Sarrenhor

I.DESCRIPTION GÉNÉRALE DU SARRENHOR

Capitale : Lys d’or, le caravansérail

Dirigeant.e : Le Grand chevaucheur Émond

Devise historique : “Ciel et Sang”

Inspirations : Liberté, robustesse, férocité

Gentilé : Sarren


Le Sarrenhor est le grenier des terres célésiennes. Immense territoire dont Lys d’Or est la première agglomération, ce palatinat est essentiellement constitué de plaines verdoyantes à l’ouest et de steppes arides à l’est. Même si ses habitants ont adopté officiellement le féodalisme depuis des siècles, la noblesse y a traditionnellement pris la forme de clans nomades sillonnant et entretenant le territoire à leur gré. Les anciens récits soutiennent que, à l’arrivée des Sarrens -à cette époque appelés « Enfants d’Arianne »- dans leurs landes actuelles, la forêt d’Ébène s’étendait à perte de vue. Les Macassars, gardiens des étendues sylvestres désormais disparues, combattirent ardemment les arrivants du sud et périrent lorsque ces derniers décidèrent d’incendier et de raser systématiquement leurs bois maudits. L’entreprise exigea des siècles d’efforts et de sacrifices, mais, à l’aube de l’ère royale, l’Orrindhas, nom donné à l’ensemble des landes sacrées Sarrens, était libéré de la ténébreuse forêt et de ses dangereux habitants. De nos jours, seuls quelques bosquets témoignent encore de cette époque révolue.

Six principaux clans se partagent les steppes de l’Orrindhas. Certes, des clans mineurs et familles en dépendent ou s’en approprient le nom principal selon les occasions, mais ce sont ces six grands ensembles qui caractérisent le peuple sarren :

  • Le clan Mond : Par la quête de l’unification des steppes et des négociations avec les autres peuples célésiens, le clan Mond est celui des Grands Chevaucheurs et seigneurs-palatins sous la Prophète.
  • Le clan Sannor : Le regard tourné vers les autres clans sarrens et son voisin laurois, le clan Sannor use de la diplomatie, des alliances et du commerce comme des armes dans la création d’un Sarrenhor soumis à ses ambitions.
  • Le clan Édar : Héritiers directs d’Edarianne, fille de la mythique Arianne qui colonisa le sud d’Ébène, les chevaucheurs du clan Edar sont profondément attachés à la spiritualité d’antan et font de la lecture des étoiles et des présages mystiques leurs principaux guides.
  • Le clan Vors : Embrassant pleinement les traditions antiques du pillage et du brigandage et refusant de céder à l’attrait de la nouveauté, le clan Vors ne connaît pas le sens du mot “pitié” et prend par la force ce qu’il estime lui revenir de droit.
  • Le clan Volund : Admirateurs des légendes et contes mettant en scène les chevaliers errants du passé, les Volunds placent l’honneur par-dessus toutes les autres valeurs lorsque vient le temps de forger leurs légendes.
  • Le clan Ferres : Partagés entre la sédentarité de leur principale ville de Haut-Vignoble et les traditions ancestrales, les Ferres n’ont aucun scrupules à utiliser les fruits du progrès technologiques et les vices de leurs cibles pour honorer leur soif de pillage et de conquêtes.

Étonnamment, ces clans, malgré leurs vagabondages incessants au cours de l’Histoire, respectent minutieusement certaines frontières naturelles délimitées par leurs ancêtres. Très rarement franchissent-ils les eaux de la Laurelanne ou des Criffes et pénètrent-ils dans les vaux des monts Namori. En revanche, au nord et à l’est, leurs déplacements sont moins circonscrits, ce qui provoque des rixes avec les seigneurs frontaliers de Cassolmer, Laure et Corrèse. En 322, une scission survint toutefois au sein du peuple sarren. À la suite de profondes mésententes entre les partisans de l’ouverture sur les autres palatinats et du progrès -menés par les forces de Lys d’Or- et les adeptes des traditions de pillage et de libre chevauchée -guidés par les clans des Vors et des Édar-, Sigismond le Vif, Grand chevaucheur du Sarrenhor, trouva la mort de la main de son opposant Ghoran lors d’une trahison à Gué-du-Roi. Afin d’éviter une guerre civile sanglante, le comte-protecteur du moment, Salomon d’Iscar, accepta de diviser les plaines en deux. À l’est naquirent donc les Plaines libres tandis qu’à l’ouest perdurait le territoire sarren dirigé depuis Lys d’Or. C’était la première fois de mémoire ébènoise que le Sarrenhor était aussi dangereusement déchiré.

Peu avant le déclenchement de la Guerre de l’Avènement, une seconde série d’événements transforma profondément les plaines. Sous la guidance de Salomon d’Iscar, connu sous le nom de Salomond l’Avisé au moment où il s’empara du titre de Grand chevaucheur, l’attention des steppes se tourna vers son voisin corrésien. Grâce à des mariages stratégiques avec des nobles de Corrèse et du Val-de-Ciel et à de sanglantes luttes armées, l’homme étendit les territoires de l’Orrindhas jusqu’à Mordaigne. Pour la première fois depuis des siècles, les Sarrens ne se définissaient plus par le clan auquel ils appartenaient, mais par leur adhésion à l’ambitieux projet d’unification des peuples du sud. Le fossé entre les deux philosophies des steppes se creusa alors : à l’ouest, les partisans d’un Orrindhas fort, chevaleresque et féodalisé, et à l’est les adeptes d’un Sarrenhor décentralisé, pillard et fidèle à ses traditions claniques. Ainsi naquit le rêve du “Protectorat de l’Orrindhas” rassemblant sous une même bannière les descendants des Enfants d’Arianne.

Ce n’est qu’en 382, lors du Concile d’Adrianna, que les steppes furent réunifiées. Depuis quelques années, un vent de progrès soufflait sur l’ensemble du Sarrenhor. Grâce à des mariages et des alliances stratégiques, le clan Sannor avait réussi à apaiser et isoler les mouvements traditionalistes de l’est. Même chez les belliqueux Vors, le sous-clan des Sukhbataar avait réussi à s’emparer du pouvoir afin de prôner une politique axée sur la diplomatie et le commerce. Lorsque vînt le temps de négocier l’avenir du continent célésien auprès de la Divine Adrianna à Yr, les voix récalcitrantes prônant un retour au pillage furent écartées de la table de discussion au profit des partisans d’une inclusion harmonieuse et stratégique du Sarrenhor à la nouvelle géopolitique ébènoise. Le Grand Chevaucheur Emond, assistant à la dislocation du Protectorat de l’Orrindhas depuis le départ de Corrèse de son giron, usa de toute son influence afin de faire valoir son leg sur les steppes. Avec l’accord des Vors et Ferres modérés, il restaura le Palatinat du Sarrenhor et soigna la plaie béante divisant jusqu’alors les steppes. En tant que Protecteur de la Divine, le Palatinat du Sarrenhor était de nouveau uni après des décennies de déchirements.

Sur le plan culturel, il est difficile de définir par une seule caractéristique les Sarrens. À l’ouest, l’influence du féodalisme corrésien et laurois s’est fait sentir au fil des années. Jusqu’à Lys d’Or, les récits des anciens chevaucheurs, souvent perçus comme des chevaliers errants, ponctuent les soirées autour du feu. Depuis une cinquantaine d’années, des hameaux permanents où se dressent des chaumières de bois et de paille font leur apparition en ces régions, signes de l’efficacité des politiques centralisatrices et réformatrices du défunt Salomond l’Avisé. Néanmoins, à l’est de Lys d’Or jusqu’à Cassolmer, les chevaucheurs restent profondément attachés à leurs idéaux ancestraux. Les pillards et brigands y pullulent et les champs n’y sont que très librement exploités. Ainsi, lorsque les zones d’errance y sont reconnues, ces clans parcourent les régions et jettent à tout vent les semailles de leurs futures récoltes. Ils laissent alors la nature faire son oeuvre et ne reviennent récolter leurs denrées qu’occasionnellement afin de les échanger sur les marchés environnants. Bien sûr, cette méthode de travail entraîne son lot de pertes et ne maximise aucunement l’exploitation du territoire, mais elle perdure depuis des siècles et s’ancre profondément dans la tradition des Sarrens de l’est.

Néanmoins, certaines habitudes rassemblent tous les Sarrens. La principale est l’élevage des chevaux et la production de destriers d’exception. Cette activité pourrait n’être qu’un simple rouage de l’économie des steppes, mais le peuple en a fait une véritable fierté. Vifs comme le vent et solides comme le roc, les chevaux du Sarrenhor transportent les dignitaires de tout le continent. Le plus célèbre destrier sarren est le Sorhinar sacré, cheval rapide comme le vent et d’une endurance quasi surnaturelle réservé à l’élite des chevaucheurs. L’élevage de cet animal est le symbole même du tempérament des Sarrens : endurcis par l’Orrindhas, ils cherchent constamment à s’élever au-dessus des “étrangers”. Pour cette raison, les voyageurs ont tendance à rapporter de cette région des récits mettant en vedette un peuple hostile et brusque refusant l’amitié de ceux qu’ils ne connaissent guère. Pourtant, celui qui prendra le temps de se rapprocher de ces brutes affables découvrira en eux une race d’hommes et de femmes profondément libres, chaleureux et soucieux de l’élévation du genre humain.

Sur le plan vestimentaire, les laines et les cuirs épais constituent les matériaux de base des confections sarrens. Pour ceux-ci, seuls la durabilité et le confort offerts par l’accoutrement importent. À quoi bon multiplier les parures et les tissus fins si ceux-ci attirent les brigands, s’usent sous le Soleil ou se désagrègent sous l’effet de la pluie? Cette perception rustique de la mode attire d’ailleurs souvent les réprimandes des habitants plus “distingués” du continent.

Enfin, depuis près d’un siècle et dans un effort de ramener à l’avant-plan des traditions rassembleuses pour l’entièreté des Sarrens, les autorités du Protectorat de l’Orrindhas ont, avant son démantèlement, rétabli l’usage de certains titres et formules d’usage ancestraux. Le principal est celui de “Noyan”, adressé aux hommes et femmes dont les exploits ou le statut méritent la considération de leurs pairs (ex : “Noyan Emond, “Noyan Narantvors”, etc.). Quoi qu’anciennement réservé aux chefs de guerre et de clans, celui-ci est désormais utilisé comme une forme de politesse afin d’indiquer le respect. Un second titre, plus officiel cette fois, est celui de “Alcade”. Spécifiquement remis par le Grand Chevaucheur ou un patriarche ou une matriarche de clan, il accorde des privilèges et responsabilités similaires à ceux d’un représentant politique. Souvent établi hors du Sarrenhor, l’Alcade est aussi un hôte pour les Sarrens de passage dans la région où il se trouve, agissant comme un facilitateur des voyages des chevaucheurs.

II. CLAN VOLUND

Entre bourgeoisie et chevalerie, le clan Volund est le moins sarren des peuplades du Sarrenhor. En contact avec les pèlerins, voyageurs et marchands étrangers depuis des siècles, il s’est graduellement accoutumé aux idées “progressistes” du royaume d’Ébène. Plusieurs de ses membres, installés à Chambourg, ont opté depuis longtemps la sédentarité et ont intégré les rangs de la puissante alliance commerciale formée par Mordaigne et de l’Arsenal. Toutefois, les “véritables Volunds” s’attachent au nomadisme et embrassent toujours fièrement des valeurs héritées de la chevalerie romantique d’antan.

Orval d’Irras, marchand de Chambourg, et Austevolund, chef du clan à Val-Bois, représentent les deux tendances du territoire. Cependant, depuis quelques années, les tensions entre les bourgeois et chevaliers se sont accrues dangereusement, culminant en 379 avec le siège de Chambourg lors duquel les chevaliers Volund durent battre en retraite après avoir partiellement pillé la ville. Depuis, les vieilles voies semblent perdre du terrain au profit de l’appât du gain que représente la sédentarité en Chambourg.

-Géographie-

Les terres ancestrales du clan Volund sont majoritairement délimitées au sud et à l’ouest par la rivière d’Auban. Tirant son nom d’un mythique chevalier -Alain d’Auban- ayant péri dans les eaux traîtresses de cet affluent du Lac de la Croisée, la rivière sépare nettement les territoires sarrens des comtés voisins des Semailles et de Porte-Sainte. Les chevaucheurs n’ayant guère une passion démesurée pour la navigation, rarement traversèrent-ils le cours d’eau. Avec le temps, celui-ci devint une frontière inéluctable que personne ne tentait même de franchir. Ce n’est d’ailleurs qu’au début de la Guerre de l’Avènement qu’un pont fut érigé au-dessus de celle-ci grâce à la construction de la Route de la Veuve liant le Sarrenhor à Corrèse par les Semailles. Au cours du dernier demi-siècle, un nouveau hameau frontalier, “Le Gîte”, est né de la présence de ce pont. Fort prospère comparativement aux communautés similaires des steppes, il parvint en 339 à financer la construction d’une Arche de l’Orrindhas à sa lisière, symbole de son importance dans le Protectorat désormais éteint.

