une des passions principales de plusieurs de ses adeptes est l’archéologie et l’étude des énigmes du passé. Comment fut construite Salvar? Pourquoi furent posées les dalles de la Voie des géants? D’où nous viennent les techniques navales des Mérillons? Le peuple ébènois est présentement le locataire d’anciens vestiges dont il ignore tout. Qu’adviendrait-il si un cataclysme engloutissait l’est du continent? Saurions-nous reconstruire ce qui aurait été perdu? Ce sont ces préoccupations fondamentales qui hantent les cauchemars des érudits de Rozella et qui les poussent à déployer une pléthore de moyens pour en arriver à leurs fins.

L’un des chantiers archéologiques les plus controversés initiés par les autorités de Rozella fut celui de “Jolorion”, une ruine antique submergée par les eaux de la Baie d’Ambroise au sud de la Cité d’Yr. En 364, un typhon d’automne déferla sur le nord du royaume d’Ébène. Cet événement, surnommé “la rage céleste”, causa des ravages du sud de Laure jusqu’à Havrebaie, balayant du revers d’une main divine maisonnées et chaumières. Cette pluie diluvienne dura plusieurs semaines, apportant avec elle des vents violents et dévastateurs. Dans la Cité d’Yr, les canaux maritimes débordèrent et les demeures situées aux abords du bassin principal furent frappées par le vent et les eaux salées. Au retour du beau temps, les pêcheurs de la Baie d’Ambroise n’eurent le temps que de sortir de leur chaumière pour constater avec surprise et inquiétude que le typhon avait révélé à la surface des eaux quelque chose d’absolument incroyable : le sommet d’une ruine d’un temps oublié. S’exposant dans la baie à quelques centaines de mètres des berges de la capitale, cette agglomération de ruines de pierres laissa les érudits pantois. Constituée de bâtiments indescriptibles en pierres non-équarries, ce mystère architectural aux dimensions cyclopéennes ébranla les officines des savants du royaume. Représentation grossière d’une époque lointaine et fort probablement précélésienne, les autorités du royaume en interdirent pendant longtemps l’exploration. Des navires furent postés autour du sommet visible de la zone afin de dissuader les pilleurs de tombe d’y plonger.

C’est seulement en 369 que la Couronne se résolut à débuter les investigations. Le chantier, mené par l’Avhorois Melino Petriali de l’Académie Rozella, entreprit d’isoler les ruines des eaux environnantes. Grâce au célèbre scaphandrier du Duché des Crânes conçu plusieurs décennies plus tôt, il assécha peu à peu les vestiges en créant tout autour d’elles un vase de bois et d’acier. Finalement, la ruine fut baptisée selon le nom de l’un des anciens dieux des Mérillons : le site “Jolorion”. En 378, les navigateurs et archéologues remarquèrent que les ruines crachaient fréquemment des jets de vapeurs extrêmement dangereux pour quiconque s’en approchait. Ce n’est qu’à l’hiver 379 que, après des milliers de carats en investissement, une première expédition fut lancée par le Cercle des archivistes du palais royal. Lors de celle-ci, il fut découvert que les ruines formaient en réalité une cité-forteresse fermée et scellée du nom de “Cerethot”. Le nom du peuple ancien d’êtres humains à son origine fut aussi dévoilé : les Daemons.

De fil en aiguille, une agora, une bibliothèque, une armurerie, une salle des cartes et d’autres installations furent découvertes dans la cité. Les trouvailles menèrent à la traduction de parchemins révélant l’existence d’autres ruines oubliés sur le continent ébènois et au-delà, confirmant qu’un puissant empire avait autrefois occupé le monde connu. À l’été 379, un mystérieux temple païen fut excavé en Cerethot. Privé de tout autel, celui-ci ne consistait qu’en une colossale salle circulaire au centre de laquelle béait un trou aux profondeurs indéfinies. À la suite de plusieurs débats houleux et d’accidents au parfum mystique, ce lieu hérétique fut scellé et interdit d’accès. À l’été 381, au terme de plusieurs scandales d’hérésie et de morts tragiques entourant des chercheurs liés aux affaires Daemons, les accès au site de Jolorion furent finalement détruits sur ordre d’Adrianna, alors Reine d’Ébène.