Au nord, c’est la ville de Chambourg qui fixe la limite des terres Volund par rapport aux frontières lauroises. Fondée au début de l’ère royale en réponse à l’augmentation des échanges commerciaux entre le nord et le sud, Chambourg fut de tout temps le principal point de rencontre des marchands de l’ouest des steppes. En 111, les guildes gérant les affaires quotidiennes du bourg expulsèrent l’incompétent seigneur de guerre qui affirmait posséder le territoire et fondèrent le Conglomérat de Chambourg. Encore aujourd’hui, c’est ce conseil qui veille à la prospérité de la région. En partenariat avec Mordaigne et l’Arsenal, son peuple n’a plus de Sarren que le nom, la sédentarité et la proximité de Corrèse et Laure ayant achevé de “normaliser” ses moeurs. Lors des cinquante dernières années, des fortifications de bois furent même ajoutées à l’agglomération, anomalie dans le paysage du Sarrenhor.

Néanmoins, si le Gîte et Chambourg n’ont plus rien de sarren, la majorité des landes Volunds obéissent aux traditions chevaleresques d’antan. C’est de Val-Bois -en mémoire des étendues sylvestres incendiées dans les temps anciens- que le chef du clan règne sur les siens. Contrairement aux pillards et chevaucheurs rapides du reste des steppes, les Volunds entretiennent fièrement un passé de chevaliers errants et d’honneur. Dans les hameaux et les communautés nomades, d’innombrables récits relatent les exploits passés de chevaliers et paladins combattant bravement les malfrats afin de protéger d’innocents pèlerins. Avec le temps, ces histoires ont fait naître chez ces cavaliers une ferme impression de supériorité morale sur leurs semblables. Si certains se montreront pédagogues et patients à l’endroit de ceux les ridiculisant pour cet excès de zèle, d’autres n’hésiteront pas à provoquer en duel et dégainer l’épée. Le contact continu avec les seigneurs étrangers et, surtout, les pieux pèlerins leur a laissé uniquement les bons côtés de la chevalerie, faisant d’eux des êtres étonnamment droits et loyaux constamment en quête de la création de leur propre légende.

-Histoire-

Bordé par Corrèse à l’ouest, Laure au nord et Porte-Sainte au sud, le clan Volund fut historiquement le point de convergence d’une multitude de cultures ébènoises. Comme le clan Ferres, au nord-est des steppes, il aurait pu tirer profit de cette situation afin de lancer des raids incessants sur ses voisins et développer des traditions guerrières. Or, il opta plutôt pour la voie de la diplomatie et du commerce. Bien avant l’avènement du premier Roi-Prophète, les chevaucheurs de l’ouest tendaient la main aux négociants et voyageurs étrangers. Dans ce qui allait devenir un jour Chambourg et Val-Bois, les visiteurs étaient chaleureusement accueillis et invités à partager leurs histoires. Parmi eux se trouvaient de nombreux chevaliers errants sillonnant les terres en quête d’exploits à réaliser et d’innocents à secourir (ou tout simplement d’argent à empocher). Au fil des siècles et des contacts, les Volunds s’ouvrirent à cette forme de chevalerie et l’adaptèrent à leur propre réalité des plaines.

À la mort du premier Roi-Prophète en l’an 25 de l’ère royale, le corps de ce dernier fut apporté dans les Monts Namori, au sommet du plateau de la Main Céleste, afin d’y être immolé. Ce rite spécifiquement exigé par le souverain donna ensuite lieu à de nombreux pèlerinages vers les montagnes sacrées du sud. Cela entraîna la fondation de Haut-Dôme quelques décennies plus tard, mais aussi la création de plusieurs routes de pèlerinage traversant l’Ébène vers la Main Céleste. Le territoire des Volunds, situé en plein coeur du pays, fut dès lors sillonné par des cohortes incessantes de pèlerins. Contrairement aux Vors de l’est qui virent dans le début de ces périples religieux des occasions d’enrichissement par la “taxation”, les Volunds décidèrent de se dresser comme des protecteurs et gardiens des routes. Ainsi, lors des deux Guerres du Follet -en 212 et en 285, plusieurs chevaliers du clan, par pure bonne volonté, rejoignirent les rangs de la Compagnie du Heaume afin de combattre les Vors qui s’en prenaient aux pèlerins innocents des steppes.

En dehors de ces situations où les chevaucheurs devaient se porter à la défense de la veuve et de l’orphelin, les Volunds veillèrent minutieusement à se tenir éloignés des ambitions expansionnistes des Sarrens de Lys d’Or. L’Orrindhas, ce territoire sacré ancestral dont tant de cavaliers souhaitaient la reconquête, n’était à leurs yeux qu’une lubie apportant guerre et pauvreté. Systématiquement, lors de chacune des tentatives des Grands chevaucheurs de se lancer dans de folles cavalcades, les Volunds firent entendre leur voix dissonante. Les steppes avaient beaucoup plus à apprendre des étrangers -en matière de technologie, de traditions politiques et de stratégies commerciales- que l’inverse. Au grand désespoir des esprits les plus conservateurs du Sarrenhor, les Volunds refusèrent donc constamment de se joindre aux conquêtes et continuèrent d’ouvrir leurs portes aux “dangereux étrangers”.

Ce n’est qu’en 323 que les Volunds sortirent enfin de leur neutralité afin de rejoindre l’ambitieux Salomond l’Avisé dans sa libération de Corrèse. Certes, en Lys d’Or, les seigneurs de guerre contemplaient avec passion la perspective d’un Orrindhas renouvelé par l’annexion -militaire ou diplomatique- des territoires corrésiens. Cependant, par cette guerre, les Volunds cherchaient à atteindre deux autres objectifs : la création d’un vaste ensemble marchand avec Mordaigne et la libération du sud d’Ébène des griffes de la terrible Garde Céleste de la princesse Théodoria.

Leur première ambition fut aisément atteinte grâce aux excellentes relations entretenues entre le nord corrésien et Lys d’Or. Avec les négociations visant à constituer le Protectorat de l’Orridhas et le Symposium d’Arianne, le comté de Mordaigne se rapprocha énormément des Volunds. En 330, Léa Rominski, comtesse de Mordaigne, scella l’alliance entre les deux comtés en se mariant avec Andrivolund -devenu Andrii Rominski à la mort de son père tel que le souhaitait la tradition sarren-, second fils du chef de clan Mirovolund. C’est l’année suivante que naquit Lana Rominski et deux ans après, Daria Rominski. De plus, grâce à la proximité de l’Arsenal, complexe marchand de l’Union commerciale du sud située près du Lac de la Croisée, c’est un triangle commercial qui naquit dans cette région : Mordaigne à l’ouest, l’Arsenal au centre et Chambourg à l’est. Les négociants, rassemblés autour d’une même table, maîtrisaient alors l’entièreté des routes -marchandes comme de pèlerins- de la région.

La seconde ambition, quant à elle, ne fut atteinte qu’en 341 lorsque, au terme de près de vingt ans de guerre, les forces de l’Orrindhas firent plier le genou aux résistants de Porte-Chêne. Initialement, les militaires, majoritaires dans l’entourage de Salomond l’Avisé, tentèrent d’imposer leur volonté à l’ennemi replié à l’intérieur des hauts murs de la vieille cité corrésienne. Or, après une multitude d’assauts infructueux, le Grand chevaucheur tendit l’oreille aux suggestions de ses conseillers Volunds et de Mordaigne. C’est grâce à eux que vint l’idée d’imposer un blocus commercial ferme aux opposants, ce qui mena éventuellement à une victoire éclatante. Cela dit, cette stratégie causa certaines frictions à l’intérieur du ban des Volunds lui-même, plusieurs chevaucheurs aux idéaux chevaleresques estimant indigne d’affamer le peuple afin de remporter une guerre. Entre la sagacité des marchands et l’honneur des chevaliers, il y avait tout un monde de différence chez les Sarrens.

Depuis la fin de la Guerre de l’Avènement, le clan Volund, fort de ses alliances et victoires lors du conflit, a renoué avec la paix. Du moins, jusqu’à tout récemment. Effectivement, en 376, le Conglomérat de Chambourg, mené par Orval d’Irras, a multiplié les initiatives commerciales controversées dans les plaines traditionnelles du clan. Acquérant à prix forts (et justes selon l’homme) les terres les plus fertiles aux petits seigneurs, expulsant des serfs de leurs fermes et pâturages et acceptant le transit de marchandises légales mais controversées (ex : opium de Cassolmer), il s’attira les foudres des franges nobles attachées aux idéaux chevaleresques de la communauté. Ces dernières, menées par le chef de clan et petit-fils du héros de guerre Mirovolund, Austevolund, refusaient de se laisser imposer l’avenir des Volunds par le pouvoir de l’argent et du commerce. Rassemblant autour de lui des chevaliers charismatiques, mais trop souvent sans le sou, le chef tenta de freiner les ambitions des influents négociants du nord. Ce fut d’ailleurs le cas lors du Siège de Chambourg de 379 où Austevolund, appuyé de nombreux alliés laurois et sarrens, prit pour assaut la ville marchande. Le seigneur accusait alors Orval d’Irras d’affamer son peuple en accumulant terres et vivres. Grâce au soutien de négociants d’un peu partout en Ébène et de la famille Morozov, la cité parvint toutefois à repousser l’attaque, mais sans échapper à un pillage en règles. Cet épisode affaiblit considérablement les partisans de la noblesse Volund, laissant une victoire morale à leurs opposants de la bourgeoisie. Rappelant la lutte acharnée du paladin Wenceslas des Plaines, originaire de cette région, au palais d’Yr afin d’interdire le commerce de la controversée poudre à canon en 316, l’issue de ce conflit risque de définir l’identité du clan Volund pour les siècles à venir.

L’actuel chef du clan Volund est Austeslav Rominski dit Austevolund, époux de Nela Mermerev, de la populeuse et influente famille Mermerev du clan Volund. Son héritier, Casimir Zedved le Chacal dit Casivolund, est un chef de guerre remarquable incitant quotidiennement son père à reprendre les hostilités avec Chambourg. Orval d’Irras, intendant de la ville, observe cette situation avec attention. Orval n’est Sarren que de nom, l’homme ayant acquis le titre de “chevalier” à sa retraite à ses 60 ans, mais s’abstenant bien de mener de quelconques missions chevaleresques. Enfin, Lauryana Rominski dite Lauryavolund est depuis 380 épouse de Narantvors du clan Vors, scellant de ce fait une alliance précaire entre les deux clans.

III. CLAN SANNOR

Perçu à tort depuis des siècles par le commun des Ébènois comme le plus pacifiste et progressiste des clans sarrens, le clan Sannor a su maîtriser les outils de ses adversaires pour en arriver à ses fins. Tout aussi vorace que le Ferres et ambitieux que le Mond, le chevaucheur Sannor a bien compris qu’un mariage adéquatement réfléchi, une alliance longuement planifiée, un pacte commercial profitable et, au moment opportun, une trahison sournoisement mûrie étaient les incontournables piliers des traditions guerrières. Bien des morts et des peines peuvent être évitées aux pillards et conquérants lorsqu’un travail diplomatique précède leur passage. Ainsi, le clan Sannor ne fait pas rupture avec la culture Sarren ; le pillage, la guerre et la fierté qu’ils en tirent est indéniable.

Voisins de Laure, les Sannor ont développé -à l’image des Volunds avec Corrèse- une habileté commerciale indéniable. Toutefois, contrairement aux chevaliers errants de l’ouest qui se font un devoir d’honorer les nobles oeuvres désintéressées de leurs ancêtres, le Sannor moyen a acquis un goût prononcé pour les ducats et les biens précieux influençant la plupart de ses décisions. Pendant des décennies, le vénérable et sage chef Abrasannor dit le Pieux a modéré cette soif d’enrichissement propre aux plus jeunes générations de son clan. Toutefois, depuis sa mort en 381, c’est son fils, Aleksannor dit le Chacal, qui a pris le flambeau de seigneur de guerre. Réputé pour son esprit aiguisé, sa passion pour les intrigues et, selon certains, son machiavélisme, il semble encourager les initiatives expansionnistes des siens.

Fait à noter, à la frontière entre Laure et les steppes, les Sannor cohabitent avec la communauté du temple-hôpital de Haut-Givre, le plus grand complexe hospitalier d’Ébène. Siège du campus d’herboristerie de l’Ordre Médical d’Ébène, ses murs sont la demeure d’un nombre grandissant d’hospitaliers, d’apprentis et de malades. Les vastes étendues vierges qui l’entourent laissent place quant à elles à un bourg vibrant entre les branches du fleuve Augivre, lesquelles emportent au loin le sang des tables de chirurgie. Sous la tutelle du Sénéchal Erwin Bois-Blanc et de la Rectrice Lianne Prévent, il s’agit également de l’un des rares centres urbains de l’Orrindhas, en faisant une halte commerciale prisée des Laurois et des cavaliers des clans du nord et de l’ouest.

-Géographie-

À l’exception d’une mince frontière partagée au nord avec le Palatinat de Laure, les terres du clan Sannor sont entièrement enclavées à l’intérieur des frontières formées les landes des clans Ferres, Volund et Mond. Seuls quelques ruisseaux, collines et bosquets situent les nomades dans les plaines éternelles, bien peu de repères permettant aux géographes de fixer définitivement les contours des possessions Sannors. Ainsi, au fil des siècles, un accord tacite s’est créé entre les différents chevaucheurs des territoires contestés. Davantage intéressés par la culture sauvage du blé que leurs compatriotes, les cavaliers Sannors prirent l’habitude de sillonner au printemps ce qu’ils concevaient être comme leur territoire et d’y semer au gré du vent le grain à la source de leurs futures récoltes. Là où les pousses survivaient et pointaient vers le ciel, leur territoire s’étendait pour l’année en cours. Quant aux régions où elles pourrissaient, gelaient ou dépérissaient, elles étaient laissées sans surveillance jusqu’au printemps prochain. Malgré les conflits claniques, les voisins des Sannors se font un devoir d’honorer cette tradition, conscients que leur propre pain est souvent cuit à partir des blés recueillis selon cette pratique ancestrale.

C’est la famille -ou sous-clan- Ouzi qui veille depuis des temps immémoriaux à cet art agraire. Bien qu’ils soient régulièrement en chasse et qu’ils aient préservé la technique de la culture à l’envolée, les Sarrens du clan Sannor ont néanmoins compris les bienfaits d’une certaine sédentarité, tout particulièrement dans le domaine commercial. Des plantes poussantes rapidement, fibreuses et pouvant servir à plusieurs applications médicinales, esthétiques ou artisanales, certains légumes racines ainsi que des champignons sont l’essentiel de ce dont s’occupent Athanas Ouzi et les siens. Troisième pôle politique assurant l’équilibre entre les familles Azraki et Nadjar, les Ouzi sont aussi les plus en contact avec les médecins de Haut-Givre et sont, en quelque sorte, sous leur protection.

La principale -et seule- agglomération semi-nomade Sannor est la ville de Siorac, sur la pointe fertile formée par la séparation de la Rivière des Givres, dernier affluent de l’Augivre au coeur des steppes. Autour d’un marché saisonnier et d’un port fluvial permanent facilitant le commerce avec Laure et le nord du continent, deux fortins -rares apparitions dans le paysage local- veillent à la protection de la région enclavée par les eaux. Le premier à l’ouest, “Le Marteau”, est la propriété de la famille Azraki et fut le lieu de résidence du chef de clan Abrasannor pendant des décennies. Le second à l’est, “L’Enclume”, est positionné plus près du port et est sous la gouverne de la famille Nadjar, grande propriétaire de barques de transport fluvial. On dit que quiconque souhaitant menacer Siorac devra nécessairement se placer entre le Marteau et l’Enclume, provoquant son inévitable perte. Ainsi, grâce à son commerce fluvial, à son sol riche en limon et à sa position stratégiquement fortifiée, Siorac est le coeur battant du clan. Historiquement, le rayonnement du clan Sannor a toujours dépendu de l’équilibre entre la puissance des familles Azraki et Nadjar. Certes, les Ouzi, Rolnik et Bisror sont aussi de proches collaboratrices des affaires claniques, mais elles se contentent habituellement de jouer un rôle de médiatrices lors de la prise de grandes décisions.

Au nord de là, à la frontière lauroise, le bourg de Haut-Givre semble être une anomalie régionale née de la fondation de l’une des principales congrégations religieuses célésiennes de l’ère royale : les Oblats hospitaliers. Alliant une architecture de matériaux modestes à la richesse des ornements du clan Sannor, Haut-Givre est l’un des très rares centres urbains des steppes de l’Orrindhas et possède un style qui lui est propre. Ses bâtiments de bois et de crépis, tantôt renforcés de pierres importées des Monts Namori, sont surmontés de toitures parées de motifs colorés aux formes géométriques variables. Le bourg trouve en son coeur le temple-hôpital de Haut Givre, un gigantesque complexe de pierres noircies par trois cents ans d’existence où cohabitent édifices religieux et académiques. Trônant jadis seul entre les branches de l’Augivre en tant que chef-lieu de la congrégation des Oblats hospitaliers, il s’agit du plus grand et plus ancien centre médical en Ébène. En plus de ces édifices antiques, les cinquante dernières années ont vu l’éclosion de la courtille d’Adèle, vaste réseau de jardins irrigués richement diversifiés et entretenus par les herboristes de Haut Givre qui ne tarda pas à recevoir des éloges de toute part. Profitant du climat tempéré offert par la position centrale du fief sur le continent, on parvient à y faire pousser des plantes importées d’un peu partout en Ébène, et parfois même d’au-delà des frontières.

Ce fief, indépendant des autorités Sannors, entretient des liens serrés avec les cavaliers semi-sédentaires. Les chevaucheurs viennent régulièrement échanger des vivres avec les herboristes de Haut Givre, en plus de profiter de la présence de Laurois dans le bourg pour acquérir des biens manufacturés provenant du nord. Ces échanges ont lieu au Carré de la Colombe, grande place publique orbitant autour d’une statue à l’effigie de Théonia 1re, qui sert depuis plusieurs générations de terrain d’entente entre ces ennemis de naguère. Le pacte du vin y est quotidiennement célébré par le Sénéchal afin de placer le lieu sous le regard du Céleste et d’encourager les commerçants qui y montent leurs échoppes à se garder de toute effusion de sang. En plus de ceux qui viennent s’adonner à des activités mercantiles, nombreux sont les chevaucheurs du clan Sannor à opter pour la sédentarité dans l’agglomération en plein développement. Si cette pratique n’est pas critiquée par les Sannors, ce n’est un secret pour personne qu’elle attire l’ire des clans plus traditionalistes des steppes de l’Orrindhas, surtout depuis que la nouvelle rectrice de l’institution -une progressiste mercantile sympathique à la Banque libre d’Ébène du nom de Lianne Prévent- a pris la tête de l’endroit.

-Histoire-

L’histoire du clan Sannor lors de l’ère royale est indissociable de celle de Haut-Givre, au nord de ses terres. Le premier siècle de cette ère aboutit en effet sur un conflit de grande ampleur opposant les palatinats du nord à ceux du sud. De ces luttes fratricides, qui prendraient plus tard le nom de Première Guerre du Givre, devait naître l’histoire d’Éloïse d’Ardor et des Oblats hospitaliers. Veuve roturière de la frontière septentrionale du Sarrenhor (certains diront du clan Sannor lui-même), Éloïse entreprit d’offrir soins et réconfort aux victimes des deux camps après que les affrontements lui aient tout enlevé hormis sa foi. Au terme du conflit, sa réputation était telle que la princesse Théonia Ire, qui ne pouvait prendre parti dans les luttes opposant ses vassaux, décida néanmoins de faire une généreuse donation afin de se porter garante des bonnes oeuvres de la première prieure hospitalière. De ce don naquit Haut-Givre, premier temple-hôpital d’Ébène, qui porte depuis le leg d’Éloïse d’Ardor et veille à prodiguer soins et rites funèbres à tous ceux et celles qui, peu importe leur rang ou leurs allégeances, cherchent remède aux mots de leurs corps et de leur âme en des heures difficiles.

Servant d’abord de quartiers généraux aux pieux médecins qui succédèrent à Éloïse d’Ardor, Haut-Givre s’affirma rapidement en tant que haut lieu de savoir religieux et académique dans le royaume. Bénéficiant de généreuses donations, le siège du prieur crut rapidement pour devenir la première instance en termes de savoir médical. Ce n’est qu’en 322, au terme du conclave historique tenu en ses murs, lequel vint sceller l’union de la Compagnie du Heaume aux Oblats hospitaliers, que le temple-hôpital de Haut-Givre perdit son titre de chef-lieu congrégationnel au profit d’Arcancourt. Néanmoins, ce chapitre de la Compagnie hospitalière conserva une valeur symbolique significative en tant que lieu d’union des congrégations, devenant un lieu de pèlerinage prisé de ses fidèles. Soucieux de la pérennité du fief et de la conservation de son savoir médical, Rosanne Lonfroy et Childéric des Martial, tous deux des artisans de l’union de leurs congrégations, ouvrirent en 323 les portes du temple-hôpital aux herboristes laïques d’Adèle Chevignard afin de faire de Haut-Givre le plus grand campus de l’Ordre Médical d’Ébène. Jouissant de sa position centrale au coeur d’un réseau de cloîtres de quarantaine, du don d’une part significative de la dîme recueillie par le Conseil de la Foi, et des efforts communs déployés par clercs et laïcs, Haut-Givre sut assurer sa primauté médicale en plus de jouer un rôle d’avant-plan dans l’endiguement de la Peste sanglante.

Aujourd’hui, Haut-Givre accueille en ses murs des herboristes issus de tous horizons. Clercs ou laïcs, riches ou pauvres, tous doivent d’abord prouver leur dévouement en se faisant apprentis. Durant cette période, l’herboriste en devenir doit parfaire ses connaissances médicales et prouver sa valeur à un hospitalier qui acceptera de le prendre sous son aile. Sous la supervision de ce dernier, l’apprenti devra montrer sa maîtrise des arts médicaux et apporter une contribution nouvelle au savoir académique de Haut-Givre. Ce faisant, il pourra prendre le serment d’Ardor, vouant sa vie au soin des indigents sur les saintes reliques d’Éloïse d’Ardor, un rite marquant son accession au titre d’hospitalier. Le conclave des hospitaliers, se réunissant fréquemment au chapitre du temple-hôpital, pourra discuter des nouvelles avancées médicales, rejeter des théories et élire un Recteur parmi ses membres. Ce dernier est chargé de la supervision des activités académiques, et il est responsable de l’entretien des relations diplomatiques avec les autres entités du continent.

Si les écoles de pensée sont nombreuses au sein du conclave des hospitaliers, deux d’entre elles ont su se distinguer lors des dernières années. Les Ardoristes, aux tendances cléricales, soutiennent que le serment d’Ardor doit être modelé sur les voeux du paladin pour être garant de la véritable vocation des docteurs de Haut Givre. Les Converts, regroupant davantage de laïcs, maintiennent quant à eux que la foi ne doit pas obstruer la promotion du savoir médical. Chacune de ces écoles trouve respectivement des appuis non-négligeables auprès des médecins de Fondebleau et de Gué-du-Roi. De plus, le conclave reçoit annuellement la grande disputation de l’Ordre Médical d’Ébène, lors de laquelle les médecins des autres campus sont appelés à venir défendre le fruit de leurs recherches auprès de leurs pairs. Si cette rencontre annuelle parvient à affirmer la place de Haut-Givre dans les activités de l’Ordre, elle ne fait rien pour atténuer les divisions entre ses propres membres.

Jusqu’en 380, la Rectrice fut Radya du clan Sannor, une ancienne chevaucheuse dont la jambe droite fut amputée lors d’une bataille et qui a élu de se faire hospitalière après avoir été soignée dans l’institution. Malgré son infirmité, elle était connue comme étant une savante hyperactive. Dotée d’un tempérament aventureux, la Rectrice fut à l’origine de nombreuses expéditions visant à découvrir de nouvelles plantes en des endroits reculés du royaume. Si certains lui reprochaient ses absences fréquentes, clamant qu’elle ne faisait que fuir les débats du conclave, aucun ne pouvait remettre en cause son apport au savoir médical. En 379, dame Radya accepta toutefois l’audacieuse approche des Pharmacies de Sabran qui aspiraient à établir dans le temple-hôpital un comptoir marchand. N’empiétant aucunement sur les prérogatives traditionnelles de la Rectrice, ce comptoir offrait aux nombreux amputés de la région des prothèses nouveau genre susceptibles de révolutionner la médecine ébènoise.

Cependant, au printemps 380, envoûtée par les discours mystiques d’une herboriste du nom de Dorottya, Radya abandonna son poste afin de s’adonner à un pèlerinage sacré au Mont Oti, au Sarrenhor. Plusieurs tentèrent de la dissuader de cette entreprise, mais la dame se butait à suivre les voies métaphysiques héritées des écrits du Témoin Ferval. À la suite de tractations entre les Pharmacies de Sabran et l’intendante du comptoir de la Banque libre à Haut-Givre, Lianne Prévent, Radya fut alors officiellement destituée et remplacée par un nouvel organe du pouvoir. Dame Prévent, élue Rectrice, devrait oeuvrer de pair avec un conseil de soigneurs et de spécialistes de l’Ordre médical d’Ébène, les champs de compétence de chacun étant désormais méticuleusement définis. Le temple-hôpital abandonnait les traditions anciennes au profit du progrès rationaliste.

Bien que la Rectrice soit à la tête des activités de l’Ordre Médical d’Ébène à Haut Givre en compagnie du conseil d’experts, la gestion du fief est toujours assurée par le Sénéchal célésien de la région, lequel veille à la bonne conduite des académiciens, au respect des moeurs célésiens et à l’administration des rites funéraires. Travaillant de près avec le clergé de la foi célésien, le Sénéchal de Haut-Givre est à même d’approvisionner le campus d’herboristerie en ressources issues des quatre coins d’Ébène, faisant jouir l’académie du réseau tentaculaire de la Foi. Celui-ci a également à sa charge un certain nombre de pieux-médecins itinérants, tradition issue des anciennes pratiques hospitalières, lesquels sont fréquemment déployés auprès de l’armée royale. Le Sénéchal actuel est Erwin Bois-Blanc, un ancien paladin errant d’origine cassolmeroise reconnu pour son âme charitable et son manque d’étiquette.