En dehors de ces projets controversés, l’académie entretient des liens étroits avec nombre d’aristocrates du royaume. Ces derniers, souvent aux prises avec des querelles de successions, font appel aux archivistes pour retrouver -ou créer, diront les mauvaises langues- des revendications appuyant leurs prétentions politiques. Depuis l’éclatement du royaume d’Ébène en 382 et la reprise des querelles entre régions, un simple traité ancestral ressorti d’une obscure bibliothèque peut avoir plus de force qu’une légion de soldats en armes. Par ce travail pointilleux, les membres de l’Académie de Rozella s’assurent la collaboration des puissants de nos terres. Grâce à ce travail d’orfèvre, les érudits ont su étendre leur influence partout en terres célésiennes et inaugurer des campus et écoles dans nombre de cités ébènoises.

Comme on peut s’en douter, l’efficacité des recherches de l’institution de Salvar repose essentiellement sur la quantité et la diversité de manuscrits qu’elle détient. Afin d’accroître la richesse de ses archives, l’académie a conclu un pacte avec le port de la capitale salvameroise. En échange d’un financement continu des infrastructures portuaires, les douaniers exigent de chaque navire visiteur -qu’il soit marchand ou non- le droit de copier au moins un recueil à leur bord. La copie de ce tome est par la suite remise aux autorités de Rozella qui l’ajouteront à leurs bibliothèques. Par ce partenariat unique, l’académie s’assure un flot continu de nouveaux documents dans ses voûtes. En 383, c’est Violetta Vincentini qui agit en 378 à titre de rectrice de l’académie.

III. ACADÉMIE ROYALE DU ZANAÏR

Campus principal : Haute-Tour, Corrèse

Devise : «Maintenir le voile»

Priorités : Préservation des mystères anciens et des artefacts, divination


Pour toute idéologie dominante, un contre-courant se fait entendre. Aux érudits souvent partenaires des grandes familles nobles et des richissimes bourgeois, quelques mystiques opposent une voix dissonante et agaçante. Depuis bien avant le Sang’Noir, l’antique tradition du Zanaïr subsiste dans la région de Corrèse. C’est en l’an 90 que le prince en place, Orcidias II, officialisa le statut d’académie de l’ordre du Zanaïr. Le suzerain, passionné par les contes et légendes corrésiennes, avait pour conseillers personnels des mystiques plongés dans les arts divinatoires qui, pour d’obscurs services rendus, réussirent à obtenir de leur maître la reconnaissance de leur institution.

Les origines du terme «Zanaïr» sont fort contestées. Pour quelques sages du Sarrenhor, il s’agirait d’une ancestrale expression des premiers Enfants d’Arianne renvoyant aux mystères naissant de l’union du vent et des cieux. Pour des érudits pyréens, ce serait le nom d’un mage ardarosien ayant impressionné les anciens ébénois par ses prouesses magiques. Enfin, pour plusieurs autres spécialistes des dialectes étrangers, le Zanaïr serait un concept métaphysique hérité des voyageurs du Firmor, peuple occupant autrefois les terres perdues au sud des monts Namori. Ultimement, toutes ces interprétations se recoupent sur la nature mystérieuse de notre monde et sur la recherche des incantations oubliées.

Bien qu’ils se réunissent habituellement en cercles d’initiés partout en terres célésiennes, la plupart des membres officiels de l’académie du Zanaïr résident dans la région de Haute Tour, à Corrèse. Effectivement, hors des murs des cités, à proximité de la forêt d’Ébène, les éminences grises de l’ordre habitent depuis des siècles une tour fortifiée -d’où le nom de la région- où peu de visiteurs osent s’aventurer. Ce que les érudits du Zanaïr appellent «Sagesse» est hautement controversé dans les communautés savantes ébénoises. La Sagesse n’est ni une science au sens théorique ni une technique au sens pratique. Il s’agit plutôt d’une intuition inexplicable du substrat de l’existence. Celui qui accédera à la Sagesse saura en déduire des formules, des incantations et des gesticulations qui, selon leurs pratiquants, auront un effet sur la matière et l’esprit. En termes plus simples, les adeptes du Zanaïr se prétendirent pendant longtemps magiciens et sorciers. Bien sûr, jamais ils ne l’annoncèrent en ces mots -la magie étant une impureté enrayée par le Céleste lors de l’ère de l’Illumination-, mais leurs ambitions se résumèrent pendant longtemps à redécouvrir la sorcellerie perdue des premières races. Dès lors, tous les indices suggérant la survivance de vestiges mystiques quelque part dans le royaume furent souvent récupérés par les représentants du Zanaïr qui les rapatriaient en leurs quartiers centraux près de Porte-Chêne.