L’histoire des chevaucheurs Sannors de Siorac, pour sa part, est souvent assimilable à celle des clans voisins. Toutefois, depuis quelques années, une nouvelle génération d’ambitieux seigneurs de guerre semble s’être donnée pour mission de remettre la grandeur du clan à l’agenda. Régnant sur les Sannors depuis le couronnement du Monarque au milieu du quatrième siècle, le vénérable Abraham Azraki, ou Abrasannor dit le Pieux, était autrefois un redoutable guerrier ayant célébré son lot de victoire contre les forces monarchistes lors de la Guerre de l’Avènement. Au terme du conflit, tout comme les Monds de Lys d’Or, il plia le genou devant le nouveau roi d’Ébène, reconnaissant le nouvel ordre géopolitique. La Paix du Monarque, telle qu’on devait l’appeler, transforma bien vite le belliqueux chevaucheur en un chef sage et judicieux. S’il restait profondément un homme aussi intransigeant que tranchant, il comprenait qu’il y avait plus à gagner des routes commerciales et des discussions honnêtes que des pillages et vengeances incessantes. Pendant près de cinquante ans, cette vision forgea le clan Sannor.

Or, dès l’année 380, les tribulations du royaume d’Ébène poussèrent la plus jeune génération de chevaucheurs à s’impliquer par-delà ses frontières afin d’amener son clan dans la nouvelle ère. Fermement implanté dans la Cité d’Yr, un contingent de ressortissants sarrens mené par Siméon Azraki, fils d’Abrasannor issu d’un second mariage, usa de son réseau local pour organiser à partir du palais royal une série d’alliances entre les steppes. En quelques saisons, les mariages symboliques et interventions de soutien se multiplièrent : mariage de la fille du chef du clan Volund Lauryavolund et de la cheffe du clan Vors Narantvors, action militaire à Haut-Vignoble chez le clan Ferres pour expulser les forces lauroises, mariage de Siméon Azraki des Sannors et Enkhutya Sukhbataar des Vors, etc. En une année à peine, l’image d’un Sarrenhor renouvelé et ouvert aux opportunités offertes par le royaume d’Ébène semblait s’être dessinée. C’est cette image qui devait servir de base au Grand Chevaucheur Émond pendant ses négociations de réconciliation du Concile d’Adrianna en 382.

En 381 toutefois, la guerre s’invita dans les affaires du clan. Sous l’impulsion d’Isaac Azraki, frère de Siméon Azraki, la plus importante chevauchée sarren depuis la Guerre de l’Avènement fut menée contre les campagnes du sud laurois. Profitant de la faiblesse des comtés méridionaux du duché divisé par la Guerre des Croix, les cavaliers déferlèrent sur le comté de Namur, Fort-d’Ambroise et même la cité de Mons. Ce que certains voyaient comme un pillage d’envergure ponctuel des hordes menées par les Sannors s’avéra être une annexion déguisée. Clamant être lui-même de sang laurois par sa mère Léola Marigot -seconde épouse d’Abrasannor-, Isaac Azraki réclama titres et terres auprès des seigneurs Torrig. De gré ou de force, ceux-ci acceptèrent, conscients qu’ils ne pouvaient s’offrir le luxe d’un conflit ouvert contre le Sarrenhor.

La succession rapide de ces intrigues et de leurs répercussions mina sévèrement la santé d’Abrasannor qui déjà présentait des signes de santé déclinante. À l’automne 381, terrassé par la perspective d’un royaume en plein éclatement et d’un clan en profond bouleversement, le chef des Sannors décéda d’une crise cardiaque lors du banquet des Moissons à Siorac. Dès le lendemain, son fils d’un premier mariage, Aleksander Azraki -ou Aleksannor dit le Chacal- prenait sa place à la tête des chevaucheurs du Givre. Parfaitement informé des initiatives de ses demi-frères et demi-sœurs, le guerrier s’abstint stratégiquement de leur imposer ses volontés. Observateur, calculateur et pragmatique, il leur fit plutôt la promesse de mettre son pouvoir au service de leurs ambitions.

IV. CLAN FERRES

Val-Horde est une vallée située au confluent de quelques collines, au nord-est du Sarrenhor. Territoire grandement déserté pendant une bonne partie de l’année, serti fièrement de pierres dressées et d’un drapeau solitaire flottant au vent, il s’anime une fois par mois pour quelques jours, lorsque tous les chevaucheurs du clan Ferres se rassemblent pour y festoyer et marchander. Historiquement, il était le lieu du pouvoir du clan, même s’il était presque abandonné pendant la majeure partie de l’année. Jusqu’en 380, soit au lendemain du démantèlement de l’empire du Crépuscule, c’est à Haut-Vignoble que se prenaient les décisions quotidiennes des terres.

Dans les dernières années, le clan Ferres est devenu le lieu de rassemblement des Sarrens les plus traditionalistes des steppes. Partagés entre la sédentarité de leur principale ville de Haut-Vignoble et les traditions ancestrales, les Ferres n’ont aucun scrupules à utiliser les fruits du progrès technologiques et les vices de leurs cibles pour honorer leur soif de pillage et de conquête. Menés jusqu’en 380 par Aliyahferres, fille d’un bâtard de Salomond d’Iscar et de Katarina Aerann, ils étaient largement financés par la Couronne et par les pillages réguliers des chevaucheurs. Le clan Ferres contestait alors inlassablement les visions progressistes et indépendantistes d’Émond par la vigueur et la force des traditions sarrens. Or, à la mort d’Aliyaferres, le clan fut déchiré par une querelle de succession dont le contrôle de Haut-Vignoble était le symbole. Aujourd’hui, l’unité du clan est précaire, Tobias Radko veillant sur Haut-Vignoble en tant qu’intendant et Oriaferres préservant les traditions semi-nomades et belliqueuses des chevaucheurs.

-Géographie-

Val-Horde se trouve au confluent de plusieurs collines, niché non-loin des frontières au nord du Sarrenhor. On y retrouve un relief laurois, constitué de vallons et d’arbres fruitiers, cédant tranquillement sa place à une plaine à la végétation clairsemée à mesure que l’on descend vers le sud. Au nord, c’est au pied du Val-Follet que les terres s’arrêtent, les Sarrens n’ayant aucun intérêt à convoiter des montagnes de ce type. Enfin, au sud, les frontières sont plus floues, les sous-clans des Ferres dans la région ayant pendant longtemps prêté serment aux idéaux des Plaines libres représentés par les Vors. En fonction des parcours des nomades, les territoires changent d’année en année.

Val-Horde n’est ni une ville, ni même un village. Il s’agit simplement d’un lieu de rencontre pour les clans du nord qui arpentent les régions avoisinantes. On y retrouve habituellement quelques campements épars, constitués de blessés, de marchands et de chevaucheurs au repos. Néanmoins, une fois par saison, tous les chevaucheurs du clan Ferres se rencontrent au confluent des collines. Une forêt de tentes apparaît alors, l’air résonnant sous les cris, les chants et les rumeurs les plus diverses. Les chefs de guerre rassemblés préparent les prochaines campagnes, discutant des pillages récents, échangeant butins et histoires, avant de se préparer pour le mois suivant. Des festins couronnent habituellement ces rencontres. Puis, du jour au lendemain, les tentes disparaissent et les chevaucheurs repartent chacun de leur côté après avoir coordonné leurs raids afin de s’assurer qu’ils ne se nuisent pas les uns les autres. Les redoutables cavaliers ailés Ferres, enfourchant leurs destriers bardés de fer et revêtant leurs armures de lattes à la fine pointe de la technologie métallurgique ébènoise, se lancent alors à l’assaut de leurs ennemis.

Ancré au coeur des vallons situés au nord de Val-Horde se trouve Haut-Vignoble, une petite ville marchande ayant réussi à conserver sa position par de solides fortifications, doublées d’échanges commerciaux réguliers avec le clan Ferres afin d’éviter les pillages et les vols. Servant à la fois de comptoir commercial et de siège du pouvoir d’Aliyahferres au lendemain de la mort de son père Benjamin d’Iscar, cette communauté articulée autour de la culture de la vigne était à l’image de plusieurs autres modestes hameaux sédentaires du nord des terres. Depuis longtemps, les Ferres ont compris qu’une légère dose de sédentarité permettrait aux nomades et chevaucheurs de financer beaucoup plus aisément leurs entreprises. Pour cette raison, ces havres de paix échappaient à la convoitise des pillards, certaines organisations clandestines vouées au trafic de la “Drogue du Crépuscule” y faisant leurs choux gras. Cependant, en 380, les armées patriciennes de Laure conquirent le bourg, y installant un gouvernement d’occupation siégeant lui-même au Symposium des Braves de Gué-du-Roi. Peu après, ils quittèrent la ville aussi rapidement qu’ils étaient venus, la laissant à la merci des cartels criminels y pullulant en absence d’autorité légitime. Selon les rumeurs, ces organisations clandestines seraient d’ailleurs intimement liées à l’intendant en place, Tobias Radko, qui maintient son autorité dans les rues grâce à l’influence de ses proches partenaires de la famille Zheko. Néanmoins, au lendemain de la libération de la ville, l’Union commerciale du Sud s’y est établie grâce aux efforts du Centenier Merwyn Prothero. Lorsque ce dernier fit défection de l’UCS au profit de la République marchande de Havrebaie, Haut-Vignoble en fit de même.

-Histoire-

De mémoire de Sarrens, Val-Horde fut le territoire du clan Ferres. Chevaucheurs féroces, leur proximité avec les terres lauroises et cassolmeroises en fit un clan riche et largement militarisé. Alors que les pillards du sud préféraient les chevaux légers et les arcs, les guerriers du clan Ferres se targuaient de posséder des chevaux de guerre massifs bardés de fer, des lances de trois mètres et des sabres acérés, ainsi que d’imposantes armures de lattes représentant souvent divers prédateurs. Certains allaient même jusqu’à greffer à l’arrière de leurs armures de larges bannières verticales garnies de bandelettes de tissu et parfois même de plumages battant au vent. Ces apparats, en plus d’avertir l’ennemi de l’arrivée des hordes, effarouchaient les chevaux peu habitués à un tel vacarme. Ce ne fut pas par des attaques éclairs que les Ferres firent leur renommée, mais par leurs charges dévastatrices que même les hallebardiers laurois ne parvenaient pas à arrêter. Sous les sabots de leurs destriers, le sol lui-même paraissait s’effondrer.

Pendant longtemps, les Ferres furent des alliés réticents du clan des Monds. Comme ils représentaient l’une des forces militaires d’importance du Sarrenhor, les Grands Chevaucheurs fermèrent souvent les yeux sur leurs attaques incessantes hors des terres sarrens, leur laissant une importante marge de manoeuvre malgré les pressions politiques venant de l’extérieur. Le clan s’est donc fortement enrichi avec les années, profitant à la fois de sa propre puissance et de l’hésitation des autres palatinats à entreprendre des représailles dans les steppes. Fort de cette accumulation de richesse, certaines communautés Ferres en vinrent à abandonner le nomadisme afin de se lancer dans des entreprises agricoles rentables. Le plus célèbre est la communauté de Haut-Vignoble où, depuis des siècles, des chevaucheurs ont troqué le sabre au profit de la faucille du vigneron.

En 322, les Ferres connurent toutefois une série de revers militaires qui scella leur destinée. Sympathiques aux prétentions du clan des Vors, le seigneur de l’époque, Horriferres, rejoignit l’initiative des Plaines libres sous le prétendant au trône de l’Orrindhas Ghoran. Inévitablement, cela devait les mettre en opposition contre le pouvoir de Lys d’Or représenté par Salomond l’Avisé. Lors d’une bataille dans les collines de Salvamer, les armées des Plaines libres furent embusquées par les forces coalisées salvameroises et sarrens. Cette défaite, qui entraîna des pertes importantes chez les Ferres, fut hautement symbolique pour eux. Leur chef Horriferres fut abattu et leur prétendant Ghoran mis en déroute. Le mode de vie de pillage du clan était soudainement menacé.

Quelques mois plus tard, une nouvelle drogue fit son apparition dans le Val-Horde : la drogue du Crépuscule. Initialement propagé dans la cité de Gué-du-Roi puis à Avhor, le Crépuscule était un produit tel qu’on n’en avait jamais vu dans le royaume. Fabriqué de toutes pièces dans les laboratoires d’herboristes et d’alchimistes peu scrupuleux, il entraînait une forte dépendance exacerbant le zèle, la fanatique ou la folie pure et simple des consommateurs ; les criminels perdaient tout sens moral, les religieux croyaient tuer au nom du Céleste, les militaires menaient des meurtres gratuits, etc. Après avoir été banni de Fel et d’Avhor, le créateur et promoteur de cette drogue, le Felbourgeois Vladimir Volsky, décida d’installer ses quartiers généraux à Haut-Vignoble. Les chevaucheurs, pour plusieurs déjà victimes de cette drogue stimulant leurs capacités au combat, accueillirent ce riche négociant aux méthodes controversées.

Rapidement, la corruption des Ferres sous Volsky et sa drogue eut des conséquences graves. Les pillages augmentèrent drastiquement en nombre, les nombreuses routes traversant le territoire Ferres devinrent impraticables et des rixes avec les alliés du clan des Vors se multiplièrent. En 323, dégoûtés par la dégénérescence de leurs frères et soeurs d’âmes, des seigneurs des Plaines libres menés par Maedar des Edar se levèrent afin d’éradiquer les trafiquants de Haut-Vignoble. Malheureusement, ceux-ci furent repoussés une première fois par de nombreux coupe-gorges embauchés pour l’occasion. Un second assaut plus important eut lieu en 333, mais Maedar connut encore une fois un coûteux échec. À l’issue de quelques escarmouches coûteuses, Xalos et Vera des Vors conclurent une entente avec les contrebandiers : si ceux-ci cessaient la distribution de drogue dans les Plaines libres et accordaient un tribut annuel aux communautés de la région, ils pourraient rester sur place.

Dès ce moment, les trafiquants de Val-Horde eurent les coudées franches pour agir. Épargnés par les chevaucheurs des Plaines libres et ignorés par le Protectorat de l’Orrindhas, trop occupé à combattre les forces monarchistes, ils doublèrent leurs exportations dans le royaume, causant la déchéance de nombreuses familles. L’empire criminel de Volsky, oeuvrant désormais en plein jour, ne semblait plus pouvoir être combattu. Certes, Maedar et son fils parvenaient ponctuellement à arrêter quelques revendeurs à gauche et à droite, mais jamais ils ne touchaient au coeur de l’entreprise tentaculaire.

En 343, toujours à la recherche d’alchimistes de renom afin de l’aider à satisfaire à la demande de sa clientèle, Volsky embaucha un homme d’âge mûr affirmant avoir été éduqué par nul autre que l’ancien alchimiste royal Macrin Visconti. Pendant quelques mois, l’alchimiste multiplia les exploits scientifiques, raffinant les recettes de Volsky et économisant efficacement sur les coûts de production. Or, lors d’un banquet tenu la même année, celui-ci, désormais proche de Volsky, empoisonna sournoisement le vin de Haut-Vignoble, causant la mort de Volsky et de bon nombre de ses conseillers et assistants. Quelques jours plus tard, un contingent d’une centaine de chevaliers de Fel déferla sur la région, dispersant les associés désorganisés de l’empereur du Crépuscule. Ce n’est qu’à ce moment qu’on découvrit l’identité de l’alchimiste empoisonneur : Benjamin d’Iscar, fils bâtard de Salomon l’Avisé, ayant été éduqué à la Forteresse du Fils sous les soins de Ferval et de Macrin Visconti.

N’ayant aucunement hérité de la noblesse d’esprit de son père, Benjamin n’eut aucun scrupule à démanteler à coups d’exécutions publiques et de tortures sanglantes ses détracteurs. Derrière ce désir de remettre de l’ordre chez les puissants Ferres, une intention beaucoup plus égoïste se dissimulait dans l’esprit du traître. Infiltré dans les rangs de Volsky, il savait que ce dernier, paranoïaque, cachait à chaque semaine une partie de ses profits dans un lieu secret. Ce trésor, amassé sur des années, représentait un immense pactole susceptible de financer n’importe quel seigneur pour des années. Or, bien qu’il apprit que plusieurs associés de Volsky s’étaient dispersés aux quatre vents afin de refaire leurs vies ailleurs dans le royaume, il ne découvrit jamais l’emplacement du trésor du Crépuscule.

Se proclamant fils aîné -malgré sa bâtardise- de Salomond l’Avisé, Benjamin commença dès la fin de la Guerre de l’Avènement à annoncer ses prétentions au trône de l’Orrindhas. Réorganisant les Ferres brutalement, il reprit les pillages sur les territoires environnants, n’ayant qu’une faible compassion envers les cibles de ses raids. En quelques années à peine, Val-Horde, théoriquement réintégré au Protectorat de l’Orrindhas, regagna sa prestance d’antan. En 346, pour ajouter un poids politique à ses armées, Benjamin épousa Katarina Aerann, représentante de la puissante famille ducale de Fel désormais associée au trône d’Yr. Quelques mois plus tard, il promit sa fille Aliyah à la petite-fille du défunt chef du clan Ferres Horriferres, Oriaferres, confirmant de façon durable son hégémonie sur la région. Certes, le sud des terres demeurèrent sympathiques aux Plaines libres des Vors, mais la majorité du territoire de Val-Horde rejoignit Benjamin. En 354, la faiblesse du Grand Chevaucheur Émond mena l’Orrindhas sur le bord du gouffre. Benjamin leva au début de l’hiver une vaste armée afin de marcher sur les Arches de l’Orrindhas et affirmer par la force l’unité du protectorat. Sur son chemin, le belliqueux seigneur de guerre rencontra une résistance mitigée, les factions corrésiennes et sarrens ne parvenant pas à s’entendre sur la réponse à donner à cette agression. Au milieu de l’été, c’est l’arrivée des régiments royaux du Bataillon sacré et de la Garde d’Arcancourt qui empêcha les hordes de Benjamin de s’écraser sur celles d’Émond devant la grande arche. Le Monarque, menant lui-même ses légions, parvint de justesse à faire reculer le chef Ferres et à l’empêcher d’infliger au sud du royaume une nouvelle guerre.

C’est Aliyahferres, succédant à son père décédé en 365, qui régna légitimement sur le Val-Horde dans la seconde moitié du siècle. Si le statut de famille bâtarde l’empêchait d’avoir une forte représentation au Symposium d’Arianne, la fougue et la force de la femme, ainsi que les appuis de la Couronne d’Yr, lui donnaient une place incontestable au sein de l’Orrindhas. Voix dissonante, les Ferres restaient persuadés de la supériorité militaire et morale de leur cause dans les steppes. Par contre, en 380, dans le cadre de la guerre de succession des Vors, les légions lauroises s’emparèrent aisément de Haut-Vignoble afin de venger un raid mené sur la baronnie de Lindenbourg Vallon et affaiblir les Ferres, alliés des Vors. Aliyahferres ne daigna pas fortifier ses positions, préférant déserter la ville afin de mener une longue campagne de pillage et de saccage dans les terres environnantes.

Cependant, quelques saisons à peine après la conquête de Haut-Vignoble, la situation devint intenable pour les forces d’occupation. Dans les rues, une résistance inattendue s’embrassa. Chaque jour, des vols d’armes, des assassinats d’officiers laurois et des campagnes de diffamation minaient l’autorité des Laurois sur la cité. Finalement, au milieu de l’été 380, le Symposium des Braves céda sous la pression et, à la suite de tractations royales, abandonna ses positions. Au même moment, l’un des principaux adversaires sarrens d’Aliyahferres, Batu Sukhbataar du clan des Vors, exécuta la cheffe Ferres après qu’elle eut perdu un duel contre la Légate de Gué-du-Roi, Gaudérique de Sauvergne. Trois camps prétendaient alors au contrôle de la cité et du clan sarren. Le premier était représenté par Oria (ou Oriaferres), veuve d’Aliyahferres et petite-fille de l’ancien chef de clan Horriferres. Le second obéissait aux ordres de Tobias Radko, frère d’Aliyahferres, commandant reconnu et époux de Pavel Zheko, intendant en contrôle de Haut-Vignoble et fortement soupçonné d’être à la tête du cartel de drogue local. Enfin, le troisième camp, minoritaire, suggérait de laisser Narantvors, cheffe des Vors, s’emparer du titre et recréer les glorieuses Plaines libres.

Au 45e jour d’automne, c’est dans la salle d’assemblée du Chapitre de la Foi de Haut-Vignoble que le sort de la ville et du clan se décida. Autour de la table, plusieurs des plus influents seigneurs de guerre des steppes devaient trouver un compromis sous peine de voir la guerre perdurer malgré les résultats mitigés de l’acclamation populaire : Narantvors des Vors, Abrasannor des Sannor, les anciens prétendant et intendant Tobias Radko et Pavel Zheko, le Centenier de l’Union commerciale du Sud Merwyn Prothero et, bien sûr, la jeune et féroce Oriaferres des Ferres. Coincée entre deux forces implacables se détestant profondément, la jeune guerrière Oriaferres demeurait muette. C’est à ce moment qu’Abrasannor dit le Pieux, vénérable chef du clan Sannor réputé pour sa fermeté, offrit sa sagesse à la tablée : Oriaferres en tant que cheffe des Ferres devrait reconstituer le Chapitre de la Foi à son goût afin de maintenir la justice telle qu’elle la concevait. Tobias Radko devrait être nommé Intendant de Haut-Vignoble, et il avait tout intérêt à maintenir ses Zheko en laisse. L’année 380 s’achevait enfin. Pour le clan Ferres, elle devrait rester dans les mémoires comme une période sombre marquée par les trahisons et les morts : assaut surprise sur Lindenbourg, occupation de Haut-Vignoble par les Laurois, changement de camp des Sukhbataar, décès tragique d’Alyahferres, montée en pouvoir des Zheko et, finalement, avènement d’Oriaferres. Toutes les cartes avaient été jouées et nombre d’acteurs avaient payé leurs choix de leur vie ou de leur position. Le clan Ferres ne ressortait ni plus fort, ni plus faible, de cette épopée. Lentement mais surement, il se reconstruirait dans le but de tirer profit de l’éclatement du royaume d’Ébène.

V. CLAN VORS

La Rencontre du Scorpion est un énorme caravansérail fortifié servant de lieu de rencontre et de pouvoir au clan des Vors. Fidèle aux traditions de pillages des Vors et de leurs alliés, on y retrouve nombre de chevaucheurs préparant leurs raids, mais aussi plusieurs marchands cherchant à acquérir à bon prix les butins de guerre. Adversaires idéologiques traditionnels des Monds de Lys d’Or et de leurs alliés progressistes et diplomates, les Vors se sont toujours farouchement opposés à l’idéal unificateur -et contraignant- du Protectorat de l’Orrindhas. Cela les mena à en faire sécession afin de fonder les “Plaines libres”, qui perdurèrent jusqu’en 382. Au-delà de l’appât du gain, la soif de pillage des Vors témoigne surtout d’un profond besoin de liberté.

Guidées jusqu’en 380 par Friedvors, petite-fille d’Askavors, le clan Vors est relativement prospère considérant l’âpreté de son territoire. Tout en fournissant un régiment royal à la Couronne, il avait la légitimité de mener en parallèle ses raids et servir en tant que mercenaires dans les divers conflits régionaux d’Ébène. Or, cette même année, Narantse Sukhbataar, cheffe d’un sous-clan des Vors, se souleva contre l’autorité de Friedvors, la vainquit sur le champ de bataille et s’empara de son titre, s’attribuant le nom de Narantvors. Depuis, la seigneuresse de guerre tente d’extraire les Vors de leurs traditions de pillage, allant jusqu’à entreprendre des rapprochements avec les clans traditionnellement adverses. Son mariage avec Lauryavolund, fille du chef de clan Volund, et son interdiction de pillage à l’intérieur des frontières du Sarrenhor et auprès des caravanes protégées par le clan, ne sont que quelques indices de cette volonté. Volonté par ailleurs de plus en plus contestée au sein de ses rangs…

-Géographie-

Le territoire des Vors est à la fois constitué de frontières immuables et flexibles. Au nord-ouest, c’était invariablement à la Rivière Rouge -qui tire son nom des rixes sanglantes entre les clans- que s’arrêtaient leurs terres. Ne souhaitant pas courroucer le Protectorat de l’Orrindhas débutant au-delà de ce cours d’eau, les chevaucheurs Vors se gardaient bien de le franchir. À l’est, ce sont les plaines de Caderyn -qui se fondent dans les Plaines mortes- et les forêts de l’Académie populaire en Findest qui freinent la progression des chevaucheurs. Cependant, celles-ci n’ayant ni rivière, ni montagne, pour indiquer clairement la limite des possessions Vors, il n’est pas rare que les deux peuples se querellent violemment pour des questions frontalières. Heureusement, au sud, le pied des Monts Namori ne laisse aucun doute sur la fin des possessions Vors.

Le lieu central du clan Vors est assurément la Rencontre du Scorpion, au coeur des terres et siège du pouvoir de Narantvors. Les voyageurs sillonnant la région sont toujours impressionnés, et vaguement surpris, qu’un tel endroit ait été établi au beau milieu des steppes orientales. Effectivement, la région est reconnue pour ses zones marécageuses, ses pluies régulières et, de manière générale, son ambiance inhospitalière. Pourtant, sertie au milieu d’un amas de collines, comme un grenat dans la boue, se trouve cet énorme caravansérail. Bâti comme un grand fortin ouvrant sur une cour pouvant accueillir plus d’un millier de guerriers et leurs chevaux, des tentes y sont installées à l’année, et quelques rares marchands ou bandes y entretiennent des baraques permanentes enfoncées dans les murs. Une énorme tour faisant presque cinquante mètres de haut trône au beau milieu de la cour. Servant à la fois de tour de guet pour surveiller les alentours et de phare permettant de guider les voyageurs, il s’agit de l’une des rares constructions de pierre conçues par les Vors. On raconte que les gardiens de cette tour y vivent en permanence, de génération en génération, et qu’aucun d’entre eux n’en est jamais sorti depuis plusieurs centaines d’années.

Ponctuellement et au gré des saisons, la “Caravane” comme on l’appelle s’installe plus ou moins près de la Rencontre du Scorpion. Constituée essentiellement de chevaucheurs du clan en quête de richesses dûment gagnées, la Caravane ne reste jamais en place. Ce nomadisme librement choisi vise à garder les soldats à l’affût, de même qu’à éviter de parasiter de façon permanente l’une des régions des plaines. Initialement composée exclusivement de guerriers, cette Caravane a gagné en importance au fil des années lorsque des forgerons, palefreniers, négociants, marchands de plaisirs et autres marchands et artisans de la guerre s’y greffèrent.