Cependant, en 357 de l’ère royale, la situation du Zanaïr changea drastiquement. À l’automne, quatre régiments royaux commandés par le Connétable d’Ébène de l’époque, Hadrien Visconti, encerclèrent la tour corrésienne. Par décret royal, l’académie mystique fut sommée d’ouvrir ses portes aux enquêteurs de la Couronne. Sachant que rien n’empêcherait le Monarque d’en arriver à ses fins, les Sages se plièrent à ces demandes. Lorsque les soldats débutèrent leur inquisition, ils découvrirent une Tour à moitié désertée par ses occupants. La plupart des disciples avaient déjà fui vers l’est afin de gagner les rives de la lointaine île de Marbelos, réputée pour être un havre d’hérésie et de recherches blasphématoires. Pour ceux qui choisirent de rester, près de deux cents procès furent tenus afin de départager le bon grain de l’ivraie. Tous ceux ayant fricoté avec les arts mystiques -voire la magie- et les ombres furent condamnés à mort. La vénérable Volinia Varos, grande sage de la Tour, fut elle-même immolée sur le bûcher pour ses nombreux échecs à protéger les artefacts de ses voûtes lors des années précédentes. Une jeune Sage loyale à la Couronne et à la Foi -Dame Florence- fut alors nommée spécialement par le Monarque pour la remplacer. Dans les années suivantes, la vocation du Zanaïr changera du tout au tout.

La purge du Zanaïr n’était pas un hasard de l’Histoire. Celle-ci découlait directement des innombrables errances des Sages en matière de conservation d’artefacts. En quelques années à peine, des objets qualifiés de maudits consignés dans les voûtes de la Tour tombèrent entre les mains d’ennemis du royaume. Plus encore, au fil des enquêtes, il devint évident que plusieurs chercheurs tentaient de percer le voile séparant la vie de la mort. Reconnaissant néanmoins l’utilité des connaissances du Zanaïr dans le royaume, le Monarque accepta de placer en tutelle les Sages de la Tour sous l’Inquisition céleste. Les dérives des recherches en matière d’occultisme devaient être balisées par des autorités dignes de confiance, plus spécifiquement celles de la Forteresse de l’Antre du Loup au Val-de-Ciel, à quelques lieues de là. Pour cette raison, il est aujourd’hui fréquent d’apercevoir des ecclésiastiques à l’intérieur de la Tour de Corrèse s’enquérant des progrès et sujets d’études des érudits.

D’explorateurs des mystères oubliés, les Sages du Zanaïr en sont devenus les gardiens sacrés. Il n’est plus question de repousser les limites de l’exploration dans la forêt d’Ébène ou d’aspirer à activer le potentiel d’un artefact. Les secrets des ères antiques doivent demeurer enfouis et il serait blasphème que de chercher à les révéler au grand jour. Toutefois, si jamais un événement occulte devait survenir sur le continent, les érudits seraient immédiatement convoqués afin d’assister les investigateurs, voire les guider dans leurs recherches. Ainsi, en 382, la Divine Adrianna fit appel à eux afin de rédiger l’Index des Impies, un recueil de six tomes recensant l’entièreté des pratiques occultes connues. Réservé à l’attention exclusive des hauts sages et des individus autorisés par la Divine, l’Index est consigné dans la Tour du Zanaïr elle-même. Par leurs connaissances uniques, ceux-ci sont en mesure de circonscrire les menaces obscures afin de les rapatrier dans leurs voûtes sécurisées. Dans celles-ci, nul ne peut pénétrer sans autorisation personnelle du maître académicien de la Tour et du Haut-Inquisiteur de la Forteresse valécienne de l’Antre du Loup.

En dehors de cette mission délicate, les Sages du Zanaïr se spécialisent dans des champs d’activités métaphysiques. Les spécialistes les plus réputés de l’académie sont en ce sens les astrologues, devins des éléments. En temps normal, ceux-ci divertissent les cours nobles en interprétant les présages de la vie quotidienne afin de souffler à l’oreille des badauds quelques visions de leur avenir. Ces prétentions plus cocasses qu’exactes ne bernent que les nobliaux en manque de scandale et les autres aristocrates aux loisirs trop nombreux. Pourtant, il est arrivé au fil des siècles que des astrologues prédisent des cataclysmes naturels imminents, permettant ainsi à leur seigneur de leur échapper, voire même d’en tirer profit. Comment ces inquiétants personnages réussissent-ils à deviner ces malheurs futurs? Aucun non-initié ne pourrait prétendre détenir la réponse à cette question.