Au sud du territoire, seule trace d’une quelconque religiosité chez les Vors, se situe le Bois des Serres. Celui-ci est l’un des rares emplacements ayant une forte densité végétale. Plus près de la savane que du terrain désertique habituel des Plaines Mortes -autre nom attribué aux terres des Vors, le Bois des Serres doit son nom à ses longs arbres secs et tordus aux branches acérées rappelant des serres cherchant à agripper les cieux. Les Vors étant un clan résilient et combatif, un tel environnement ne semble toutefois point leur faire peur. Au contraire, au fil des siècles, ils aménagèrent dans les bois l’Oasis de l’Unification, un havre de verdure et de “paix” où les premiers clans sarrens furent unis sous la bannière du Roi-Prophète contre le Sang Noir, sonnant ainsi la création du palatinat du Sarrenhor. En ce lieu, la vie y est austère et simple, mais nul n’y est malade ou malheureux. La rigueur et le sacrifice faisant partie du mode de vie hérité de l’ancienne congrégation des Aurésiens, ce sont essentiellement des ascètes et ermites à la recherche d’une quelconque vérité contemplative qui fréquentent le Bois des Serres.

Enfin, à l’ouest de la Rencontre du Scorpion gisent les ruines de l’ancien clan Sukhbataar, ravagé par le clan Ferres lors de la guerre de succession de 380. Si les tentes calcinées et les corps démembrés furent dégagés et immolés selon les rites célésiens, Narantvors, pourtant héritière de ce regroupement, ordonna l’érection symbolique de dolmens en l’honneur des défunts. Sur les pierres grises importées des Monts Namori, au sud, des gravures relatent le récit des affrontements et soulignent le sacrifice des victimes des massacres.

-Histoire-

Peuple renfrogné et sévère, le clan des Vors hante les cauchemars de nombreux Ébènois depuis des siècles. Confrontés aux rigueurs de plaines beaucoup moins fertiles et hospitalières que celles trouvées à l’ouest de la Rivière Rouge, ces chevaucheurs n’eurent d’autres choix au cours de leur histoire que d’aller chercher leur pitance chez leurs voisins. Au fil des siècles, l’agressivité et le pillage imprégnèrent chaque sphère du mode de vie des Vors, faisant d’eux de véritables bêtes de guerre.

S’il ne conviendrait pas de recenser l’ensemble des outrages qui écorchèrent ses relations avec ses voisins, il est intéressant de noter que le clan a toujours entretenu des liens houleux avec ses propres frères et soeurs sarrens. Tour à tour vassaux, indépendants ou ennemis, les Vors n’ont que rarement été à leur place au sein du peuple des steppes, et ceux-ci leur rendaient bien. On raconte que tous les Grands chevaucheurs du Sarrenhor auraient un jour espéré ramener ces farouches guerriers en leur giron pour de bon, mais que tous s’y seraient cassé les dents. On ne peut maîtriser la bête sauvage, et bien sot est celui qui s’en approchera trop.

À partir du troisième siècle, le schisme entre Vors et le Sarrenhor devint néanmoins plus marqué. En 285 survint la Deuxième Guerre du Follet opposant le Val-de-Ciel au Sarrenhor et ayant pour objet de litige une taxe d’un follet pour tout pèlerin passant sur les terres des Vors afin de se rendre dans les Monts Namori. Les Vors, confrontés aux armées de la congrégation de la Compagnie du Heaume et d’une partie du Val-de-Ciel, menèrent alors une campagne d’attrition sanglante. C’est sur les berges de la Rivière Rouge que le meurtrier conflit se termina lors d’un duel entre Hugues des Martial -Commandeur de la Compagnie du Heaume- et Xoriavor, seigneur des Vors. Des Martial parvînt alors à occire son adversaire, mais mourut peu après de ses blessures. Néanmoins, l’issue de la guerre était scellée et les Vors, humiliés, devaient abandonner leurs prétentions sur les routes de pèlerins.

Après cette tragique guerre, la fragile paix dans le Sarrenhor fut maintenue par un homme valeureux aux idéaux chevaleresques : Wenceslas des Plaines. Des années durant, il sillonna les steppes, tel un paladin de légende, afin d’empêcher tout nouveau conflit fratricide. Or, les bonnes oeuvres du chevalier errant atteignirent leurs limites lorsque son écuyer Vors, Zygfry dit le Vautour, décida de relancer les hostilités à la demande du nouveau seigneur du belliqueux clan Yvors. En 316, alors que la Guerre des deux Couronnes débutait, les Vors délaissèrent le ban du Sarrenhor qui prenaient d’assaut Corrèse pour plutôt attaquer par surprise le Val-de-Ciel et les quartiers généraux de la Compagnie du Heaume à Porte-Sainte et Arcancour. Ceux-ci en revinrent riches et puissants alors que le reste du palatinat s’épuisa dans une interminable guerre contre les Corrésiens. Ce bris de leurs serments d’honneur heurta profondément les chevaucheurs de l’ouest qui, dès cet instant, se méfièrent des chaotiques cavaliers de l’est. En 322, après plusieurs tractations en apparence cordiales, ils renouèrent avec leur félonie pour fomenter une rébellion contre Lys d’Or. S’alliant temporairement aux clans Edar et Ferres, ils renversèrent et assassinèrent le Grand chevaucheur de l’époque, Sigismond le Vif. À sa place, ils proclamèrent unilatéralement comme seigneur de guerre un prétendant au trône des steppes, Ghoran, tandis que les Sarrens de l’ouest nommaient leur propre chef en la personne de Salomond l’Avisé. Cette double nomination acheva de sceller la destinée du Sarrenhor en scindant les steppes en deux : Sarrenhor à l’ouest de la Rivière Rouge et Plaines libres à l’est.

Au fil des ans, cette autonomie fut cultivée, au travers des efforts d’Askavors, dit le Scorpion. Cheffe du Clan des Vors depuis plusieurs années, elle se bâtit une réputation de guerrière impitoyable, de mercenaire redoutable et d’ennemi implacable. Lors de la Guerre de l’Avènement, préférant rester en ses terres afin d’assurer le moral des troupes et de la populace, elle confia à Xalos dit le Tatou et Vera dit le Carcajou, deux impitoyables chefs de guerre, le commandement des armées Vors à l’extérieur. Des années durant, ceux-ci enchaînèrent les victoires contre les forces royalistes et républicaines au nom de Fel et de Ferval. Ce n’est qu’en 345 que Vera fut enfin arrêtée à la Bataille de Mons, y perdant la vie sous les coups des forces du Monarque. Quant à Xalos, en fin négociant, il voyagea entre le Sarrenhor et la Terre libre de Bois-Blancs à Cassolmer afin de mener des raids et vendre à profit ses butins.

Au lendemain de la Guerre de l’Avènement, les Plaines libres, se résumant aux territoires des Vors, au sud des clans Ferres et à une portion du clan Edar au nord-est, fit face à un choix déchirant. Ne pouvant affronter les Régiments royaux et l’Ordre de l’Orrindhas commandé par le Protectorat de Salomond l’Avisé, Askavors, accompagnée de ses enfants Yvan et Askaria, prit la route de la cité d’Yr afin de plier le genou devant le nouveau Monarque. Le suzerain fit alors une offre à la femme : remettre son titre de seigneur de guerre des Plaines libres à Yvan -sous le nom d’Yvors- et constituer un Régiment royal dans la région, le tout en échange de l’autorisation de maintenir les traditions de raids et pillages -au nom du droit de guerre- des Vors. En d’autres termes, si les Plaines libres acceptaient de contribuer à la protection du royaume, elles pourraient maintenir leur mode vie. N’étant guère en position de refuser une telle proposition, Askavors accepta. Lors des décennies qui suivirent, les Plaines libres, fidèles à leurs habitudes, tirèrent un maximum de profits de leur situation. Spécialistes des raids et beaucoup plus efficaces en combat lorsque l’appât du gain se fait sentir, leurs chevaucheurs furent fréquemment, en tant que Régiment royal, engagés dans des conflits internes au royaume. Pendant ce temps, les bandes isolées de pillards oeuvrant hors des armées officielles se découvrirent une nouvelle cible en Caderyn, au sud de Cassolmer. Les nouvelles richesses de la région à la suite de l’installation de l’industrie de l’opium attirèrent la convoitise des chevaucheurs qui, depuis, ne cessent de mener des assauts dans ces campagnes.

Jusqu’en 380, ce fut Friedvors, fille d’Yvors et petite-fille d’Askavors, qui régna sur les Plaines libres à partir de la Rencontre du Scorpion. Fière à l’extrême de ses origines et éduquée pendant de longues années par son “oncle” Xalos, elle ne manquait pas une occasion de tirer profit des situations qui s’offraient à elle. Or, cette même année, un clan mineur des Vors -les Sukhbataar- résolument tourné vers le commerce et une approche pacifique des relations extérieures se dressa contre les méthodes de Friedvors. S’alliant avec les patriciens de Gué-du-Roi, les chevaliers du clan Volund et Lys d’Or, Narantse et Batu Sukhbataar menèrent la rébellion et parvinrent à tuer Friedvors lors d’un affrontement nocturne. Narantse -désormais Narantvors- acquit par ce fait d’arme le titre de seigneuresse des Vors. Cependant, au même moment, son propre clan périssait sous les lames du clan Ferres, venu venger le scorpion trépassé. Officiellement victorieuse de la guerre de succession et cheffe de guerre, la survivante était dès lors isolée parmi les vautours. Dans les années qui suivirent, elle parvint néanmoins à ménager la chèvre et le chou. Tout en épousant la fille du clan Volund Lauryavolund, elle combattit les marchands de Crépuscule de Haut-Vignoble. Elle accepta le passage de la Route de l’Union sur son territoire, mais autorisa la participation aux pillages en Laure aux côtés des Sannor. Peu à peu, les pressions à l’intérieur des factions traditionalistes et extrémistes Vors croissaient, mais Narantvors semblait être en mesure de les apaiser à l’aide de soupapes ponctuelles.

En 382, l’invitation du Grand Chevaucheur Émond à participer aux négociations du Concile d’Adrianna souleva de nombreuses inquiétudes chez les réactionnaires des Plaines libres. Pour les sous-clans Baasanjav et ses sympathisants, le Protecteur de l’Orrindhas, conscient de la puissance du vent unificateur et progressiste soufflant dans les steppes, semblait vouloir user de toute son influence pour isoler ses adversaires et créer son ultime leg au Sarrenhor. Narantvors, se montrant rassurante malgré les avertissements de plusieurs de ses conseillers -dont la vénérable Abaka la Belette, ancienne conseillère de Friedvors-, accepta néanmoins l’invitation. À l’issue des pourparlers avec la Divine Adrianna et plusieurs représentants des steppes sélectionnés sur le volet, la dissolution du Protectorat de l’Orrindhas et des Plaines libres et la réunification du Palatinat du Sarrenhor selon ses frontières sacrées furent acceptées. Pour la cheffe Vors, il s’agissait là de l’unique avenue permettant la survie du clan des Vors. Les Plaines libres, déjà réduites aux frontières du clan, n’existaient plus que de nom après la sécession cassolmeroise et les guerres internes des Ferres. Ce n’était qu’une question de temps avant que la nouvelle géopolitique ébènoise ne vienne sonner leur glas. Dans une décision rationnelle et politiquement sensée, elle se rallia donc à Émond de Lys d’Or et réintégra les Vors au concert des protecteurs de la Couronne d’Ébène et de la Divine…

VI. CLAN EDAR

Héritiers directs d’Edarianne, fille de la mythique Arianne qui colonisa le sud d’Ébène, les chevaucheurs du clan Edar semblent vivre hors du temps. Depuis des siècles, leur existence s’écoule au gré des saisons dans les plaines confinées entre le grand lac des îles vierges et les Monts Namori. Entre ciel, terre et eau, ces cavaliers préfèrent la contemplation mystique des astres aux pillages et tractations politiques. Technologie et science ne sont que des distractions dans la quête de la sagesse par les étoiles. Le voyageur ne trouvera que peu d’alliés et de sources de financement dans cette région, mais il fera la connaissance d’hommes et de femmes profondément spirituels et près des éléments.

Aujourd’hui, c’est Emdar, fils de Maedar, qui guide le clan et les sous-clans du territoire à travers les épreuves d’un continent en pleine mutation. S’il retient de l’esprit farouche de sa mère, il semble aussi faire preuve d’une soif de savoir insatiable probablement léguée par son père inconnu du grand public.

-Géographie-

Ce n’est que par la rigueur et la férocité de son caractère que le clan Edar en vint à contrôler l’une des plus fertiles vallées de l’Orrindhas enclavée entre les monts Namori et le grand lac des iles vierges. Cette vallée revêt un caractère sacré pour ce clan qui y voit la double présence des astres qui guident leur chevauchée. L’élancement vers les cieux des pics escarpés des Monts Namori au sud, et le reflet de la voûte céleste dans les eaux du lac aux îles vierges au nord, sont à leurs yeux des symboles spirituels reliés par la rivière au mille reflets qui divise la plaine en deux. Pour eux, cette dernière crée un lien entre ces deux lieux saints, entre la terre qu’ils chevauchent et ciel où cavalent leurs étoiles et aïeux qui guident leur course. Ils en sont donc venus à nommer l’île qui borde l’embouchure de la rivière aux mille reflets “Île-aux-Ancêtres”. C’est en cet endroit qu’ils s’y rassemblent à chaque grande célébration des Sept Chevaucheurs Céleste et à toutes autres occasions dignes d’être marquées dans la mémoire du clan. C’est aussi là que se réunissent les représentants des sous-clans du territoire pour y tenir conseil chaque fois que jugé nécessaire par le seigneur des Edar.

Bien que quelques bosquets épars bordent la vallée de la rivière aux mille reflets, c’est à l’est de celle-ci que l’on retrouve les terres les plus fertiles et giboyeuses réservées au chef du clan, Emdar fils de Maedar, qui y établit son imposant bivouac de tentes rondes en perpétuel mouvement selon la saison, tel que le veut la tradition. Sur la rive ouest s’étendent des plaines plus clairsemées et ce jusqu’au bras le plus méridional de l’Augivre, idéales pour l’élevage du Sorhinar sacré.

Sur la pointe ouest de la plaine est érigée la modeste abbaye de la Rédemption ayant jadis appartenu à Abraham dit le Gardien, ancien zélote de la Garde Céleste ayant renié son ordre puis ayant été condamné au bûcher. L’abbaye demeure néanmoins visitée par nombre de fidèles, ne serait-ce que pour sa proximité d’avec la route menant vers Haut-Dôme. Ce sobre temple est en partie construit sur un promontoire rocheux naturel et a ceci de particulier que son dernier étage ne comporte pas de toit afin, dit-on, de faciliter la communion avec le Céleste et de mieux se laisser guider par l’éclat des astres. Ces mêmes astres, selon les Edars, sont les cadeaux du Très-Haut qui seraient les lumières des âmes de leurs ancêtres censées guider leur chevauchée aux heures les plus sombres.

Les Edars sont davantage renommés pour la droiture de leur morale et leur profonde spiritualité que pour leur commerce. L’une des rares exceptions à cette généralité est le fameux élevage de Sorhinars sacrés appartenant à la horde de Theodar Ivarson, premier fils adoptif de Maedar Ivarson. Celui-ci tient ses techniques et son art du dernier Oracle aurésien lui-même, Nuro Ivarson, qui avait été dégoûté par les fourbes manoeuvres de la cour princière et s’en était détourné pour vivre une vie pieuse et paisible de prêcheur dans les plaines. C’est d’ailleurs dans ces mêmes plaines à l’est de la rivière aux mille reflets que le vieil homme maintenant entouré de ses propres disciples a l’habitude de faire chevaucher sa fière horde de Sorhinars. Partageant ses profits avec le reste du clan, il ne garde que peu pour lui-même, suivant l’exemple de son maître.

-Histoire-

Chérissant leur liberté de chevaucher où bon leur semble, les descendants d’Edarianne ont grandi dans l’âpreté d’une vie rude et austère où les dons du ciel et de la terre, père et mère de la race sarren, sont autant de grâce qui se doivent d’être honorés par les plus méritants. Ainsi se doivent-ils d’être chèrement gagnés puis ardemment défendus par chaque membre du clan. Telle est la philosophie du clan Edar qui, au fil des siècles, acquit une réputation de rectitude morale et spirituelle sans égal dans l’Orrindhas. Réclamant par la seule férocité de sa volonté les précieux dons des terres qu’il domine, il est parvenu à contrôler depuis bien avant le Sang’Noir et l’ère royale la fertile et fort convoitée vallée cachée entre les Monts Namori et le grand lac des îles vierges, au sud des steppes. Très attachés aux anciennes traditions sarrens, les Edars n’ont jamais vu d’un très bon oeil le métissage. Ainsi ont-ils d’abord rallié en 322 la cause des Plaines libre menées par les Vors lorsque Salomond l’Avisé choisit de s’allier à Corrèse. Finalement, à la suite de ce qu’il considérait être comme de multiples trahisons des Vors, le clan se tourna vers le Protectorat de l’Orrindhas.

Effectivement, en 333, directement concernés par la présence de contrebandiers de la drogue du Crépuscule à Haut-Vignoble, les chevaucheurs des Plaines libres organisèrent un assaut coordonné sur les criminels. Supportés par Maedar du clan Edar et les milices Hirondelles installées chez les Ferres, Xalos dit le Tatou et Vera dit le Carcajou prirent la tête d’un millier de cavaliers pour raser les quartiers généraux des malfrats. Ceux-ci se heurtèrent après quelques jours à peine à une résistance inattendue de la part de mercenaires embauchés à grands frais aux quatre coins du royaume. Parmi eux, on comptait même ironiquement des guerriers renégats siludiens ayant déserté la cause de Ferval. À l’issue de quelques escarmouches coûteuses, Xalos et Vera conclurent une entente avec les contrebandiers : si ceux-ci cessaient la distribution de drogue dans les Plaines libres et accordaient un tribut annuel aux communautés de la région, ils pourraient rester sur place. Les meneurs du cartel acceptèrent évidemment l’offre, au grand déplaisir de Maedar. Trahie par ses voraces alliés, la chevaucheuse regagna Lys d’Or afin de combattre politiquement les criminels avec l’aide du Protectorat de l’Orrindhas.

Après ces événements, Maedar utilisa ses contacts et ses ressources pour mener une traque sans pitié envers les trafiquants. Sa lutte fut poursuivie par son fils Emdar. Ses efforts furent récompensés à la suite de plusieurs exécutions publiques exemplaires de par leur brutalité, tant pour les consommateurs que pour les revendeurs, qui firent chuter drastiquement son trafic. Fier de ce succès, il entreprit jusqu’en 345 de harceler les quelques bandes du clan des Vors vivant sur la frontière est des plaines des Edars et sympathiques au Duché de Fel et Ferval.

Au lendemain de la Guerre de l’Avènement, la menace directe d’une invasion repoussée, les Edars connurent l’une des rares crises de succession de leur histoire. Jusqu’à ce moment, Emdar avait pris sur lui de mener les hordes hors des frontières. Toutefois, celui-ci avait un frère -Théodar le prêcheur et éleveur de Sorhinars- et trois cousins sujets à prétendre au statut de seigneur du clan. En 347, honorant les anciennes traditions de primauté du sang, les cinq prétendants menèrent donc une course qui les mena jusque dans les Gorgias, à l’extrême-limite sud des territoires ébènois dans les Monts Namori. Après des semaines de chevauchées et une difficile ascension des montagnes, ce fut Emdar qui, sans bavure, remporta la compétition et prouva que son sang bâtard était tout aussi teinté de la férocité de sa mère Maedar. Plus encore, non seulement fut-il le plus rapide à compléter le trajet proposé, mais il rapporta avec lui à l’Île-aux-Ancêtres le majestueux panache d’un cerf blanc rencontré sur sa route.

Lors des décennies suivantes, Emdar eut deux fils et une fille. Le benjamin, Olidar, choisit de suivre les enseignements de Théodar et devint un éloquent prêcheur vantant les mérites d’une vie ascétique et pieuse au service du Céleste et de l’élévation des âmes perdues. Sa fille, Vaedar, quant à elle, partit visiter sa grande tante Ananké, disciple toujours fervente des Vérités originelles de Ferval. Malgré la colère que cela déclencha chez son père qui craignait que les théories blasphématoires de cette disciple de Ferval n’attirent des ennuis à sa fille, Vaedar se mit sous la tutelle d’Ananké. Toutefois, en 357, sentant venir la grande purge, c’est une Ananké vieillissante qui convainquit sa nièce de retourner avec ses vieux amis dans les plaines des Edars où ils pourraient poursuivre leur authentique oeuvre de contemplation des vérités métaphysiques de ce monde. Finalement, l’aîné et héritier présumé du clan, Féhodar, suivit avec assiduité les pas de son père en devenant son écuyer, puis son protecteur personnel.

Un seul événement vint troubler l’apparente immobilité du clan en 381. Tandis que le royaume d’Ébène tremblait à l’approche de la Horde d’Horathot au sud de Corrèse, les astrologues Edars se montraient plus perplexes. Déjà, des rumeurs suggéraient que les barbares sanguinaires vouaient un culte à une divinité liant les cieux et les abysses dans les ténèbres. Horathot, comme il l’appelait, se manifestait à ses fidèles autant par les rêves que par les présages stellaires. Les similarités avec la spiritualité Edar étaient trop grandes pour être négligées. Ainsi, lorsque l’avancée expansionniste de la Horde d’Horathot fut interrompue, Féhodar et Vaedar furent les premiers Sarrens à aller à la rencontre des conquérants. Si l’on ignore quelle fut la nature de leurs discussions avec les hérétiques, ils revinrent sains et saufs et admiratifs de certains des rites étrangers. Depuis, les Edars seraient parmi les rares Ébènois entretenant des communications avec les envahisseurs, même si celles-ci demeurent drapées de mystère.

Aujourd’hui, le clan des Edars, fidèle à l’extrême aux traditions ancestrales, semble être figé dans le temps. Toujours mené par Emdar fils de Maedar, il refuse, malgré sa sympathie envers les idéaux du Protectorat de l’Orrindhas, d’ouvrir ses frontières et d’altérer ce qui constitue selon ses chevaucheurs la mémoire de leur mère Edarianne. Certes, le monde change : la poudre à canon transforme les champs de bataille, les machines à vapeur supplantent les chevaux et les seigneurs de guerre cèdent leur place à des comtes et ducs. Cependant, la voûte étoilée, unique source de vérité en cette existence, continue de guider inlassablement, de saison en saison, les rites et contemplations des Edars.

VII. CLAN MOND

Lieu du pouvoir d’Émond, Grand Chevaucheur de l’Orrindhas, Lys d’Or est le centre historique du Sarrenhor. Grande cité de tentes, de maisons longues et de tours de gardes, les chevaucheurs sarrens y côtoient des voyageurs de partout.

Autrefois centre politique et économique du Sarrenhor, Lys d’Or a perdu beaucoup de sa grandeur lors des dernières décennies. Que ce soit commercialement au profit de Mordaigne et de son Arsenal, ou politiquement par les Arches de l’Orrindhas, la cité semi-nomade a décliné en puissance et en influence au même rythme que le Protectorat l’Orrindhas croissait. Cependant, depuis quelques années, Émond, vieillissant, semble s’être résigné à accepter l’échec du projet de son père et se résoudre à restaurer la prestance du Sarrenhor lui-même. Ainsi, en 382, il parvint à isoler les mouvements traditionalistes des steppes et rétablit lors du Concile d’Adrianna le palatinat du Sarrenhor, ramenant en Lys d’Or le pouvoir palatin.

Néanmoins, la cité reste une capitale d’importance, symbole des forces républicaines d’autrefois et de la puissance militaire des Enfants d’Arianne. La présence de l’Ordre de l’Orrindhas, chevaliers répondant directement aux ordres du Grand Chevaucheur, confirme que Lys d’Or ne se laissera pas oublier.

-Géographie-

En bordure des eaux noires du Grand Lac des Îles vierges bourdonne nuit et jour l’ancestral caravansérail des plaines, Lys d’Or. Plus vaste cité du Sarrenhor reconnue comme le lieu du pouvoir de l’Orrindhas, Lys d’Or trouve ses origines dans les ères précédant l’arrivée du premier Roi-Prophète, au début de l’ère royale. De tout temps, les Sarrens furent en grande partie nomades, leur territoire étant parsemé de lieux de repos, de relais, de havres marchands et de fortins. Lys d’Or est tout cela, et plus encore.

Véritable forêt de tentes, de maisons longues et de tours de guets, Lys d’Or est une vision étrange pour qui vient d’ailleurs. Les habitations permanentes y sont rares bien que certainement présentes, et quiconque revient dans la cité quelques années après l’avoir quittée verra ces rues redessinées au fil des arrivées et des départs. Seul le Fort des Vents trône tout au centre de la cité. Place forte et demeure des palatins depuis toujours, il s’agit d’un grand fort de bois et de pierre, peint aux couleurs du clan des Monds. Haut de plusieurs dizaines de mètres, il surplombe la cité aux alentours avec une majesté certaine.

L’Oasis d’argent, équivalent d’un quartier marchand et centre de négoce, est le seul endroit qui semble bâti pour durer, outre le Fort des Vents. Établi non-loin de l’Arche, il s’agit d’un énorme caravansérail où l’on retrouve des produits des quatre coins d’Ébène, et parfois d’au-delà. Autour de cette énorme place, des maisonnettes de marchands côtoient les tavernes et les lieux de fêtes. Bâties par les habitants des autres palatinats venus s’établir pour affaires, il s’agit d’une ville dans la ville, où les architectures diverses se côtoient en créant un paysage coloré et disparate.

Prospère et symbole de l’unité entre Corrèse et le Sarrenhor, la Route des Semailles jouait autrefois le rôle d’axe marchand entre Lys d’Or et Mordaigne. Tout au long de celle-ci, des comptoirs de commerce de l’Union commerciale du Sud permettaient aux producteurs et artisans locaux d’exporter leurs surplus afin d’arrondir leurs fins de mois. Le plus important de ceux-ci était le comptoir de Guet-du-Levant, anciennement château des comtes des Semailles. Cela dit, en 344, la Route des Semailles fut rebaptisée “Route de la Veuve” lorsqu’Abigamond, celle-là même qui orchestra la “modernisation” de la région, disparut mystérieusement lors d’un voyage. Après la sortie de Corrèse du Protectorat de l’Orrindhas en 379, cette route fut compromise par l’absence de pouvoir veillant à son entretien. Ce n’est qu’en 381 que l’Union commerciale du Sud en fit l’une des étapes de sa vaste “Route de l’Union” liant Porte-Chêne à la Baie-aux-Noyés en Cassolmer, offrant de nouveau à Lys d’Or un rôle central dans le commerce du sud d’Ébène. Malgré les dangers rôdant dans les steppes, cet axe demeure une véritable mine d’or pour la corporation et pour les Monds, ce qui explique leur insistance à la protéger par des ententes de non-agression avec les autres clans des plaines.

Bien sûr, il est impossible de parler de Lys d’Or et de l’héritage de Salomond l’Avisé sans mentionner les Arches de l’Orrindhas, dont la première trône fièrement à l’entrée sud-ouest de la ville. Les arches de l’Orrindhas sont les témoins du lien qui existe entre les dépendances autrefois sous le règne du Grand Chevaucheur et son Protectorat. Cette première Arche de l’Orrindhas fut construite à l’origine en 323 afin d’y placer la porte de Porte-Chêne, renommée Porte de l’Orrindhas pour l’occasion. Bien que la porte elle-même n’y soit aujourd’hui plus présente (subtilisée par les Corrésiens tradionalistes en 323 avant d’être donnée à Mordaigne en guise de compromis, puis à Porte-Chêne lors de la création du duché), l’arche est encore en place, guettant l’entrée de Lys d’Or avec une magnificence rare pour une construction sarren.

Depuis cette première arche, d’autres bâtiments similaires furent construits un peu partout sur les grandes routes de l’Orrindhas, normalement plus petites et modestes. Nommons notamment l’Arche Grise qui ouvre le chemin vers les Plaines libres à l’est, ou l’Arche du Céleste qui marque la frontière du Val-de-Ciel et le début de Porte-Sainte. Notons que l’Arche de Mordaigne, où se trouvait la Porte de l’Orrindhas, n’est plus investie de cette fonction depuis la création du Duché de Corrèse.

Chacune des arches mineures est à l’image de la première, à quelques différences près. Effectivement, l’originale, construite par les artisans du clan Folker et leurs associés, arbore à son sommet les gigantesques statues de deux Sorhinars sacrés braqués. Au-dessus de leurs têtes respectives, une Lune et un Soleil d’argent et d’or rappellent à tous la proximité des Sarrens avec le cycle des saisons. De leurs flancs, des entailles laissant s’écouler des gouttes de sang gravées dans la pierre symbolisent le passé belliqueux du peuple sarren et sa nouvelle devise : “Ciel et Sang”. Sous cette arche se tenait autrefois la grande tente du Conseil des clans et du Symposium d’Arianne. Conçue à partir de milliers de peaux de cerfs, ours, loups et autres bêtes sauvages, elle abrite une table de pierre circulaire capable d’accueillir une centaine de convives. Sous le toit vibrant au rythme des vents balayant les steppes, l’immuable table des chefs du Sarrenhor et de l’Orrindhas rappelle le socle solide sur lequel repose l’apparente volatilité des chevaucheurs. Or, avec la fin du Protectorat de l’Orrindhas, le Symposium d’Arianne a lui-même sombré dans l’oubli au profit de l’unique Conseil des clans.

C’est Jaromond la Conciliatrice, fille de Salomond et épouse d’Étienne Lacignon de Laure, qui incarna l’union de fait du Protectorat de l’Orrindhas pendant des décennies. Ayant réussi à rassembler de nombreux Sarrens et Corrésiens sous sa gouverne, elle fut l’une des figures politiques emblématiques de l’Orrindhas et tenta jour après jour de briser les dissensions. Malheureusement, la femme vieillissante mourut de sa belle mort, dans son sommeil, à l’hiver 382. Pour plusieurs, son décès fut le symbole de la fin du grand rêve d’unité de Salomond l’Avisé, désormais écartelé de toutes parts par les ambitions conflictuelles de ses anciens adhérents.

Finalement, depuis l’avènement du Grand Chevaucheur Salomond l’Avisé au début du quatrième siècle de l’ère royale, les communautés des îles d’Arar, sur le Grand Lac des Îles vierges, ont officiellement rejoint le giron de Lys d’Or en tant que dépendances de la capitale du Sarrenhor. Le principal haut-lieu de la région est le hameau de Plage-aux-Vierges, une vaste étendue sablonneuse bordant l’île d’Orislav et débouchant sur de grandes plaines fertiles où poussent la lavande et le fenouil. Contrairement aux autres chevaucheurs des steppes, les habitants du Grand Lac sont plus réticents à quitter leurs terres pour aller vagabonder et se concentrent sur le travail de la terre et la récolte. C’est sur les rives de cette plage que fut bâtie le château de Sarah-sur-Mer, une modeste construction en place depuis des générations et dont les origines sont perdues dans les livres d’histoire. Les légendes locales racontent qu’elle fut érigée avant le Sang Noir, de la main d’un noble fou amoureux. Vivant lui-même une idylle amoureuse avec la corrésienne Abigaël Tesar, Salomond l’Avisé restaura le bastion afin d’en faire la principale place-forte du sud des plaines.

-Histoire-

Lys d’Or est depuis toujours le chef-lieu du Clan des Monds. Capitale du Sarrenhor, elle est l’une des rares villes permanentes d’une telle ampleur présente sur les plaines et fut de tous temps le lieu de rassemblement des chevaucheurs des différents clans. Consacrés par le Roi-Prophète comme les détenteurs du sang palatin du Sarrenhor, les Monds furent considérés depuis quatre siècles comme les seigneurs naturels des steppes. Certes, le déploiement de leur pouvoir fut à divers moments de l’Histoire limité par les ambitions des autres chefs des clans, mais nul n’osa nier la sacralité de la bénédiction qu’ils avaient reçue au début de l’ère royale.

Jamais les Enfants d’Arianne ne furent unis sous une même bannière depuis les antiques ères de l’Illumination. Corrésiens, Sarrens et Valéciens, malgré leurs indubitables points communs, vivaient isolés les uns des autres. Toutefois, au début du quatrième siècle, grâce à un judicieux mélange de diplomatie et de guerre, le Grand Chevaucheur Salomond l’Avisé accomplit l’exploit de rassembler temporairement les seigneurs de ces régions.

À l’issue de la Guerre des deux Couronnes, lors de son élection comme Grand Chevaucheur de l’Orrindhas, il signa tout d’abord un traité avec les clans du Sarrenhor garantissant un respect de leurs droits de justice et de conseil. Par la suite, il institua le Conseil des Clans, une rencontre où les chefs de chacune des régions sarrens pouvaient participer aux décisions concernant les steppes. Quelques années plus tard, avec l’instauration de l’Orrindhas, ce Conseil des clans fut étendu à l’entièreté des terres couvertes par l’Orrindhas, incluant donc les clans originaux en intégrant plusieurs comtes et nobles corrésiens. Le Symposium d’Arianne devint alors le centre du pouvoir politique du sud.

Initialement, c’est à Lys d’Or que les rencontres des steppes et, à plus forte raison, du Protectorat de l’Orrindhas avaient lieu. Cependant, en 326, avec l’aggravement de la Guerre de l’Avènement et l’obstination des résistants de Porte-Chêne à refuser de plier le genou devant l’alliance du sud, la décision fut prise de faire élever sous la première arche une gigantesque tente permanente destinée à accueillir le Symposium d’Arianne. Certes, celle-ci se situait encore au coeur des plaines sarrens et à quelques lieues à peine du caravansérail ancestral, mais le déplacement symbolique du Symposium rassura temporairement les détracteurs modérés du projet de l’Orrindhas en Corrèse qui commençaient à suggérer que l’alliance tenait davantage de l’annexion que du partenariat équitable.

En 327, le mariage du lieutenant de Salomond l’Avisé, Enosh d’Iscar, à la seigneur-palatine valécienne fit naître de nouveau des questions au sein de la population de l’Orrindhas. Conscient qu’il ne pouvait rallier trois palatinats autour d’un unique lieu de pouvoir, le Grand chevaucheur ordonna la construction de plusieurs plus petites arches à proximité des axes routiers les plus achalandés du sud. À l’image de la grande tente au pied de la première arche, des agoras couvertes ou à ciel ouvert furent érigées en divers points du territoire. Désormais, les représentants des quatre coins de l’Orrindhas pouvaient convoquer des rencontres en leurs propres terres et donner l’impression à la populace que les provinces étaient aussi importantes que le coeur du Protectorat.

Jusqu’à la mort de Salomond l’Avisé en 341, le système décentralisé du Symposium d’Arianne sous les arches fut efficace. Fort d’une réputation sans faille, le Grand chevaucheur détenait l’autorité nécessaire pour accepter ou refuser des convocations et propositions, de même que pour préférer une agora à une autre pour une rencontre particulière. Nul n’osait contester le jugement de l’homme qui, somme toute, portait dignement son nom. Cependant, l’avènement d’Émond, son fils, créa une brisure dans le Protectorat. Incapable de rallier diplomatiquement ceux et celles que son père avait unifiés, il froissa peu à peu ses subordonnés ; refus d’une assemblée à Corrèse, tenue d’une autre près de Porte-Sainte, etc., son manque d’expérience politique et de prestance militaire servait d’armes à ses détracteurs pour lui reprocher chacune de ses décisions.

En 354, la faiblesse d’Émond mena l’Orrindhas sur le bord du gouffre. Benjamin, son demi-frère dirigeant les clans Ferres, leva au début de l’hiver une vaste armée afin de marcher sur les Arches de l’Orrindhas et affirmer par la force l’unité du protectorat. Sur son chemin, le belliqueux seigneur de guerre rencontra une résistance mitigée, les factions corrésiennes et sarrens ne parvenant pas à s’entendre sur la réponse à donner à cette agression. Au milieu de l’été, c’est l’arrivée des régiments royaux du Bataillon sacré et de la Garde d’Arcancourt qui empêcha les hordes de Benjamin de s’écraser sur celles d’Émond devant la grande arche. Le Monarque, menant lui-même ses légions, parvint de justesse à faire reculer le chef Ferres et à l’empêcher d’infliger au sud du royaume une nouvelle guerre.

Après ces événements, Emond céda à sa soeur, Jaromond, l’autorité nécessaire pour agir en tant que Gardienne du Symposium d’Arianne. Tandis que le Grand chevaucheur resterait en Lys d’Or à ruminer l’état du monde actuel, Jaromond la Conciliatrice, d’ailleurs épouse du fils d’Élémas V Étienne Lacignon de Gué-du-Roi, sillonnerait l’Orrindhas afin de tenir à bout de bras l’héritage de Salomond. Elle fit perdurer son oeuvre jusqu’à l’hiver 382, moment où elle s’éteignit dans son sommeil. Toutefois, déjà de son vivant, elle assista impuissante à la dislocation du rêve de son père. Effectivement, en 380, l’avènement du Marquisat de Corrèse sonna le glas du rêve de l’Orrindhas tel qu’envisagé par Salomond et ses proches. Bien que le Symposium d’Ariane subsistait, il n’accueillait plus les seigneurs forestiers de l’ouest ébènois et relevait donc davantage du Conseil des Clans.

Néanmoins, dans les dernières années, Émond parvint à restaurer une part de la grandeur du rêve de son père. Jusqu’alors divisées entre le Protectorat de l’Orrindhas à l’ouest et les Plaines libres à l’est, les steppes furent réunifiées en 382 lors du Concile d’Adrianna. Depuis quelques années, un vent de progrès soufflait sur l’ensemble du Sarrenhor. Grâce à des mariages et des alliances stratégiques, le clan Sannor avait réussi à apaiser et isoler les mouvements traditionalistes de l’est. Même chez les belliqueux Vors, le sous-clan des Sukhbataar avait réussi à s’emparer du pouvoir afin de prôner une politique axée sur la diplomatie et le commerce. Lorsque vînt le temps de négocier l’avenir du continent célésien auprès de la Divine Adrianna à Yr, les voix récalcitrantes prônant un retour au pillage furent écartées de la table de discussion au profit des partisans d’une inclusion harmonieuse et stratégique du Sarrenhor à la nouvelle géopolitique ébènoise. Le Grand Chevaucheur Émond, assistant à la dislocation du Protectorat de l’Orrindhas depuis le départ de Corrèse de son giron, usa de toute son influence afin de faire valoir son leg sur les steppes. Avec l’accord des Vors et Ferres modérés, il restaura le Palatinat du Sarrenhor et soigna la plaie béante divisant jusqu’alors les steppes. En tant que Protecteur de la Divine, le Palatinat du Sarrenhor était de nouveau uni après des décennies de déchirements.

Finalement, notons que l’un des principaux héritages de Salomond l’Avisé perdure au sein des steppes : l’Ordre de l’Orrindhas. Avant lui, personne n’avait réussi à rassembler une force militaire certaine et stable, les Sarrens levant et abaissant traditionnellement leurs bannières de guerre au besoin. Sous les ordres de Karislav le Maelstrom, puis de Léandre de Haute-Sève, l’Ordre était autrefois composé de soldats corrésiens comme sarrens chargés de maintenir la sécurité des frontières de l’Orrindhas et la paix intérieure. À la suite de la mort de Salomond et d’Abigamond, c’est leur fils aîné, Émond, qui reprit les rênes de la guerre et dut éventuellement plier le genou devant les forces royalistes d’Yr. Négociant de près les traités, Émond réussit tout de même à sauvegarder l’Ordre de l’Orrindhas en tant que force militaire dans un contexte où les armées régionales étaient systématiquement intégrées aux forces royales. Bien qu’il ait perdu une partie de son lustre dernièrement, l’Ordre continue de rassembler en sein des milliers de chevaucheurs fidèles à la lignée de Salomond et à son espoir de steppes unifiées.